Par Susana Albarrán pour El Salto, 3 juillet 2019
Víctor Fernández y Martín Fernández, militants du Movimiento Amplio por la Dignidad y la Justicia de Honduras
Martin et Victor Fernandez sont des militants du Movimiento Amplio por la Dignidad y la Justicia de Honduras. Tous deux ont également été avocats du COPINH [Conseil Civique des organisations populaires et indigènes du Honduras : 25 ans de luttes et de révolution ] lors du premier jugement pour l’assassinat de Berta Cáceres.
Le 28 juillet dernier s’accomplissaient 10 ans depuis le coup d'état au Honduras qui entraîné la destitution du président Manuel Zelaya et qui a été suivi par des mois de résistance et de répression. Depuis le peuple du Honduras traverse une crise continue alors que les mouvements sociaux luttent pour obtenir un changement de la situation politique. En mai dernier s'est levée une nouvelle opposition contre les plans de privatisation totale de l'éducation et de la santé élaborés par le Fond Monétaire International et le gouvernement de Juan Orlando Hernandez, réélu président pour un second mandat de manière inconstitutionnelle – la constitution du Honduras interdit la réélection présidentielle – en novembre 2017.
Au cours des dernières semaines se sont intensifiés les blocages de route, mobilisations, actions collectives, résistances pacifiques de divers secteurs de la société hondurienne dans différentes parties du pays rencontrant la répression comme réponse de la part de l’État, dont le mandataire a ordonné le déploiement des Forces Armées. A la fin juin les manifestations se soldaient par des morts et des blessés.
Pendant le mois d'avril de cette année, les avocats Martin Fernandez et Victor Fernandez ont parcouru plusieurs villes européennes, à l’occasion d’un voyage à Brême pour y recevoir le XVIème Prix Solidarité, qui leur était octroyé par cet État allemand en reconnaissance du travail qu'ils fournissent dans l'organisation Frente Amplio por la Dignidad y la Justicia (MADJ) à laquelle ils appartiennent tous les deux. Leur lutte poursuit l’approfondissement des espaces de participation de la société hondurienne pour le renforcement de la démocratie.
El Salto a conversé avec eux, au sujet de la reconnaissance de leur travail, mais surtout afin qu’ils nous informent du climat « défavorable » que rencontrent les mouvements sociaux , et la société hondurienne en général, pendant les jours de plus grande convulsion de la présidence de Juan Orlando Hernandez. Martin et Victor Fernandez sont coordinateurs exécutifs et coordinateurs politique de MADJ, ils sont avocats et ont travaillé avec le COPINH dans le premier des procès qui tentent de mettre en lumière la responsabilité intellectuelle de l'assassinat de Berta Caceres. Ils nous ont également parlé de la signification du jugement dans ce procès.
Qu'a signifié ce voyage en Europe si nous prenons en compte la délicate situation que vit votre pays ?
Martin Fernandez : Premièrement nous sommes venus pour recevoir le prix, ce qui nous a permis d'ouvrir des espaces de rencontre pour faire connaître la situation au Honduras, et en plus de créer des liens Il faut souligner que ce prix a un caractère politique en raison de toutes les implications qu'ont la défense des Droits Humains et du milieu ambiant menées par notre organisation, le Movimiento Amplio por la Dignidad y Justicia, de laquelle nous sommes cofondateurs et défenseurs, et de toute la problématique à laquelle sont confrontés les défenseurs et défenderesses dans notre pays. Actuellement nous sommes le pays, après le Brésil, où il est le plus dangereux d'exercer ce type de fonctions. Nous avons réussi à coordonner tous ces processus de lutte, et le prix n'est pas pour Victor ou pour moi, sinon pour une organisation qui forge collectivement un processus de résistance et d’exercice de souveraineté territoriale. Le prix est arrivé à un bon moment parce que le Honduras est un pays où est invisibilisé tout le travail fournit depuis les différents espaces [de participation et de lutte], pas seulement ceux que coordonne mouvement Amplio.
Nous avons eu l'occasion de partager toute l'expérience du Honduras, tant de manière spécifique, à travers les cas au sujet desquels nous travaillons en tant qu'organisation, ainsi que d'autres expériences que nous partageons avec d'autres organisations. Depuis Brème, nous avons pu aller à Berlin, Valence et en Irlande. Victor a été à Genève parce que il y a peu s'est produit le crime de deux compagnons d'un village indigène appelé Tolupanes, et des réunions avec les Rapporteurs des Droits de l'Homme et des Peuples Originaires étaient prévues. Nous en avons profité pour dénoncer également toutes les atrocités auxquelles a donné lieu l’installation de cette narcodictature - comme nous l'appelons – de la part de la structure criminelle qui dirige le pays, sous les applaudissements des USA et tous les gouvernements d'Europe.
Quand nous parlons de Movimiento Amplio, de quelles organisations est-il question ? Qui le compose ?
V.F. : Le Mouvement est né comme un espace qui rassemble d'autres organisations. Au début, quand il est né, en 2008, il était formé par des organisations ayant un plus grand renom, mais par la suite s'est incorporée la participation d'organisations de base, coopératives de gestion de l'eau, des patronages, des conseils communaux... La structure du mouvement se fait au travers de noyaux de bases communautaires, autrement dit, de communautés rurales et de communautés urbaines, et à l'intérieur de cette structure participent des espaces qui existaient antérieurement.
Quelle est la situation actuelle au Honduras et comment le Movimiento Amplio y fait-il face ?
V.F. : Le Honduras a vécu 11 années de luttes soutenues et intenses. Nous situons l'origine en 2008 parce que ce fut le moment où se produisit la grève des procureurs qui a duré 38 jours, et a signifié l’ensemencement d'un mouvement culturel et citoyen qui affronte une structure de pouvoir qui se soutient sur la base de la corruption publique. En 2009, après que ce soit produit le coup d'état, le niveau de participation et d'articulation des différents espaces a fait un bond. Par la suite, un événement remarquable dans le pays est celui qui se produisit en 2015 [la Salle constitutionnelle violant la Constitution autorise la réélection présidentielle], entraînant un nouveau mouvement de lutte citoyenne contre la corruption, jusqu'au dernier événement clé qui est la lutte populaire contre la fraude électorale de 2017. [et depuis 2019, lutte de la Plateforme contre la Privatisation de la Santé et de l’Éducation qui fonctionne sur des principes de souveraineté populaire et implique des secteurs de la population qui ne s’étaient jamais mobilisés, jusque-là.]
Le Honduras se mobilise dans les champs de différents espaces et initiatives citoyennes populaires, et d'autres moins populaires, mais dont nous dirons qu’ils participent au mouvement d'opposition à la dictature. Le coup d'état continue à se dérouler sur le plan économique, par l’accaparement de la richesse du pays et c'est là qu'est le combat. C'est cela le Honduras que dans lequel nous vivions: un pays dirigé par une tendance officialiste conservatrice impliquée dans les pratiques de corruption. Nous devons considérer que l’état est pour eux un espace à saigner, le pays un territoire à piller, et qu’ils combinent cette pratique historique de corruption publique avec d'autres pratiques, plus spécifiques du crime organisé et violent.
Ainsi, plus que les gouvernements du Honduras des 11 dernières années, c'est la structure de pouvoir, manifestation des différentes formes d’expressions du pays - incluant les politiques partisanes et économiques - qui configurent le scénario de corruption [Le Président Zelaya qui veut changer cela se fera renverser par un coup d’état législatif et militaire]. Une structure de pouvoir qui jouit d'un soutien international, qui se maintient sur base d’une militarisation de la société, de la corruption et à laquelle le mouvement populaire hondurien fait contrepoids. Le movimiento a différents versants, dont un est composé d’avantage de la base, c’est celui auquel nous participons : l'organisation communautaire – qui a surmonté la léthargie et l’enlisement du mouvement ouvrier historique, qui a disparu de la scène. Ce versant, joint aux autres espaces du mouvement de Droit Humains, fait contrepoids. S'y ajoute une opposition politique de partis qui n'est sans doute pas si claire, alors que les gens du secteur populaire avancent dans leur recherche : entre la lutte sociale en soi et sa convergence avec les autres tendances politiques électorales qui peuvent être plus ou moins affines avec cet espace.
Le Honduras, dans ce contexte, se bat contre un gouvernement corrompu, narcotrafiquant, avec une bonne partie de son leadership expatrié aux USA. Nous vivons la phase post-fraude électorale avec la grande impunité, les morts violentes et la criminalisation des mouvements. Nous sommes cela, une citoyenneté en mouvement que nous revendiquons. De cela fait partie le Movimiento Amplio por la Dignidad Y la Justicia.
Cela c’est la situation du Honduras aujourd'hui, et en plus il y a toute la pression que subit actuellement la région dans son ensemble. Les USA font pression depuis la frontière Sud du Mexique pour pratiquer des politiques extractivistes auxquelles participent des entreprises et des gouvernements européens. Cela rend-il le contexte plus difficile pour s'organiser ?
V.F. : Oui, le modèle te propose des sorties faciles, immédiates, de survie. Les USA dirigent cette crise, soutiennent ces gouvernements, ce qui entraîne une expulsion des gens, c'est la cause des caravanes de migrants... et après, ils prétendent les contenir avec un discours raciste et fondamentaliste.
Beaucoup de gens n'ont pas la possibilité de quitter le pays. Nous avons un enracinement et des conditions qui nous obligent à rester. Dès que nous disposons d'un peu de conscience, nous n'avons pas d'autre option que d'assumer la défense du territoire. Que de penser que cette période d'adversité que nous traversons dans l'histoire du pays, nous devons la convertir en opportunité. Une opportunité qui te dit que ton pays ne t'a rien offert, que le monde ne t'a rien offert, que la vie ne t'a rien offert et que ce qui t'es offert, c'est une opportunité de construire [le pays]. Nous en sommes. C'est ce qui nous inspire, c'est la perspective de la dignité que nous développons. Là où on te la refuse tu dois la conquérir, en même temps que de configurer un entourage qui transcende la dignité individuelle pour rencontrer cette démarche de dignité collective, c’est ce qui rend possible un espace comme le nôtre, de diversité. Nous réunissons des professionnels, des paysans, des indigènes... une configuration qui reflète l'ensemble du pays.
Alors oui, le panorama est contraire, c'est la militarisation, c’est la violence dans ses différentes manifestations, parmi elles la violence structurelle – celle que pratique le système. Un système qui a conduit, à 200 ans de notre indépendance, à ce que presque 70% de personnes soient plongées dans la pauvreté, dans un pays comme le nôtre, avec toute la richesse qui est la sienne. Nous promouvons l'idée que la pire adversité te place dans la nécessité de lutter, de construire pour tous, dignité et justice.
Qu'est-ce qui va se passer dans les prochains mois en matière de résistance active ?
M.F. : Pour nous le scénario n'a pas changé, mais n'a pas non plus changé l’espérance que nous avons pour notre pays. Nous avons toujours dit : « Nous n'avons pas d'autre pays. [Reconstruire] le pays, c’est notre travail, notre engagement, notre contribution ». L’organisation a fêté ses 11 ans le 24 mai dernier, alors que nous étions dans un processus d’évaluation très critique et autocritique de notre gestion des 10 premières années pour évaluer si effectivement notre travail avait contribué au processus et répondu aux nécessités du pays . Pour ces 10 premières années nous nous étions fixé des objectifs ambitieux et très clairement le movimiento n’a pu s’étendre autant que nous le souhaitions. Pourtant les exercices [de pouvoir populaire] que nous avons mené dans les territoires sont très importants. Nous nous sommes constitués comme un mouvement de base territorial, après le pillage de toutes les institutions, nous continuons à miser sur un mouvement qui s'est forgé au cours du mouvement de résistance.
Actuellement nous pouvons dire que le projet de concessions du Honduras [aux transnationales minières, hydroélectriques, à leurs zones franches qui soustraient des fragments de territoire au gouvernement et à la juridiction du pays, en dépossèdent les habitants] est le fruit d'un travail qui a été effectué de manière systématique, et donc nous sommes confronté à un monstre. Et il nous a incombé de lutter, de résister à grand nombre de processus de concession que nous avons réussi à freiner [voir par exemple Le peuple Lenca du Honduras met la plus grosse entreprise de construction de barrages en déroute ]. On peut dire que nous n'avons pas facilité le travail d'implantation du modèle. Actuellement nous entamons une étape qui a pour slogan « Nous avons faim de justice et soif de dignité ! ». Dans les prochaines 10 années nous allons continuer à travailler, comme nous avons travaillé, à travers un processus de résistance qui nous a permis de bloquer le développement d'initiatives tant minières qu'hydroélectriques. Cela a contribué à mettre en lumière la manière dont se déroule le pillage du pays. Nous entrons dans une étape pour laquelle la revendication de tous ces processus est essentielle. En plus de cela nous avons besoin de créer un processus de souveraineté territoriale. C'est pour cela que nous avons construit ces processus de résistance après lesquels le modèle extractiviste ne pourra plus rester égal à lui-même. C'est une travail permanent, de chaque jour, et c'est un travail qui a du sens.
La dynamique fondamentale de l'organisation réside dans ses assemblées qui portent les voix de la population qui est impliquée et tissent la voix de notre organisation comme autorité [populaire] suprême. Nous devons approfondir les processus d'organisation et de formation ; nous devons augmenter les niveaux de diffusion et de connexion avec d'autres processus. C’est indispensable et pas seulement au Honduras, mais aussi à l'extérieur. Nous avons participé à différents mouvements comme celui qui réunit ceux qu'affectent des projets de barrages, qui est né en 2016 et regroupe 14 pays d'Amérique Latine. Cela permet de construire non seulement une résistance contre ce modèle, mais également de construire une alternative à toutes ces initiatives perverses du capital.
Et ce faisant, nous développons des capacités. Certainement ces processus d'articulation vont être importants pour pouvoir opérer les échanges nécessaires, nous avons besoin de partager des expériences, qui trop souvent restent occultées. Nous opérons toutes ses connexions des luttes, dans tous les territoires. Nous savons très clairement que c'est un processus qui demande une implication permanente. Contre le modèle qui veut nous dominer, nous devons inventer nos propre rébellions.
V.F. : Dans un point de vue cette fois macro, plus traditionnel de la vie politique du Honduras, les gens se demandent ceci : après les élections frauduleuses qui ont été avalisées par la communauté internationales, Juan Orlando va-t-il terminer ou non son mandat présidentiel ? C'est une question omniprésente dans une conjoncture qu’aucune société ne tolérerait : avec un président qui est fortement impliqué dans la corruption du secteur public - ses campagnes ont été financées par l'argent des principaux cas de corruption mis en cause dans le pays. Non seulement, sa famille et les structures de son parti apparaissent comme directement impliquées dans les plus scandaleux actes de corruption, en plus ils apparaissent comme étroitement liés au narcotrafic. Son frère Antonio Hernandez – c'est à dire un très proche - est jugé aux USA en ce moment à New York. Il a été prouvé qu'il était impliqué dans le narcotrafic à grande échelle, pas seulement au Honduras, mais dans toute l'Amérique Centrale. Et des informations concernant le capital qu'il a accumulé ont été révélées, par exemple les méthodes de son blanchiment, en passant pas le président et son épouse. [et Juan Orlando est actuellement la cible d’une enquête en cours menée par la DEA.]
N'importe quelle société penserait que c'est un gouvernement qui est tellement illégitime que le système même devrait avoir les ressources pour favoriser son auto-nettoyage de ce genre de sujet. Mais les acteurs décisifs, dans ce cas, ce sont les secteur des partis politique joints à l'ambassade du gouvernement des USA. Ils semblent définir la limite jusqu'à laquelle pourra aller le Honduras. Autrement dit, le maintien de ce gouvernement dépend de la manière dont il favorise ou non les intérêts des USA, à qui il convient d'extrader les narcos qui ne leurs servent plus à rien, quand ils sont usés. La question est donc : Jusqu'à quand Juan Orlado Hernandez va-t-il être utile au régime des USA ? A quel point lui serait bénéfique ou préjudiciable qu'il soit le prochain extradé ? Quand la Mission de Soutien contre la Corruption et l'Impunité au Honduras (Maccih) crée par l'OEA dans le cadre des plaintes de la population (nous-mêmes), va-t-elle porter des accusations ? Quand va-t-elle l’incriminer pour les cas de corruption desquels il est responsable ? Cela dépend de calculs politiques des acteurs qui sont actuellement décisifs. C'est de cela dont il est question.
En côté de cela, il y a ce qu'a planté Martin, les efforts des bases populaires au sens de processus plus que de conjoncture. Il faudra que nos processus, dans la prochaine conjoncture du pays aient atteint la hauteur suffisante, la force suffisante pour que nous ne soyons pas spectateurs de ceux qui ont toujours décidé, les acteurs de toujours comme les politiques-électoraux, comme la communauté internationale ou l'empire nord-américain, qui utilisent toujours les crises comme élément de renforcement de ce modèle. Voilà le défi.
Et aujourd'hui cela vaut d'avantage la peine que dans des occasions précédentes d'imaginer cela : le Honduras sans Juan Orlando et sa structure. Cela sera notre Honduras ou un Honduras plus favorable à l'empire nord-américain. Là est le combat. Et donc, face à une telle alternative, nous agissons dans la perspective de devenir toujours d'avantage protagonistes. Nous retrouvons ici les grands défis historiques des mouvements populaires : l'unité, et la proposition d'une alternative claire. C’est la question d’une démarche de la base, populaire, qui brise le système. Dans le cas contraire, nous entrons dans une logique de revitalisation ou de régénération du système.
Et nous en sommes là, il se peut que ces choses se réalisent, il se peut que nous soyons dans l’antichambre d'une nouvelle conjoncture - ce sera la cinquième ou la sixième des dix ou douze dernières années de l'histoire de notre pays – et nous sommes devenus des protagonistes. Cela n'évolue plus seulement à la convenance d'acteurs extérieurs, qui s’arrangent pour contenir les protestations populaires et trouvent toujours une réponse pour t’arrêter. Et nous espérons briser les processus qu’ils ont utilisés ces derniers temps. Cela traite de cela. Notre histoire est très circulaire, mais à un moment nous sortirons du cercle et nous pouvons changer cela. C'est notre espoir.
M.F. : Je crois que ce que décrit Victor se situe sur le plan interne, nous avons comme tâche fondamentale de convertir chaque espace en opportunité. Et actuellement nous serions complètement myopes si nous ne prenions pas en considération la situation que traverse le Honduras et ce que vivent beaucoup de gens hors du Honduras. Nous parlons en terme de citoyenneté de Honduriens qui ont été expulsés [par la violence, la misère]. De fait nous apprécions tout ce travail que nous faisons là, non seulement avec les honduriens mais aussi avec beaucoup de personnes qui participent à des processus de solidarité avec le Honduras. Nous devons aussi articuler le processus hondurien depuis les différents espaces [extérieurs], peu importe le lieu dans lequel se retrouvent nos compatriotes, là aussi nous devons créer ces processus de dénonciation, de résistance et de participation concernant la réalité du pays. Connectant les luttes, des luttes qui s’amplifient. Nous avons toujours d’avantage conscience et entendons mieux la nécessité que ce ne soit pas la lutte d’un seul pays sinon de toute une planète.
Le jugement de l’assassinat de Berta Cáceres était attendu comme un épisode dans lequel le pouvoir judiciaire hondurien était sommé de donner à la population une vérité indiscutable [concernant les auteurs intellectuels]. Une opportunité a-t-elle été perdue ?
V.F. : Une interprétation correcte de ce jugement doit nécessairement le considérer en tant que produit de la lutte populaire. Si vous vous en souvenez, le 3 mars 2016, la première déclaration officielle du ministre de la Sécurité du Honduras relative à l’assassinat de Berta Cáceres était que le crime avait eu comme mobile un conflit passionnel ou un conflit interne du COPINH. C’est le genre de vérité officielle qu’ils cherchent toujours à nous vendre. Puis, il y a tout ce qui s’est passé et qui est le résultat des luttes menées par des organisations comme le COPINH et nous en tant que Movimiento Amplio, nous nous sommes joints à cette cause, parce que comme tous le disent : « Nous sommes tous Berta ! »
C’est très important de situer dans son contexte ce premier jugement [condamnation de 7 auteurs matériels et mise en cause d’un auteur intermédiaire], qui correspond à celui de la vérité matérielle de ce qui s’est passé le 2 mars 2016. Ces 7 personnes, oui, elles ont participé au crime, mais ces personnes étaient en relations avec des acteurs intermédiaires, eux-mêmes au service des auteurs intellectuels du crime. Sans ces mouvements, cette solidarité, jamais nous ne serions parvenu jusqu’à eux. De fait le premier à avoir été capturé n’était aucune de ces personnes. C’est une pratique historique au Honduras, où le taux d’impunité est de 95 % en ce qui concerne les morts violentes. Si on s’en tient aux statistiques il est fort probable que ce crime serait resté impuni et que les responsables désignés aient été le COPINH ou quelque proche de Berta. Dès lors nous pouvons dire que nous avons évité - par nos propres moyens, par la force de l’articulation nationale et internationale - qu’en plus d’avoir tué Berta, ils tuent l’effort politique, parce que c’est cela le scénario historique. Quand un dirigeant est tué, une dirigeante, ils attribuent le crime à un conflit interne. Le coup est non seulement directement humain, il est aussi politique.
C’est cela le résultat du premier jugement : Nous avons enlevé au loup un poil et maintenant nous allons vers les niveaux supérieurs. Il va y avoir le jugement de David Castillo Mejia, qui n’est toujours pas un auteur intellectuel, il était employé de l’entreprise Desarollos Energeticos S.A. (DESA), c’est un acteur intermédiaire, et au-dessus sont les auteurs intellectuels de ce crime. Et derrière il y a la structure qui pratique ce type de crimes et qui en plus participe d’autres crimes que subissent, pas seulement le Honduras, mais les différentes sociétés qui sont actuellement exposées au modèle extractiviste, qui est l’expression moderne du néo-colonialisme que nous vivons.
Là, nous nous attaquons aux entreprises, celles qui doivent nous rendre des comptes, celles qui doivent être - au moins - confrontées à la criminalité normalisée qui est leur mode d’action. Et derrière elles, il y a le système financier, et parfois ce sont les mêmes. Et cela n’implique pas seulement le secteur privé, il y a la banque multilatérale, autrement dit la Banque Mondiale, qui utilise l’argent des pays, l’argent des peuples, pour ce nouveau dépouillement au nom de la logique du prétendu développement. Ce sont les banques régionales comme la Banque Centre-américaine d’Intégration Économique (BCIE) qui est très proche de tout cela. C’est de cela dont il est question et que nous voulons obtenir, pas parce que cela viendrait du gouvernement ou de la structure x du pouvoir, mais parce que nous luttons , nous nous battons pour y parvenir.
Il faut comprendre cette logique, et mettre en lumière les clés de cette avance qualitative qui s’est produite dans quelques cas, pour que cela prenne un caractère emblématique, pour que cela apporte de la lumière aux autres processus. Nous, en tant d’organisation nous sommes confrontés à un grand nombre de procès de leaders assassinés. Nous en apprenons beaucoup concernant les manières de lutter, de se battre contre le système dans ses propres espaces. Nous allons à la police, et nous luttons pour cet espace ; nous allons face au ministère public et nous nous battons , dans les tribunaux, dans les médias, face à la communauté internationale, dans les systèmes de droits humains internationaux qui ont également un pouvoir. Ainsi nous balisons la route que doivent suivre les mouvements réellement alternatifs qui veulent briser ce système. C’est l’apport de Bertita, qui nous a enseigné tous les rouages du système que nous avons du affronter depuis son assassinat. Nous sommes plusieurs organisations qui travaillons sur son cas et c’est un enseignement pour tous le reste de nos actions.
Revenons au prix qui vous a été attribué à Brème…
V.F. : Le prix est un geste de solidarité politique pour deux enjeux, l’un est la défense des Droits Humains et l’autre – c’est dit explicitement - est une reconnaissance de la lutte menée par l’organisation contre la corruption publique. Et nous voulons montrer ce que cela signifie pour nous.
Premièrement, il est important que cela vienne d’une instance officielle. C’est un état, parmi les 16 qui composent la Fédération Allemande, qui prend position publiquement, et qui reconnaît qu’il y a des organisations - dans ce cas-ci la nôtre - qui luttent contre la corruption du secteur publique et pour les droits humains, dans un contexte difficile. C’est important aussi que cela vienne d’Allemagne qui est d’un grand poids dans les projets de « développement » pour nos peuples. Cela pose un contrepoids. Et ce qui était encore plus important, c’est que la Commune de Brême avait convoqué l’ambassade du Honduras à assister à cet événement, celle qui fait alliance avec le régime de Juan Orlando. C’est un message pour le gouvernement de Juan Orlando autant que pour la communauté internationale, celle qui ne se manifeste pas au Honduras, celle qui fait alliance avec le régime de Juan Orlando. C’est possible que Brême soit le plus petit état d’Allemagne mais pour nous cela ne retire rien à l’importance de cette reconnaissance.
En termes plus spécifiques, nous dirions que ce type de reconnaissance aide à protéger les processus et sauve des vies. Le niveau de danger est élevé au Honduras, nous ne voulons pas nous considérer comme des victimes de cela, mais il est certain que chacun d’entre nous peut devenir « une nouvelle », d’un moment à l’autre. Peut-être que ceci est notre dernier voyage de travail en Europe,… c’est cela la réalité du Honduras. Nous banalisons le thème du risque mais c’est à cela que nous sommes exposés dans une société et avec un régime comme celui du Honduras. Alors qu’apparaissent et nous parviennent ces messages, de toutes parts, c’est très important, et si en plus il viennent d’acteurs officiels, pour tout dire de gouvernements, c’est remarquable. Comme il était important pour nous de nous lier avec la société civile, qui elle a noué des alliances politiques, là dans cette région, en particulier avec des parlementaires, des gens du ministère des investissements, de l’économie, des relations extérieure… afin qu’ils prennent conscience que quelque chose doit changer dans un pays comme le Honduras. Nous revendiquons sans aucun doute l’importance de cette reconnaissance.
M.F. : Nous avons parlé de la nécessité dans laquelle nous nous trouvons de mettre en évidence tout le processus qui se vit en Amérique Latine et en particulier dans notre pays. Nous disions aux Irlandais, par exemple, que peu importe les idéologies dans le thème de la corruption parce que la corruption est une pratique qui se retrouve dans tous les états, et qui d’une manière ou d’une autre, réduit de manière absolue la satisfaction des besoins basiques de l’être humain. La pratique de la corruption, depuis n’importe quelle structure de gouvernement, fait irruption et sape les possibilités de parvenir à des sociétés plus justes. Dans la mesure où vous êtes tolérants avec ce genre de pratiques, même si vous vivez dans un état de bien être, « à quel prix ? »
Si aujourd’hui vous accordez un pouvoir sans limite aux entreprises qui peuvent assassiner des gens sur d’autres territoires, certainement que ces entreprises vont devenir encore plus gigantesques et continuer à affaiblir les propres systèmes de vos pays. Nous avons besoin de mécanismes de contrôle. Ceci est un appel pour que vous réfléchissiez depuis ces sociétés. Transmettre ces processus de lutte c’est envoyer un message aux sociétés qui vivent la commodité, un appel à rompre avec cette commodité parce que au final nous sommes aux portes d’un modèle qui va tous nous écraser, et qui est capable d’en finir dans le plus court laps de temps y compris avec la vie de chacun des habitants [de la planète]. Il faut en finir avec la spéculation et la voracité qui caractérise ce modèle.
Source : El Salto
Traduction Anne Wolff
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