19 avril 2009 7 19 /04 /avril /2009 08:36
 

l’utopie ou la mort » est le titre d’un livre de l’agronome René Dumont publié au début des années 70 et qui est à l’origine du développement de l’écologie politique. Il fait écho aux avertissements lancés par le Club de Rome en 1969 et qui mettait l’accent sur la finitude des ressources de la planète et prévoyait l’explosion démographique qui s’est produite depuis. Un cri, un appel : il est urgent de changer nos modes de production et nos modes de consommation ! Changer nos conceptions du monde ! Quarante ans ont passé et nous n’avons rien fait d’autre qu’aller vers le pire !


Ce livre a été déterminant pour l’évolution de ma conception du monde personnelle. C’est de conception du monde dont il sera question dans cet article. Qu’est-ce qu’une conception du monde ? Qu’est-ce qu’un système de valeur ? Qu’est-ce qu’un projet de monde ? Qu’est-ce que la notion de compossibilité ? Qu’est-ce que cela implique ?


Tout être humain a une conception du monde. Cette conception peut être vague, inconsciente, bourrée de contradictions, nourrie d’évidences ou mûrement réfléchie, éprouvée en théorie comme en pratique, sans cesse soumise à l’épreuve de la remise en question, elle n’en existe pas moins. Et toute conception du monde s’accompagne d’un système de valeurs discriminatoires entre « bien » et « mal », avec plus ou moins de cohérence et de sens de la nuance entre ces deux extrêmes.


Tout humain est également porteur d’un projet de monde qui est la manière dont il désire voir se dérouler son avenir. Que ce soit la réalisation d’un plan de carrière avec famille à l’avenant, que ce soit le désir de cocooner devant la télévision pour le restant de ces jours, que ce soit devenir maître du monde ou bâtisseur d’utopie, il s’agit de projets de monde. Deux projets de monde ont ensemble un haut degré de compossibilité quand leur réalisation est possible simultanément sans que l’un nuise à l’autre. Soit parce qu’ils sont complémentaires et la réalisation de l’un contribue à la réalisation de l’autre, soit parce qu’ils n’empiètent pas l’un sur l’autre, ils n’occupent pas le même territoire et ne se rencontrent pas.


Qu’est-ce que cela implique ? Pour le comprendre dans le contexte actuel, il faut faire appel à d’autres notions, issues d’un autre ouvrage déterminant pour la construction de ma conception du monde, il s’agit de « La nouvelle alliance » de Stengers et Prigogine. Je ferai une étude approfondie de cet ouvrage en tant qu’il amène des outils indispensables à la critique de l’économisme dans sa prétention à se vouloir science héritière des sciences exactes, avec toutes les aberrations qui en résultent. Les premiers de ses outils permettant de définir les domaines fort limités dans lesquels quelle que science que ce soit peut prétendre à une relative exactitude et domaines qui ne concernent certainement pas le vivant et encore moins les complexes sociétés humaines. Ici je me bornerai à sortir trois notions de ma boite à outils : la notion d’irréversibilité, la notion de point de bifurcation et celle d’horizon temporel de Liapounov.

 

Pour illustrer les fondements de la mécanique classique (La Science Exacte par excellence), je prendrai cette assertion mécaniste de Descartes : « Je prends le chien, je démonte le chien, je remonte le chien et c’est toujours le même chien ».  Bien sûr, c’est absurde et cela fait rigoler et pourtant, pour les adeptes du mécanisme il y avait là un idéal potentiellement réalisable que seule notre imperfection nous empêchait d’atteindre. Mais la mécanique classique va plus loin puisque ses équations impliquent l’existence d’un temps absolument réversible. Autrement dit tout phénomène soumis aux équations de la mécanique classique est sensé pouvoir remonter le temps. Le vieillard pouvoir revenir vers la jeunesse, la bille remontera la pente qu’elle a descendu, la bougie fondue se reconstituera, etc… Il n’en va pas ainsi dans la réalité, les phénomènes qui font notre quotidien sont irréversibles, il y a la grande marche en avant de l’évolution sans retour en arrière possible.


La notion de point de bifurcation et celle d’horizon temporel sont deux notions intrinsèquement liées. Je prendrai comme exemple une prévision lue dans un journal (que je ne citerai pas) et qui prenait l’évolution du taux de croissance de la population de ces dernières années pour prédire qu’en 2050 le nombre d’habitants de la planète serait de…je ne me rappelle plus, cela n’a aucune importance, car de telle prédiction n’ont aucune valeur, elles sont parfaitement absurdes et dénuées de tout intérêt.  Techniquement cela s’appelle des projections linéaires et s’accompagne du postulat implicite « toutes choses égales par ailleurs… ». Autrement dit s’il n’y a pas plus de guerres, pas plus de famines, pas de manque d’eau, pas plus de besoins fondamentaux non satisfaits,  pas plus d’épidémies, etc… la population devrait être en 2050…Regardez autour de vous, chaque jour les « choses cessent un peu plus d’être égales par ailleurs ». Et l’horizon temporel est ce point limite qui marque le moment où la projection linéaire cesse d’être valable parce que « les choses ne sont plus du tout égales par ailleurs» et que leurs influences conjuguées ont fait bifurquer le système : l’ont fait entrer dans un autre régime de fonctionnement à priori imprévisible, seulement évaluable en termes de probabilité. Le système est alors en état d’instabilité, il obéit à d’autres lois que celle d’actions-réactions des forces de la mécanique, c’est le moment où le battement de l’aile d’un papillon à Madagascar peut provoquer une tempête à Honolulu.


photo yurtao

Pourquoi est-ce que j’introduis toute cette théorie qui peut sembler rébarbative ? Parce qu’elle est indispensable pour comprendre la situation concrète qui est celle de notre planète et de ses habitants, là, présentement. Parce qu’il s’agit pour nous de devenir les papillons qui battent des ailes au bon endroit, au bon moment. Autrement dit il s’agit de comprendre comment avec un minimum de force produire un maximum d’effets, autrement dit encore comment créer des phénomènes de résonance efficaces, susceptible de changer le cours des choses. C’est le moment où jamais, il nous reste fort peu de temps pour comprendre où agir, comment et avec qui ?


Je vous laisse digérer cela, mon prochain article sera une tentative de mettre ces notions en perspectives dans les circonstances concrètes du monde contemporain. Je ne promets rien, je n’ai qu’une vision parcellaire –comme tout un chacun- de cette situation. J’essayerai cependant de tirer le meilleur de cette vision limitée, en espérant que d’autre viendront la compléter et l’enrichir de leur connaissances et de leurs expériences.


Anne
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Gilles Deleuze, février 1977.

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