« […] la faiblesse et la fragmentation des groupes politiques du pays sont les principales responsables de ce que l’ambassadeur des EU se soit converti en “chef de la salle des opérations politiques et de sécurité du pays”, et de ce que lui soit accordé effectivement le dernier mot dans une série de problèmes internes. »
Cette citation est extraite d’un texte que j’avais traduit en 2012 et qui montre comment de fait l’ambassadeur des USA est le vrai gouverneur du Yémen, courroie de transmission des intérêts US dans le pays. Mais ce paragraphe pourrait être appliqué sans en changer un mot à ce qui se passe dans de nombreux autres pays, comme le confirme le témoignage de José Manuel Zelaya Rosales président renversé du Honduras et actuel député du parti LIBRE (liberté et refondation).
Dans de nombreux pays d’AL le terme AMBASSADE prononcé avec une emphase particulière désigne, sans aucun doute, l’ambassade des USA. Quand Evo Morales a été élu président de Bolivie, pour la première fois et qu’il a pris possession du bureau présidentiel quelle ne fut pas sa surprise de découvrir qu’il y avait une seconde porte à ce bureau, que cette porte s’ouvrait sur un couloir et que ce couloir conduisait directement dans les bureaux de l’Ambassade des USA….
Ici je vais vous traduire quelques extraits d’une récente Interview de Manuel Zelaya, président du Honduras renversé par un coup d’état militaire fomenté par les USA le 28 juin 2009. L’interview a été réalisée par Laura Carlsen, journaliste du média mexicain indépendant Rompeviento, Mel y fait des révélations importantes concernant les modes de l’ingérence étasunienne au Honduras. Il décrit aussi la catastrophe qui résulte de l’application des recettes néolibérale dans son pays. Une rengaine à présent connue de tous : des privatisations qui enrichissent quelques-uns, des Transnationales et leurs complices locaux, alors que l’ensemble de la population est réduite à la misère. Ils détruisent jusqu’à notre dignité, dit Mel. Les gens ne migrent pas, ils fuient. Ils fuient la misère et le manque d’opportunités.
Depuis 10 ans le peuple du Honduras est en résistance. Cette semaine le peuple du Chili s’est soulevé. Si l’expérience néolibérale au Honduras est de notoriété publique une catastrophe, le Chili se présentait jusque-là comme le modèle à suivre d’application de cette idéologie, une oasis, la Suisse de l’Amérique Latine. Dans les 2 pays on constate pourtant cette même réalité : le modèle creuse les différences entre une petite caste de très riches et l’immense majorité de la population jetée dans la plus cruelle misère. Une plus ou moins longue agonie.
Le projet de Mel Zelaya, président du Honduras était un projet de souveraineté nationale, similaire en beaucoup d’aspects à celui qui avait valu à Jacobo Arbenz alors président du Guatemala d’être renversé par un coup d’état made in « USA » en 1954.
Mel nous dit : « L’initiative privée avec sa créativité et sa force de production n’est pas le problème en soi. Les problèmes arrivent quand ce secteur concentre des privilèges et des richesses et nie les droits du peuple, réduit au silence les voix de la population, avec pour résultat des régimes totalitaires, des systèmes excluant et un haut niveau d’exploitation qui détruit le milieu ambiant et détériore l’humanité elle-même. Le problème ce sont les racines, c’est un problème d’essence : la globalisation de l’économie dirigée à travers un système hégémonique qui produit un système de haute dépendance aux fluctuations du capital et met les peuples à genou, en particulier dans les petits pays comme le Honduras. »
Comme Jacobo Arbenz, Manuel Zelaya développait un modèle de souveraineté nationale, quand les ressources et productions locales servent en priorité pour le bien être des habitants du pays. Il adhérait également au mouvement de souveraineté et entraide régionale intégré par les mandataires progressistes et quelques autres au début de ce siècle. Il s'était tourné vers eux, il s’était vu refuser toute aide pour la mise en place de ces projets de programmes éducatifs, de santé publique et de stimulation de la production national par le FMI, les USA et autres instances néolibérales. Il avait alors reçu l’aide du Brésil et du Venezuela… Le peuple n’en bénéficiera jamais, Mel sera renversé avant d’avoir pu utiliser les fonds avancés qui seront utilisés par les putschistes pour construire la dictature.
juin 2009 Mel président de Honduras et ami du peuple est enlevé par les militaires qui l'emmenent hors du pays
Quand il arrive à la présidence, l’Ambassadeur (des USA) lui rend visite et lui remet une enveloppe et lui dit : « Président je voudrais que quand vous arriverez chez vous, vous ouvriez cette enveloppe. Je vous y fait une recommandation. La lettre en question ne comporte aucun signe qui identifie son origine. Une liste y figurait. Pour le secrétariat à la défense, 3 noms sont proposés. [Mel rigole] c’est démocratique, il nous laisse un large choix ! Entre trois personnes qui ont été recrutées par l’Ambassade. »
Mel bien sûr n’a pas obéit à cette « recommandation », ni à celles qui ont suivi et veulent lui imposer ses ministres et secrétaires d’état dans les domaines de la Sécurité, l’Économie, la Finance, lui laissant la liberté dans les domaines des Sports, des Arts, de la Musique...
Quand l’ambassadeur lui demandera s’il a un commentaire à faire à ce sujet, il répondra : aucun commentaire. Mais c’était clair: « Avant mon arrivée au pouvoir la « coutume » était que ce soit les États-Unis qui décident des ministres, des secrétaires d’état. L’ambassade manipule les médias, elle manipule les cercles de pouvoir, une partie des églises se plient à son influence, les politiciens lui demandent sa permission avant d’agir. La Défense, la Sécurité, c’est le Commandement Sud des USA qui les dirigent. L’économie c’est le Fond Monétaire internationale qui la prend en mains en complicité avec la cinquième colonne, les entrepreneurs locaux qui sont associés de transnationales. Non seulement ils manipulent la Sécurité, l’économie, la production ; ils manipulent également la justice avec l’aide de l’OEA qui décide quel corrompu doit être arrêté et quel autre jouira d’impunité. »
Mel ne recevra aucune des aides qu’il demande pour ses réformes au bénéfice du peuple, ni pour pratiquer une réforme agraire qui restitue la propriété des terres à leurs légitimes habitants et mettre en place les conditions d’une souveraineté alimentaire. Le FMI exige au contraire qu’il réduise la masse salariale et qu’il pratique une dévaluation qui favorisera la pénétration des transnationales. Ce n’est pas étonnant. Le modèle de division mondiale du travail veut que les pays de la périphérie fournissent à bas pris les matières premières, fournissent un travail esclave dans les maquiladoras ou les cultures d'agro-industrie d’exportation dont les transnationales tirent profit. Alors que l’utilisation de pesticides interdits dans les pays développés empoisonnent les cultivateurs et leurs famille. Depuis le coup d’état, quand des communautés réclament les titres de propriété qui leur avait être accordés par la réforme agraire, elles se font expulser de leurs terre et pire elles sont criminalisées, qualifiées de terroristes ou ne narcotrafiquants. Les meneurs des lutte comme Berta Caceres sont agressés, harcelés, assassinés, leurs familles menacées sont souvent forcées à l’exil. La destruction des cultures vivrières, de la production locale visent à rendre ces pays totalement dépendants d’importations que la plupart ne peuvent se payer. Le néolibéralisme ne tolère aucun projet de souveraineté nationale. Il a abandonné depuis longtemps le masque humain derrière lequel il dissimulait ses véritables intentions. Le génocide est en cours.
« La Constitution nous dit que nous sommes un pays indépendant, que nous sommes un pays souverain, que nous sommes un pays qui s’est constitué comme état nation, et à la fin et quand je suis arrivé à la présidence j’ai découvert que nous n’étions rien d’autre qu’une colonie. Nous sommes une société soumise à travers la dépendance d’un système économique qui nous appauvrit toujours d’avantage. Et qui chaque fois nous rend plus Indignes, plus Misérables, plus déchus et serviles. »
Le régime du Honduras non content d’être corrompu est un narco-état. Le frère de l’actuel président, Juan Orlando Hernandez, est jugé à présent à New-York (il a été condamné cette semaine) pour participation au narcotrafic à grande échelle internationale (en complicité avec des narcos colombiens et le cartel de Sinaloa du Mexique) et les enquêtes montrent que les profits de ce trafic ont alimenté les campagnes électorales de JOH. Et les réseaux de corruption du pays. Cela fait des années que la DEA mène l’enquête sur JOH, les preuves de son inculpation s'accumulent, depuis son premier mandat, avant même sa réélection inconstitutionnelle… comment se fait-il que les USA qui prétendent mener une lutte frénétique contre la drogue tolère un président impliqué dans le narcotrafic. La réponse est connue : la guerre contre la drogue n’existe pas, elle n’a jamais existé, elle est une guerre contre les peuples, un outil de déstabilisation qui favorise les intérêts des transnationales.
Renverser JOH sans changer le système ne sert à rien. L’ambassade des USA le remplacera par un autre fantoche. Son élection à un premier mandat était déjà le résultat d’une fraude électorale que j’ai documenté à l’époque. Elle mettait en jeu divers processus, une modification du contenu des urnes, des groupes armés empêchaient les électeurs de se rendre dans les bureaux de vote… Par exemple : l’ambassadrice des USA de l’époque, Kubiske, se rendait jusqu’au fin fond des campagne, elle y amenait des cadeaux, des cartes d’électeurs et… des « méthodes du Bien Voter »…
Pour Mel il n’y a qu’une seule solution pour lutter contre la corruption :
« La solution réside dans le partage du pouvoir de décision entre le plus grand nombre de personnes possible : souveraineté populaire.
Le système dans son illusion de dominance disqualifie tout discours qui n’est pas conforme à son idéologie postulée comme Vérité Unique. Dans la réalité chacun à une opinion et ces opinions peuvent être différentes, c’est quand ces différentes opinions se conjuguent que nous rencontrons le chemin de la vérité, le chemin de la liberté, le chemin de la justice. »
Vendredi 29 octobre 2019 la police fait taire la voix du peuple qui exige le départ du président corrompu et incapable
L’interview est longue et je ne peux pas tout traduire. Mais il dit certaines choses que je voudrais mettre en évidence ici, parce que de cela on ne parle jamais. Il voudrait également un pays ou chacun puisse faire un travail qu’il aime au mieux de ses qualités. Et cela c’est fondamental, j’ai fait des boulots durs, des boulots dont beaucoup ne voudraient pas, mais je les ai fait avec plaisir, parce que cela faisait partie de la réalisation de projets communs partagés avec des gens que j’appréciais. La production industrielle atteint les limites des ressources de la planète ; le système de l’emploi prend la forme d’un nouvel esclavage qui fait prévaloir l’idée du travail comme souffrance. Changer de système c’est remettre les métiers à l’honneur. L’hyper-production c’est aussi un système qui vend à des esclaves les produits de basse qualité produit par d’autres esclaves, des miettes comme autant d’illusions qui contribuent à maintenir la paix sociale sans que personne y trouve son bonheur.
Manuel Zelaya était un bon président. Un homme simple, vivant dans une maison de classe moyenne, se déplaçant à moto, sans escorte, pour déjeuner dans les restaurants populaires. Le Honduras est un pays de 9 millions d’habitants. Quelques heures après qu’il ait été renversé, à l’aube du 28 juin 2009, 600 000 personnes protestaient rien que dans les rues de la capitale Tegucigalpa. Une mobilisation qui durera plusieurs mois et n’a jamais cessé depuis. Un président populiste est un président qui utilise le langage de la démagogie et utilise des méthodes clientélistes pour acheter les votes. Manuel Zelaya était un président populaire, qui agit de manière transparente en consultant ses mandants pour décider ensemble, un ami du peuple, parce qu’ensemble ils partagent un même projet de pays.
Mais cela fait partie du langage unique, de la pensée unique qui disqualifie la volonté des peuples, la notion de populaire a été bannie de nos vocabulaires, et les peuples, considérés comme stupides par nature, quand ils choisissent des représentants qui vont se mettre à leur service, sont accusés de céder aux chants de sirènes du populisme. Comme s’il était stupide de vouloir des conditions de bien-être, de juste répartition, la participation aux décisions qui nous concernent.
Participer ensemble aux décisions qui nous concernent que ce soit dans notre quartier, dans notre ville, dans notre pays, pour l’avenir de la Vie sur Terre, c’est la condition première pour construire un monde dans lequel chacun disposeraient des conditions du bien -être et de la dignité. Cela nous dit Mel ne se reproduira pas sans que les USA et l’Europe se remettent en question parce que jusqu’ici quand un président démocratique, pacifique veut construire un projet de souveraineté nationale ils le renversent. Ils font taire les voix divergentes, alors que la vérité se construit par la rencontre des points de coïncidence après que chacun ait exprimé son point de vue, nous dit Mel. Ce n’est pas possible quand toute parole différente est disqualifiée au nom d’une prétendue Vérité Unique et valable pour tous.
Au cours des derniers jours nous avons pu voir les USA, malgré les divisions politiques internes du pays, utiliser des mêmes techniques et d’autres pour déstabiliser le gouvernement du Mexique qui prétend également mettre en place un projet de souveraineté nationale, de démocratie participative et de juste répartition des richesses dans le pays. Comme l’avait fait Manuel Zelaya, Andrés Manuel López Obrador refuse de céder à la pression. Au contraire il appelle l’ONU, l’Amérique Latine et le monde à mettre un terme au modèle néolibéral, à ses méfaits. Aujourd’hui, dimanche, et il y a un relatif moment de calme dans le déroulement de cette tentative de réactiver une « guerre de basse intensité » au Mexique, et dans la prolifération d’information qu’elle génère… nul doute que demain amène de nouveaux développements de cette situation périlleuse.
Anne W
PS : résistance à la désinformation. Si certains médias occidentaux titrent : « des milliers de manifestants protestent contre le gouvernement d’ Andrés Manuel López Obrador », ils omettent de nous faire savoir que des centaines de milliers d’autres manifestent en soutien à leur président.
commenter cet article …