1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 21:50

 

Un texte qui amène des éléments de réflexions intéressants pour éclairer ce qui se passe aujourd'hui.

Retour sur une prise de pouvoir

« A défaut d’orga­ni­sa­tions révo­lu­tion­nai­res, le tra­vailleur déçu par la social-démo­cra­tie et trou­blé par la contra­dic­tion entre l’appau­vris­se­ment et la pensée conser­va­trice, se jette néces­sai­re­ment dans les bras du fas­cisme. »
Wilhelm Reich

« Six mil­lions et demi de débi­les et de fous furieux qui sans inter­rup­tion récla­ment à grands cris à pleine gorge un met­teur en scène
Le met­teur en scène vien­dra et les enfon­cera défi­ni­ti­ve­ment dans l’abîme »
Thomas Bernhard

« Ne pas rire, ne pas juger, ne pas déplo­rer mais com­pren­dre »
Baruch Spinoza

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“Vers le fas­cisme ?” inter­ro­geait la revue Lignes en 1992 [1]. L’élection de Nicolas Sarkozy à la plus haute fonc­tion de l’Etat offre une réponse sans ambigüité : l’avè­ne­ment du can­di­dat de l’Union pour un Mouvement Populaire consa­cre la prise de contrôle de l’appa­reil d’Etat par le fas­cisme. Comment ? Comment est-on passé en l’espace de quinze ans de la légi­time inquié­tude devant ce qu’on nom­mait à l’époque “la montée du fas­cisme” - qu’on a nommé par la suite “la lepe­ni­sa­tion des esprits” - à l’élection de Nicolas Sarkozy à la plus haute fonc­tion de l’Etat fran­çais sur la base de mots d’ordre et de slo­gans d’extrême-droite : “Nettoyez la racaille au kar­cher”, “La France tu l’aimes ou tu la quit­tes”, ou encore “L’iden­tité natio­nale” ?

“Fasciste !” crie-t-on en guise d’injure. Cette asser­tion est devenu un slogan, un mot d’ordre, une insulte ; elle blesse le corps tout en étant vidée de son sens. “Fasciste !”, le jet de ce stig­mate à la face de qui­conque ne peut plus être nié et dénié. Fasciste ? Sujet aux pas­sions tris­tes - ces micro-fas­cis­mes qui nous font dési­rer notre propre asser­vis­se­ment - l’injure peut s’appli­quer à chacun tant il appa­raît qu’à moins de culti­ver une sagesse phi­lo­so­phi­que confi­nant à l’ata­raxie [2] et à se reti­rer du jeu social pour médi­ter dans une caverne - mais ne serait-ce pas encore une pas­sion triste ? -, nous sommes tous por­teurs des germes de la mala­die. Pour autant doit-on en conclure que nous sommes tous fas­cis­tes ? Considérant avec Deleuze et Guattari que chacun déve­loppe ses micro-fas­cis­mes, ses pas­sions tris­tes qui nous affai­blis­sent dans le moment même où nous croyons qu’elles nous for­ti­fient, à l’image de cette sub­stance noire venue de l’espace, qui fait délais­ser à Spiderman l’habit de jus­ti­cier pour endos­ser la cape du ven­geur, la réponse ne peut être que posi­tive. Mais alors si tout le monde l’est, per­sonne ne peut plus reconnaî­tre que c’est la domi­na­tion sans par­tage du fas­cisme, sa réa­li­sa­tion, bref la fin de l’his­toire. C’est son annu­la­tion, per­sonne ne peut plus contes­ter son exis­tence. Bref, le règne des pas­sions tris­tes et l’avè­ne­ment du petit homme.

Qu’est-ce que le fas­cisme ? Il n’est pas l’anar­chisme même si pour­tant, comme lui, il est une manière de vivre, de res­pi­rer, de res­sen­tir le monde avant d’être un sys­tème poli­ti­que. Fantasme de mort s’oppo­sant au rêve de vie, ces deux uto­pies s’oppo­sent termes à termes : au “viva la muerte” des fas­cis­tes répond le désir de vie des anar­chis­tes ; aux pas­sions tris­tes culti­vées par les pre­miers, les seconds pré­fè­rent les pas­sions joyeu­ses dési­rant la réa­li­sa­tion de leur désir, dési­rant leur désir quand les autres, ne pou­vant se dépren­dre de la culpa­bi­lité du leur, ne sou­hai­tent que sa des­truc­tion. L’anar­chisme désire l’abo­li­tion du pou­voir, il rêve d’un monde où le pou­voir ne serait exercé sur per­sonne et où per­sonne ne joui­rait de son exer­cice sur qui­conque, quand dans le même temps le fas­cisme pré­sente une archi­tec­ture sociale pyra­mi­dale carac­té­ri­sée par la jouis­sance de la domi­na­tion : plai­sir sado-maso­chiste de pou­voir être humi­lié par un maître et de pou­voir humi­lier celui qui est en-des­sous de soi ; plai­sir ultime de jouir d’une per­son­na­lité élevée au rang d’idole, d’un père qui n’a pas été tué ou qui l’a été avec regret et qui en fait dési­rer un nou­veau. Enfin le fas­cisme consa­cre le règne du kapo, ce petit homme fort avec les fai­bles et fai­bles avec les forts, quand l’anar­chiste s’asso­cie, flirte avec la vie, élit une per­sonne sur la base d’une ren­contre, sur la reconnais­sance d’affi­ni­tés sans pro­messe, sans contrat, sans res­pect, juste dans la reconnais­sance et le désir de l’autre - fut-ce une minute, une heure, une jour­née ou toute la vie - pour jouir et faire jouir. Si les hommes sont faits de leurs rêves comme le fai­sait remar­quer - à peu près - Oscar Wilde, le petit homme fas­ciste rêve de sécu­rité et d’ordre, de domi­na­tion et d’alié­na­tion.

(micro-)Fascisme(s)

Dans Mille Plateaux, Deleuze et Guattari écrivent : « Désir d’argent, désir d’armée, de police et d’Etat, désir-fas­ciste, même le fas­cisme est désir. » [3]. Si le fas­cisme est désir, com­ment se saisir de ce désir ? Comment se réa­lise-t-il ? Si le fas­cisme est désir, com­ment s’est-il cons­truit et déve­lop­per au point de réus­sir à capter les masses et à pren­dre le contrôle des masses ? Si le fas­cisme est désir, com­ment lutter contre ce désir de répres­sion, d’asser­vis­se­ment ? Comment lutter contre un désir, une pas­sion avec la seule arme des argu­ments ?

Le fas­cisme a inves­tit le lan­gage et en pre­mier lieu le lan­gage poli­ti­que. Il a trouvé dans la sub­sti­tu­tion d’une repré­sen­ta­tion économique - riche / pauvre - rem­pla­cée par une repré­sen­ta­tion natio­na­liste - fran­çais / étranger - une niche dans le lan­gage où se déve­lop­per.

Pierre Bourdieu met en évidence le fait que l’entrée du Front National dans le champ poli­ti­que a pro­vo­qué un chan­ge­ment dans la repré­sen­ta­tion du monde social : « La pré­sence du F.N. a sub­sti­tué à l’oppo­si­tion entre les riches et les pau­vres l’oppo­si­tion entre des natio­naux et des étrangers qui, notam­ment sous l’influence du champ poli­ti­que, est deve­nue si impor­tante dans la cons­cience poli­ti­que com­mune. Il serait hélas facile de mon­trer qu’il n’y a plus de parti qui ne se défi­nisse pas par rap­port à cette réfé­rence, cette dicho­to­mie, ce prin­cipe de divi­sion qui a été imposé et importé dans le champ poli­ti­que. » [4]

Michel Surya, dans “Le sang de l’Europe" [5] met en évidence com­ment les idéo­lo­gues du Front National ont investi le lan­gage - condi­tion de la prise de pou­voir - en inves­tis­sant l’espace idéo­lo­gi­que de l’adver­saire (1), en s’empa­rant des mots-clefs par les­quels il se défi­nit (2), en retour­nant le sens et l’enjeu (3) puis en fai­sant de ce sens une arme de contre-inves­tis­se­ment idéo­lo­gi­que (4). L’auteur donne l’exem­ple du retour­ne­ment du concept de racisme, devenu une arme employée par le F. N., consa­cré dans l’expres­sion “racisme anti-fran­çais”, laquelle a acquis la légi­ti­mité lors des mani­fes­ta­tions en 2006 lorsqu’il a été répété à l’envi par les médias pour rendre compte des heurts qui oppo­saient les mani­fes­tants entre eux. Cette per­ver­sion de la langue retour­née idéo­lo­gi­que­ment n’a pas eu d’effets seu­le­ment dans la reprise de termes uti­li­sés et / ou inves­tis par le Front National.

Le voca­bu­laire s’est “natio­na­lisé” : des chan­ge­ments de noms ou des bap­tê­mes ont rem­plis les vides ; ces appel­la­tions ont pris des accents natio­na­lis­tes agis­sant et se répé­tant avec force, péné­trant les corps et les cer­veaux, sug­ges­tions condi­tion­nan­tes. C’est le cas du terme “France” : en sep­tem­bre 1992, les deux chaî­nes de télé­vi­sion publi­ques, “Antenne 2” et “FR3”, pre­naient le nom de “France 2” et “France 3”. Quinze ans plus tard, trois chaî­nes (entre-temps est venue s’ajou­ter “France 5”) sur les cinq que comp­tent le réseau hert­zien com­pren­nent le mot “France”. De même, la vic­toire de l’équipe de France de foot­ball en 1998 a eu comme scène le stade de France cons­truit pour l’occa­sion, lequel est aussi le théâ­tre de shows spec­ta­cu­lai­res d’artis­tes parmi les­quels Johnny Hallyday ou Jean-Marie Bigard, tous deux sou­tiens de Nicolas Sarkozy.

Je pour­rais pour­sui­vre plus loin la démons­tra­tion et pro­po­ser un recen­se­ment exhaus­tif de tous ces termes inves­tis par le natio­na­lisme, le racisme ou encore l’auto­rité, termes mani­fes­tant les signes de la réac­tion capi­ta­liste mais je me sens “pris dans mille peti­tes mono­ma­nies, des évidences et des clar­tés qui jaillis­sent de chaque trou noir, et qui ne font plus sys­tème, mais rumeur et bour­don­ne­ment, lumiè­res aveu­glan­tes qui don­nent à n’importe qui la mis­sion d’un juge, d’un jus­ti­cier, d’un poli­cier pour son compte, d’un gau­lei­ter [6] d’immeu­ble ou de logis [7]”.

Restons au stade de France : en 1998, après la vic­toire de l’équipe de France contre le Brésil et au vu des scènes de liesse, de joie et de bon­heur du peuple com­mu­niant dans les rues dans la célé­bra­tion du succès, les doxo­so­phes [8] de toutes sortes, chiens de garde de l’idéo­lo­gie capi­ta­liste, ont salué la vic­toire d’une équipe ras­sem­blant tout un peuple par la for­mule “Black-blanc-beur”. L’expres­sion sur­vé­cut quatre ans : Chirac fut élu au deuxième tour de la pré­si­den­tielle 2002 recueillant plus de 80% des suf­fra­ges face à Jean-Marie Lepen. Dans la foulée, défaits par le Sénégal et le Danemark, les Français ne pas­saient pas le pre­mier tour lors de la coupe du monde orga­ni­sée en Corée et au Japon.

Le mythe du sport comme vec­teur de paix, de fra­ter­nité, de ren­contres, etc. entre les peu­ples, les cultu­res et les nations imprè­gnent tous les dis­cours des pro­pa­ga­teurs du spec­ta­cle, thu­ri­fé­rai­res [9] du spec­ta­cle spor­tif agis­sant à la télé­vi­sion, à la radio, dans la presse écrite et sur inter­net.

Qu’est-ce que le sport ? Le sport est l’opium du peuple [10], le foot­ball la peste émotionnelle [11]. Plus, le sport est le spec­ta­cle poussé à son paroxysme en tant qu’il est le corps devenu mar­chan­dise. Le sport n’est pas un jeu [12] : il est un des vec­teurs pri­vi­lé­giés qui per­met­tent de répan­dre les trois valeurs au fon­de­ment de l’idéo­lo­gie fas­ciste : l’auto­rité (res­pect de l’entraî­neur, de l’arbi­tre, des règles etc.), le natio­na­lisme (dra­peaux et hymnes avant les matchs, clas­se­ment des pays aux jeux olym­pi­ques, etc) et le capi­ta­lisme (concur­rence, per­for­mance, divi­sion du tra­vail au sein des staffs tech­ni­ques et des équipes spor­ti­ves etc.).

L’idéo­lo­gie spor­tive vante un corps exhibé, un corps à vendre et à ache­ter, mar­chan­dise sur laquelle est mar­quée non pas le prix mais le nom de celui qui se l’offre et dans le même mou­ve­ment s’offre à voir aux masses [13].

Enfin le sport spec­ta­cu­la­risé donne à voir un corps dont on espère qu’il ne cons­ti­tue pas la réponse défi­ni­tive que notre civi­li­sa­tion apporte à la ques­tion de Spinoza : qu’est-ce que peut un corps ? Le corps du sport mis en scène, spec­ta­cu­la­risé est un corps fan­tasmé, sur-entraîné, mili­ta­risé ; corps-fas­ciste dont l’épanouissement s’accom­plit dans la réa­li­sa­tion de l’acte : décharge orgas­ti­que [14] que cons­ti­tue l’accom­plis­se­ment de la per­for­mance, ren­for­ce­ment du sen­ti­ment d’appar­te­nance à une équipe, à un club, à une nation et sen­ti­ment du devoir accom­pli. Le sport, vio­lence contrô­lée et alié­na­tion au tra­vail par un entraî­ne­ment poussé et métho­di­que auquel le spor­tif se sacri­fie, nie l’acte sexuel, réprime l’orgasme en pro­po­sant aux masses un orgasme de sub­sti­tu­tion qui électrise tout le corps au moment où l’ath­lète accom­pli la per­for­mance : marque un but, fran­chit la ligne, tape le mur ou smashe.

Dans les années 1990, le sport a connu sinon une forme de consé­cra­tion, tout au moins une reconnais­sance publi­que [15] et média­ti­que [16]. A l’ori­gine de la créa­tion des trois événements spor­tifs (Les jeux olym­pi­ques furent crées par Pierre de Coubertin, la coupe du monde de foot­ball par Jules Rimet, et le tour de France par le jour­nal l’Auto [17]) les plus regar­dés au monde, les Français ont attendu les années 1990 pour obte­nir une reconnais­sance sur la scène spor­tive inter­na­tio­nale et jouer un rôle dans l’euphé­misme de la grande guerre qu’est le sport.

En 1993, deux clubs fran­çais - le C.S.P. Limoges en basket et l’Olympique de Marseille en foot­ball - gagnè­rent la coupe d’Europe la plus pres­ti­gieuse, une pre­mière pour une équipe fran­çaise. En 1995, quel­ques mois avant que Jacques Chirac ne devienne pré­si­dent et abo­lisse le ser­vice natio­nal, des sol­dats fran­çais rem­por­tè­rent pour la pre­mière fois une guerre mon­diale : les hand­bal­leurs fran­çais deve­naient la pre­mière équipe de sport col­lec­tif à monter “sur le toit du monde” comme l’écrivent les fai­seurs d’his­toire du sport. En 1996, à Atlanta, les ath­lè­tes ren­traient dans le top cinq mon­dial au clas­se­ment des médailles avec une qua­ran­taine de médailles olym­pi­ques. 1998 mar­quait le point d’orgue de la conver­sion de la France à l’idéo­lo­gie spor­tive et à la fas­ci­na­tion pour les stars suan­tes : Zidane and co rem­por­taient la coupe du monde de foot­ball face au Brésil. La fête dura toute la nuit : les visa­ges des joueurs défi­lè­rent sur l’Arc de Triomphe, Jacques Chirac, le pré­si­dent de la République, endossa un maillot bleu floqué à son nom pour venir saluer les héros. La masse pou­vait jouir : “On a gagné, on est les meilleurs !”. Sortez les dra­peaux et chan­tez la Marseillaise !

Au début des années 1990, aucun - ou pres­que - des joueurs com­po­sant l’équipe de France n’enton­nait la Marseillaise avant les matchs inter­na­tio­naux. Quelques temps après la vic­toire “blacks-blancs-beurs”, Jean-Marie Lepen s’étonna à plu­sieurs repri­ses qu’aucun ne chante l’hymne natio­nal. L’erreur fut vite répa­rée, pour prou­ver leur patrio­tisme et faire taire la cri­ti­que les foot­bal­leurs s’exé­cu­tent [18]. On peut voir main­te­nant nos foot­bal­leurs chan­ter l’hymne natio­nal avec une fer­veur non dis­si­mu­lée. Elle a connu des for­tu­nes diver­ses, notam­ment lors du match amical oppo­sant les équipes fran­çai­ses et algé­rien­nes au stade de France le 6 octo­bre 2001. “La Marseillaise” fut sif­flée par une partie du public pro­vo­quant le cour­roux des hommes poli­ti­ques et des chiens de garde voyant dans cet acte un man­que­ment à la neu­tra­lité spor­tive et au res­pect dû à l’adver­saire.

N’est-ce pas l’expres­sion d’un mépris exprimé dans toute son indé­cence que toute une équipe et un stade der­rière lui chan­tent “qu’un sang impur abreuve nos sillons !” quand l’adver­saire est un pays qui a subit le joug de la France pen­dant plus d’un siècle [19] ? Sommes-nous arri­vés à un degré d’insen­si­bi­lité et d’incons­cience tel que nous ne puis­sions com­pren­dre cet acte de pro­tes­ta­tion ?

Pour autant on ne sau­rait com­pren­dre com­ment le sport a contri­bué au déve­lop­pe­ment du fas­cisme, à pré­pa­rer la masse à son accom­plis­se­ment, sans pren­dre en compte deux éléments : 1) il a pris une place vide, un espace à com­bler dans le déve­lop­pe­ment de l’indus­trie du spec­ta­cle en demande de pro­gram­mes pour satis­faire les chaî­nes de télé­vi­sion et 2) il tend à se sub­sti­tuer à deux struc­tu­res au fon­de­ment de la répu­bli­que : le ser­vice mili­taire et l’école. Le pre­mier a été sup­primé dans le moment même où le sport fran­çais connais­sait ses pre­miers succès euro­péens et mon­diaux. Ainsi, à l’ini­tia­tive de Jacques Chirac, le gou­ver­ne­ment fran­çais a sup­primé le ser­vice mili­taire (avec tous les ris­ques que com­por­tent l’exis­tence d’une armée de métier dans une démo­cra­tie), un des fon­de­ments de la République depuis la Révolution qui ins­ti­tuait le droit et le devoir pour le citoyen de défen­dre le ter­ri­toire fran­çais, qui lui per­met­tait d’appren­dre le manie­ment des armes, dans le même temps où la France voyait ses spor­tifs-sol­dats reve­nir des ter­rains dis­sé­mi­nés aux quatre coins du monde la tête cou­ron­née de lau­riers et le cou alour­dit par une bre­lo­que dorée.

La seconde sub­sti­tu­tion consiste en une inver­sion dans la repré­sen­ta­tion que nous avons des acteurs du monde spor­tif et des acteurs du monde éducatif. Pour plus de clarté, j’expo­se­rai cette idée sous forme d’hypo­thè­ses : 1) le pres­tige et la reconnais­sance des métiers de l’éducation a tendu à dimi­nuer à mesure que crois­sait le pres­tige et la reconnais­sance accor­dés à ceux du sport ; et 2) dans le même temps, le sport s’est sub­sti­tué à l’école sur deux points : il tend à accom­plir une mis­sion d’éducation et de socia­li­sa­tion ; et il tend à dis­po­ser les agents enga­gés dans le sport à inves­tir dans cette pra­ti­que ce qu’ils inves­tis­saient aupa­ra­vant dans l’école : la réus­site, l’ascen­sion sociale, la reconnais­sance etc.

Désir d’argent, désir d’arbi­tre et du res­pect des règles et désir d’uni­forme ; le sport est désir, désir-fas­ciste.

Liberté, liberté chérie...

Le fas­cisme est désir : micro-fas­cisme dési­rant enten­dre des mots d’ordre et micro-fas­cisme jouis­sant du spec­ta­cle des gai-robots qui cou­rent, désir et jouis­sance per­verse. Mais ce n’est pas assez de savoir qu’il est désir, ou bien cela est-il trop parce qu’il n’y aurait qu’à atten­dre sa réa­li­sa­tion et se lais­ser empor­ter par son élan des­truc­teur, son sui­cide.

Parmi les com­po­san­tes favo­ri­sant la cris­tal­li­sa­tion du fas­cisme, son appro­pria­tion de l’appa­reil d’Etat esquissé dans le lan­gage et la place qu’a pris le sport, je désire faire un retour sur la démo­cra­tie, des­si­ner les traits saillants qui ont mar­qués sa nais­sance et son déve­lop­pe­ment.

Dans l’éditorial de Lignes, M.Surya invite à « se res­sai­sir de ce mot, s’en res­sai­sir aujourd’hui, a ce sens, ou du moins met-il ce sens à l’essai, en guise de ques­tion­ne­ment dra­ma­tisé : que manque-t-il dès lors (la conta­gion se pro­pa­geant) au natio­na­lisme, au popu­lisme, au racisme, à l’anti­sé­mi­tisme etc., pour que les socié­tés, où l’assen­ti­ment les laisse croî­tre et pros­pé­rer, se fas­ci­sent, et se fas­ci­sent majo­ri­tai­re­ment. Si c’est affaire de nombre (et ce l’est, bien sûr, en démo­cra­tie ; c’est même le revers de la démo­cra­tie que le nombre suf­fise à le per­met­tre), l’his­toire ensei­gne - à peu près - qu’il y faut un bas­cu­le­ment des clas­ses moyen­nes [20] ».

Ainsi la démo­cra­tie aurait ce revers, cet effet per­vers de per­met­tre l’acces­sion au pou­voir du fas­cisme entendu comme l’exa­cer­ba­tion du natio­na­lisme, du racisme, de l’auto­rité, etc par la seule force du monde ? « Démocratique, c’est le droit d’être esclave de tout le monde » cons­ta­tait Karl Kraus [21] dans un élan de cynisme.

Claude Bourdet cons­tate que « nulle part, ailleurs que dans cette France qui se vante d’être le ber­ceau de la démo­cra­tie etc., on ne voit un per­son­nage comme Jean-Marie Le Pen pren­dre, mois après mois, de plus en plus d’impor­tance [22] ». Si la connais­sance de l’his­toire sert à com­pren­dre le pré­sent, il appa­raît que nous ne puis­sions nous tar­guer du pres­tige d’un passé démo­cra­ti­que sans tâches : le pre­mier pré­si­dent (le neveu de Napoléon 1er, futur Napoléon III et auteur de plu­sieurs ten­ta­ti­ves de putschs avant son élection) élu au suf­frage uni­ver­sel garde le pou­voir par la force, les femmes ont obtenu le droit de vote parmi les der­niè­res en Europe et la ten­ta­tive de démo­cra­tie directe esquis­sée par la Commune a été répri­mée par l’armée fran­çaise. Si la France est le ber­ceau de la démo­cra­tie, il est à crain­dre qu’elle ait été bercée trop près du mur ! Trop près du mur du fas­cisme comme le rap­pelle Zeev Sternhell. « Encore un effort pour être répu­bli­cain ! » criait le Marquis de Sade du fond de sa cel­lule. Et pour être démo­cra­ti­que ajou­te­rais-je.

La démo­cra­tie dans laquelle nous vivons res­sem­ble à s’y mépren­dre à la démo­cra­tie amé­ri­caine que Mills dépei­gnait dans les années 50 : « Les Etats-Unis d’aujourd’hui sont démo­cra­ti­ques essen­tiel­le­ment par la forme et par la rhé­to­ri­que des beaux len­de­mains. En fait, si on va au fond des choses, ils sont sou­vent anti­dé­mo­cra­ti­ques ; dans de nom­breux sec­teurs ins­ti­tu­tion­nels, ce n’est que trop clair. Ce ne sont pas des assem­blées pro­vin­cia­les qui gèrent l’économie de gran­des entre­pri­ses, ce ne sont pas des pou­voirs res­pon­sa­bles devant ceux que leurs acti­vi­tés inté­res­sent prin­ci­pa­le­ment. C’est également le cas de machi­nes mili­tai­res et de l’Etat [23] ». Dans Lignes, Jean-Paul Curnier dresse un cons­tat simi­laire : « Déjà, on le sait, l’essen­tiel des choix qui déci­dent du destin commun s’effec­tue en-dehors de toute pro­cé­dure d’examen, de déli­bé­ra­tion et de déci­sion col­lec­tive, déjà, la vitesse des inte­rac­tions de plan mon­dial, qu’il s’agisse d’arme­ment, de poli­ti­que inter­na­tio­nale, d’économie ou de finance, réduit à peu de choses la sou­ve­rai­neté des peu­ples. De ce point de vue-là, les démo­cra­ties ont déjà renoncé à elles-mêmes, et ce, depuis long­temps. Leur appa­rente iner­tie ne réus­sit plus à cacher l’actuelle délé­ga­tion du pou­voir réel vers l’auto­ma­ti­cité des sys­tè­mes. [24] »

Ainsi, les deux auteurs se retrou­vent sur ce point : nos démo­cra­ties se carac­té­ri­sent par le fait que l’essen­tiel des choix qui orien­tent les pra­ti­ques quo­ti­dien­nes, qui édictent les règles, qui dic­tent nos condui­tes sont effec­tués en-dehors de tout contrôle. J.P.Curnier va plus loin en écrivant que les démo­cra­ties ont renoncé à elle-même. Quel est ce renon­ce­ment ? Est-il celui de la Commune à pour­sui­vre les Versaillais et à pren­dre le pou­voir ? Celui des citoyens à par­ti­ci­per acti­ve­ment à la vie publi­que, à exer­cer de près un contrôle des ins­ti­tu­tions démo­cra­ti­ques ? Peut-on parler de renon­ce­ment quand à la ten­ta­tive uto­pi­que des com­mu­nards, la réponse de l’armée fut l’exé­cu­tion et le bagne ? Si renon­ce­ment il y a, il est dans le repli sur le foyer du citoyen et son désir d’oppres­sion. Désir que les domi­nants ont fait dési­rer en répri­mant avec dureté ses vel­léi­tés de démo­cra­tie et d’émancipation : la Commune n’est peut-être pas la société enchan­tée que nous dépei­gnent les mili­tants tris­tes rem­plis d’une nos­tal­gie toute dix-neu­viè­miste, mais elle reste l’expé­rience la plus démo­cra­ti­que qu’aucune autre depuis deux siè­cles [25]. “Le pou­voir ne pro­tège plus mais se pro­tège contre chacun” écrivait Raoul Vaneigem [26] en 1967 et ce n’est pas le moin­dre des tours de force du pou­voir que d’avoir réussi à faire croire au citoyen qu’il le pro­tège quand il déve­lop­pait son désir qu’il se pro­tège de lui ; désir cons­truit par la répres­sion, l’empri­son­ne­ment et le meur­tre.

En ce sens, le désir-fas­ciste est le désir éprouvé de subir la pro­tec­tion d’un pou­voir, de subir son joug, la mise en place de moyens coer­ci­tifs dans le but de se pro­té­ger de la per­sonne même qui désire cet agen­ce­ment. Le fas­cisme est désir, désir per­vers et maso­chiste de subir le joug d’un pou­voir. Dire que le fas­cisme est désir revient à consa­crer son annu­la­tion en tant qu’il est un pro­ces­sus et qu’on peut ne jamais en voir la fin sans mon­trer le rôle qu’a joué le pou­voir dans cet agen­ce­ment, sans com­pren­dre la répres­sion qui s’est abattu sur tous ceux qui ont des vel­léi­tés de révolte et d’émancipation.

Le fas­cisme est aussi un sys­tème poli­ti­que pou­vant pren­dre pos­ses­sion de l’appa­reil d’Etat. Et contre une cer­taine vision de l’his­toire qui pré­tend qu’il reste cir­cons­crit à l’Italie mus­so­li­nienne, il faut rap­pe­ler que le fas­cisme n’est pas une forme de gou­ver­ne­ment poli­ti­que cir­cons­crite à une période et à une zone géo­gra­phi­que donnée.

La conquête de l’appareil d’Etat

De la défense de la sécu­rité sociale à la lutte contre l’insé­cu­rité

Dans Lignes, plu­sieurs auteurs insis­taient sur la montée du Front National tant sur le plan électoral que sur le plan des idées et la per­sis­tance de la crise économique dont il est devenu un lieu commun de dire qu’elle cons­ti­tue une des condi­tions au déve­lop­pe­ment du fas­cisme. Entre-temps, ces deux phé­no­mè­nes se sont ampli­fiés : le Front National a dirigé plu­sieurs villes (Vitrolles et Orange notam­ment) et vu ses élus siéger dans les conseils régio­naux et la crise économique per­sis­ter malgré le retour au pou­voir de la “gauche plu­rielle”.

Wilhem Reich écrit dans Psychologie de masse du fas­cisme qu’« A défaut d’orga­ni­sa­tions révo­lu­tion­nai­res, le tra­vailleur déçu par la social-démo­cra­tie et trou­blé par la contra­dic­tion entre l’appau­vris­se­ment et la pensée conser­va­trice, se jette néces­sai­re­ment dans les bras du fas­cisme ».

Le retour de la gauche au pou­voir en 1997 après le succès rem­porté lors des élections légis­la­ti­ves a marqué une décep­tion. Dans quelle mesure le gou­ver­ne­ment de Jospin, regrou­pant trois com­po­san­tes de la gauche (P.S., P.C. et les Verts) a joué un rôle dans le fait que les électeurs se sont jetés “dans les bras du fas­cisme” en 2002 et 2007 ? Elue sur l’élan des mou­ve­ments de grève de 95, la majo­rité n’a pas su ou pu répon­dre au désir de pro­tec­tion sociale qui a mué en un désir de pro­tec­tion poli­cière. Plus, elle a par­ti­cipé à l’élaboration d’une poli­ti­que sécu­ri­taire en contri­buant à la res­tric­tion des liber­tés indi­vi­duel­les en votant la loi sur la sécu­rité quo­ti­dienne en 2001, à laquelle les citoyens avaient été pré­pa­rés par l’acti­va­tion et le ren­for­ce­ment continu du plan Vigi-pirate à la suite des atten­tats de 1995.

1995, 2002, 2007 : Une prise de pou­voir en trois actes

Réaction, le fas­cisme se déploie contre les dif­fé­rents mou­ve­ments reven­di­ca­tifs. Comme le fait remar­quer Debord, il « se porte à la défense des prin­ci­paux points de l’idéo­lo­gie bour­geoise deve­nue conser­va­trice (la famille, la pro­priété, l’ordre moral, la nation) en réu­nis­sant la petite bour­geoi­sie et les chô­meurs affo­lés par la crise ou déçus par l’impuis­sance socia­liste, il n’est pas lui-même fon­ciè­re­ment idéo­lo­gi­que. Il se donne pour ce qu’il est : une résur­rec­tion vio­lente du mythe, qui exige la par­ti­ci­pa­tion à une com­mu­nauté défi­nie par des pseudo-valeurs archaï­ques : la race, le sang, le chef [27] ».

En ce sens 1995 marque une pre­mière rup­ture. Elu sur “la réduc­tion de la frac­ture sociale”, Jacques Chirac a conti­nué l’oeuvre de des­truc­tion des acquis sociaux, se heur­tant dans les mois qui sui­vi­rent son élection à un mou­ve­ment de contes­ta­tion de grande ampleur : les grèves de novem­bre - décem­bre 1995. C’est un des pro­cé­dés fas­cis­tes consis­tant à être élu sur un pro­gramme social et à l’aban­don­ner dans la foulée pour accen­tuer la libé­ra­li­sa­tion de l’économie.

Sa réé­lec­tion en 2002 a marqué le deuxième mou­ve­ment, il a pré­paré la cap­ture de l’appa­reil d’Etat dans un scé­na­rio en trois actes : la créa­tion d’un parti [28] (Union pour la majo­rité pré­si­den­tielle devenu fin 2002 l’Union pour un Mouvement Populaire), la consé­cra­tion du carac­tère pater­nel de l’exer­cice du pou­voir (Jean-Pierre Raffarin décla­rant qu’il gou­ver­nera la France en “bon père de famille”) et la mise en place d’une poli­ti­que sécu­ri­taire menée par le minis­tre de l’inté­rieur Nicolas Sarkozy. L’hys­té­rie déclen­chée (savam­ment relayé par les médias) par la pré­sence du can­di­dat de l’extrême-droite au second tour a créé l’illu­sion d’un sau­ve­tage de la démo­cra­tie dans le moment même où elle s’écroulait. Le dit-rem­part contre la démo­cra­tie a ver­rouillé toutes les ins­ti­tu­tions : assem­blée natio­nale, sénat, conseil cons­ti­tu­tion­nel, conseil supé­rieur de l’audio­vi­suel, etc. : tout est devenu bleu, bleu comme le maillot de nos spor­tifs, bleu comme la France, bleu comme l’U.M.P., bleu comme le sang du roi. Le met­teur en scène est venu, ce n’était pas celui qu’on redou­tait.

Ministre de l’inté­rieur (et des liber­tés loca­les...) dans le gou­ver­ne­ment Raffarin puis dans le gou­ver­ne­ment de de Villepin, Nicolas Sarkozy a été l’archi­tecte de la poli­ti­que sécu­ri­taire pro­mise par le can­di­dat Chirac, maî­tri­sant à mer­veille la pro­pa­gande, le minis­tre de l’inté­rieur a déve­loppé avec effi­ca­cité la com­mu­ni­ca­tion autour de sa per­sonne dont le point d’orgue a été la pro­vo­ca­tion qu’il a faite en 2005. Jouant les pom­piers pyro­ma­nes, il a touché au coeur et pro­vo­qué un mois d’émeute ins­tau­rant un climat de peur conclut par la mise en place de l’état d’urgence en assé­nant qu’il allait “net­toyer la racaille au kar­cher”.

Le fas­cisme au pou­voir

Président de l’U.M.P. en 2005 et plé­bis­cité à 98% par les mili­tants, l’élection de Nicolas Sarkozy marque l’ins­tau­ra­tion en France d’un régime fas­ciste. Comment ? L’ana­lyse du spec­ta­cle qui a suivi les résul­tats de l’élection suffit à le com­pren­dre.

Méprisant avant son élection quand il vou­lait “net­toyer la racaille” ou encore quand il cessa d’écouter son adver­saire lors du débat télé­visé du 2 mai, jetant négli­gem­ment un regard sur ses notes, ses pre­miers gestes de pré­si­dent élu ne furent que confir­ma­tion de son mépris. Le pre­mier consista à se rendre dîner dans un res­tau­rant réservé à une élite res­treinte sous l’oeil bien­veillant des camé­ras [29].

Le second consista à partir le len­de­main pour une des­ti­na­tion inconnue igno­rant le fait que la charge pré­si­den­tielle impli­que le droit pour les citoyens d’avoir un droit de regard sur les dépla­ce­ments du chef de l’Etat, même s’il n’est pas encore intro­nisé. « Toute forme de mépris, si elle inter­vient en poli­ti­que, pré­pare ou ins­taure le fas­cisme » fait remar­quer Camus [30]. Du mépris à la reconnais­sance de la toute-puis­sance d’un monar­que et d’un chef impo­sant son diktat, le pas est vite fran­chit.

Enfin son élection cons­ti­tue la troi­sième phase du déve­lop­pe­ment du fas­cisme tel que le modé­lise Paxton [31] : la prise du pou­voir par le parti fas­ciste. Dans le pre­mier dis­cours qu’il pro­nonça salle Gaveau, on trouve les traits carac­té­ris­ti­ques du fas­cisme : auto­rité, tra­vail, nation et volonté de tota­lité : « Je veux leur dire [aux électeurs qui n’ont pas voté pour lui] que par-delà le combat poli­ti­que, par delà les diver­gen­ces d’opi­nion, il n’y a pour moi qu’une seule France ! » avant d’ajou­ter peu après : « Je veux réha­bi­li­ter le tra­vail, l’auto­rité, la morale, le res­pect, le mérite. Je veux remet­tre à l’hon­neur la nation et l’iden­tité natio­nale. ». Les choses ont le mérite d’être expri­mées en toute clarté. La devise de la République (« Liberté, égalité, fra­ter­nité ») et son prin­cipe (« le gou­ver­ne­ment du peuple, par le peuple, pour le peuple ») sont curieu­se­ment absen­tes de ce dis­cours.

Sa pre­mière sortie publi­que comme pré­si­dent de la République nou­vel­le­ment élu le fut comme pré­si­dent de l’U.M.P. lan­çant à ses fidè­les du « Mes chers amis », tout en par­ve­nant à créer l’illu­sion de s’adres­ser aux télé­spec­ta­teurs. Le petit homme promis de partir en guerre sou­tenu par une armée de guer­riers prêts à en décou­dre avec les assis­tés et les mau­vais tra­vailleurs : « Je vous ai promis le plein emploi, je vais me battre pour le plein emploi ! J’ai dit que le pou­voir d’achat était un pro­blème, je vais me battre pour le pou­voir d’achat ! J’ai dit que l’iden­tité de la France, l’enga­ge­ment cultu­rel au ser­vice de l’his­toire et de la culture de notre pays étaient des prio­ri­tés, elles le seront ! » Tout de suite après son dis­cours, on célé­bra le nouvel élu dans une fête oscil­lante entre le culte de la per­son­na­lité et « la confiance infan­tile en la toute puis­sance du père » [32]. La soirée s’acheva dans la célé­bra­tion du pré­si­dent en chan­tant : “When Nicolas Sarkozy was born !” pré­céda “Qu’elles sont jolies les filles de Sarkozy !” et tout le monde entonna “La Marseillaise” dans le bruit et la fureur. Le met­teur en scène est venu fai­sant conver­ger vers lui tous les regards, toute la lumière, tous les fais­ceaux. S’il est permis d’en douter, dans la semaine sui­vant son élection, il a mul­ti­plié les signes d’ouver­ture renouant avec l’étymologie. Sa volonté de former un gou­ver­ne­ment où toutes les com­po­san­tes seront réu­nies mar­quent le règne du “fascio” entendu comme “union de forces poli­ti­ques réu­nies dans un but commun” [33]. Quel but ? Celui d’échapper au pire appa­rem­ment. Dans son pre­mier dis­cours de pré­si­dent il a déclaré que le 6 mai était la « vic­toire de la France qui ne veut pas mourir », la lutte contre la déca­dence et le fan­tasme de mort : les thèmes réac­tion­nai­res sont en passe de deve­nir des dogmes d’Etat. L’Union pour un Mouvement Populaire est au pou­voir, Le met­teur en scène est venu, le spec­ta­cle peut com­men­cer.

Résister ?

Reconnaître le carac­tère fas­ciste du parti à la tête de l’Etat, et de son pré­si­dent, n’est pas suf­fi­sant. Il n’est pas non plus assez de connaî­tre com­ment cette prise de pou­voir a eu lieu, elle ne livre pas le fin mot de l’his­toire, ni à ses par­ti­sans, ni à ses détrac­teurs.

Le pro­ces­sus a déjà com­mencé : les arres­ta­tions se mul­ti­plient [34] et le pré­si­dent envi­sage de réfor­mer la cons­ti­tu­tion pour lui per­met­tre de se pré­sen­ter devant le par­le­ment, cela au mépris de la sépa­ra­tion des pou­voirs. Est-il néces­saire de rap­pe­ler l’emprise qu’il a sur les médias et la peur qu’il ins­pire et la zèle avec lequel cer­tains jour­naux col­por­tent la dés­in­for­ma­tion [35] ?

Et main­te­nant ? Que faire ? Où aller ? Déjà les appels se mul­ti­plient pour s’oppo­ser au pou­voir, ne pas céder sous sa force. Alors résis­ter ? Bien sûr qu’il faut résis­ter. Mais ce n’est pas assez. Résister, défen­dre les acquis sociaux, c’est le der­nier mot depuis quel­ques années ; le mot de l’impuis­sance : résis­ter consiste trop sou­vent à retar­der la chute, à jouir de l’iné­luc­ta­bi­lité du pire. Résister est encore une manière mor­bide de se com­plaire dans la nos­tal­gie, une façon d’expier le crime de la France moderne : fan­tasme de se sentir occupé, peur, colère, réac­tion contre le fas­cisme.

Résister s’impose comme une évidence : la pro­pa­gande est à son comble et déjà la cen­sure est légi­ti­mée, la répres­sion s’est abat­tue avec force sur les pre­miers mani­fes­tants. Résister ne doit pas être le der­nier mot, il n’en cons­ti­tue que le pre­mier. Hors résis­ter consiste trop sou­vent à défi­ler dans les rues dans des mani­fes­ta­tions qui res­sem­blent à des enter­re­ment de seconde classe.

Non plus seulement résister mais se révolter, devenir révolutionnaire.

Non plus seu­le­ment dési­rer une suite d’ins­tants de résis­tan­ces mais un grand moment révo­lu­tion­naire. Créer et non plus résis­ter. Prendre une arme : l’arme des mots et de la connais­sance, l’arme du corps et du désir et non plus faire fuir et dans la fuite se saisir d’une arme. Se réap­pro­prier le rêve et le désir révo­lu­tion­naire qui s’est évanoui dans la mys­ti­fi­ca­tion de la bureau­cra­tie russe et la révo­lu­tion cultu­relle chi­noise. Désirer et créer ce rêve, lui qui ne semble plus être à peine qu’un songe que l’on croit avoir caressé, une nuit, sur une plage, au clair de lune, dans le som­meil de la pensée. Déployer ce rêve et inves­tir la réa­lité de ses poten­tia­li­tés dans la vie quo­ti­dienne pour retour­ner la situa­tion ici et main­te­nant dans les corps et les mots, pour en finir une bonne fois pour toutes avec les pas­sions tris­tes : l’ordre et la sécu­rité, la domi­na­tion et l’alié­na­tion ; pour non plus libé­rer le tra­vail mais se libé­rer du tra­vail.

Battiste Fanesi

Notes

[1] “Vers le fascisme ?”. Lignes. Ed Hazan. n°15. 1992

[2] Paix intérieure atteinte grâce à la maîtrise ou à la mise à distance de ses passions. (note de modère)

[3] G.Deleuze, F.Guattari. Mille Plateaux. Ed de Minuit. p 204.

[4] P.Bourdieu. Propos sur le champ politique. Ed. P.U.F. de Lyon. 1999. p 62.

[5] M.Surya, “Le sang de l’Europe”. Ibid. pp56-69

[6] chef de district en Allemagne nazie, administrateur allemand d’un territoire occupé rattaché au Reich d’Hitler. (note de modère)

[7] G.Deleuze et F.Guattari. Ibid. p 279

[8] glorificateurs (note de modère)

[9] personnes qui encensent, flattent. (note de modère)

[10] J.M. Brohm. Sociologie politique du sport.

[11] J.M.Brohm, M.Perelman. Le football, peste émotionnelle.

[12] Il s’agit de distinguer sport, activité physique et jeu.

[13] Il faudrait analyser plus en détail l’acte consistant pour un supporter à acheter le maillot-uniforme de son joueur préféré : acte d’identification qui confine à l’embrigadement.

[14] qui tient de l’orgasme (note de modère)

[15] Ainsi, lors de la saison qui a suivie la coupe du monde 1998, le championnat de France de football a connu son plus fort taux d’affluence.

[16] Les journaux généralistes tendent à consacrer une place de plus en plus grande au sport.

[17] Dans le but de concurrencer son concurrent : “Le vélo”, l’entreprise a réussi au-delà de toutes les espérances : le journal “l’Equipe” qui a succédé à “L’Auto” a le monopole sur la presse sportive quotidienne. Présentées comme des traditions, des jeux qui se seraient transformés, les compétitions sportives ont été crées dans un but idéologique.

[18] Bourdieu Méditations pascaliennes. Note sur l’exigence de l’insignifiant pour faire passer l’essentiel

[19] Même si ce genre de comparaison recèle toutes les faiblesses inhérentes à la pure spéculation intellectuelle, je ne peux résister à la tentation de poser cette question : que se serait-il passé si lors du premier match de football entre la France et l’Allemagne après la seconde guerre mondiale, l’hymne allemand s’était terminé par “Deustschland über alles !” ?

[20] Ibid. p 9.

[21] K.Kraus. Pro Domo et Mundo. Ed. p17

[22] C.Bourdet. “De Bugeaud à Le Pen”. in Lignes p 25

[23] C.S.Mills. L’imagination sociologique. Ed La Découvrerte. p 193.

[24] J.P.Curnier. “Vers le pire ?” in Lignes. p 96

[25] Tout au moins dans les sociétés occidentales. Oaxaca au Mexique a tenté de développer le même type de société et subit un siège.

[26] R.Vaneigem. Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations. Ed Folio. p 126.

[27] G.Debord. La société du spectacle. Ed Folio. p 105.

[28] L’U.M.P. a rassemblé différentes composantes de la droite : le R.P.R., la parti républicain et une partie de l’U.D.F.

[29] Ce n’est bien sûr pas un acte de mépris pour les électeurs de Neuilly (dont plus de la moitié payent l’impôt sur la fortune) et du seizième arrondissement de Paris qui ont votés à plus de 80% pour lui.

[30] Dans L’homme révolté. Ed Folio. p 231.

[31] R.O.Paxton. “Les cinq phases du fascisme” in M.Dobry (dir) Le mythe de l’allergie française au fascisme. 2003.

[32] W.Reich. Ibid. p 75.

[33] http://www.cnrtl.fr/etymologie/fascisme

[34] Près de 600 arrestations dans la nuit du 6 au 7 mai. Pour quoi ? Quelques canettes lancées et des poubelles incendiées...

[35] Ainsi l’information concernant sa volonté de réformer la constitution pour pouvoir s’exprimer devant les députés et les sénateurs a été savamment étouffée par l’information ô combien importante du départ d’une nageuse de son club. Ainsi, un journal dont on nous ne citerons pas le nom par magnanimité titrait « Manaudou est une feignasse... » le jeudi 10 mai dans l’après-midi. Cet article faisait la part belle aux vertus du travail et à la xénophobie. Et dire qu’il ne s’agit que d’une gamine de 20 ans qui part vivre en Italie avec son amoureux...

Source : Retour sur une prise de pouvoir

A lire également : Les nouveaux antifascistes ne seraient-ils pas des fanatiques dangereux ? - Cri du Peuple 1871

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