3 décembre 2011 6 03 /12 /décembre /2011 20:43


Vous avez vu la rage de beaucoup d’indignés, le 15 octobre dernier à Rome, face à ceux qui brisaient les vitres de plusieurs banques, ou des objets sacrés. Ils les ont insultés, bousculés, démasqués au grand bonheur des policiers. Ils n’acceptaient pas leur présence dans le cortège. Les gens qui protestent contre le massacre social imposé par le marché ont trouvé intolérable que l’on puisse endommager une banque. Ceux qui descendent dans la rue, fatigués d’une vie d’obéissance, se sont mis en colère. Face à l’acte iconoclaste réalisé par ceux qui n’entendent pas se mettre à genoux, pourquoi cette hargne viscérale face à des actions que la raison devrait permettre de comprendre, à défaut de les faire partager ? Comment est-il possible que la délation, une abjection qu’il fallait cacher, soit devenue une vertu à encourager même en dehors des commissariats ? http://www.non-fides.fr/local/cache-vignettes/L145xH200/arton1695-74904.jpg


 

 

Depuis à peu près un siècle on se demande si la médiocrité de notre environnement ne dépend pas essentiellement de notre capacité d’énonciation. Si les chaînes de la reproduction sociale ne sont pas forgées directement dans nos têtes quand nous parlons, quand nous écrivons, quand nous exprimons nos idées et nos projets.

Nous communiquons nos tensions, ce qui nous anime et ce que nous voudrions réaliser. Mais les mots, nous ne les avons pas inventés, et par la façon dont ils nous ont été transmis, enveloppés dans leur livrée domestique, ils répondent tout au plus aux rappels à l’ordre. La fantaisie ne trouve pas de place dans le bloc monolithique de l’idéologie dominante, elle finit par rester coincée dans ses interstices. Ce qui a été dit et redit nous rive à cet univers commun, dans lequel tout le monde travaille, produit, consomme et fait même grève ; entre un salaire à gagner et une facture à payer, il n’y a pas de temps, pas d’occasion pour l’aventure.

Nous puisons les pensées et les concepts dans un imaginaire que nous percevons comme notre pour la seule raison que nous avons vécu dedans, un imaginaire que nous n’avons pas créé. C’est loin d’être l’une de nos créations, unique et originelle, arrachée à la banalité des lieux communs par une dure recherche et par une sélection. On nous a bourré le crane avec jour après jour, pré-fabriqué et pré-emballé. Nous l’avons seulement adapté à notre mesure. De là, nous avons intériorisé le respect de l’autorité, le sentiment d’« appartenance », la peur ou l’horreur de l’inconnu. De là nous avons aussi obtenu cette critique émoussée, incapable d’aller ailleurs, au delà des confins du déjà donné (celle qui, face aux dévastations du capitalisme est capable de revendiquer le maximum de marchandise sans logo, celle pour qui le conflit ne peut qu’être institutionnel et normatif). Ne pouvant se battre pour une existence totalement autre, elle se limite à réclamer une différente configuration de la même chose.

Cette réduction de l’horizon humain à une réalité aussi sordide que définitive, n’est pas un choix conscient, elle ne vient pas théorisée et justifiée, elle vient toute seule, elle s’impose avec la force de l’habitude. Celui qui, par le passé, a eu le malheur d’être témoin de l’avènement du totalitarisme a observé que celui-ci ne s’est pas insinué dans la chair et dans le sang des personnes à travers les harangues, l’idéologie, les manifestations, les parades. Non, ce sont les expressions singulières, les phrases toutes faites, les locutions apparemment inoffensives, répétées infiniment, inscrites dans la mémoire, acceptées mécaniquement, qui ont préparé l’horreur. Le langage – comme cela a été souvent observé – ne se limite pas à créer et à penser pour nous, il dirige aussi nos sentiments, il oriente notre manière d’être.

La langue de l’État, celle qui nous a été enseignée depuis la naissance, celle uniquement capable de conjuguer Droits et Devoirs, n’est pas un instrument de communication neutre. C’est une machine de guerre contre le possible, une camisole de force du désir : « les mots peuvent être comme de petites doses d’arsenic : ingérées sans le savoir, elles semblent n’avoir aucun effet, mais après quelques temps, l’effet toxique se révèle. Si pendant un temps suffisamment long, on dit “fanatique” pour héroïque et vertueux, on finira par croire vraiment qu’un fanatique est un héros plein de vertus et qu’il ne peut pas exister de héros sans fanatisme ».

L’inversion du sens, la mutation des mots, sont des phénomènes qui à l’aube du Parti Unique, de l’enrégimentation des masses, ont stupéfié les philologues les plus attentifs par l’assaut insidieux donné à un langage qu’ils considéraient comme consolidé. Dans la société technologique moderne, où tout va à grande vitesse dans une frénésie qui a abolit toute certitude, rendant précaire chaque chose, les dictionnaires devraient être revus quotidiennement. Avec le temps, face à la vanité de s’opposer à l’érosion du sens, s’est développé un désintéressement relatif pour celui-ci. Où, pour le dire mieux, une insouciance par rapport à la logique interne, à la cohérence du discours. On s’est appliqué à rendre mirobolante la forme qui est sous les yeux de tous, mutante et disponible comme une marchandise, séparée d’un contenu qui désormais ne passionne plus personne.

Comme si dans le marasme contemporain, il ne fallait plus prêter aucune attention au sens des mots. De toute façon, faire autrement équivaudrait à s’obstiner dans une bataille perdue d’avance. Evitons-nous l’humiliation de la défaite. Compte-tenu du fait que le langage est réversible, compte-tenu du fait qu’un mot peut toujours exprimer tout et son contraire, ce n’est pas la peine de perdre son temps à la recherche d’une précision rigoureuse inexistante et désormais inintéressante.

Autant utiliser le vocabulaire que nous utilisons déjà, celui qui est à la portée de tous, en jonglant avec. Cette constatation réaliste nous exempte de l’effort d’inventer un langage de la liberté, nous faisant retomber tout droit dans la grammaire de l’ordre. Parce que c’est de ça dont il s’agit : on ne parle pas sans conséquences la langue de l’État. On finit par l’assimiler, l’introjecter. Par vivre à l’ombre de son modèle et de son sens. On commence par l’utiliser pour exprimer ce qu’on pense- comme ça, par approximation, par défaut, « pour se comprendre »- et on finit par penser ce qu’on affirme. Si pendant un temps assez long on dit « État » au lieu d’« organisation sociale », on finira vraiment par croire qu’il ne peut pas exister d’organisation sociale sans État. Ou d’activité sans travail. Ou d’action transformatrice sans politique.

Si pour combattre l’anéantissement de la vie humaine provoqué par la domination on est seulement capable d’invoquer les « droits niés » ou la « démocratie trahie », on commencera par faire une campagne électorale pour son politicien de confiance, puis on finira comme en Grèce par se rassembler devant le parlement pour le défendre des manifestants enragés.

 

Mais revenons-en aux événements de Rome. Pourquoi la délation se répand-elle au sein du « mouvement » ? Parce que le triomphe de la droite la plus vulgaire et réactionnaire semble avoir enseigné le secret du succès : être vulgaires et réactionnaires. Et si la gauche s’est subitement distinguée dans l’imitation des pires politiques de la droite, le mouvement a repris les pires traits de la gauche. Après avoir réévalué la Constitution d’un point de vu antifasciste, la légalité d’un point de vue anti-berlusconien, le tricolore d’un point de vue anti-Ligue du Nord, la religion d’un point de vu antiraciste, qu’est-il resté de subversif ? Rien. Comme en prison et à la caserne, dans tous les espaces clos de cohabitation forcée où flotte la puanteur de la coercition, nous avons obtenu une communauté qui a caché les anciennes individualités avec un coup de peinture, créant de nouvelles habitudes linguistiques.

De cette façon, après les avoir longuement mâchés, d’abord en serrant les dents, puis avec plus de ferveur, on a avalé des mots nocifs, qui maintenant libèrent leur effet létal. Après avoir entonné le mantra des luttes sociales dans lesquelles chaque initiative doit être obligatoirement partagée (« le partage ou l’État »), après avoir prétexté l’adaptation de l’individu à l’action collective (« on part ensemble et on revient ensemble »), après avoir prescrit des règles de comportement aux manifestants sous peine d’exclusion du mouvement (« les mains nues, à visage découvert »), après avoir répété pour la millionième fois que l’œuvre des institutions est abusive et que la protestation est donc « légitime », comment peut-on s’étonner devant la furieuse réaction des indignés de Rome ? Les vêtus-de-noir qui arrivent masqués, équipés, décidés à faire ce que bon leur semble sans demander la permission à qui que se soit, deviennent par la force des choses louches et suspects (pour ne pas dire « fascistes » et « infiltrés » ou émanation d’obscures appareils du pouvoir).

Il ne s’agit pas d’un débat sur les mots, ce n’est pas de la vaine pédanterie. Si nous ne nous décidons pas à enterrer pour toujours la langue de l’État nous resterons victimes de son arsenic. Nous ne voulons pas déplacer les limites du soi-disant réel, nous voulons les annuler. Ce qui est, pour d’autres, hallucinations, est pour nous évocation. Le malheur avec le réalisme c’est qu’il soumet toute possibilité à ses dogmes irréversibles, empêchant ainsi la remise en question. Il offre une prise stable sur les événements, c’est vrai, mais il empêche et réprime toute ligne de fuite, il ramène chaque perspective dans les courbes de la croissance économique. Ses pénibles inspecteurs, qui ne nous quittent pas à la sortie de l’école ou du travail, continuent à roder dans nos vies. Ils n’ont pas confiance, ils veulent s’assurer que nous appelons un chat un chat.

Mais pour attenter à la fragile existence des choses, il faut bouleverser l’ordre du discours, soustraire le langage à sa servitude. En finir avec les descriptions du fait, avec les études de coutume, avec l’apologie du pragmatique. Pour aller là où personne n’est jamais allé, si on choisit de ne pas se taire (« mais c’est de l’autisme ! »), il faut dire ce que nul n’ose proférer (« mais nous ne serons pas compris ! »). Le fétichisme politique, celui qui a besoin de compter les participants d’une manifestation, de faire l’équilibre des comptes de sa petite entreprise militante, n’a pas d’oreille pour ce genre de poésie. Il peut seulement l’accepter comme une innovation occasionnelle de sa propagande moisie. La politique, quelle que soit la façon dont elle est déclinée, a l’absolue nécessité de croire seulement à ce qui est arrivé, c’est-à-dire à ce qui a été [1].

Nous ne serons pas les chantres de ce monde de réalité quantifiées, de ce désastre qui s’impose au détriment de tous les possibles, de cette survie où tout un chacun abolit son individualité au profit de la valeur d’usage. Ce n’est pas ici qu’on peut échanger d’autres voix, d’autre objets de désir. Contre un univers qui produit, sur commande, une réalité toujours plus saturée, c’est-à-dire toujours plus de spectacle, plus de substituts virtuels, plus de fantasmes objectivés, seule l’émancipation de l’imaginaire est en mesure de permettre l’émergence de nouvelles expériences de vie.

Voilà pourquoi nous voulons libérer notre langue des mots et des concepts qui ne cessent de nous faire travailler et militer. Parce que nous sommes fatigués d’être trainés à l’intérieur de ces lieux communs, assurément plein de monde, de brouhaha et d’agitation, mais où on ne rencontre que des personnes communes avec leurs pensées communes. « L’idée d’un lit de pierre ou de plumes m’est également insupportable : qu’est ce que vous voulez, je ne peux dormir que sur un lit de moelle de sureau. Essayez vous aussi. Quel confort, n’est-ce pas ? »

Traduit de l’italien par nos soins depuis [Finimondo].

Notes [1] Ndt. “Ciò che è stato”, jeu de mot qui signifie à la fois en italien « ce qui a été » et « ce qu’est l’État ».

 mercredi 30 novembre 2011 Toutes les versions de cet article : [français] [italiano]

Source : Seulement des mots ? - Base de données anarchistes


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27 novembre 2011 7 27 /11 /novembre /2011 22:47

 

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Souveraineté populaire !

 

Écrivain, physicienne, prix Nobel alternatif, la militante écologiste indienne Vandana Shiva est une résistante infatigable contre les entreprises qui pillent son pays, comme Monsanto. Elle pose un regard lucide sur les enjeux de la période : crise écologique, financière, protectionnisme, risque nucléaire, OGM... Quelle civilisation sommes-nous en train de construire ? Comment redonner du pouvoir aux citoyens face aux multinationales ? Comment construire de réelles alternatives globales ? 

 

Par Agnès Rousseaux, Nadia Djabali (4 juillet 2011)

 

Source et vidéo : Vandana Shiva : « Le libre-échange, c’est la dictature des entreprises » - Souveraineté populaire - Basta !


 

Entretien.

Basta ! : Les combats que vous menez sont liés à la souveraineté – alimentaire, sur les terres, l’eau, les semences. Qu’est-ce que la souveraineté ? En quoi est-ce un enjeu majeur du 21e siècle ?

Vandana Shiva : La redéfinition de la notion de « souveraineté » sera le grand défi de l’ère post-globalisation. La mondialisation était fondée sur l’ancienne notion de souveraineté, celle des États-nations héritée de la souveraineté des monarques et des rois. La nouvelle notion de souveraineté est le fondement de la résistance à la mondialisation. Cette résistance se traduit par le slogan : « Le monde n’est pas une marchandise.  » Actuellement, les Grecs disent : « Notre terre n’est pas à vendre, nos biens ne sont pas à vendre, nos vies ne sont pas à vendre. » Qui parle ? Les peuples. Revendiquer la souveraineté des peuples est la première étape de la souveraineté alimentaire, de l’eau ou des semences. Mais il y a une seconde partie : les peuples revendiquent le droit de protéger la Terre, et non celui d’abuser d’elle comme d’autres la maltraitent. Ainsi la souveraineté des terres, des semences, des rivières rejoint la souveraineté des peuples. Avec la responsabilité de protéger ce cadeau de la Terre et de le partager équitablement.

 

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Pour garantir cette souveraineté, faut-il fermer davantage les frontières ?

Aucune frontière n’est jamais totalement fermée. C’est comme la frontière de notre peau, qui nous protège de l’invasion de toute infection : des ouvertures permettent à la transpiration de sortir, pour maintenir notre équilibre, préserver notre santé. Toutes les frontières sont poreuses. Un corps souverain sait comment réguler ces entrées et sorties. Il sait quand trop de chaleur entre dans le corps. Il sait comment s’opposer aux virus. Quand un corps perd cette autonomie, cette souveraineté, il devient malade. C’est la même chose pour un pays, gouverné par un peuple souverain et autonome. Ce peuple peut dire : « Notre lait est vendu 14 roupies/litre, votre lait européen qui débarque à 8 roupies/litre va détruire l’économie laitière en Inde, donc j’ai le droit de réguler ce qui entre. » La régulation est vitale pour tout système vivant. La dérégulation, c’est l’appel de la mort. Un corps dérégulé meurt. De même, une nation, une économie dérégulée meurt.

Nous ne disons pas « non au commerce », mais « non au commerce dérégulé ». Non à un marché dérégulé où les conditions des échanges sont déterminées par l’avidité des entreprises, qui s’approprient nos impôts, créent des prix artificiels, entraînant dumping social et destruction de la souveraineté alimentaire. Ce système nuit aux paysans d’Inde. Et il nuit aux paysans d’Europe qui ne peuvent pas gagner leur vie, car les coûts de production sont supérieurs aux prix de vente du lait. L’agrobusiness et ses profits sont au centre de cette équation. Elle a pour conséquence le dumping, l’accaparement, le meurtre de nos paysans, le massacre de nos terres, et tous ces gens qu’on tue avec une alimentation empoisonnée.

 

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Le protectionnisme peut-il être une solution face à cette exploitation du vivant, en empêchant les multinationales d’avoir accès à ces ressources qu’elles exploitent ?

Tout comme nous devons redéfinir la notion de souveraineté, nous devons repenser la notion de protectionnisme. Un protectionnisme lié à la protection des écosystèmes, à l’écologie, est un impératif. Nous devons dire stop à la dévastation de nos rivières, stop aux déchets toxiques, stop au dumping des OGM par la manipulation des politiques mondiales par une multinationale. Cette protection est un devoir. Le cycle de Doha [1] n’a entraîné aucun progrès depuis une décennie à cause d’un seul facteur : le problème de la subsistance des paysans. En 1993, nous avons organisé un rassemblement d’un demi-million de personnes pour faire pression sur le gouvernement indien : « Si vous signez les accords du GATT, nos paysans vont mourir. » Résultat : les accords du GATT ont été signés, et 250.000 paysans indiens se sont suicidés, notamment à cause de leurs dettes !

Cet endettement des paysans est lié à une décision politique particulière : la dérégulation du marché des semences, qui a permis à Monsanto de devenir par exemple l’unique vendeur de semences sur le marché du coton. La multinationale contrôle 95% de ce marché et dicte les prix. Une équipe de scientifiques indiens vient de montrer que les OGM ne ne fonctionnent pas. Dans les champs, c’est manifeste : les paysans doivent utiliser 13 fois plus de pesticides avec les OGM. Ce qui est formidable pour Monsanto qui les commercialise. Mais une cause d’endettement pour les paysans, et donc une cause de suicides.

La protection de nos paysans est un « protectionnisme vital ». Le protectionnisme est vu comme un « péché », car la dérégulation a été érigée en norme. Interférer dans la corruption, les manipulations et l’avidité des multinationales, c’est du protectionnisme. Et donc, pour certains, c’est mauvais. Non ! C’est un devoir social, c’est un devoir écologique. Et la cupidité des multinationales n’est pas un droit ! Elles écrivent à l’OMC, rédigent des accords et disent : « Maintenant nous avons des droits et personne ne peut les changer. » Nous les changerons.

 

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Vous écrivez que « le libre-échange est un protectionnisme pour les puissants ». Doit-on construire un protectionnisme pour les plus « faibles » ?

Le libre-échange, dans la manière dont il a été façonné, n’est pas du tout libre. Il n’est pas démocratique. Cinq entreprises se rencontrent, écrivent un accord sur les droits de la propriété intellectuelle et cela donne à Monsanto le droit de considérer des semences comme sa « propriété intellectuelle » ! Cela permet à des entreprises comme Novartis de voler les médicaments aux plus pauvres et de les faire payer 10 fois plus cher. Un mois de traitement contre le cancer, avec les médicaments génériques disponibles en Inde, coûte 10.000 roupies. Et Novartis veut faire payer 175.000 roupies par mois. Quand le tribunal juge qu’il n’est pas possible de déposer un brevet, car ces médicaments existent déjà et que ce n’est pas une « invention », Novartis défie les lois indiennes. La plupart des Indiens ne pourront pas payer le prix demandé par la multinationale. Novartis répond : « Seuls 15% de Indiens nous importent. » Cinq entreprises ont écrit une loi sur la propriété intellectuelle, et affirment ensuite que 85% des gens peuvent mourir du manque de médicaments ! C’est un système criminel.

Quand cinq géants commerciaux, comme Cargill (multinationale états-unienne de l’agroalimentaire), rédigent l’accord sur l’agriculture, ils définissent l’alimentation non comme le droit de chaque humain à se nourrir, mais comme une marchandise qu’ils veulent contrôler. Ce n’est pas la liberté, ce n’est pas le libre-échange. C’est du commerce monopolistique, c’est du commerce coercitif. Cela revient à tuer des gens, car un milliard de personnes souffrent aujourd’hui de la faim dans le monde, à cause de ce système. Le libre-échange actuel, c’est la dictature des entreprises. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une réelle liberté, pour chaque personne, chaque enfant, chaque femme, chaque espèce sur Terre. Une réelle liberté, liée à la vie.

 

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Vous étiez récemment aux États-Unis dans le Wisconsin pour soutenir les manifestants qui se battent pour défendre leurs droits et les services publics. Les services publics sont-ils aussi un bien commun à protéger ?

Il y a deux types de biens communs. Les ressources vitales – eau, terre, semences, air, océans – données par la nature et modifiées par les humains. Et les services liés aux besoins essentiels : l’éducation, la santé, la façon de gérer nos villes, comme les services de lutte contre les incendies... Ce sont des services publics vitaux. Ce qui compte, c’est « l’esprit de service » : quand un pompier lutte contre le feu, quand il aide les gens, il ne regarde pas le danger. Et quand ces services sont privatisés, les coûts augmentent. Un tiers des emprunts en Inde sont liés à l’achat de médicaments. La principale raison pour laquelle les gens vendent leurs maisons aujourd’hui, c’est pour se soigner. La privatisation des services publics prive la société de ses droits. Nous devons les défendre comme des biens communs.

 

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Pensez-vous que le mouvement altermondialiste puisse apporter des solutions aux crises globales : environnementale, économique, financière ?

Le mouvement altermondialiste a extrêmement bien réussi : nous avons rendu l’Organisation mondiale du commerce caduque. L’OMC ne s’est jamais relevé après les mobilisations lors du Sommet de Seattle, en 1999. On avait imaginé que 5.000 personnes viendraient à Seattle, et nous étions 30.000 ! On ne s’attendait pas à voir les syndicats. Ni les étudiants, qui étaient pourtant majoritaires. Le sommet de Doha en 2001 a ensuite été marqué par les événements du 11 septembre, avec une grande pression militaire. J’y étais. Certains ont dit aux gouvernements que s’ils ne signaient pas les accords de Doha, ils seraient traités comme des membres d’Al-Qaïda : « Vous êtes avec nous ou contre nous. » Résultat : rien n’a bougé à Doha, à cause de cette pression sur les gouvernements !

Des mouvements plus ciblés ont aussi été très fructueux. Nous avons par exemple mis la question de la « souveraineté » sur l’agenda politique. Personne ne peut plus aujourd’hui ignorer cette question. Nous avons mis en avant la défense de l’eau comme un bien public. Et regardez le référendum en Italie ! 95% des Italiens ont dit non à la privatisation de l’eau. Idem dans le domaine des semences : je vais bientôt publier un rapport sur Monsanto, sur ses mensonges, sur la situation de monopole qu’ils ont créée et l’échec des technologies OGM à accroître les rendements. Le mouvement pour une alimentation sans OGM est très bien organisé.

Le mouvement altermondialiste a besoin de franchir une nouvelle étape. Quand on parle de la Banque mondiale, du FMI et des plans d’ajustement structurels, la plupart des gens se focalisent sur les pays du Sud, sur le « monde en développement ». Mais aujourd’hui le FMI est en Europe ! En Grèce, en Irlande… Des pays en crise, non du fait d’une mauvaise gestion, mais à cause des banques de Wall Street, à cause d’un système financier corrompu qui a provoqué cette crise totale. Nous devons maintenant faire trois connections vitales. La première est la question Nord-Sud. Aujourd’hui tout le monde est « au Sud ». Le Nord ? Ce sont les multinationales et les gouvernements. Nous devons tous nous considérer comme le « monde du Sud » et nous organiser en fonction de cela. La seconde connexion nécessaire, c’est de dépasser le fossé entre économie et écologie. Dans nos esprits, mais aussi dans nos organisations. 45% des jeunes sont au chômage en Espagne, nous devons nous tourner vers l’écologie pour créer de nouvelles opportunités d’emploi, car ce ne sont pas les banques ou Wall Street qui les fourniront. La troisième connexion, c’est entre démocratie économique et démocratie politique. La démocratie a été réduite au droit de vote. Les responsables de la crise ont mis l’Espagne dans un tel état que José Zapatero est obligé d’agir contre ceux qui ont voté pour lui, et il perdra peut-être les prochaines élections. Si les politiques sont bons, ils ont les mains liées, et s’ils sont mauvais, ils sont une part du problème. Nous devons aller vers une démocratie profonde où les gens ont vraiment la possibilité de prendre des décisions.

 

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Vous voulez un mouvement qui permette de sortir de la culture dominante de violence et de destruction. Mais face à la violence du système économique, des acteurs économiques, comment rester non-violents ?

Personne n’a mieux parlé du pouvoir de la non-violence que Gandhi. « Nous ne pouvons pas démanteler la maison du maître avec les outils du maître », a dit la poétesse américaine Audre Lorde [2]. Nous avons besoin d’outils différents. Ils doivent être non-violents, parce que la non-violence est plus soutenable, et qu’elle efface vos peurs. Ceux qui luttent de manière violente doivent se cacher tout le temps. Je préfère me tenir droite face aux multinationales pour leur dire ce que je pense d’elles. Agir « sans peur » est notre plus puissante arme. Et la non-violence crée également un soutien plus large. Et nous vivons à une époque où une poignée de personnes ne peut pas mener les batailles pour toute la société. C’est toute la société qui doit être engagée. Les actions non-violentes sont une invitation à toute la société à participer au combat.

 

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Vous dites que dans la civilisation industrielle prédomine en permanence le vocabulaire de la guerre. Notre civilisation est-elle en état de guerre ?

Le paradigme dominant de la civilisation industrielle est définitivement un paradigme de guerre. Des scientifiques comme Newton ou Descartes ont créé ce cadre : tous enseignent la guerre de l’humanité contre la nature. Tout est défini à partir de cela. Les outils eux-mêmes sont liés à la conquête sur la nature. Regardez les noms des pesticides : Round Up, Scepto, Machete. Il est toujours question de « tuer ». Mais on ne peut pas gérer la vie à travers le meurtre. Un élément crucial du mouvement émergent est de faire la paix avec la Terre et la paix dans nos esprits. Et ce qui est beau, c’est qu’alors tout devient possible. Quand vous réalisez que tout est en relation, de nouvelles communautés peuvent être créées. Quand vous réalisez que nous sommes partie prenante de la Terre, de nouvelles opportunités de travail peuvent être créées. Si vous pensez que vous êtes en guerre, vous passez tout votre temps à la conquête violente. Cela demande beaucoup d’énergie, et détruit beaucoup. Et ça ne laisse pas de place pour l’humanité, et pour les autres espèces.

 

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L’énergie nucléaire est-elle une dimension de cette guerre de l’homme contre la Terre et contre lui-même ?

Aux débuts de l’utilisation de l’atome, il y a la Seconde Guerre mondiale. Même quand il n’est pas question d’armes nucléaires, la technologie nucléaire est toujours guerrière. La fission de l’atome, c’est déjà une guerre. Utiliser la fission de l’atome pour faire bouillir de l’eau est d’ailleurs une stupidité. Et que dire de cette énorme quantité de déchets qui vont perdurer pendant 250.000 années ! Nous avons besoin de plus en plus d’énergie, pour maintenir la sécurité énergétique. C’est une guerre permanente. Le nucléaire est une guerre injustifiée et infondée contre la Terre et l’humanité. Fukushima a été un réveil. Cette catastrophe nous montre que nous ne sommes pas plus puissants que la nature.

La plus grande centrale nucléaire du monde est construite en ce moment en Inde, à Jaitapur, par Areva. Tout ce projet repose sur des subventions, y compris l’accaparement de terres fertiles. Et quand les habitants osent dire non, par des manifestations contre cette centrale, ils se font tuer. Personne ne peut protester. Les gens ne sont pas autorisés à se réunir. Tous les élus locaux ont démissionné, affirmant qu’ils n’ont plus aucune raison d’être s’ils ne peuvent pas se réunir pour prendre des décisions. Si vous allez à Jaitapur, vous verrez une zone de guerre. J’espère que les Français rejoindront les habitants de Jaitapur pour demander à Areva de se retirer de ce projet. Et nous pourrons alors vivre en paix.

 

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Peut-on « réformer » notre civilisation ?

Tout d’abord, y aura-t-il une civilisation ? Nous avons deux options : soit continuer dans la voie actuelle et nous enfoncer dans une impasse. Une impasse économique, comme avec la Grèce ; politique, comme ce qui a mené au printemps arabe ; écologique, comme nous le voyons partout, quand les ressources naturelles sont volées aux peuples pour alimenter l’économie mondiale. La seconde voie que l’on peut suivre, c’est celle de la paix. Une paix qui n’est pas un signe de faiblesse, mais un signe de force. Ceux qui sont exclus aujourd’hui, ceux qui ne sont pas partie prenante de la guerre de conquête, joueront alors un rôle de leadership : les communautés indigènes, les jeunes, les femmes...

La construction de cette paix façonnera la nouvelle prospérité. Nous avons été fous de penser que plus il y aurait d’argent dans le monde, et dans les poches des banques, des grosses entreprises et des nouveaux oligarques, meilleure serait la société. La crise grecque est causée par des banques. Et les gens disent : « Basta ! Plus jamais ça ! Nous ne donnerons pas plus. » La réelle prospérité, c’est la santé de la nature et des humains. C’est une communauté forte où chacun peut prendre soin des uns des autres. La civilisation que nous devons construire est une civilisation de larges réseaux de communautés souveraines, organisées de manière autonome, et non dominées par un pouvoir centralisé, politique ou économique.

 

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Voyez-vous des signes d’espoir aujourd’hui ?

Je vois des signes d’espoir partout où il y a une résistance. Chaque communauté en Inde qui se bat contre l’accaparement des terres, qui participe à notre mouvement Navdanya pour que les semences restent un bien public, tous ceux qui tournent le dos à l’économie suicidaire de Monsanto ou pratiquent l’agriculture biologique. Toute communauté qui se bat contre la privatisation de l’eau. Tout ce qui se passe dans les rues de Madrid, en Irlande, en Islande, en Grèce. Les résultats du référendum en Italie sur le nucléaire ou la privatisation de l’eau. Ce sont d’incroyables signes d’espoir. Ce qu’il faut maintenant, c’est une nouvelle convergence mondiale, de tous les combats. Et un déchaînement de notre imagination : il n’y a pas de limites à ce que nous pouvons construire.

Propos recueillis par Agnès Rousseaux

Vidéo : Nadia Djabali

 

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Notes

[1] placé en 2001 sous l’égide de l’OMC était constitué d’une série de négociations portant principalement sur l’agriculture et l’accès des pays en développement au marché des prix agricoles. Aucun accord n’est survenu.

[2] « The master’s tools will never dismantle the master’s house »

 

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4 octobre 2011 2 04 /10 /octobre /2011 19:43

Après les policiers Portugais qui se joignent à la manifestation qu'ils sont censé réprimer Portugal : 200 000 manifestants défilant contre l’austérité sont rejoints par la police 

  Le titre de l'article est un peu sensationnaliste, mais cela se produirait dans différentes manifestations à travers le pays....à vérifier.... clair que les vétérans ont souvent le sentiments plus que d'autres encore de s'être fait baiser la gueule par  le système voir les nombreux dossiers qui dénonce le mépris total par laquel ils sont traités quand ils ne peuvent plus servir de chair à canon.... et ce sentiment de s'être battu pour les banquiers et les grosses compagnies pétrolières est partagé par nombre d'entre eux.

PostHeaderIcon « Occuper Wall Street » – Les Marines sont sur le point de protéger les manifestants

1er oct 2011 – Tampa, FL

Traduction: Nogard

Le mouvement « Occuper Wall Street » vient peut-être juste de recevoir une surprise inattendue. L’armée américaine et des troupes de Marines auraient été vues à différents endroits de manifestations en train de soutenir le mouvement et protéger les manifestants.
Un militaire, Ward Reilly a posté ceci sur facebook :
« Je vais là-bas ce soir dans ma tenue bleue. Pour l’instant, 15 de mes collègues Marine m’y rejoindront, aussi en uniforme.
Je veux adresser le message suivant à Wall Street et au Congrès :
Je n’ai pas combattu pour Wall Street. Je me suis battu pour l’Amérique. Maintenant, c’est au tour du Congrès.
Mon véritable espoir, cependant, est que nous, vétérans, puissions agir en tant que première ligne de défense entre la police et les manifestants. S’ils veulent choper des manifestants et les matraquer, ils devront d’abord passer au travers du putain de Premier Corps des Marines. Voyons voir un flic matraquer un tas de vétérans de guerre décorés.
Je m’excuse pour les fautes de frappes et les erreurs. J’écris ça sur un iPhone pendant que je me dirige vers New York. Nous pouvons nous organiser une fois là-bas. C’est ce que nous faisons le mieux. Si vous voyez quelqu’un en uniforme, ralliez-le.
Un rassemblement aura lieu ce soir à 22h.
Nous avons tous prêté serment de respecter, protéger et défendre la constitution de ce pays. C’est ce que nous allons faire.
En espérant vous y voir !! »
Les policiers risquent d’en avoir plein les bras tantôt si ils ne changent pas d’attitude…

 

Je penser qu’on est pas loin de revirement inattendue. La cocotte minute risque d’exploser à tout moment…Finalement il y a p-e encore de l’espoir :)
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13 septembre 2011 2 13 /09 /septembre /2011 06:46

 

 

Note – L'article 'C'est la rentrée déjà' du 23 août se terminait sur la longue vidéo de la conférence grenobloise de Michel Serres aux 'États Généraux du Renouveau' (dont la seconde partie : 'réponses aux questions du public' est aussi passionnante que l'exposé). Parmi d'autres faits historiques importants, Michel Serres évoque l'évolution de la médecine, soit en substance ceci : 'Dans les années 1930, le médecin de campagne avait 3 catégories de patients : 5 syphilitiques, 3 tuberculeux, 2 autres. Il avait besoin , dans sa tournée, d'emporter environ 8 médicaments'... Sachant que, depuis, syphilitiques et tuberculeux sont heureusement en forte régression, mais que la désertification des campagnes est malheureusement en forte augmentation, il y reste à soigner bien des vieux, souvent isolés, et des ratés, souvent alcooliques. Et surtout il n'y a guère plus de médecins de campagne, sauf rarissime exception, dont celle-ci :
« On arrête tout. On réfléchit. Et c'est pas triste. »

J'ignore si le toubib dont il s'agit ici s'est inspiré de cette pensée qui ouvre « L'AN 01 » de Gébé, mais il l'a appliqué : La BD date de 1970-71, le film de 1973, le 'retour à la nature' d'André Durant (prénom et nom inventés) du printemps 1975, à peu près.

Cela se passe au Sud-Est de Saint-Brieuc, dans un petit village, commune de moins de 1.000 habitants (à l'époque) dont les ¾ dispersés hors du bourg.

Les premiers mois, personne ne savait qui était ce grand costaud d'étranger (« parle pas com'nous, l'est pas breton! »), âgé de 55 ans environ. Il avait acheté une maison vide du centre du bourg, traditionnelle, et entreprenait tout seul de la restaurer à fond, sans encore se lier avec les villageois, intrigués. En bleu de travail, il maniait pioche et pelle, puis truelle, marteau, etc., se faisant simplement livrer par camion divers poutres, sable et ciment... et dormait dans son chantier. Respect !

Sa guimbarde imposait : une Mercedes de 20 ans d'âge au moins, marque étrangère mais de prestige, dont la plaque d'immatriculation révélait 'un bon français d'ailleurs' ! Il s'en servait peu, pour diverses courses et pour disparaître de loin en loin quelques jours. Un jour il revint avec un jeune homme costaud pour l'aider au chantier : il s'avéra que ce n'était pas son fils mais un embauché aussi taiseux que son patron. Mais le peu qu'il parla révélait qu'il était breton, lui au moins...

4 ou 5 mois plus tard, la maison avait pris un beau coup de jeune et ils disparurent tous deux une semaine. On murmurait que ce devait être 'Un Monsieur'... soit un entrepreneur, soit un excentrique fortuné...

Coup de théâtre : il ne revint pas avec le jeune homme mais avec une belle dame d'environ 40 ans, qu'il installa 'chez eux'. Eux ? Une plaque de cuivre fut scellée à l'entrée : 'Docteur André Durant, consultations sur rendez-vous...' Une affichette précisait la date d'ouverture du cabinet médical, quelques semaines plus tard...

Dès lors, le comportement d'André changea brusquement. Sans trop s'étendre sur le sujet, il révéla simplement qu'il avait démissionné de son poste de médecin citadin, tout comme sa compagne, infirmière devenant désormais sa secrétaire médicale... : ils exerçaient à l'hôpital (Troyes ou Auxerre?), lui a un poste très important... mais le plus important avait été cette liaison d'amour d'entre eux-deux, avec 'ras-le-bol' des mœurs bien-pensantes ! Il révéla aussi qu'il était fils et petits-fils de petits paysans... cependant que 'madame' était citadine : et là, l'entente sociale se fit bien mal !

Mais ce fut une révolution dans les mœurs de ces ruraux, si habitués à devoir 'aller à la ville' pour se soigner, donc le moins possible et bien mal : là, incroyable, le médecin venait chez eux !

Les débuts de l'exercice du cabinet médical furent chaotiques. Déjà, dès avant l'ouverture, d'impatients 'patients' venaient 'voir le docteur', sur son chantier, pour 'un conseil urgent'. Il renvoyait souvent à un confrère en ville... mais il arriva qu'André fasse 'taxi bénévole', pour une hospitalisation d'urgence !
***
Ceci n'est qu'approximation de cette histoire, avec erreurs de détail. Mais l'essentiel, exact, est ce personnage d'André s'établissant aussi discrètement qu'adroitement, en médecin de campagne : dans l'ahurissement général - confrères citadins y compris.

Le strict hasard veut qu'à peu près aux mêmes dates, un autre couple d'ex-citadins vint habiter le même village, mais locataires d'une bien pauvre petite demeure à l'orée du bourg : des fauchés rêvant d'autarcie. Elle, avec ses deux enfants 'd'avant', et enceinte de lui. Lui ?: moi, ouvrier au chômage ! Nous avions quitté Paris pour Saint-Brieuc : l'imprimerie, qui m'avait promis un poste, ferma (et je mis 4 ans à gagner aux Prud'hommes mon procès !). Mais l'amour libre nous animait, comme celui du couple d'André : d'où notre rapide amitié, dans cette micro-société si traditionnelle !
Au contraire du triste 'Docteur Knock' faisant fortune sur le dos de bien pauvres naïfs, André, lui, prit goût à 'faire sa tournée de campagne', visitant bénévolement les plus isolés et vieux paysans, 'armé' de ses 2 deux médicaments gratuits : de l'aspirine et du baume, promettant de revenir si besoin avec un peu plus : bandes, huiles essentielles, placebos, etc. Et 'armé' surtout de sa bonne volonté : bavarder, s’intéresser aux travaux, et à la vie quotidienne tristounette de ces 'oubliés' de la modernité...
Souvent, il s'arrêtait nous rendre visite en rentrant au village, garant 'à la sauvage' sa Mercedes ('mon tas de boue' précisait-il) . Cette halte était comme un 'sas' d'entre ses deux vies, celle, si discrète, de 'bon apôtre' de campagnards isolés et celle de son cabinet médical : il trouvait en nous une écoute plus familière, d'entre ex-citadins, et surtout d'aventuriers en 'amour libre', comme lui et sa compagne... L'on se tutoya très vite et j'espérais que nos couples deviennent très amis. Mais la compagne d'André ne sortait guère de son logis et n'y était pas hospitalière : 'C'est mon jardin secret qui n'a pas encore fleuri' disait André, visiblement heureux de connaître la 'belle fleur' qu'était ma compagne, avec 'promesse de fruit'...

Nos différences n'étaient pas que notre couple était bien plus jeune que le sien, mais nos niveaux de vie. Peu à peu, André nous apporta des 'cadeaux de paysans' au retour de ses visites médicales : légumes, fruits, pain, cidre, vin... et même des poules et des canards pour lancer mon poulailler ! Bien mieux, il apporta une fine approche psychologique de 'notre cas'. Admettant mes soucis de quitter un vain 'rêve d'autarcie' tout en préservant notre liberté de vie anticonformiste. Nous n'avions pas la même expérience socio-politique ('Je n'ai pas fait Mai 68, moi' me disait-il en souriant) mais il avait un point de vue très critique sur le monde hiérarchisé de la médecine (et c'est pire aujourd'hui) qui l'avait tant brimé, lui et sa compagne...

Plus tard, je pus me trouver une longue formation rémunérée (AFPA, charpente) et y aller quatre jours par semaine, d'abord en vélomoteur puis en 4L trouvée à crédit (ce qui permettait de ramener des chutes de bois pour le chauffage, en plus de la protection!)... Mais ma compagne sombra dans une mélancolie dépressive, malgré qu'elle se lia – un peu – avec la compagne d'André, qui l'invitait parfois à manger 'chez le docteur' (sous l’œil réprobateur de la commère du coin). Mais il y eut entre elles d'eux 'jardin secret' dont je sus rien, pas plus je crois qu'André – lequel veilla aussi sur la grossesse et la déprime de ma compagne.

L'accouchement eu lieu au printemps, et quelques mois plus tard, nous déménagions enfin pour une belle vieille maison pas chère, près de la mer : l'aventure de vivre y continuait loin de celle du couple de ce médecin de campagne original, perdu de vue.

Voici, en conclusion, cette anecdote cocasse et triste.

Le cocasse fut d'avoir 'emmené au bouc' notre blanche biquette (gagnée à la fête de l'école primaire!) : 'Elle fournira du bon lait pour le futur bébé'... A l'aube, l'on prit tous deux un raccourci d'un km. au travers de la forêt, elle au bout d'une corde dont elle tenta de s'affranchir pour ce 'paradis à dévorer'... sans même de loup dévorateur, contrairement à la 'chèvre de M. Seguin'. Puis ce fut la découverte d'un 'enfer' : je pensais aboutir à une petite ferme, sachant que le propriétaire du bouc exerçait deux activités, paysanne et ouvrière (à Saint-Brieuc) : c'était un taudis de baraques de planches et de tôles dans la boue et la puanteur ! Une femme encore jeune mais très obèse sortit de la minuscule chaumière, alertée par les aboiements d'un chien de garde mauvais, que mon bâton (pris en forêt pour faire avancer biquette !) tenait à distance... Après avoir injurié le chien avec des gestes de lancer des cailloux, dans un jargon bien frustre elle me fit entrer (avec la chèvre) pour un café : en fait un ricoré arrosé de gnôle ; stupéfait, je constatais que ses 2 ou 3 enfants étaient au même régime ('pour leur donner le courage d'aller prendre le bus scolaire') !... Après leur départ sous les vociférations de leur mère, elle revint à moi : 'vais mettre biquette dans l'enclos voisin du bouc, ça va bien l'exciter (rires gras), 'l'homme' s'en occupera à son retour de l'usine tout à l'heure, il est de l'équipe de nuit. 'Reviens cet après-midi !'... J'avais envie de renoncer à laisser ma chèvre dans cette misère : je ne m'y résolus qu'après avoir constaté la présence du beau mâle procréateur. Puis revins chercher biquette, avec la somme demandée : je fus reçu par le couple aviné, elle surtout, pressé à me voir partir, après 'le coup de rouge pour la route', accompagné d'inutiles 'gauloiseries' sur la vigueur du sale bouc sur ma belle pucelle de chèvre ! …

Bouleversé, j'en parlais à ma compagne puis très vite à André. Il leur rendit visite (avec son coutumier 'J'passais par là'...) et pu ré-alerter les services sociaux de l'enfance, après sa propre enquête, bien juste et sévère :

Merci toubib !..
Source : Ruminances
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6 septembre 2011 2 06 /09 /septembre /2011 11:09

 

Hackers libertaires : « Notre but, c'est partager la connaissance »

Guyzmo au milieu de son matériel (Céline Chadelat).

Sous les néons du quatrième étage d'un immeuble du quartier du Marais, à Paris, baptisé le Loop (Laboratoire ouvert ou pas), se retrouvent depuis quelques mois les hackers de la région parisienne, devenus squatteurs par la même occasion.

Ce mardi soir, ils sont une dizaine, âgés entre 18 et 35 ans. Ils passent environ dix-huit heures par jour reliés aux flux d'informations, portent les cheveux longs « par flegme ». Un doux parfum libertaire flotte dans l'air. Une fougère s'épanouit dans le creux d'un modem éventré.

Erreur404, c'est son pseudo, un tuyau d'aspirateur à la main, gonfle des rouleaux plastiques destinés à soutenir une tente de conférence pour un futur festival. Le détournement d'objets ou de systèmes de leur usage initial est une spécialité du hacking.

Guyzmo, un des pionniers du lieu, assis entre son ancien lave-vaisselle et un paquet de puces RFID estime que « les hackers et les squatteurs sont proches : les squatteurs, en transformant l'espace, sont un peu les hackers du bâtiment ». Une pratique du détournement souvent au profit de la liberté d'information, qui serait mise en péril par des gouvernements mal intentionnés.

« Notre but, c'est le partage de la connaissance, tout ce qui est fait ici est publié », explique Guyzmo.

 

Lire la suite  : Hackers libertaires : "Notre but, c'est partager la connaissance" | Rue89

Merci  Nomind Les Chroniques du Chaos   pour cette belle trouvaille qui fait plaisir à lire

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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 14:31

 

 

L’Ilot 13, un périmètre alternatif à Genève

« Quand on s’investit dans un lieu, il devient vivant »


« Nous pensons que les rapports
entre les habitants, les passants d’une ville
doivent se nouer sur d’autres bases que celles des soldes
ou des rencontres entre propriétaires de chiens. »
Lorenzo Menoud et Ulrich Fischer sur le site de l’Ilot 13

« ... Mais tous ces endroits deviendront bientôt
des îlots assiégés, pour peu que les choses
continuent de suivre le cours qu’elles ont pris.
Le Seigneur Ténébreux déploie toute sa force. »
J.R.R. Tolkien, Le Seigneur des Anneaux - Citation peinte sur un mur à l’Ilot 13


(JPG)

Le nez dans la verdure, on entend encore les annonces des haut-parleurs de la gare, dont les quais sont à un jet de pierre d’ici, un peu en contrebas. Et pourtant, on se sent comme sur une autre planète, très loin de la ville, de sa banalité impersonnelle, de son agitation, de ses publicités et de ses enseignes omniprésentes. L’Ilot 13 - du nom qui désigne ce pâté de maisons au cadastre du Canton de Genève - est un spectaculaire morceau d’utopie posé au milieu de la ville. Ici, un ancien relais de poste de 1830, abritant une buvette et une salle de concert, voisine avec des maisons à deux étages en bois blond et métal, toutes neuves, construites par une coopérative étudiante. Au rez-de-chaussée sont installés des ateliers d’artistes et d’artisans, les locaux de l’Association Transports et Environnement... Les murs sont couverts de fresques-manifestes, d’affiches politiques ou culturelles. Tout est à dimension humaine et porte la marque de la présence des gens, de leur intervention.

(JPG)En traversant les coursives encombrées de vélos, on se retrouve dans un grand jardin foisonnant de fleurs et d’herbes folles. Les enfants jouent sur les balançoires tandis que les adultes se retrouvent pour bavarder ou boire l’apéro au soleil. Quelques marches conduisent à une librairie de seconde main ; plus loin se trouvent un restaurant bio et exotique où l’addition est à la discrétion du client, ainsi qu’une épicerie bio. En été, le restaurant sort quelques tables à l’ombre de la vieille tour, dans le petit jardin qui offre un havre de calme et de fraîcheur. Adultes, enfants, familles, célibataires, étudiants, salariés, indépendants : au total, environ 450 personnes vivent ici. Parmi eux, beaucoup de musiciens, d’artistes ; mais aussi, par exemple, un physicien, dont les instructions ont permis de fabriquer les capteurs solaires installés sur les toits...

A cet endroit, en 1984,
un projet prévoyait d’édifier
une barre commerciale de sept étages
(JPG)

« Le plus ancien squat de Genève », c’est ainsi qu’on parle couramment de l’Ilot 13, dans une ville qui figure parmi les plus squattées d’Europe : très dynamique et politisé, le mouvement est né de la révolte contre la spéculation et la pénurie d’appartements à des loyers décents, dans les années quatre-vingt. Les squats sont de hauts-lieux d’effervescence nocturne et culturelle : ils offrent des ciné-clubs, des théâtres, des ateliers d’artistes, des bars, des salles de concert, des restaurants... Le Théâtre du Garage, par exemple, a accueilli il y a dix ans les premiers spectacles des Epis Noirs, ou du Teatro Malandro, la troupe latino-suisse allemande d’Omar Porras-Speck, aujourd’hui habituée des théâtres institutionnels. L’hiver, les comédiens distribuaient aux spectateurs des couvertures et du vin chaud. Aujourd’hui, l’ancien garage a été évacué, rasé et remplacé par un lotissement résidentiel flambant neuf, dont le rez-de-chaussée abrite un commissariat... Dans ce paysage changeant, la longévité de l’Ilot 13 - bientôt vingt ans - inspire le respect. Or, il réunit sur sa superficie à peu près tous les modes d’habitation, logement associatif, communautaire, coopératif, habitation à bon marché (HBM)... sauf le squat ! « Après deux mois d’occupation, environ, tout le monde avait déjà des contrats de confiance », se souvient Astrid Stierlin, l’une des plus anciennes habitantes de l’Ilot.

L’aventure a commencé en 1984, quand la municipalité, après avoir « réhabilité » le quartier voisin et populaire des Grottes, a décidé de s’attaquer à ce périmètre. Elle en partageait la propriété avec un grand entrepreneur suisse basé à Zurich : Göhner-Merkur. « Un grand bétonneur, explique Astrid, qui avait peu à peu racheté dans toute la Suisse, pour une bouchée de pain, un maximum de parcelles aux environs des gares. A l’époque, il s’agissait de quartiers à l’abandon, pleins d’immeubles pourris dans lesquels on logeait des travailleurs saisonniers. La municipalité et lui se sont donc entendus pour tout aplatir et pour faire une grande barre commerciale de sept étages... » Non loin de là, le siège du Crédit suisse, construit par Göhner-Merkur, donne une bonne idée du sort auquel a échappé l’Ilot 13 : de quoi faire frémir.

(JPG)Mais c’était sans compter la mauvaise tête de la poignée d’habitants qui, malgré les avis d’expulsion, refuse alors de vider les lieux : essentiellement quelques « irréductibles petits vieux » et quelques jeunes. Ils usent de leur droit à déposer un recours contre le projet, tout en faisant venir leurs copains pour occuper les immeubles. Quand on les évacue, ils reviennent. Quand la police mure les entrées, ils campent dans des tipis dans la cour. Parmi les squatters se trouvent des architectes, qui ont l’idée d’appeler à l’aide le service du patrimoine. Le service des monuments et sites se déplace, et il remarque deux immeubles : il ne va pas jusqu’à les classer, mais il exige que tout ce qui les concerne fasse l’objet du plus grand soin possible - et, pour commencer, qu’on ne les détruise pas ! Or, comme ils sont un peu en diagonale par rapport à la parcelle qui est ronde, il devient impossible de construire le centre commercial... Les propriétaires doivent donc revoir tout leur plan d’aménagement.

En attendant, ils accordent des contrats de confiance aux squatters, ainsi qu’à la coopérative étudiante, qui reçoit quelques appartements en gestion. Par ailleurs, la municipalité loue elle-même quelques appartements, chambre par chambre, à des étudiants : des gens de tous bords, qui ne se connaissent pas entre eux, se retrouvent donc là pour quelques mois ou quelques années. Certains resteront, d’autres ne feront qu’un passage ; toujours est-il qu’il se constitue le noyau d’une bonne bande de copains, qui ont vraiment envie de développer sur le long terme un mode de vie collectif. « L’association des habitants est vite devenue une entité très vivante, raconte Astrid. Comme il y avait beaucoup de musiciens, on avait même une fanfare. »


« On défend notre quartier,
alors que les socialistes, eux,
défendent le socialisme,
ce qui est quand même
nettement plus élevé... »


(JPG)

Plusieurs d’entre eux ne sont pas des bleus : ils ont derrière eux l’expérience des années de squat aux Grottes, un quartier où beaucoup ont grandi et à l’esprit duquel ils sont viscéralement attachés. Ils ne sont pas les seuls. Claude Jordan, un habitant actuel de l’Ilot, se souvient du vieux brigadier du quartier, qui, en désaccord avec la politique de la municipalité, venait avertir en douce les squatters chaque fois que la police préparait une évacuation : « Il temporisait, il essayait de faire reculer les échéances... C’était un type assez marrant. » Si la mobilisation a permis d’éviter le pire en faisant échouer les « projets socialistes mégalos », beaucoup estiment cependant que la rénovation des Grottes n’a pas permis de préserver son tissu social. « L’esprit a périclité, les gens ne sont plus là, dit Astrid. Ce que nous a appris l’expérience des Grottes, c’est que le tissu social est une chose à laquelle il faut songer et qu’il faut protéger. C’est quelque chose de fragile, qui évolue à un rythme beaucoup plus lent que la bétonisation. Et c’est justement là que les habitants sont importants, parce qu’ils ont un savoir irremplaçable. On ne va quand même pas demander à des universitaires de venir nous étudier pour voir si on vaut la peine d’être sauvegardés ou pas ! C’est une question d’autonomie. Ici, on a construit un tissu social qu’on était décidés à sauvegarder à tout prix. C’est difficile à dire, mais, d’une certaine manière, quand on s’investit dans un lieu, à force de réunions, de temps, de travaux, il devient vivant. »

(JPG)Le répit accordé par le report des travaux est cependant provisoire : avec leurs contrats de confiance, les habitants sont là « à bien plaire », et ils le savent. S’ils veulent avoir leur mot à dire dans la restructuration à venir du quartier, il leur faut devenir des interlocuteurs à part entière pour les autorités. La solution viendra de la suggestion d’un élu - et d’un élu, certes atypique, mais libéral : « Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les socialistes, eux, nous ont toujours cassés : ils détestent que les gens essaient de devenir indépendants, ils veulent avoir le beau rôle. Ils nous ont souvent traités d’enfants gâtés, ce genre de choses... Nous , on est trop pragmatiques : on défend notre quartier, alors que les socialistes, eux, défendent le socialisme, ce qui est quand même nettement plus élevé... » Claude Haegi, donc, qui siège à l’exécutif du Canton, conseille aux occupants de se constituer en coopérative d’habitation. De cette manière, la municipalité pourra leur accorder un « droit de superficie » sur l’emplacement de deux immeubles qu’elle possède - dont celui où vit Astrid.

Ainsi, les habitants obtiennent la jouissance du terrain pendant 99 ans, et deviennent collectivement propriétaires des bâtiments. Pour payer les travaux de remise en état des immeubles, qui en ont bien besoin, mais aussi l’architecte, les frais de notaire, etc., ils souscrivent un emprunt de 3 millions de francs suisses (12 millions de francs français) auprès de la Banque alternative suisse. Ils doivent aussi verser un droit de superficie qui équivaut à un loyer de la parcelle, et dont la municipalité les dispense rapidement : elle a trouvé là un moyen de se décharger d’une mission qu’elle ne parvient jamais à remplir, celle de construire des logements sociaux en quantité suffisante.

Sur leur lancée, les autorités décrètent même le périmètre « alternatif », et offrent d’autres droits de superficie à des coopératives qui en réclamaient depuis des années - « jusque-là, comme ce n’était pas à la mode, on les envoyait promener », dit Astrid, qui précise : « Le droit de superficie, c’est quelque chose qui existe en Suisse depuis très longtemps, qui a beaucoup été utilisé dans les années cinquante, puis qui est tombé en désuétude avec la spéculation - au point que la plupart des gens ne savent même plus que ça existe. Pourtant, c’est quelque chose à creuser : même si les autorités ne lui font pas beaucoup de publicité, ça existe dans le droit, l’Office fédéral le soutient, il y a des prêts à taux intéressants pour les coopératives, des associations faîtières qui donnent toutes sortes de conseils... » L’une de ces associations, la Codha (Coopérative pour l’habitat associatif), a d’ailleurs ses locaux à l’Ilot 13.

(JPG)

Parallèlement à ces arrangements, la Suisse inscrit le périmètre de l’Ilot à un concours européen destiné aux jeunes architectes. Placidement, la municipalité communique ce qu’elle considère comme des exigences de base : elle demande un certain nombre de places de parking, la destruction de l’ancien relais de poste... Les habitants, atterrés, décident de participer eux-mêmes au concours. Ils élaborent un projet de réhabilitation du quartier qui respecte son tissu architectural, social, historique. Et sans parkings ! Impressionné, le jury, sans toutefois les autoriser à concourir (mais il leur décernera un « prix de référence »), envoie une copie de leur projet, pour information, à tous les architectes qui planchent sur la parcelle. Parmi eux, la grande majorité - et notamment le lauréat ! - décident de tenir compte des indications des habitants, et non de celles de la municipalité.

Si certains vieux bâtiments ont pu être conservés et rénovés, d’autres ont été détruits, et remplacés par les lumineux immeubles aux larges balcons en métal qu’on a vus en arrivant, loués en HBM (habitation à bon marché). Les locataires disposent d’une salle commune au rez-de-chaussée. La coopérative étudiante, qui gère un parc d’appartements communautaires pour personnes en formation, a fait construire ses élégants baraquements en bois clair. Un autre immeuble de sept étages est en construction. Quand sera-t-il terminé ? « Trop vite », répondent sombrement les habitants. Ils grimacent : « On s’est bien fait avoir sur ce coup-là ! » A la place des logements sociaux prévus, ils ont en effet découvert qu’il se préparait des résidences de luxe, vendues par étage. Dans un communiqué de presse rageur, l’automne dernier, ils répertoriaient les arguments de vente dont ils avaient eu connaissance par les annonces de la régie : proximité de la gare, vue sur le Mont-Blanc, le Jet d’eau et le Jura, terrasses en attique... « On y vend même des duplex qui n’existent sur aucun plan : achetez deux appartements superposés, on vous offre l’escalier... » Parmi toutes les assurances données par les promoteurs aux acheteurs fortunés, il y en a une, certes argument-massue sous ces latitudes, qui les fait doucement pouffer : le « calme ». A proximité d’immeubles majoritairement habités par des musiciens qui n’ont aucune intention de remiser leur instrument, et qui sont habitués à s’en donner à cœur joie dans le jardin, il faut oser...

(JPG)Mises devant le fait accompli, les autorités ont fini par faire du lieu une vitrine : elles en vantaient elles-mêmes le joyeux « désordre » lors des dernières Journées du patrimoine, en septembre 2000. L’Ilot 13 a alors fait partie des honorables monuments et sites ouverts au public durant un week-end - les habitants ont joué le jeu, ouvrant jusqu’à leurs appartements personnels et suscitant l’émerveillement des personnes âgées en visite guidée. « Dès qu’un truc se passe bien, tout le monde se congratule. Mais au premier problème, il n’y a plus personne ! » râle Astrid.

C’est que l’anarchie douce qui règne en ces lieux, le charme et la poésie qui s’en dégagent, n’ont été rendus possibles que grâce à un sérieux pragmatisme. Il a fallu des années de tractations avec les différents services de la municipalité, de formalités, de réunions, de commissions, d’assemblées générales, de lettres officielles... Certains se sont davantage investis ou sont plus assidus que d’autres aux assemblées générales, d’où d’inévitables tensions et regards de travers visant ceux qui joueraient les mouches du coche. Mais la plupart des habitants sont devenus imbattables sur les démarches, les procédures, les recours ; leur vocabulaire courant est truffé de sigles barbares et de termes techniques. « Il a fallu pas mal marner, raconte Astrid. Il suffisait que quelqu’un soit de mauvaise volonté au sommet de la hiérarchie, ou qu’un responsable parte en vacances juste au moment où on avait besoin de sa signature au bas d’une autorisation, et tout était bloqué. »


« On me dit souvent :
“Je t’admire, mais moi,
je ne pourrais jamais vivre en communauté.”
Or on ne vit pas en communauté :
on vit le collectivisme.
C’est très différent »


La lenteur des négociations avec l’administration pour le moindre aménagement en a rendu beaucoup dingues. Une route assez passante sépare l’Ilot d’un parc voisin où les enfants aiment aller jouer. « Comme il n’y avait pas de passage piétons, on a fait plusieurs demandes officielles, à quelques années d’intervalle, sans rien obtenir. On nous répondait : “Mais non, comme ça vous pouvez traverser n’importe où, c’est beaucoup mieux, alors que si on fait un passage vous serez obligé de traverser dessus !” C’est très rassurant à entendre pour des parents ! » Hum... Les autorités semblent se faire une image quelque peu caricaturale des alternatifs... « Du coup, on a fait un passage sauvage. Ils ont été bien obligés de repasser par-dessus. »

Non, décidément, l’extraordinaire qualité de vie des habitants de l’Ilot 13 n’est pas une chance, martèle Astrid, mais bien un dû, le résultat d’années d’efforts, d’investissements en temps, en énergie, en argent. « C’est ce que tout le monde peut obtenir en donnant un peu de temps dans son quartier, en se préoccupant un peu plus largement de ce qui l’entoure, plutôt que simplement de ce qui se passe une fois qu’il a fermé sa porte à clé et qu’il est chez lui. On me dit souvent : “Je t’admire, mais moi, je ne pourrais jamais vivre en communauté.” Or on ne vit pas en communauté : on vit le collectivisme. C’est très différent. » Des contraintes, il y en a eu, bien sûr : elle se souvient des samedis de travaux collectifs, pendant des années, sur les chantiers généraux ; après quoi il restait les chantiers des appartements, pour lesquels chacun se retrouvait seul.

Mais les habitants y ont gagné le luxe suprême : l’indépendance, un pouvoir sur leur cadre de vie dont la plupart des gens sont totalement privés. « Les gens ne se prennent plus en charge. La société part à la dérive, la politique suit, tout le monde cautionne tout ça, et tout le monde s’en plaint, se mord les doigts, pleure en regardant la télé, et voilà. C’est aberrant. Avant, j’avais un petit appartement, dès que je sortais de mon immeuble j’avais le nez dans les pots d’échappement... Je trouvais absurde de vivre aussi mal dans un pays aussi riche. La vraie richesse, c’est ici que je l’ai. On consomme moins, parce qu’on partage, et aussi parce qu’on a une vie sociale un peu plus... vivante. Or la plus grande partie de la consommation, il faut bien le dire, vient du fait qu’on décompense parce qu’on a une vie de cons. Mais personne ne vous dira jamais d’arrêter de mener cette vie de cons, parce que ça ferait chuter la consommation. Personne ne vous encouragera jamais à faire ce qu’on a fait. C’est pour ça qu’il est important de dire que nous, on l’a fait, et on a réussi. »

Texte et photos
Mona Chollet
Merci à Astrid Stierlin,
Claude Jordan et Bernard Engel

Visite à La Trocante, la librairie de seconde main de l’Ilot 13.

* La photo du scotch « Résistance, Existence » fait référence à notre entretien avec Gérard Paris-Clavel, de Ne Pas Plier, le collectif de graphistes d’Ivry-sur-Seine qui a conçu cette image (mars 2001).

Sur le(s) même(s) sujet(s) dans Périphéries :
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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 12:43

Une compilation d'articles de la revue Périphéries, escales en marge qui amène des idées pour "penser le monde". En prime dans ce texte, un petit épisode sur Sarko et le saumon fumé qui m'a fait bien rire !

 

Triomphe de l’imaginaire de droite, faiblesse de l’imaginaire de gauche



 

En 2000, aux Etats-Unis, un sondage commandé par Time Magazine avait révélé que, quand on demandait aux gens s’ils pensaient faire partie du 1% des Américains les plus riches, 19% répondaient affirmativement, tandis qu’un autre 20% estimait que ça ne saurait tarder. L’éditorialiste David Brooks l’avait cité dans un article du New York Times intitulé « Pourquoi les Américains des classes moyennes votent comme les riches - le triomphe de l’espoir sur l’intérêt propre » (12 janvier 2003). Ce sondage, disait-il, éclaire les raisons pour lesquelles l’électorat réagit avec hostilité aux mesures visant à taxer les riches : parce qu’il juge que celles-ci lèsent ses propres intérêts de futur riche. Dans ce pays, personne n’est pauvre : tout le monde est pré-riche. L’Américain moyen ne considère pas les riches comme ses ennemis de classe : il admire leur réussite, présentée partout comme un gage de vertu et de bonheur, et il est bien décidé à devenir comme eux. A ses yeux, ils n’accaparent pas des biens dont une part devrait lui revenir : ils les ont créés à partir de rien, et il ne tient qu’à lui de les imiter (1). Il ne veut surtout pas qu’on les oblige à partager ou à redistribuer ne serait-ce qu’une petite part de leur fortune : cela égratignerait le rêve. « Pensez-vous vraiment, interrogeait David Brooks, qu’une nation qui regarde Katie Couric [présentatrice du journal du matin sur NBC, passée depuis au journal du soir sur CBS] le matin, Tom Hanks le soir et Michael Jordan le week-end entretient une profonde animosité à l’égard des nantis ? »

Dans le modèle marxiste, le travailleur est invité à se défaire de la mentalité servile et autodépréciative qui lui interdit de comparer son sort à celui des riches pour revendiquer sans complexes le partage des richesses. En même temps, il s’identifie à ses semblables, salariés ou chômeurs, nationaux ou étrangers, envers qui il éprouve empathie et solidarité. Le génie du libéralisme a été de renverser ce schéma. Désormais, le travailleur s’identifie aux riches, et il se compare à ceux qui partagent sa condition : l’immigré toucherait des allocs et pas lui, le chômeur ferait la grasse matinée alors que lui se lève à l’aube pour aller trimer... Bien sûr, on peut essayer de le raisonner ; on peut lui dire qu’il faut se méfier de ces fausses évidences dont, en France, Le Pen, puis le clan Sarkozy, se sont fait une spécialité : son intérêt objectif, en tant que travailleur, ce serait au contraire que les chômeurs ronflent béatement jusqu’à des deux heures de l’après-midi, puisque, s’ils sont obligés d’accepter n’importe quel boulot, cela tire vers le bas le niveau des rémunérations et des conditions de travail de l’ensemble des salariés - y compris les siennes. On peut essayer de lui démontrer par a + b qu’il se trompe d’ennemis, et qu’il ferait mieux de réserver sa défiance et son animosité à ces politiciens méphitiques qui encouragent en lui l’aigreur et le ressentiment les plus infects.


Pourquoi vouloir encore
changer les choses si,
à n’importe quel moment,
un coup de chance,
ou vos efforts acharnés,
peuvent vous propulser
hors de ce merdier ?


On est forcément tenté d’argumenter, et il faut le faire ; mais il faut peut-être aussi être conscient que ça ne suffit pas. Tous ceux qui, en France, ces derniers mois, écœurés d’entendre des types nés avec une cuillère en or dans la bouche marteler sur toutes les antennes les vertus du « mérite », effarés de voir tant d’agneaux se préparer à voter avec enthousiasme pour le grand méchant loup, se sont époumonés à dénoncer l’arnaque et à en démonter les mécanismes - en vain -, ont peut-être négligé un fait capital : ce qui n’a pas été fait par la raison ne peut pas être défait par la raison. Quand on a consacré un livre à tenter de démêler les formes de rêve bénéfiques de celles qui travaillent contre le rêveur, l’élection présidentielle apparaît comme le triomphe éclatant des secondes. Comme cela a été abondamment souligné depuis le 6 mai au soir, lorsque nos yeux se sont brutalement dessillés en même temps que la Marseillaise de Mireille Mathieu nous déchirait les tympans, en France, les noces de la politique et du showbiz ont été un peu plus tardives qu’ailleurs, mais elles ont fini par se produire aussi (2). Il était inexorable qu’elles finissent par se produire. Comme celle d’un Berlusconi ou d’un Reagan - qui ne venait pas du cinéma par hasard, et qui ne faisait qu’accentuer une tendance amorcée avec Kennedy -, la victoire de Nicolas Sarkozy en France résulte d’une manipulation à grande échelle des imaginaires. Elle a été préparée par vingt ans de TF1 et de M6, de presse people, de jeux télévisés, de Star Ac et de superproductions hollywoodiennes. Pour pouvoir ricaner en toute tranquillité des beaufs qui ont voté Sarkozy, d’ailleurs, il faudrait pouvoir prétendre avoir échappé complètement à l’influence de cette culture - ce qui ne doit pas être le cas de beaucoup de monde.

Le thème récurrent sur lequel tous ces médias ne cessent de broder d’infinies variations, et auquel nos cerveaux, de gauche comme de droite, ont développé une accoutumance pavlovienne, c’est celui de la success story. Qui véhicule un seul message : pourquoi vouloir changer les choses ou se soucier d’égalité des droits, si, à n’importe quel moment, un coup de chance, ou vos efforts acharnés, ou une combinaison des deux, peuvent vous propulser hors de ce merdier et vous faire rejoindre l’Olympe où festoie la jet-set ? « Chacun aura sa chance », clamait Nicolas Sarkozy à peine élu. Il y a quelques années, on avait relevé une illustration presque caricaturale de cette idéologie dans le film de Steven Soderbergh Erin Brockovich seule contre tous (avec Julia Roberts), à l’impact d’autant plus fort qu’il était inspiré d’une histoire réelle - même s’il avait apparemment fallu, pour écrire le scénario, éluder certains aspects d’une réalité moins lisse que souhaité.


Même lorsqu’on a conscience
de ses ficelles un peu grosses,
on ne peut se défendre
d’éprouver un petit frisson
au contact de la success story

Success story du gagnant du Loto. Success story du petit entrepreneur « parti de rien ». Success story du vainqueur de la « Star Ac », des acteurs et des mannequins, à qui l’on fait raconter en long et en large dans leurs interviews comment ils ont été « découverts », comment ils ont persévéré sans se laisser décourager malgré les déconvenues de leurs débuts, comment ils vivent leur célébrité et leur soudaine aisance financière, etc. Success story de la nouvelle ministre de la justice Rachida Dati, passée d’une cité immigrée de Chalon sur Saône aux ors de la République. La fonction de ministre de Rachida Dati est secondaire : ses mentors l’ont faite réussir uniquement pour illustrer la mystique - ou la mystification - sarkozyenne de la réussite. Elle est là avant tout pour faire rêver ; elle est une machine de guerre fictionnelle. Pour quiconque fait métier de raconter une histoire, Dati est du pain bénit. On lit par exemple dans Le Nouvel Economiste : « Sur son berceau, les fées ne se sont jamais penchées. Alors, elle les a inventées. Bannissant les déterminismes, forçant sa condition, son histoire est celle d’une volonté glorifiée. »

C’est la grande force de la success story : même lorsqu’on a conscience de ses ficelles un peu grosses, on ne peut se défendre d’éprouver un petit frisson à son contact. Ses ressorts narratifs sont si familiers, elle est si valorisée et valorisante, que Nicolas Sarkozy lui-même a tout fait pour y conformer sa biographie. Il lui a fallu pour cela déployer des trésors d’imagination, par exemple pour s’inventer de ces avanies, indispensables à toute success story, censées s’être gravées à jamais dans votre mémoire pour alimenter votre soif de revanche, vous forger le caractère et aiguillonner votre ambition. Le Nouvel Observateur (17 mai 2007) rapporte ainsi l’« humiliation » du nouveau président d’avoir grandi dans - on ne rit pas - le « quartier pauvre de Neuilly » : « Nicolas n’ose pas inviter ses camarades chez lui. Un souvenir le hante : le saumon fumé sous cellophane acheté au Prisunic sur lequel il tombait quand il ouvrait le réfrigérateur familial. Chez ses amis, le saumon fumé venait des meilleurs traiteurs de la ville. » Poignant, non ?

Renvoyer au passé
toute l’histoire des sciences sociales
pour les remplacer par la « philosophie politique »
et dénier aux individus
tout déterminisme social


(JPG)On pense à M. Bounderby, le banquier du génial roman satirique de Charles Dickens Temps difficiles  : « un homme qui ne pouvait jamais assez se vanter d’être le fils de ses œuvres », et qui ne cesse de répéter que, s’il est arrivé là où il est, il ne le doit à personne d’autre qu’à lui-même. Cette fierté imbécile et forcément mensongère à l’idée de s’être « fait tout seul » rappelle ce fantasme de l’individu « autoengendré », dégagé de toutes les limites ou contraintes imposées par la nature ou la société, que décrivent dans leurs essais Nancy Huston ou Miguel Benasayag. Elle est surtout la version glamour d’une figure délibérément construite par les idéologues de la révolution conservatrice : celle d’un individu qui ne serait défini ni par ses origines sociales ou culturelles, ni par sa couleur de peau, ni par son sexe ou son orientation sexuelle - toutes caractéristiques qui seraient purement anecdotiques -, mais uniquement par son appartenance à la nation.

Cette entreprise passe forcément par le discrédit jeté sur ceux qui étudient les déterminations sociales et leurs effets, comme le montre Didier Eribon dans son récent livre D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française (Léo Scheer, 2007) : « Le projet de renvoyer au passé toute l’histoire des sciences sociales françaises pour les remplacer par la “philosophie politique” n’avait, au bout du compte, pas d’autre signification que celle-ci : libérer les individus de tout déterminisme social, afin qu’ils se déterminent librement et rationnellement à renoncer à leur liberté au profit de la souveraineté politique qui s’incarne dans l’Etat, représentant de la Société et de la Nation. » C’est bien d’« individus » qu’il s’agit, et non plus de « sujets » : car « le “sujet” contrairement à l’“individu” sait que la Société le précède et se situe au-dessus de lui et, par conséquent, il n’a pas la désastreuse illusion qu’il peut inventer le social au gré de ses “désirs” ».


Ce sont bien les mouvements sociaux
qui maintiennent en vie
l’idéal du bien commun


Derrière cette fiction, promue par les conservateurs, d’une nation comme « emballée sous vide », constituée d’individus dont le poids ou la marge de manœuvre respectifs seraient identiques de fait - et pas seulement dans les idéaux que proclament les frontons des mairies -, se cache une entreprise de liquidation de la politique : « Dénier le caractère constitutif des inscriptions sociales ne les fait pas disparaître, écrit encore Eribon, mais cherche à interdire qu’on lutte contre les dominations qu’elles commandent. » Pour mieux les affaiblir, on qualifie désormais les revendications collectives de « corporatistes » ou de « communautaristes » : on reproche à ceux qui les portent de mettre en péril l’intérêt général ou la cohésion de la nation. A lire Didier Eribon, on mesure mieux l’inconscience de ceux qui, tout en se réclamant de la gauche, croient pouvoir joindre leurs voix à ce concert douteux.

D’autant qu’il ne faut pas s’y tromper : même si une approche superficielle peut faire envisager leur démarche comme la défense d’intérêts particuliers, ce sont bien les mouvements sociaux qui maintiennent en vie l’idéal du bien commun. Ils rappellent que, s’il existe bel et bien une marge de manœuvre individuelle, il est absurde de vouloir faire croire que celle-ci peut être autre chose qu’une marge, justement : pour le reste, chacun est bien le produit de déterminismes qui le rattachent à divers groupes, et qui facilitent ou empêchent sa progression. Aucune démocratie digne de ce nom ne peut se dispenser d’en tenir compte, et de chercher les moyens d’y remédier. Nier l’importance de ces déterminismes, et vouloir qu’il y ait société sans qu’ils aient d’abord été vaincus, c’est mettre la charrue avant les bœufs, et prendre ses désirs pour des réalités. Si les mouvements sociaux suscitent une telle hostilité, c’est parce qu’ils rappellent cette vérité contrariante.


Si on exhibe quelques spécimens
de catégories socialement défavorisées
à qui on a « donné leur chance »,
c’est pour mieux se dédouaner
de la relégation dans laquelle
on souhaite maintenir tous les autres


Pour sa part, l’idéologie conservatrice, si elle exalte la grandeur de la nation, ne fait en réalité aucun cas, évidemment, de l’intérêt général ou du bien commun. Dans cette compétition généralisée qu’est la société telle qu’elle la conçoit, et où elle feint crapuleusement de croire que tous auraient les mêmes chances, chacun est, comme Erin Brockovich, « seul contre tous ». Dans le slogan électoral de Nicolas Sarkozy, « ensemble, tout devient possible », le « ensemble » n’est là que pour décorer. Ou plutôt, il désigne un « ensemble » effroyablement pasteurisé, expurgé de tous ses éléments non conformes ; car, si on exhibe quelques spécimens de catégories socialement défavorisées à qui on a « donné leur chance », c’est pour mieux se dédouaner de la relégation dans laquelle, contrarié par leur existence, on souhaite maintenir tous les autres. A cet égard, toute recomposée qu’elle est, la prétendue « famille d’aujourd’hui » que formerait le clan Sarkozy, et qui fait cette semaine la couverture de Paris-Match, véritable débauche de gosses de riches blonds aux yeux bleus, évoque davantage les héritiers monégasques que la diversité de la France contemporaine.


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« Tout est possible » : comme le rappelait Christian Salmon dans un article du Monde diplomatique (novembre 2006), reprenant une citation exhumée par Serge Halimi dans Le Grand Bond en arrière. Comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, ce slogan était déjà celui de Ronald Reagan lorsque, dans son discours sur l’état de l’Union, en 1985, il présentait sa Rachida Dati à lui : « Deux siècles d’histoire de l’Amérique devraient nous avoir appris que rien n’est impossible. Il y a dix ans, une jeune fille a quitté le Vietnam avec sa famille. Ils sont venus aux Etats-Unis sans bagages et sans parler un mot d’anglais. La jeune fille a travaillé dur et a terminé ses études secondaires parmi les premières de sa classe. En mai de cette année, cela fera dix ans qu’elle a quitté le Vietnam, et elle sortira diplômée de l’académie militaire américaine de West Point. Je me suis dit que vous aimeriez rencontrer une héroïne américaine nommée Jean Nguyen. » Après avoir fait ovationner la jeune femme, Reagan enchaînait sur une autre histoire, tout aussi édifiante, avant de dévoiler la morale des deux récits en s’adressant à leurs protagonistes : « Vos vies nous rappellent qu’une de nos plus anciennes expressions reste toujours aussi nouvelle : tout est possible en Amérique si nous avons la foi, la volonté et le cœur. »


L’« industrie du rêve »
ne donne pas envie au rêveur
de s’organiser avec les autres
pour améliorer ses conditions d’existence,
mais plutôt de trouver le moyen
de fausser compagnie à tous ces losers


Pourquoi mettre en place des politiques égalitaires, redistribuer les richesses, garantir à tous des conditions de vie décentes et épanouissantes, quand on peut se contenter d’accréditer la fable selon laquelle « si on veut vraiment réussir, on peut » ? Pourquoi se fatiguer à ôter les obstacles qui se dressent sur le chemin des plus défavorisés, quand on peut se contenter de couvrir d’éloges ceux qui, parmi eux, ont le jarret assez souple pour sauter par-dessus - en insinuant sournoisement, par la même occasion, que les autres doivent quand même être un peu feignasses s’ils n’y arrivent pas eux aussi ? Pourquoi se tuer à satisfaire les revendications du peuple quand on peut le payer de mots - et de belles histoires ? Car la success story n’est que la déclinaison principale de cette stratégie politique qui, comme le pointe Salmon dans son article, consacré au storytelling, consiste désormais, plus largement, à raconter des histoires. Il cite un ancien conseiller de Bill Clinton qui constatait en 2004 : « Les républicains disent : “Nous allons vous protéger des terroristes de Téhéran et des homosexuels de Hollywood.” Nous, nous disons : “Nous sommes pour l’air pur, de meilleures écoles, plus de soins de santé.” Ils racontent une histoire, nous récitons une litanie. »

C’est peut-être sous cet angle, effectivement, qu’il faut analyser la faiblesse actuelle de la gauche : sous l’angle d’un problème avec l’imaginaire. L’industrie du spectacle, qui produit les histoires et les mythes contemporains les plus puissants, est le plus souvent en affinité profonde avec l’ordre du monde : les histoires et les mythes qu’elle met en circulation sont des histoires et des mythes de droite et travaillent pour la droite, même s’ils ne se présentent pas toujours sous cette étiquette. Ils en colportent les valeurs et la vision du monde. Ce rouleau compresseur culturel rend presque impossible la tâche de la gauche - ou du moins d’une gauche qui se voudrait fidèle à ses valeurs. L’« industrie du rêve » lui coupe l’herbe sous les pieds. Car elle produit du rêve, certes, mais aussi, à part égale, de la haine de soi. Elle apprend au public que tous ceux qui ne correspondent pas à ses critères de richesse, de pouvoir, de succès, d’élégance vestimentaire et/ou de perfection plastique sont ringards et méprisables (3) ; en lui étalant au visage la réussite et la félicité de ses stars, elle l’humilie, elle entretient sa rage et sa frustration. Quand, détournant les yeux de la page ou de l’écran, il regarde autour de lui, il n’a pas envie de s’organiser avec les autres pour améliorer les conditions d’existence qu’il partage avec eux : il cherche plutôt le moyen de fausser compagnie à tous ces losers, et de fuir les endroits minables où il végète injustement avec eux. La sorte de rêve produite par la société du spectacle est celle que Flaubert - comme j’ai essayé de le montrer dans La tyrannie de la réalité - avait déjà parfaitement décrite dans Madame Bovary, alors que ce système était balbutiant : un rêve qui, au lieu de conforter le rêveur, de lui permettre d’enrichir et d’approfondir le monde dans lequel il vit, produit au contraire chez lui une « passion de la rectification », une colère aussi stérile qu’inépuisable, dans laquelle il peut finir par engloutir toute son énergie, contre la non-conformité et l’insuffisance de ce qui l’entoure.


La valorisation culturelle
de la noirceur se traduit
par une méfiance instinctive
envers tout projet politique
qui ne diabolise pas
des catégories sociales entières,
renvoyé à un conte pour enfants


De surcroît, on peut se demander si un certain snobisme culturel de masse, valorisant le cynisme comme un signe de sagesse suprême, n’a pas contribué à discréditer le projet même de la gauche, présenté comme naïf dans la mesure où il implique d’envisager la société comme une communauté solidaire, et non comme un agrégat d’individus en guerre les uns contre les autres. Avec le recul, il est frappant de constater le boulevard idéologique qu’a ouvert au sarkozysme le succès d’un Michel Houellebecq. Il a semé l’idée que des personnages veules et méprisants, prônant l’autodéfense, crachant leur haine des féministes ou des Arabes, portaient le seul regard lucide et objectif sur l’état de la société et les options politiques à notre disposition. S’il a été promu et encensé par le milieu littéraire, c’est en vertu de cette échelle de valeurs, décrite par Nancy Huston dans Professeurs de désespoir, qui fait de la noirceur un critère de qualité et de supériorité : « Hugo, Dumas, Balzac, Sand : ces auteurs vous apprenaient quelque chose sur la vie humaine, ils ouvraient des portes, fouillaient les tréfonds de l’âme, cherchaient la nuance (...). Dans un deuxième temps, pour des raisons historiques faciles à saisir, il a été admis que le message d’un roman pût être noir, simplifié, absolutiste, désespérant même, du moment que l’ensemble était “racheté” - c’est-à-dire humanisé, moralisé - par un très haut style (Beckett, Cioran, Bernhard). Mais, peu à peu, on s’est mis à confondre noirceur et excellence, à prendre la noirceur comme telle pour une preuve d’excellence. (...) Voilà le progrès : on est passé des pierres précieuses... aux diamants noirs... au tas de charbon. »

Sur le plan politique, cette valorisation exclusive de la noirceur se traduit par une méfiance instinctive envers tout projet qui ne diabolise pas des catégories sociales entières, immédiatement renvoyé à un conte pour enfants. Elle sabote ainsi à la racine le projet même de la gauche, qui implique forcément de parier, à un moment ou à un autre, sur une altérité vécue positivement - et non comme une menace. Quoi qu’on pense de Ségolène Royal, on peut d’ailleurs se demander si les clips UMP qui circulaient sur Internet au cours de la campagne présidentielle, et qui la brocardaient en la renvoyant à cette image gnangnan, ne devaient pas autant à cet avantage idéologique conquis par la droite qu’aux faiblesses de la candidate socialiste. Sans compter qu’il est encore plus facile de caricaturer une gauche supposée voir le monde en rose bonbon quand celle-ci est incarnée par une femme.


Il n’y a plus de système
de valeurs et de représentations
capable de rivaliser avec le modèle dominant
et les idéaux qu’il met en circulation


Toujours est-il que désormais, l’opinion est éduquée à éprouver une haine viscérale envers tout ce qui revendique un progressisme même timide, identifié à l’ennemi : les intellectuels qui trahissent leur mépris du peuple par l’emploi de mots de plus de trois syllabes, les « bobos qui font du vélo à Paris » (Alain Finkielkraut), tout ça n’est qu’un ramassis de privilégiés « angélistes » vivant hors des réalités. Certes, l’image détestable donnée de la gauche par l’establishment socialiste explique en partie ce ressentiment ; mais en partie seulement. Surtout lorsqu’on se rappelle que ce qu’il y a de plus détestable dans cet establishment, c’est sa perméabilité aux valeurs de la droite, et que, pour cette raison, une bonne partie du ressentiment qu’il s’attire provient de gens qui se revendiquent de la gauche - d’une « gauche de gauche », et non de la « gauche de la gauche », selon l’utile correction apportée par Pierre Bourdieu et reprise par Didier Eribon dans son livre. Parmi ceux qui détestent le plus les socialistes, il y en a un bon nombre qui emploient parfois des mots de plus de trois syllabes et qui font du vélo, à Paris ou ailleurs.

Idées, rêves, représentations : c’est tout l’univers mental de la gauche qui est aujourd’hui anémié et discrédité. Pour des raisons en partie externes, et en partie internes. Durant la guerre froide, le communisme était assez puissant et influent pour pouvoir opposer à la culture capitaliste tout un corpus de valeurs et de références alternatives. On pouvait être fier de soi et des siens sur d’autres bases, qui valaient ce qu’elles valaient, mais qui avaient le mérite d’exister - une fierté de classe. Aujourd’hui, il n’y a plus de système de valeurs et de représentations capable de rivaliser avec le modèle dominant et les idéaux qu’il met en circulation. L’une des tâches les plus urgentes et les plus passionnantes, pour les années à venir, pourrait être de rassembler tous les éléments épars qui permettraient d’en rebâtir un ; un ensemble de références, d’idées, de représentations, qui ne serait pas aussi massif que l’a été le contre-modèle communiste - ce ne serait ni possible, ni souhaitable -, mais simplement vivant, cohérent et crédible.


La gauche répugne à accorder
la moindre attention aux formes,
aux discours, aux représentations


Mais il ne faut pas se cacher que la gauche est mal armée pour ça. D’abord, elle répugne à accorder la moindre attention aux formes, aux discours, aux représentations (4). Elle y voit forcément une manipulation, une reddition à l’ennemi, aux techniques de « com’ » prisées par la droite ou les socialistes. Du coup, si elle dénonce à raison - comme Eric Hazan dans LQR, La propagande du quotidien - la façon dont le libéralisme détourne et subvertit le langage à son profit, imposant ses termes comme autant de chevaux de Troie de sa vision du monde (à cet égard, il faut saluer le petit dernier, « assistanat », banalisé au cours de la campagne présidentielle), elle a tendance à s’enfermer elle-même dans un langage routinier, dans le ressassement de slogans usés se limitant à servir de points de ralliement à ceux qui se revendiquent du côté du Bien, avec un souci de renouvellement à ce point inexistant que, pour ma part, je me sens aujourd’hui prête à assassiner quiconque viendrait m’annoncer qu’un autre quoi-que-ce-soit est possible ou que je-ne-sais-quoi n’est pas une marchandise. Elle se berce ainsi d’une autosatisfaction un peu courte, et oublie que la qualité et la force du langage sont intimement liées à celles de la pensée. Annie Le Brun écrivait dans Du trop de réalité que la richesse de la langue apporte à la pensée « le surcroît d’énergie qui permet à celle-ci de s’aventurer au-delà d’elle-même ».

Mais la pensée de gauche a-t-elle envie de « s’aventurer au-delà d’elle-même » ? La question mérite d’être posée. Là encore, elle est hantée par le danger de la trahison. Elle se méfie : les audaces de pensée lui semblent n’être que des prétextes servant à justifier dérives et ralliements à l’ennemi. Et il est indéniable que c’est bien ce qu’elles peuvent être parfois. La surenchère dans la radicalité, déterminante dans la distribution de l’autorité morale, et qui n’est le plus souvent qu’une manière déguisée de jouer à celui qui pisse le plus loin, décourage encore les éventuels candidats à l’aventure intellectuelle. Du coup, la gauche se vit comme un camp retranché : tenter la moindre sortie serait courir le risque de se retrouver en terrain ennemi. Le problème, c’est que, du coup, les provisions s’amenuisent, et seront bientôt épuisées (à ce sujet, voir notamment sur ce site les réflexions de Starhawk et d’Isabelle Stengers).


« Les mots-clés
doivent être “et/et”,
et non “ou/ou” »


Dans un essai consacré au politiquement correct, publié en 1993 et traduit en français sous le titre La Culture gnangnan (Arléa, 1994), le critique d’art du Time Robert Hughes mettait en garde la gauche, dans son propre intérêt, contre la seule attention qu’elle daigne apporter à la langue et à la culture : une attention plus défensive et névrotique que créative, qui consiste seulement à expurger la langue et le patrimoine culturel de leurs éléments jugés potentiellement offensants. S’agaçant d’entendre parler de certains écrivains comme de « Blancs morts », il s’insurgeait contre la tendance réductrice à juger les œuvres uniquement en fonction de leur « capacité à œuvrer en fonction de la conscience sociale », et dénonçait l’illusion selon laquelle « les œuvres d’art portent un message social comme les camions transportent du charbon ». Il rappelait qu’Edward Saïd, l’un des intellectuels qui ont le plus fait pour mettre au jour les valeurs, les inscriptions sociales ou les préjugés décelables dans l’art - notamment dans Culture et impérialisme -, s’est lui-même toujours désolidarisé de cette logique. Il ne s’agit pas de censurer ou de remplacer un corpus par un autre, affirmait-il, mais de mettre d’autres choses en circulation, de créer des points de comparaison, d’encourager autant l’ouverture d’esprit que l’acuité critique : « Les mots-clés doivent être “et/et”, et non “ou/ou”. » Plutôt que de chercher à se protéger de la culture classique ou de la culture de masse - une entreprise improbable, de toute façon, du moins dans la mesure où on ne vit pas en ermite au fond des bois -, instaurer une dialectique entre elles et des œuvres minoritaires capables d’éclairer et de contester certaines de leurs valeurs.

De toute façon, c’est parfois quand elle croit être le plus éloignée du modèle dominant que la gauche s’en rapproche le plus. Elle n’a pas renoncé, par exemple, à sacraliser certains personnages, ou certains pays ou territoires, en raison de leur combativité anti-impérialiste ou de leur capacité à incarner ou à mettre en œuvre des alternatives. Cette sacralisation va au-delà de l’intérêt légitime ou de la simple admiration : elle porte l’espoir fou d’une possibilité de s’affranchir de la pesanteur et de la médiocrité humaines. Les lieux et les personnalités qu’elle concerne sont sanctifiés, perçus comme exempts de toute négativité ou imperfection. Elle rappelle ce militant communiste qui, revenant sur son parcours, racontait dans un documentaire qu’à l’époque, il était persuadé qu’après la révolution, il n’y aurait plus de chagrins d’amour. Ces fantasmes absolutistes, comme l’admiration portée autrefois à l’URSS de Staline ou à la Chine de Mao, peuvent amener à cautionner ou à couvrir malgré soi les pires crimes, plutôt que de devoir renoncer à une illusion bienfaisante. Ils interdisent aussi de faire la part des choses quand il y aurait lieu de la faire : Miguel Benasayag racontait un jour le trouble et la consternation qu’avait semés, dans une communauté autogérée d’Amérique latine, la découverte de la pédophilie de l’un de ses membres. Les uns tentaient désespérément de nier les faits pour sauver le rêve, tandis que, pour d’autres, cette révélation jetait un discrédit brutal sur l’ensemble de l’expérience. Benasayag faisait valoir à raison qu’il aurait pourtant fallu pouvoir inventer une troisième manière de réagir.


Peut-être serait-il temps de se demander
s’il ne peut pas exister quelque chose
entre le puritanisme sinistre
de la gauche authentique
et les orgies cyniques de la gauche caviar

 

Mais cette idéalisation, si typiquement de gauche qu’elle semble être, a aussi des affinités avec les formes de rêve suscitées par le modèle capitaliste : elle rejoint la logique du people, dans la mesure où celui-ci détourne le rêveur de ce qu’il est, du lieu où il vit, des gens qui l’entourent, pour le persuader qu’ils ne valent rien, et qu’ailleurs, quelque part, il existe des lieux ou des personnes qui sont, eux aussi, « affranchis de la pesanteur et de la médiocrité humaines ». Le confort matériel dans lequel évoluent les stars suscite l’envie en tant que tel, certes, mais peut-être surtout parce qu’on lui attribue inconsciemment le pouvoir de provoquer cette sorte de délivrance, de plénitude mentale - de même que la conformité parfois caricaturale des célébrités aux canons de la beauté est automatiquement synonyme, dans l’esprit du public, de volupté sans limites et d’amour sans nuages. Il ne s’agit pas seulement d’envier ceux qui semblent mener une vie plus gratifiante, plus intéressante ou plus excitante que la vôtre - ce qui, après tout, est compréhensible, même s’il faut aussi se méfier des illusions qui entrent dans ce genre de perception : il s’agit d’entretenir la croyance qu’il existe quelque part une sorte d’Olympe dont les habitants ne sont pas faits de la même substance que les humains ordinaires. A cet égard, l’Olympe de gauche, même s’il n’est pas peuplé des mêmes figures, ne se distingue pas fondamentalement de l’Olympe de droite : il produit les mêmes sentiments d’inanité et d’inadéquation, la même dégradation des réalités particulières. Il pourrait être intéressant de chercher à identifier comme telles - car cela existe, bien sûr - des formes de rêve qui soient réellement différentes, c’est-à-dire qui enrichissent la réalité au lieu de la rabaisser.

Enfin, une autre faiblesse constitutive de l’imaginaire de la gauche provient de sa fidélité au modèle messianique. Il ne peut fonctionner sans la référence incantatoire à un horizon révolutionnaire, à un grand soir, même s’il ne l’appelle pas forcément comme ça. Comme son homologue religieux, il invite ceux qui y adhèrent à se détourner des séductions de ce bas monde corrompu - par le péché pour le christianisme, par le capitalisme pour la gauche -, et à mener une vie d’ascèse et de sacrifices en attendant la rédemption collective. S’y ajoute la logique militaire qui affleure dans le militantisme, et qui, ne voulant voir qu’une seule tête, renvoie toute préoccupation personnelle à un individualisme condamnable. Cette logique affaiblit considérablement la gauche : une révolution n’est jamais exclue, mais elle reste une hypothèse un peu fragile pour qu’on fasse reposer toute la conduite de son existence sur elle. Elle produit avant tout des déceptions et du découragement en rafales. Il doit y avoir un moyen de concilier la recherche d’un but supérieur, la quête de justice ou d’idéal, avec la qualité de l’ici et du maintenant, avec un quotidien qui garde une place pour le plaisir. Peut-être serait-il temps de se demander s’il ne peut pas exister quelque chose entre le puritanisme sinistre de la gauche authentique et les orgies cyniques de la gauche caviar. Et pas le sempiternel hédonisme libertaire et machiste à base de gros rouge et de petites pépées purement décoratives et plus ou moins vénales, s’il vous plaît, culture dans laquelle, bizarrement, je ne me sens pas vraiment de place.


Si la gauche ne sait pas
imbriquer les aspirations personnelles
avec le collectif, si elle persiste à les criminaliser,
il est inévitable qu’elle jette ses ouailles
dans les bras de la droite


Certes, la volonté de distinction et de singularisation est précisément ce sur quoi prospère, en la manipulant et en la fourvoyant, la société de consommation, mais ça ne veut pas dire pour autant qu’il ne s’agit pas d’une quête humaine légitime. C’est peut-être aussi ce désir de ne pas consumer sa vie en vain qui explique la prospérité de la success story  : si la gauche ne sait pas ménager un espace aux aspirations personnelles, les imbriquer avec le collectif, si elle persiste à les criminaliser, il est inévitable qu’elle jette ses ouailles dans les bras de la droite, et les pousse à balancer aux orties tout souci du collectif pour saisir la seule chose qui leur semble un peu tangible et stimulante : la réussite personnelle. Bien sûr, les chances d’y parvenir restent des plus aléatoires, mais au moins elles concernent encore cette vie-ci, et n’impliquent d’attendre ni la résurrection ni la révolution.

Ce qu’il y a de génial, avec la success story, c’est qu’elle est immunisée contre la critique. Si vous ricanez des espoirs qu’elle fait naître, vous ne faites que jouer l’un des rôles que sa structure narrative exige : celui du pisse-froid qui rendra le triomphe final encore plus délectable, parce qu’on pourra alors le narguer, savourer son dépit et sa déconfiture, et se sentir d’autant plus de mérite qu’on aura toujours « gardé la foi » et résisté au découragement qu’il essayait fourbement de nous communiquer. On ne peut pas tourner en dérision la success story sans insulter en même temps ce qu’on n’a en aucun cas le droit d’insulter : l’espoir qu’a chacun de faire quelque chose de sa vie. Ce que l’on peut interroger et contester, en revanche, c’est le contenu que le modèle dominant donne à ce quelque chose.

Cette « valeur travail »
qui a hanté la campagne présidentielle
ne produit pas seulement des richesses,
mais aussi des quantités
inépuisables de ressentiment


On peut par exemple se demander si la forme de réussite tapageuse promue par le capitalisme à travers la vitrine du showbiz exercerait la même séduction si elle ne s’appuyait pas sur le désir violent, quoique plus ou moins conscient, de réparer un dommage. Ce dommage, c’est celui causé par la place du travail dans la vie de la plupart des gens. Il est assez frappant de voir que ceux qui, pour des raisons diverses, échappent à cette condition commune, et gardent la libre disposition d’eux-mêmes, partagent rarement les fantasmes majoritaires. Quand elle leur fait défaut, ils ne cracheraient évidemment pas sur un minimum de sécurité matérielle, mais la fortune d’un Johnny ou d’un Jean Reno les laisse de marbre, voire leur inspire une certaine pitié. Ils n’ont rien à compenser, n’aspirent à être dédommagés de rien. Ils sont ailleurs, avec d’autres idéaux, d’autres occupations et préoccupations. Ce qui les distingue, c’est qu’ils acceptent d’assumer la charge d’eux-mêmes, la quête d’un sens à leur vie, qui font si peur à leurs contemporains. Le travail a ceci de diabolique qu’il génère des souffrances, des frustrations, de la rancœur, mais qu’il offre aussi l’occasion d’une fuite, d’une déresponsabilisation. La droite a tout intérêt à encourager cette fuite, à dissuader les gens de se poser la moindre question sur le sens, tant individuel que collectif, de ce qu’ils font : elle sait que cette fameuse « valeur travail » qui a hanté la campagne présidentielle ne produit pas seulement des richesses ; elle produit aussi des quantités inépuisables de ressentiment, qui, habilement canalisées, dirigées contre les chômeurs, les immigrés, les intellos, peuvent lui assurer une suprématie électorale durable.

On voit vraiment mal, en revanche, pourquoi la gauche devrait continuer à cautionner cette mascarade, et se contenter d’aborder le travail sous l’angle de la lutte contre la précarité, comme le fait la « gauche de gauche » - on ne parle même pas du pathétique alignement de Ségolène Royal sur la glorification droitière du travail pour le travail. Elle aurait tout intérêt à initier la révolution culturelle que représenterait la remise en cause du travail sous ses formes actuelles, à être la force politique qui mettrait enfin les pieds dans le plat. Certes, cela impliquerait un courage et une prise de risque considérables. Mais soyons optimistes : au train où vont les choses, elle n’aura bientôt plus rien à perdre.

Mona Chollet
Merci à Thomas Lemahieu,
Fred Levan et Olivier Pironet.

(1) Un mythe repris par l’UMP lors de la campagne présidentielle, lorsque ses porte-parole déclaraient qu’il ne fallait pas «  partager le gâteau », mais «  augmenter la taille du gâteau ». Dans l’esprit des libéraux, le « gâteau » est visiblement celui de Woody et les robots, dont la pâte, fabriquée avec trop de poudre instantanée, finit par envahir toute la cuisine en glougloutant.

(2) Il suffit pour s’en persuader de faire un petit tour sur le site de Philippe Warrin, le photographe choisi pour réaliser le portrait officiel du nouveau président : lire à ce sujet, sur La Boîte à images, « Autopsie d’une photo ratée ».

(3) Dans son livre, Didier Eribon s’indigne de la bassesse des attaques qui ont visé Pierre Bourdieu en raison de son engagement social, et relève qu’elles ont même concerné « sa façon de s’habiller ».

(4) Cette attention portée à la forme, très inhabituelle à gauche, explique notre enthousiasme en visitant l’atelier de Ne pas plier, il y a quelques années. Rappelons que l’association définit sa raison d’être par le vœu qu’«  aux signes de la misère ne vienne pas s’ajouter la misère des signes ». Dans leur dernier envoi, on peut lire : « Ne plus seulement être des résistants à tout et rien que cela... Parce qu’à force on oublie peu à peu de quoi on est partisan. Reformuler notre idéologie et partager nos rêves. Rendre visibles nos projets. POUR UN NOUVEL IMAGINAIRE POLITIQUE ! »

Sur le(s) même(s) sujet(s) dans Périphéries :
Altermondialisme
Nihilisme
Utopie

 

Un livre prolongeant cet article, intitulé Rêves de droite - Défaire l’imaginaire  sarkozyste, est disponible depuis le 6 mars 2008 aux éditions La Découverte, dans la collection « Zones ».

Source : Périphéries - Triomphe de l'imaginaire de droite, faiblesse de l'imaginaire de gauche


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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 11:52

 

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Philippe Pignarre et Isabelle Stengers

« Un système sorcier sans sorciers », c’est ainsi que Philippe Pignarre et Isabelle Stengers définissent le capitalisme contemporain, qui opère en nous frappant de paralysie et d’impuissance, en nous forçant à la résignation. Le discours de tous les dirigeants politiques depuis vingt ans peut se résumer par : « Je vais vous expliquer les contraintes inexorables auxquelles notre action est soumise ». Pour s’arracher au sortilège, on est obligé, affirment les auteurs, « de penser, pas de dénoncer » ; de se réapproprier les problèmes que les experts voudraient confisquer, de trouver le moyen de les formuler autrement. Mais il faut surtout « apprendre à se protéger » : héritiers d’une culture qui a balayé les formes de savoirs précapitalistes, nous sommes des ensorcelés qui ne croient pas à la sorcellerie, et c’est peut-être ce qui nous y rend particulièrement vulnérables... S’inspirant de l’Américaine Starhawk, et de ses sorcières néopaïennes et altermondialistes, Pignarre et Stengers invitent à penser et à agir « à partir de ce qui nous attache », à réactiver ce qui fait notre force, et qui crée, entre les millions de « petites mains » du capitalisme et ceux qui le refusent, « une différence de nature, bien plus qu’une opposition ».

 

 


« Nous sommes sur un terrain qui n’a pas été cartographié,
nous créons une politique qui n’a pas encore été définie.
Et pour ce faire, il serait peut-être temps de laisser Martin et Malcolm
débattre ensemble autour de la table du dîner,
en compagnie d’Emma, de Karl, de Léon et tous les autres,
et de sortir dans l’air frais de la nuit. »
Starhawk, Parcours d’une altermondialiste

« Ça fait du bien devoir que la pensée peut aussi avoir des bras, et qu’il suffit souvent de retrousser ses manches », écrivait récemment une lectrice de Périphéries dans un très beau message. Cette « pensée qui retrousse ses manches », on a eu l’impression de la retrouver à l’œuvre dans La sorcellerie capitaliste - Pratiques de désenvoûtement, le livre de Philippe Pignarre et Isabelle Stengers. Un livre « d’intervention », selon ses auteurs, mais en même temps déconnecté de l’actualité immédiate, et cherchant plutôt, à travers mille précautions, précisions, louvoiements, ajustements, réhabilitations et revendications de notions et de mots ambigus ou discrédités, à délivrer des carcans et des réflexes empoisonnés qui pourraient l’étouffer la fragile contre-offensive politique apparue au cours de ces dernières années, après la période de K.-O. total qui a suivi la chute du Mur de Berlin. « Nous avons ressenti le besoin de fabriquer ce qui constitue une véritable épreuve pour nos habitudes de pensée », écrivent-ils.

Parce qu’il n’était pas question de se poser en intellectuels prophétiques et omniscients, parlant de nulle part et visant à « coiffer » le mouvement d’une théorie universelle qui pourrait lui servir de Bible, ils disent avoir longtemps cherché comment définir leur propre position : « Tout s’est débloqué quand on a tenu l’image des jeteurs de sonde », se souvient Philippe Pignarre. « Jeteurs de sonde », c’est la définition qui leur a paru convenir le mieux au rôle qu’ils pouvaient jouer : « Les jeteurs de sonde ont beau se tenir à l’avant d’une barque, ils ne regardent pas au loin, écrivent-ils. Ils ne peuvent pas dire les buts, ni surtout les choisir. Leur souci, leur responsabilité, ce pour quoi ils sont outillés, ce sont les rapides où l’on se fracasse, les écueils où l’on bute, les bancs de sable où l’on s’enlise. Leur savoir provient de l’expérience d’un passé qui dit les dangers des rivières, de leurs allures trompeuses, de leurs invites piégées. La question de l’urgence se pose au jeteur de sonde comme à n’importe qui, mais sa question propre est, doit être, “peut-on, ici, passer, et comment”. »

 


« Un autre monde a appris  à se sentir lui-même, même s’il ne sait pas très bien comment bouger »

Qui sont-ils, pour commencer ? Directeur des éditions Les Empêcheurs de penser en rond, ex-militant trotskiste, Philippe Pignarre est un ancien cadre de l’industrie pharmaceutique, dont il est devenu un redoutable contempteur, signant des livres comme Le grand secret de l’industrie pharmaceutique, Comment la dépression est devenue une épidémie ou encore Comment sauver (vraiment) la Sécurité sociale (tous aux éditions La Découverte). Chimiste ayant bifurqué vers la philosophie des sciences, auteur de La Nouvelle alliance, en 1979, avec le Prix Nobel de chimie Ilya Prigogine, ou encore de L’invention des sciences modernes ou de Cosmopolitiques, la Belge Isabelle Stengers s’est toujours intéressée aux savoirs minoritaires et dominés : elle a travaillé sur l’hypnose, sur l’usage des drogues, sur la sorcellerie... Elle a aussi une activité militante, que ce soit au sein du Collectif sans ticket de Bruxelles ou des groupes anti-OGM : en novembre 2003, elle est passée devant le tribunal correctionnel de Namur pour le piétinement d’un champ de Monsanto. Tous deux proches de l’ethnopsychiatre Tobie Nathan et du sociologue des sciences Bruno Latour, ils partagent une même recherche de pratiques et de savoirs qui n’aboutissent pas à « écraser » ou à disqualifier les autres - que ce soit dans les relations interculturelles ou au sein d’un même mouvement politique.

 

 

Le moment-clé, celui où un refus puissamment exprimé est venu contester les politiques de libéralisation débridée, « où une génération a appris à passer au travers de la loi du silence imposée, où un autre monde a appris à se sentir lui-même, même s’il ne sait pas très bien comment bouger », ils le voient émerger à Seattle, avec l’échec des négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sous la pression de la rue, en 1999 - tout en sachant que ce choix comporte une part d’arbitraire, et que d’autres pourraient citer janvier 1994 au Chiapas, ou Décembre 1995 en France. Même s’il ne date pas de Seattle, leur intérêt pour les groupes d’activistes nord-américains comme les sorcières néopaïennes emmenées par Starhawk, dont ils sont les éditeurs en France, n’y est sans doute pas étranger.

« Une “initiation noire”,
l’adhésion à un savoir qui sépare les personnes de ce qu’elles continuent à sentir souvent, et qu’elles renvoient désormais du côté du rêve ou de la sensiblerie »

 

Ils ne croient pas une seconde au « moins d’Etat » qu’est supposé réclamer le capitalisme : pour eux, au contraire, celui-ci a absolument besoin de l’Etat pour mettre en place des batteries de réglementations qui soustrairont un maximum de domaines à l’appropriation de leurs usagers et les feront tomber dans son escarcelle - les brevets en sont le meilleur exemple. La remarque, au passage, affaiblit l’argumentation de ceux qui reprochent aux altermondialistes de s’en prendre à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et présentent celle-ci comme un moindre mal face au risque de voir s’instaurer la loi de la jungle : la loi de la jungle, affirment au contraire Pignarre et Stengers, n’est pas un état « naturel », mais une construction à laquelle s’activent, dans le monde entier, des millions de « petites mains ». Ils citent la façon dont on apprend aux jeunes managers à licencier sans états d’âme dans le film de Jean-Marc Moutout Violence des échanges en milieu tempéré, par exemple, comme un exemple de production de « petites mains ». Les scientifiques, les hommes politiques, les journalistes sont soumis au même traitement : « C’est une “initiation noire”, l’adhésion à un savoir qui sépare les personnes de ce qu’elles continuent à sentir souvent, et qu’elles renvoient désormais du côté du rêve ou de la sensiblerie dont il faut se défendre. »

Devenu une « petite main » au service du système, on renonce à penser, et on revendique fièrement ce renoncement (les autres, les naïfs, ceux qui « en sont encore là », auront droit à des ricanements méprisants), pour se soumettre à la dictature du « il faut bien ». « Ce que l’on faisait faire aux gens au nom du progrès, lorsque ce concept tenait encore la route, on le leur fait désormais accomplir au nom du réalisme », remarque Isabelle Stengers. Puisant dans leur connaissance de l’ethnopsychiatrie, Pignarre et elle décrivent le capitalisme comme un « système sorcier sans sorciers » : un système qui nous frappe de paralysie et d’impuissance en nous confrontant sans cesse à ce qu’ils appellent des « alternatives infernales » - par exemple : si vous voulez maintenir ou renforcer la protection sociale des salariés, vous accélérez les délocalisations et provoquez la hausse du chômage... Philippe Pignarre : « Un dispositif que ses victimes activent malgré elles : c’est cela, la définition d’un système sorcier ! » Le discours des hommes politiques depuis deux bonnes décennies pourrait se résumer à cette phrase, écrivent-ils : « Je vais vous expliquer les contraintes inexorables auxquelles notre action est soumise. » C’est-à-dire que la politique a depuis longtemps cédé la place à la pédagogie - et à une pédagogie mensongère, qui plus est. Le capitalisme peut se définir, selon Pignarre et Stengers, comme « ce qui tue la politique », ce qui confisque un choix après l’autre.

 

Arracher aux experts les questions qui nous concernent pour les remettre en circulation, pour en refaire des questions politiques

Comment résister à la « capture » ? Comment se protéger de l’ensorcellement ? Ils ne croient guère à l’efficacité de la dénonciation incantatoire, ni aux « grosses explications » invitant à abattre le capitalisme pour résoudre la multitude d’injustices qu’il provoque à l’échelle mondiale. Pour eux, il s’agit plutôt de chercher dans chaque cas, dans chaque conflit, quelle est la « prise » la plus efficace, ici et maintenant, en réhabilitant la notion très décriée de « pragmatisme », en développant l’art de « faire attention », de prendre garde aux conséquences de ses actes, de marcher sur des œufs plutôt que de les casser sous prétexte qu’il faut bien en passer par là si on veut faire une omelette. Et cela, même en temps de guerre - « surtout en temps de guerre ».

L’enjeu, à leurs yeux, est de se réapproprier les problèmes, de ne plus subir les termes dans lesquels ils sont posés, mais de parvenir à les formuler autrement - c’est-à-dire à briser les alternatives infernales. Pour cela, on n’a pas d’autre choix que de s’obliger « à penser, pas à dénoncer », et de s’atteler à produire du savoir. Ainsi, par exemple, la lutte contre les organismes génétiquement modifiés, en montrant que ceux-ci n’étaient que de pauvres bricolages hasardeux, et non l’éclatant progrès scientifique pour lequel on tente de les faire passer, a permis de contrer l’alternative infernale « accepter les OGM ou cautionner l’obscurantisme ». Ils suivent avec attention les mouvements qui entrent en force dans tous les lieux interdits, les domaines réservés, et arrachent aux experts les questions qui les intéressent pour les remettre en circulation, pour en refaire des questions politiques. Ce sont évidemment les associations de malades du Sida qui, depuis le procès intenté par l’industrie pharmaceutique à l’Afrique du Sud en 2001 (la plainte fut retirée quelques semaines après l’ouverture du procès), en fournissent l’illustration la plus éclatante : « Ils ont réussi un double processus de création d’expertise et de mise en politique de ce qui les concernait - recherche, mise à disposition des médicaments, droits des malades, rapport au médecin », provoquant ce phénomène inimaginable quelques années auparavant : « l’entrée du médicament en politique ». L’association Oxfam, elle, a aidé les délégués des pays pauvres à affûter leurs arguments lors des réunions de l’OMC, et à mettre en lumière la volonté des pays riches de protéger leur propre agriculture tout en obligeant les plus faibles à l’ouvrir au marché - une insolence qui a largement contribué à gripper les rouages de l’institution. Tous ont réussi à « fabriquer le problème d’une manière qui ne préexistait pas à leurs efforts ».


La Sécurité sociale, une « invention » avant d’être un « acquis »

Mais Philippe Pignarre manifeste aussi un vif enthousiasme pour l’action de l’Association française contre les myopathies (AFM), organisatrice du Téléthon, qui laisse l’entière responsabilité de l’attribution des budgets récoltés, non aux scientifiques, mais aux représentants des familles, et développe une politique de brevets soucieuse d’empêcher l’appropriation de la recherche. La référence ne manque pas de surprendre ni de susciter l’hostilité dans les cercles où il intervient : « L’autre jour, raconte-t-il, j’ai parlé de l’AFM devant des militants de la LCR. A la fin de la réunion, une petite vieille dame est venue me voir et m’a confié : “Je suis très heureuse de ce que vous avez dit. Je viens ici parce que j’aime bien les gauchistes, mais je suis aussi la coordinatrice départementale du Téléthon, et je n’ai jamais osé le leur dire.” Du coup, j’ai engueulé les autres : “Vous vous rendez compte ? Elle est coordinatrice départementale du Téléthon, et elle n’ose même pas vous le dire ! Pourquoi ?!...” » Plus largement, tous deux confessent un intérêt particulier pour les mouvements d’usagers, parce que « les usages fabriquent des attaches », et qu’ils sont persuadés qu’on ne peut lutter qu’à partir de ce qui nous « attache », à partir de notre « milieu » - une notion à laquelle ils tiennent beaucoup.

Ils préfèrent les « usagers » aux « citoyens », ce dernier terme étant trop attaché à leurs yeux à la « fiction étatique ». Sans être hostiles à l’Etat, ils se méfient de la tentation de se reposer sur lui. Ainsi, ils rappellent de façon très intéressante que la Sécurité sociale, aujourd’hui menacée, n’est pas un « acquis », mais une « invention ». Au sortir de la guerre, l’Etat a simplement nationalisé une création du mouvement ouvrier : les mutuelles (la plus célèbre « société de secours mutuel » était celle des tisserands lyonnais, dont Florent Latrive signale également, dans Du bon usage de la piraterie, le système « ouvert » d’amélioration des techniques de tissage). Un mouvement autonome et efficace, un peu comme celui des logiciels libres aujourd’hui, a donc été repris à son compte par l’Etat, ce qui a permis d’universaliser sa portée, mais l’a aussi rendu plus vulnérable, car ceux qui le faisaient vivre s’en sont laissé déposséder. La Sécu « ne pouvait se maintenir et se développer qu’à condition d’être accompagnée, cultivée, rendue capable de bourgeonner en de nouvelles initiatives » ; il aurait fallu « continuer à créer ». Au lieu de ça, il s’est produit une « amnésie des héritiers des inventeurs de la mutuelle ». Si bien qu’aujourd’hui, les citoyens sont invités à descendre dans la rue, « indignés de ce que l’on ose “toucher à la Sécu”, mais n’ayant d’autre force que celle de cette indignation ».

« Certains militants trotskistes, quand ils quittent la LCR au bout de quinze ans, se retrouvent tout nus, sans défense. Ils peuvent virer de bord très facilement, parce que leur lutte anticapitaliste ne leur a rien appris »
Philippe Pignarre

A l’idée de mouvement de masse, ils opposent donc celle d’une multitude de « trajets d’apprentissage » - une définition qui convenait bien à l’expérience vécue par les intermittents d’Ile-de-France, devant qui ils étaient allés exposer leurs idées, en cours d’écriture du livre, au printemps 2004. Chacun de ces trajets nécessite qu’on lui applique une « intelligence locale », mais suscite en même temps une « dynamique de propagation ». Il s’agit de créer les conditions qui permettront à chacun de vivre une situation « sur un mode tel que, si elle se défait, ceux et celles qui auront participé à sa fabrication en sortent plus vivants, ayant appris et capables d’apprendre à d’autres ce qu’ils ont appris, capables de participer à d’autres cercles, à d’autres fabrications ». Ils croient à la transmission, à la « connexion » plutôt qu’à la « mobilisation », belliqueuse, massive, irrespectueuse des particularités. De ces expériences de lutte naissent des « recettes » - ils aiment la modestie de ce mot emprunté aux sorcières néopaïennes - qui, sans jamais avoir valeur de garantie contre tous les périls, pourront être transmises à d’autres, réutilisées et améliorées par eux. « Je suis frappé de voir à quel point certains militants trotskistes, quand ils quittent la LCR au bout de quinze ans, se retrouvent tout nus, sans défense, fait remarquer Philippe Pignarre. Ils peuvent virer de bord très facilement, parce que leur lutte anticapitaliste ne leur a rien appris. Ils ne savent pas se protéger. »

Y aurait-il dans la pensée et les pratiques des sorcières néopaïennes de quoi réconcilier avec le militantisme les plus réticents, les plus sauvages, les plus échaudés ? On ne sait pas trop (et le sonore « qui milite limite » de Jean Sur résonne une fois de plus à nos oreilles). Mais aux yeux de Pignarre et Stengers, en tout cas, les « groupes d’affinités » des sorcières dessinent une forme d’engagement en rupture avec la militance sacrificielle : « On y participe non par devoir, mais parce qu’on a du plaisir à se retrouver », fait valoir Isabelle Stengers ; on y veille à ce qu’aucune personnalité ou opinion ne soit écrasée par les autres. Cela implique un certain nombre de « techniques » visant à empêcher le groupe d’imploser sous la pression des dissensions et des conflits de personnes, par exemple en confiant à l’un de ses membres la tâche d’interpréter l’attitude de chacun en fonction de ce qu’elle dit de la complexité de la situation. On améliore ainsi sa connaissance des forces et des faiblesses du groupe, tout en échappant aux explications psychologisantes. Quant aux grandes confrontations mondiales (Seattle, Québec, Gênes...) auxquelles participent les sorcières, elles s’en servent, non pas pour ressasser des slogans usés, mais, explique Isabelle Stengers, pour « créer un espace où faire exister le monde qu’elles appellent de leurs vœux ». Le livre fait également un sort à la culpabilité dont bien des militants font un usage immodéré : pas question de s’autoflageller sur l’air de « tous coupables, tous complices ». « Nous avons soumis le livre à la critique en cours d’écriture sur le site anticapitalisme.net, raconte Isabelle Stengers, et une lectrice l’a commenté en se lamentant : “Quelle horreur, je suis une “petite main” !” J’ai compris alors que nous avions intérêt à clarifier les choses. La culpabilité et la pensée ne font pas bon ménage. »


Ni triomphalisme, ni défaitisme : défendre « un possible qui ne demande pas à être jugé mais nourri »

Ils ne sous-estiment pas l’importance de toutes les alternatives vivantes, des batailles remarquables d’aujourd’hui permettant à chaque fois la « reconquête d’un degré d’autonomie créatrice dans un domaine particulier » (Félix Guattari), qu’ils suivent avec attention et auxquelles ils prennent parfois part. Mais ils refusent de voir en elles « le signe annonciateur du grand changement » - à cet égard, certaines rodomontades des promoteurs du logiciel libre prophétisant la fin du capitalisme, par exemple, les laissent perplexes. Ni triomphalisme, ni défaitisme : c’est l’un des aspects les plus intéressants du livre. Car Pignarre et Stengers invitent aussi à refuser les discours méprisants - y compris quand ils sont tenus par une petite voix intérieure - dénonçant l’inanité de toute résistance, la torpillant en la passant au crible d’une pseudo-lucidité. Ils se font les défenseurs de « ce qu’il est facile de détruire parce qu’il n’existe qu’à être cultivé, fabulé, célébré » ; d’un possible « qui ne demande pas à être jugé mais nourri ».

Ils développent cette hypothèse : ce qui nous a rendus vulnérables au « système sorcier » du capitalisme, c’est le fait que nous sommes les produits d’une culture ultra-rationaliste qui a éradiqué toutes les vieilles croyances précapitalistes, nous privant ainsi des moyens de nous défendre : nous sommes des ensorcelés qui ne croient pas à la sorcellerie... Ce sont ces forces qu’il s’agit, non pas de « retrouver » dans un retour à un âge d’or illusoire, mais de « réactiver » (voir sur ce site la critique du livre de Starhawk, Femmes, magie et politique). Les sorcières pratiquent une opération qui s’appelle « tracer le cercle » : c’est-à-dire « créer l’espace clos où puissent être convoquées les forces dont elles ont un besoin vital », « apprendre à la fois à fermer et à faire exister à l’intérieur le “cri” d’un monde qui demande que l’on apprenne comment le rejoindre ». C’est ainsi qu’entre l’art des sorcières et les « petites mains » du capitalisme, il y a « une différence de nature bien plus qu’une opposition ».

« Le mot “magie” force à sentir ce qui en nous se cabre, et qui est peut-être précisément ce qui nous rend vulnérables à la capture »

Le mot « magie », écrivent-ils, qui désigne cet ensemble de forces, de ressources, a ceci d’inestimable qu’il nous fait sursauter : « Il force à sentir ce qui en nous se cabre, et qui est peut-être précisément ce qui nous rend vulnérables à la capture. » Leur démarche implique donc une grande part d’humilité, de capacité à remettre en question nos certitudes. Ils épinglent par exemple notre tendance à penser que les autres cultures, certes, c’est formidable, mais que quand il s’agit des choses sérieuses, de la science, de l’explication des phénomènes ou de la nature, c’est bien « notre » culture, et elle seule, qui a raison... En ce qui concerne les victoires dont on peut se targuer en Occident (en matière de libertés individuelles, de droits des femmes...), « il ne s’agit pas de s’abstenir de les revendiquer et d’en être fiers, mais d’être très attentifs à la façon dont nous en parlons aux autres, explique Isabelle Stengers. Il faudrait les laisser libres de puiser des idées dans nos expériences, plutôt que de vouloir les leur imposer telles quelles de manière autoritaire. Ce que nous avons appris aux côtés de Tobie Nathan, c’est que c’est justement quand nous croyons faire preuve de la meilleure volonté du monde que nous sommes le plus redoutables. » Ils mettent aussi en garde contre la tentation, au sein du mouvement altermondialiste, de passer son temps à dire aux autres (aux anarchistes du Black Block, par exemple, dont Starhawk avait pris la défense après Gênes) ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire, à tenter de les convertir à sa propre vision des choses. Cet aspect-là de leur argumentaire appelle pourtant certaines questions : si on s’engage, n’est-ce pas aussi au nom de convictions qu’il est normal de vouloir défendre ? Ne risque-t-on pas ainsi de tuer le débat d’idées ? Ne peut-on pas s’exprimer sans avoir pour autant la volonté de « convertir » qui que ce soit ? Et pourquoi, par exemple, les autres manifestants s’abstiendraient-ils de commenter les actions du Black Block, sachant qu’ils sont embarqués avec eux et subissent les conséquences directes de ces actions ?...

Reste un livre atypique et stimulant, qui, sans renier l’héritage des luttes passées, desserre un peu l’étau de routine usée dont restent trop souvent prisonniers ceux qui ne se satisfont pas de l’état du monde. Et fournit de précieux concepts-outils à tous ceux qui cherchent comment « habiter à nouveau les zones d’expérience dévastées ».

Mona Chollet
Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La sorcellerie capitaliste - Pratiques de désenvoûtement, La Découverte, 230 pages.
Sur le(s) même(s) sujet(s) dans Périphéries :
Altermondialisme
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30 août 2011 2 30 /08 /août /2011 20:12

 

Les néo-ruraux de Mesnil-l'Eglise

Histoire d'une victoire populaire contre l'installation d'une décharge nucléaire

Les membres de la communauté de Mesnil-l'Eglise n'affichent aucune idéologie collective, ne poursuivent aucune utopie sociale, et se préservent pour le reste de toute mise en boîte hâtive. Difficile, dans cette situation, de dire de quoi est faite la collectivité. Seule excentricité sémantique tolérée, l'appellation "néo-rural". Néo, parce qu'elle ne se penche sur aucun modèle préexistant. Rural, parce que ses membres ont choisi la campagne, et que la cité, polluée et policée à outrance, leur est devenue insupportable.

 

Lire la suite : Les néo-ruraux de Mesnil-l'Eglise

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29 août 2011 1 29 /08 /août /2011 14:52

 

 

À nous toutes et tous qui vivons dans cette ville !
Nous sommes l’Assemblée des Mal-logé.e.s, de Genève et de partout ailleurs. Nous nous sommes constitués en octobre 2007 pour reprendre la parole sur nos vies et l’initiative sur nos quartiers et nos villes. Nous voulons une cité où il fait bon vivre, où des logements beaux et bon marché aient la priorité et non pas tout ce qui rapporte un maximum d’argent.
La crise du logement est permanente et touche (presque…) tout le monde. Elle explose, non seulement parce qu’il n’y a pas assez de logements disponibles, mais aussi parce que les logements sont beaucoup trop chers tout en étant souvent non adaptés aux besoins des gens. Avec le capitalisme, le sol est devenu une marchandise et les prix des terrains décuplent dès lors qu’ils sont « à bâtir » et plus ils sont situés près des centres urbains. Cette absurdité est la source principale de la spéculation immobilière qui se répercute sur les loyers et le type d’affectation des surfaces construites : immeubles résidentiels, commerces de luxe, banques en lieu et place de logements spacieux à loyer abordable, de petits commerces et ateliers d’art et d’artisanat, d’équipements collectifs.
Nous avons compris que la ville ne sera vraiment la nôtre que si nous devenons ensemble une force capable de résister aux « maîtres de l’immobilier » qui font main basse sur notre ville et cherchent à modifier à leur avantage, avec l’aide de leurs alliés politiques, les quelques lois en faveur des habitants ! Nous avons compris que nous ne pouvons pas résister individuellement aux loyers qui sont tous abusifs, ni à l’expulsion des habitants hors du centre ville parce ceux-ci ne sont pas assez taillables et corvéables à merci ! Avouons que nous nous laissons mener par le bout du nez et que cela ne changera pas tant que nous ne nous serons pas décidés à nous parler de cette situation et, par la solidarité, à montrer notre capacité de nous opposer à ceux qui s’imaginent pouvoir nous manipuler jusqu’à la fin des temps ! Nous voulons apprendre à résister ensemble, apprendre à nous connaître les uns les autres, dans de beaux événements, où nous affirmons ensemble ce que nous voulons vivre, ici même et pas seulement pour après-demain !
Pourquoi la terre sur laquelle nous vivons devrait-elle être la propriété privée des riches ? D’où tirent-ils leurs fortunes ? Pourquoi leurs énormes revenus ? Et pourquoi auraient-ils le droit de tirer un bénéfice sur nos loyers ? Nous avons calculé que bien moins de la moitié de nos loyers sert à payer les frais de construction, de réparation et de conciergerie. Le reste n’est rien d’autre qu’un impôt privé que nous payons à des gens qui ont déjà bien trop d’argent et dont le but est d’en avoir plus, toujours plus. Leur revenu n’est justifié par aucun travail, mais sournoisement pompé sur nos salaires. C’est vrai ou ce n’est pas vrai ? Il faut oser l’affirmer clairement.
Loyers trop chers, logements non adéquats, distance de plus en plus grande entre habitat et lieux de travail, éclatement du lien social et isolement croissant, mais aussi confiscation de l’espace public par le « tout marchandise » et le « tout bagnole » et pollution du paysage urbain par la pub affligeante qui abîme nos désirs, voilà ce que l’Assemblée des Mal-logé.e.s conteste radicalement, aux côtés d’autres collectifs et associations. Ce que nous voulons ? Nous réapproprier nos vies et nos villes, rétablir le sol comme un bien commun, car le logement n’a pas à être une marchandise, pas plus que l’air, l’eau, la terre ! Nous voulons retrouver le plaisir du vivre ensemble ! Si nous prenons ensemble nos affaires en main, nous aurons bien plus de plaisir à vivre dans ce quartier, cette ville, à nous regarder les un.e.s les autres avec fierté en commençant par dire « bonjour » le matin aux gens que nous ne connaissons pas !
« Que toute chose au monde revienne à ceux qui en prennent soin ! » Berthold Brecht

 

Source : Nous réapproprier nos vies et nos villes ! - Assemblée des Mal Logés - Réaménagement urbain

Brochure "droit au logement" de l'ONU : Le Droit au logement - Assemblée des Mal Logés -Réaménagement urbain

brochure_droit_au_logement.pdf (Objet application/pdf)

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"Le vieux fascisme si actuel et puissant qu’il soit dans beaucoup de pays, n’est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d’autres fascismes. Tout un néo-fascisme s’installe par rapport auquel l’ancien fascisme fait figure de folklore […].

Au lieu d’être une politique et une économie de guerre, le néo-fascisme est une entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d’une « paix » non moins terrible, avec organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes les petites angoisses qui font de nous autant de microfascistes, chargés d’étouffer chaque chose, chaque visage, chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle de cinéma."

 

Gilles Deleuze, février 1977.

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