15 novembre 2013 5 15 /11 /novembre /2013 14:04

 

 

Comment ne pas s’inquiéter de vivre dans un monde, à une époque qui voit des humains devenir des proies pour d’autres qui les assassinent pour prélever leurs organes ?[i]

 

En octobre de cette année, la Rapporteuse Spéciale pour les Nations-Unies, Joy Ngozi Ezeilo, dénonce un phénomène mondial en augmentation, provoqué par la croissance de la demande.

El pasado 25 de octubre, la relatora especial de Naciones Unidas (ONU) para el tráfico de personas, Joy Ngozi Ezeilo, indicó hoy que este fenómeno crece en el mundo debido, en parte, a que va en aumento la demanda de órganos para trasplantes. 

“La raíz del tráfico de personas para extraerles los órganos es una aguda escasez de órganos para trasplantes en todo el mundo, y un desajuste entre la creciente demanda para órganos de trasplante y los límites estrictos fijados en la oferta disponible”.

“La racine du trafic de personnes afin de leurs extraire leurs organes est le manque aigu d’organes à transplanter dans le monde entier et une inadéquation entre la demande croissante d’organes pour transplantation et les strictes limites fixées par l’offre disponible »

México: Solalinde denuncia hallazgo “escandaloso” de cuerpos de migrantes sin órganos 

Comme le dirait ce vieux Larry (Summer)[ii], cette phrase me semble irréprochable en tant qu’énoncé de toute bonne logique économique (de Marché). Elle est aussi une excellente occasion de nous interroger sur les liens (in)existants entre d’une part cette logique qui préside à la globalisation du monde, référant ultime des décisions qui président à son imposition et l’éthique.

Autrement dit, sommes-nous prêt à accepter

Un monde fondé sur une logique qui implique que les misérables improductifs soient sacrifiés pour fournir des organes à d’autres qui sont considérés comme ayant une valeur raciale et sociale supérieure ?

Une question qui s’adresse à chacun d’entre nous. Si pour vous cela est « normal », vous pouvez arrêter là votre lecture. 

 

Il y a une trentaine d’année, avait éclaté le scandale des prélèvements sanguins en Haïti. Les Haïtiens dans la misère étaient incités à vendre, tout à fait officiellement, leur sang, qui ensuite était envoyé aux Etats-Unis. Comme la misère régnait déjà en Haïti et qu’aucune limite n’était mise au nombre de transfusion et à la quantité de sang prélevé à une même personne, beaucoup en mourraient. J’étais à l’époque liées à de nombreux membres de la diaspora haïtienne qui ont fait éclater le scandale, ce qui a permis sinon d’éradiquer, au moins de limiter le phénomène, en le renvoyant dans la clandestinité.

Aujourd’hui, c’est le prélèvement d’organes qui est à « l’honneur », et qui nous parle d’un monde inacceptable qui est pourtant le nôtre. Que nous en soyons arrivés au point où ceux qui ont le pognon se payent sans se poser trop de question les organes de misérables tués à cet effet, qu’un trafic à l’échelle de la planète soit organisé pour « pourvoir à la demande », devrait nous interpeller et nous faire réagir. D’autant plus que nous savons très bien qu’aucune des formes de criminalité à échelle mondiale – trafic d’humains, d’armes, de drogues – ne pourrait se produire sans la complicité de politiciens de haut niveau et du secteur financier.

Il y a aujourd’hui une sorte d’effet pervers de la normalité, comme quand à la fin de son récit Maria José[iii] dit que ces cauchemars et ces insomnies, finalement c’est normal, puisque la plupart des immigrants sans papier en souffrent. Normal est pris dans le sens d’acceptable puisque un grand nombre sont concernés. « Avoir des cauchemars après avoir traversé l’horreur, mais c’est normal ma p’tit dame, pas de quoi en faire un foin Tous les migrants vivent cela ». Banalisation et normalisation nous font à présent accepter l’inacceptable. J’ai remarqué cela en de multiples occasions. Il est devenu tout aussi anodin de dire, c’est normal, cela arrive tous les jours comme si la multiplication des faits les plus abominables, rendaient anodine, recevable, acceptable pour la conscience normale du citoyen lambda, une banalisation de l’horreur au quotidien.

En ce qui concerne les « corps sans organes », cela fait  15 ans ?, 20 ans ? que je tombe régulièrement sur des récits concernant une région du monde, un réseau spécifique. On a parlé du Kosovo, aujourd’hui, il est régulièrement rapporté que des Palestiniens comptent parmi les victimes,… des enlèvements d’enfants à des fins de trafics d’organes apparaissent aussi sporadiquement parmi les « faits divers »… les cas sont nombreux qui nous arrivent aux oreilles et certainement bien plus encore sont ceux qui restent occultés au fond de charniers qui ne seront jamais découverts. Il semble bien qu’aux trafics d’armes, de drogues et autres trafics internationaux lucratifs et létaux sévissant sur la scène internationale, ce soit adjoint traversant la planète les réseaux des assassins « voleurs d’organes ».

La déclaration de la rapporteuse de l’ONU, marque le franchissement d’un seuil. D’une somme de trafics locaux, isolés, nous passons à un état du monde, de notre monde. Si le père Solalinde fait remarquer que les prélèvements et mise en conservation ne peuvent se faire sans la complicité du corps médical pour les prélèvements, ajoutons qu’à l’autre bout de la chaîne la transplantation implique aussi des membres du corps médical et des receveurs, complices volontaires ou implicites d’assassinats sélectifs.

Des personnes, dont nous ignorons le nombre à l’échelle de la planète, deviennent les proies de criminels. Pour qu’un organe soit transplantable, il importe qu’il soit prélevé et conservé immédiatement dans des conditions spécifiques qui impliquent l’intervention de spécialistes dans des laboratoires prévus à cet effet. La victime doit donc être tuée soit à proximité de ces laboratoires, soit sur les lieux mêmes, c’est pourquoi la phrase de Maria Jose fait écho « […] les hôpitaux ce qu’ils font quand arrive un migrant, ils le tuent et ils vont l’enterrer comme x ou y dans les fosses pour ne pas subir d’enquête d’aucune sorte » Le personnel de ces hopitaux va-t-il jeter dans les fosses des corps avec ou sans organes. Compte tenu des circonstances la question est légitime, et rend les choses encore plus terribles. Des personnes qui ont déjà subi l’intolérable, allant chercher le secours de professionnels de la santé, rencontrent le pire, sont assassinées et probablement dépecées.

Les organes ainsi prélevés, sont mis en conservation, d’une durée maximale de 48 heures en ce qui concerne les organes vitaux[iv], puis transporté et enfin ils arrivent à destination. Il apparaît clairement que le faible laps de temps entre le prélèvement et la transplantation implique pour un bon fonctionnement de la chaîne que des équipes de chasseurs et de préleveurs soient en permanence prêtes à agir disposant de proies potentielles en nombre suffisant pour réagir immédiatement à la demande, ainsi que d’équipes de transport disponibles en permanence. Autrement dit-il est nécessaire pour que le trafic soit efficace que des structures très organisées soient mises en place et maintenues en fonction.

Pour qu’un tel niveau d’organisation puisse se maintenir, il est également indispensable que des autorités corrompues ou effrayées, détournent le regard, et que les medias se taisent. Nous avons donc une double complicité, si l’une est active, l’autre est celle de l’Omerta, d’une loi de silence. Nous savons que les journalistes trop curieux sont aujourd’hui les cibles privilégiées d’assassinats sélectifs. Ilka Oliva Corado, la journaliste guatémaltèque qui a recueilli les propos de Maria José, réfugiée elle-même aux USA à cause du danger qu’elle courrait dans son pays, reçoit à Chicago où elle habite à présent de nouvelles menaces. Le journalisme d’investigation est un métier en voie de disparition, certains y renoncent dans un acte d’autocensure pour se préserver des risques qu’il implique et parmi ceux qui ont le courage de le pratiquer, nombreux sont ceux qui se font assassiner. Il est donc aussi de toute bonne logique que le scribouilleur local d’une région soumise par la terreur au crime organisé n’ait pas le courage de dénoncer les exactions commises parce dernier quand bien même il en aurait connaissance.

Jusqu’ici nous avons donc mis en cause, le prédateur, celui qui repère et fournit la proie, vivante ou morte, à un personnel médical complice, s’y adjoignent l’indifférence des autorités et le silence des medias.

[…]les femmes du village nous ont aidés parce que, dirent-elles, les autorités ne se mêlent pas de ça

[…]les nouvelles n’en dirent rien, aucune autorité ne se mêle de rien

Extrait du récit de Maria Josè.

Vient ensuite le transporteur. Une figure classique qui transporte sans poser de questions, drogues, armes et organes  pour le prix convenu. Les destinations principales des organes étant l’Europe et les Etats-Unis.

Vient ensuite l’étape de la transplantation, l’équipe médicale et le receveur de l’organe, connaissant ou non son origine. Il semble difficile de croire que tous ceux qui « passent commande » et que tous ceux qui veulent un organe de remplacement « à n’importe quel prix » pour eux ou un de leurs proches, soient totalement ignorant de la manière dont ces organes sont fournis.

Nous avons vu que l’ensemble demande un fort degré d’organisation, une logistique sophistiquée et un grand nombre de personnes qui à des titres divers acceptent de se taire voir de faciliter le trafic. Il y a également les organisateurs et principaux bénéficiaires de ce marché lucratif. Un secteur du crime organisé transnational dont une des spécialités est l’organisation du trafic d’organes et comme toujours quand un trafic atteint une telle ampleur pour être pérenne il requiert des complicités à haut niveau, l’implication de personnalités politiques, d’administratifs et des banques.

Un dernier acteur de ce sordide scénario est la communauté internationale qui, souvent prétextant la bonne conscience de l’impuissance, préfère ne pas savoir.

Bref ce que nous acceptons ici dans un silence complice est que les assassinats de nombreuses personnes considérées comme sans valeur et sans importance, se justifient en tant qu’ils permettent à d’autres, relativement d’une plus grande valeur de vivre ou de vivre en meilleure santé. Autrement dit que cet état de chose soit devenu « un fait de société » et en tant que tel ne pose pas question.

 

De quelles valeurs est-il question ici ? Qui détermine cette échelle de valeur ? Comment se fait-il qu’elle soit acceptés, sans questionnement ou avec résignation par une majorité d’humains ? Et que d’autres doivent mourir de les combattre ?

Est-ce ce monde que nous voulons ? Pour nous ? Pour les enfants de la Terre, d’aujourd’hui et de demain ? Qui vous dit que demain votre enfant, votre neveu, votre petit voisin si mignon ne va pas croiser un de ces prédateurs en quête urgente d’un organe pour approvisionner le marché, parce que les misérables du bout du monde ne suffiront plus à satisfaire la demande ?

Avant de vous satisfaire d’un facile « cela n’arrive qu’aux autres »en vous basant consciemment ou non sur des échelles de valeurs élitistes et racistes, posez-vous la question : quelle valeur pensez-vous avoir pour ces hommes pour qui valeur n’a d’autre sens que le profit qu’ils peuvent réaliser dans ce qui est, sommes toute, un commerce lucratif ?

Les « corps sans organes » sont un symbole de ce « devenir global » de notre monde, une de ces manifestations intrinsèques qui en détermine et en met en évidence l’idéologie fondatrice, raciste et élitiste, la nature et le futur.

Anne Wolff



[ii] Larry Summer est celui qui a énoncé, par exemple « Je pense que la logique économique derrière le déchargement de déchets toxiques dans le pays aux salaires les plus bas est irréprochable et nous devons la regarder en face. » 

Cet ancien directeur du FMI, après voir fait partie du régime des Bush a été parmi les premiers appelés par Obama pour lui servir de conseiller lors de sa première élection. Qu’au cours des dernières semaines, il soit en tombé en défaveur ne change rien au fait qu’il ait fait partie de ceux qui ont incarné à l’époque la continuité d’une même logique entre le régime Bush et celui d’Obama.

[iii] « Je ne peux plus dormir bien, j’ai des cauchemars et des insomnies qui me tuent, tout me revient, mais ils me disent que c’est normal et que cela arrive à la majorité de ceux qui viennent sans papiers »

[iv] Médicalistes Prélèvement et Conservation d'Organes

On y trouve cette phrase remarquable qui montre combien les points de vue sont différents pour les donneurs involontaires sources d’abondance pour le marché des transplantations et ceux pour qui la priorité est de disposer d’organes à transplanter « à n’importe quel prix ».

Les années 80 ont été marquées par un formidable essor des greffes d’organes, en particulier du foie, du coeur et des poumons. Le prélèvement d’organes, limité jusqu’alors aux reins, s’est modifié : le concept de prélèvement multiorganes s’est banalisé. Parallèlement, des progrès importants dans la conservation ont permis de prolonger les durées d’ischémie froide de certains organes (notamment le foie) sans dégrader leur valeur fonctionnelle. Mais, en dépit d’efforts constants menés par les équipes de transplantation pour développer les greffes, la pénurie d’organes reste un problème inquiétant.

 

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