L'article qui suit à été publié sur le site YURTAO, la voie de la yourte.
Ceci n'est pas le chantier d'une multinationale sous-traitant des employés forestiers roumains pour défricher les parcelles d'un lotissement destinés aux riches retraités du Nord.
Ceci n'est pas une équipe de clandestins engagés par une filiale d'EDF pour dégager les arbres sous les lignes électriques.
Ceci n'est pas un groupe sauvage de bucherons illicites profitant de l'état de catastrophe naturelle des dernières pluies pour sortir un max de bois à l'œil.
Ceci n'est pas une entreprise d'insertion commandée par des petits malins généreusement subventionnés pour s'occuper des pauvres, rassemblant quelques « parasites » sur une action de remotivation au travail.
Ceci n'est pas un camp de scouts.
Ceci n'est pas une faction de l'ultra gauche anarcho-autonome, en exercice rural organisé préparant une issue de secours derrière une ferme blokaus.
Ceci n'est pas non plus une bande structurée d'écolos nettoyant les rivages des lieux publics pour faire leur béa annuelle sous les caméras de télé.
Ceci n'est pas l'avant garde d'une rave partie.
Ceci n'est pas une cueillette de champignons, ni de châtaignes.
Ceci n'est pas une escouade motivée de salariés agricoles reconvertis en valets obséquieux sur le futur golf à mille trous au milieu des Cevennes.
Ceci n'est pas une association de randonneurs en mal de nouveaux accès.
Ceci n'est pas une délégation de « Jeunesse et sports » préparant le terrain de la prochaine colonie de vacances en milieu naturel avec observation de chouettes et piverts.
Ceci n'est pas un entrainement informel d'apprentis pompiers pour la prévention des feux de forêts.
Ceci n'est pas une équipe de fonctionnaires des services techniques de la mairie de Bessèges affectés à l'entretien des chemins ruraux.
Ni de la conservation du patrimoine protégeant les faïsses, bancels, restanques, terrasses cevenoles en péril.
Ni de la communauté de communes, ni du « syndicat intercommunautaire à vocation multiple », ni de l'aménagement du territoire.
NON NON et NON.
Ceci est une bande de RMIstes
en train de rien foutre.
Ceux-ci n'ont pas d'heure, pas de portable, que les cloches de l'église en bas.
Ils ne pointent pas, ne se ruent pas sur les heures supplémentaires, n'ont pas de comptes à rendre.
Ils ne font pas de bruit, malgré qu'ils sont plusieurs et parfois des enfants avec.
Ils ont commencé tranquilles après le café du matin, ils finissent tranquilles après le bout de la piste achevé.
Ils n'ont pas de chefs, pas de machines à moteur démultiplié, que des outils à mains cabossés qui leur appartiennent.
Ils n'ont pas de bleus de travail, pas de chaussures de sécurité, pas de vestiaires, que des tee shirt troués de la croix rouge.
Pas de cantine, pas de camions qui les attendent avec la gamelle, ni d'ailleurs de petite femme à la tambouille à la maison.
Ils n'ont pas de fiche de paye, pas de panier de légumes à la fin, pas une note favorable dans le contrat d'insertion, rien sur le curriculum vitae, et ça ne leur rapporte aucune rémission dans l'instruction de leur dossier ANPE.
Au contraire, ils sont toujours convoqués régulièrement à cinquante bornes pour se faire engueuler de pas trouver du travail, malgré qu'ils n'ont pas de bagnole, pas de cravates, malgré la ligne de chemin de fer en suspens pour cause de non rentabilité et les cars scolaires en grève, en panne ou en vacances.
Ils font des pauses quand ça leur chante, ils discutent en roulant leurs clops, ils refont le monde tranquillement assis sur une pierre au milieu des ronces.
Ils bêchent, binent, ratissent, scient, tirent sur les racines, tranchent les épines, sécatorisent, se courbent en deux, se baissent à terre, se relèvent, déplacent des pierres énormes.
Ils ont ouvert et rendu praticable un chemin vicinal obstrué par les déchets d'un riverain indélicat, réhabilité un passage condamné,
en épargnant les violettes.
En une journée, pépères, un Samedi, pendant que les autres sont au loto.
Ils ne le font pas pour l'argent, pas pour obéir, pas pour le diplôme, pas pour leur bonne conscience, pas pour le bon ordre ou l'affiliation à un groupe identitaire, même pas pour l'avenir de la planète.
Ils le font parce qu'ils en ont envie.
Ils le font parce qu'ils sont contents d'être ensemble.
Ils le font parce qu'ils ont du temps.
Ils le font parce que ça leur fait plaisir.
Ils sont venus chez moi d'où je suis expulsée.
Ils m'ont proposé leur aide.
Ils n'ont pas envie que l'aventure du Cantoyourte s'arrête.
Alors ils continuent, vers une nouvelle terre, un nouveau lieu, un peu plus loin de ceux qui n'aiment pas les voir ensemble aux yourtes
rigoler et manger des merguez entre deux fêtes et deux coups de mains spontanés.
Certains appellent ça des journées chinoises.
D'autres des chantiers bénévoles.
D'autres de la coopération villageoise.
Les plus mal embouchés du travail au noir.
Mais ce n'est toujours pas vraiment ça.
C'est quelque chose de nouveau.
Quelque chose peut-être aussi qu'on avait oublié et qu'on retrouve naturellement.
La liberté, l'auto-organisation, l'auto-gestion collective.
Comment des peuples sans plans et sans techniques construisent des civilisations.
La sortie de l'assistanat et la prise en main de son destin, la libération de l'attente d'un emploi imbécile, mais aussi la prise de conscience que son histoire est chevillée à celle du voisin, là où il en est.
Que si on laisse les autres détruire ce qui nous anime et nous relie, on cède à ce qu'ils attendent que nous soyons: des loques honteuses qui méritent bien ce qui leur arrive, exilées dans un bagne vert.
Alors les voilà, mes amis, mes comparses, mes voisins:
ils créent gratuitement une richesse inestimable.
Ils créent de la fraternité, de la solidarité, de la joie, de l'amitié.
Ils font du bonheur et des journées magnifiques.
Il y a ceux qui sont là, ceux qui auraient voulu être là, ceux qui seront là la prochaine fois, ceux qui ont envoyé leur soutien, leur contribution.
Ils mutualisent ce qu'ils ont, celui qui a plus verse pour celui qui a moins, les hommes autant à la cuisine que les femmes au râteau, veillent à éloigner le vin de celui qui en abuse, à garder une gourmandise pour les enfants, ....
Ils créent un nouveau monde, un autre monde, ici et maintenant, avec chacun son pets de travers, humblement et sans grands mots, sans brevets et sans industrie, ils ne le crient pas sur les toits, ils n'attendent rien des institutions et des élections, rien qui puisse améliorer leur condition sans qu'ils y mettent la main à la pâte.
Ils le font parce qu'ils sont sortis de la société technocrate, marchande, matérialiste, productiviste, capitaliste.
Ils le font parce qu'ils sont des belles personnes,
des vrais êtres humains tout simplement.