Posted by Nicolas Burnens on 23/08/2011 ·
A huit mois des élections législatives, l’extrême-droite tente de surfer sur un sentiment xénophobe latent, dans un pays où 53% de la population considère que la « Russie doit appartenir aux Russes ».
Affublé d’un masque, Artem, supporter du Spartak Moscou, ne passe pas inaperçu. Face à lui, dans la tribune, les orateurs se succèdent. Ce jour-là, en plein centre de Moscou, ils sont un millier à demander la réduction des aides sociales accordées par l’Etat russe aux républiques du Nord-Caucase à majorité musulmane, frontalières de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan.
Le public, après un passage sous les portiques de sécurité, reste confiné derrière les robustes barrières. « Ce sont les Caucasiens qui tuent les Russes, je l’ai vu sur des vidéos », affirme Artem, un drapeau russe flottant au dessus de lui.
La manifestation se tient en plein mois d’avril, période où le nombre d’agressions contre les étrangers s’envole. Autour du 20 avril, date anniversaire d’Adolf Hitler, des groupes néo-nazis honorent le Führer en tabassant tout ce qui n’a pas l’air d’un slave. 11 morts déjà pour 2011. Et, depuis les affrontements du 11 décembre 2010 Place du Manège (voir encadré), une digue a cédé : la haine s’affiche désormais au grand jour.
« Ne donnez pas à manger aux Caucasiens ! », scande la foule. Le jeune Artem répond en levant les bras au ciel. Il fait partie des 53% de Russes qui considèrent que la Russie doit leur appartenir, selon un sondage de l’institut indépendant Levada. Un sentiment accentué par l’attentat terroriste de l’aéroport de Domodedovo le 24 janvier 2011.
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- Artem, moscovite de 17 ans, dissimule son visage derrière un masque. Il est supporter du Spartak Moscou. Comme 53% de la population russe, il considère que la « Russie appartient aux Russes ». Moscou, manifestation nationaliste, 23 avril 2011 (Photo : Nicolas Burnens).
Les Caucasiens en ligne de mire
Autre décor, autre ambiance. Au volant de sa Ford, Dmitri Demoushkin juge lui aussi que l’on dépense trop pour les Caucasiens. Il roule à tombeau ouvert dans la banlieue moscovite. « J’aurais préféré une voiture allemande », rigole le leader de Slavjanskij Sojuz (L’Union slave) durant douze ans. A 32 printemps, Dmitri reste une figure du mouvement skinhead en Russie.
Slavjanskij Sojuz reprend en cyrillique l’abréviation de SS. Très organisé, le mouvement skin puise nombre de ses préceptes de l’Unité nationale russe, entité extraparlementaire inspirée du nazisme et qui participa à une tentative de coup d’Etat contre Boris Eltsine.
En 2010, l’organisation est interdite, considérée comme « trop extrémiste » par la justice. Elle changea alors de nom et poursuit son chemin. Une pratique courante en Russie.
« Plus personne ne représente cette moitié des Russes qui ne veulent pas des musulmans ici », regrette Dmitri, en caressant sa barbe rousse, devant une tasse de café ouzbèk à l’arrière d’un restaurant. Lui donne l’exemple : il entraîne les forces spéciales russes en Tchétchénie et initie des membres du FSB, l’ex-KGB à l’usage des armes blanches.
Devant le journaliste étranger, le camarade Demoushkin se permet quelques écarts de langage. « Je préférerai avoir 20 000 mauvais Azerbaïdjanais, assène-t-il, plutôt qu’en avoir 20 millions bien intégrés. Ils menacent notre culture et notre mode de vie. »
Pour le reste, ce diplômé en psychologie manie la langue de bois aussi bien que le couteau. Il en a d’ailleurs toujours un dans sa poche intérieure de veste. « Pour se protéger, en cas d’attaque. » Le salut nazi ? Il se fait appeler le Führer, mais prétend n’avoir jamais tendu le bras. Sur son bras droit, une croix gammée tatouée. Il dit condamner la violence, ses relations sont « excellentes » avec les antifascistes et les défenseurs des droits de l’Homme. En 2004, il fut pourtant arrêté pour l’empoisonnement d’un activiste avant d’être soupçonné deux ans plus tard d’avoir perpétré un attentat contre une salle de prière islamique.
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- Dmitri Demoushkin est une figure de la mouvance skinhead en Russie. Il a été le leader de Slavjanskij Sojuz (L’Union slave) durant douze ans, organisation aujourd’hui interdite et qui reprenait en cyrillique l’abréviation de SS. Il pose ici près de son école, où il entraîne les forces spéciales russes en Tchétchénie et initie des membres du FSB, l’ex-KGB à l’usage des armes blanches. (Photo Nicolas Burnens).
« Quand vous vous promenez à Paris, ça ne vous dérange pas ces hordes d’Arabes et de Noirs propriétaires de vos magasins ? », interroge-t-il soudainement, avant de partir.
Se regrouper pour exister
A côté de Demoushkin, Vladimir Ermolaev dans son costard-cravatte passerait presque pour un enfant de chœur. Dans ce bar lounge du centre, l’ancien leader du Mouvement contre l’immigration illégale (DPNI) professe pourtant la même radicalité. Le 18 avril dernier, le DPNI a aussi été fermé sur décision de justice. Créé en 2002, il était un des partis les plus actifs dans la société. Souvent accusé de recourir à la symbolique nazie à sa cause, il avait pour objectif premier la déportation de tous les migrants illégaux hors du territoire.
« Je veux protéger la Russie contre les barbares », explique ce sociologue de formation, passionné par l’empire romain et admirateur de Marine Le Pen. Son débit est régulier, ses mots bien choisis. « Je parle de ceux qui font des attentats dans le métro à Moscou, et qui débarquent sur l’île de Lampedusa. » Il en est sûr : avec le printemps arabe, la « révolution des Russes contre le pouvoir et les étrangers est proche ».
DES GROUPES MARGINALISES
Dans les villes russes, on recense plusieurs centaines de ces groupes d’extrême droite. Plus ou moins structurés, la plupart ne cherchent pas à accéder au Parlement. Mais pour compter, ils doivent s’allier. C’est pourquoi divers mouvements, dont certains interdits – le mouvement contre l’immigration illégal (DPNI) et le mouvement skinhead « L’Union Slave » -, ont annoncé en mai dernier la création d’une « structure-parapluie unifiée ». Son nom : « Les Russes », un mouvement qui revendique une solidarité ethno-politique. Le but : fédérer une vaste frange de l’extrême droite, et pourquoi pas, présenter des candidats aux élections.
A l’heure de séduire, certains ratissent large. C’est le cas de Russian Obraz, un mouvement importé de Serbie qui réunit quelques centaines d’adeptes moscovites. « Nous voulons aborder tous les problèmes, y compris environnementaux », argue le leader Alexey Mikhailov, dans un restaurant asiatique tenu par des Russes. Son parti fait l’éloge de la culture russe, excluant notamment les drogués et les alcooliques. Il impose aussi un code éthique nationaliste très strict.
Ce partisan du monoculturalisme traîne un passé d’activiste néo-nazi. Il n’a pas de sympathie pour les Juifs, d’autant que « l’un d’eux l’a mordu petit », dit-il pour rigoler. Son rêve ? Voir l’extrême droite au pouvoir. Pour parvenir à ses fins, Alexey embrigade de jeunes fanatiques des clubs de supporters moscovites.
« Ces leaders essaient de monopoliser d’autres thèmes, comme les droits démocratiques. Mais il est difficile de se défaire d’un passé ultra-violent », analyse Alexander Verkovsky, directeur du centre SOVA, une ONG qui travaille sur le nationalisme et la xénophobie en Russie. « Gangrénés par des luttes internes, ces mouvances n’arrivent pas à se regrouper. Du coup, elles n’ont pas de figure rassembleuse », ajoute l’activiste des droits de l’Homme, régulièrement menacé de mort.
Les groupes d’extrême droite, eux, accusent le gouvernement de les museler avant les prochaines élections. Argument spécieux, selon Alexander Chernich, expert du nationalisme. « Depuis que les leaders cherchent des compromis avec le pouvoir, ils ne sont plus suivis par les militant », souligne-t-il. Cheveux courts et boucle d’oreille, ce journaliste du quotidien Kommersant faisait partie de la mouvance antifasciste. « Ici commence la cellule antinationaliste », rigole-t-il, en présentant son bureau.
Pour ce spécialiste, la Russie connaît aujourd’hui une nouvelle vague de fascisme. « C’est la plus dangereuse. En quittant les organisations, les jeunes se sont réunis au sein de groupuscules peu maîtrisables par la police. »
LA RUSSIE MALADE DE SES NATIONALISMES
Andrei Yurov est un militant des droits de l’Homme bien connu en Russie. (photo : SD)
Le 11 décembre 2010, plus de 5 000 jeunes affrontent les forces de l’ordre sur la Place du Manège, aux portes du Kremlin, après la mort d’un jeune supporter russe tué par des Caucasiens. Des extrémistes tabassent plusieurs « culs noirs », comme ils les surnomment élégamment.
Les néonazis ont surgi au lendemain du naufrage de l’URSS en 1991. La présence de travailleurs immigrés ainsi que les guerres avec les séparatistes tchétchènes ont déclenché une xénophobie et une flambée des crimes racistes. Mais d’autres facteurs ont joué. « L’Allemagne a su solder l’ère d’Hitler. En Russie, il n’y a pas eu de vraie déstalinisation », accuse Andrei Yurov, un militant des droits de l’Homme bien connu à Moscou. Un argument qui n’est pas partagé par la chercheuse Marlène Laruelle, spécialiste du nationalisme russe à Paris. « Le nationalisme existait bien avant la chute de l’URSS. Le sentiment d’un « déclassement » sur la scène internationale et d’un « déclassement » économique, social et culturel jouent un grand rôle ».
Dans la décennie 2000, les pogroms sont monnaie courante. Avec 116 tués et 623 blessés, l’année 2008 a été la pire, selon l’institut SOVA. Aujourd’hui, le nombre de meurtres a baissé mais le nombre de blessés reste stable.
La situation reste néanmoins préoccupante. « La moitié des jeunes Russes éprouvent de la sympathie pour les idées fascistes et sont prêts à agir. Ajoutez les nationalistes, xénophobes et racistes, staliniens et totalitaires, vous atteignez 70% », fait remarquer Andrei Yurov, responsable du développement du groupe Helsinki à Moscou.
Article publié dans l’édition du Nouvelliste et de L’Express/L’Impartial du 30 mai 2011. Traduit en russe sur le site Internet InoSMI, qui répertorie les meilleurs articles étrangers sur la Russie.
Source : Nationalisme russe : une violence sans visage « Nicolas' Works