5 décembre 2013 4 05 /12 /décembre /2013 05:30

 

 

 

Titre de l'image : Paul Gauguin - La vache rouge

Les gouvernements européens dans les mains des corporations

Le projet d’Unilever et ses programmes « d’incorporation » de l’agriculture familiale à ses chaînes productives, se transforme en projet de l’Union Européenne.

 


(...) C’est dire que le discours des gouvernements européens est hautement idéologique, prisonnier des narrations et négoces des corporations.

 


Les gouvernements Européens (...) comme toujours face à la crise du capitalisme et du libéralisme appliquent stupidement les recettes libérales qui ne font rien d’autre que d’empirer la situation des peuples

 


« La subordination totale de l’agriculture aux intérêts des corporations », ce n’est pas un problème des paysans, c’est le problème de l’humanité toute entière"

 



f_0350.jpg

 

 

 

 Conférence de l’agriculture familiale de l’Union Européenne

==============================================

 

Par Diego Montón - Movimiento Nacional Campesino Indígena (Mouvement National Paysan Indigène)

 Secretaría operativa CLOC (Coordination Latino Américaine des Organisations des Campagnes) Vía Campesina

04-12-2013

 

View Of Auvers Sur Oise - Paul Cezanne - www.paul-cezanne.org


 L’année 2014 a été déclarée année mondiale de l’Agriculture Familiale par la FAO dans le cadre de la crise alimentaire qui frappe les peuples du monde, cela semble être une opportunité pour approfondir les analyses et défis. Cependant on s’aperçoit d’emblée qu’on ne pourra éviter la bataille du sens.

Que signifie Agriculture Familiale ? Quelle est son importance réelle ? Quelles sont les causes de la faim ? 

Les corporations se sont déjà lancées à l’assaut pour accaparer la mémoire historique du rôle des paysans et paysannes, et là, elles y vont à fond, construisant une narration qui occulte l'histoire et subordonne l’agriculture mondiale à leurs intérêts spéculatifs.

La Conférence de l’Agriculture Familiale qu’a organisé la Commission Européenne, à la fin novembre, à laquelle nous avons participé, une vingtaine de compagnons et compagnonnes de la CLOC (Coordination Latino Américaine des Organisations des Campagnes) et de la Via Campesina, fut exemplative.

 


f_0565.jpg

  

Lamentablement comme pour le reste de la politique, les gouvernements européens répondent directement à l’idéologie imposée par le capital financier. Ainsi, paradoxalement à l’ouverture de la conférence, il n’y eu pas d’orateurs des organisations paysannes et de l’agriculture familiales, seuls parlèrent des fonctionnaires et à notre grande surprise, un exécutif d’UNILEVER qui présenta ses « réalisations » et expectatives pour l’année de l’agriculture familiale.

  

 Unilever est une transnationale agro-alimentaire qui dirige 400 marques dans 100 pays, fameuse pour ses « cubes » Knorr, et sa production mondiale de 50 millions de cubes par seconde. Bien que cela soit peu diffusé, dans la matière première utilisée abondent les transgéniques et agro toxiques, les conservateurs et les produits chimiques, et par-dessus le marché, des dénonciations ont été faites au sujet de ces cubes produits par le travail  d'enfants et du travail précarisé.

 


f_0016.jpg

 

 Le discours des fonctionnaires européens est celui d’une “Agriculture Familiale” qui doit être « protégée » pour des questions de culture, et des problèmes sociaux, mais relever le défi d’alimenter l’humanité en 2050 ne sera possible que par les corporations. Ainsi le projet d’Unilever et ses programmes « d’incorporation » de l’agriculture familiale à ses chaînes productives, se transforme en projet de l’Union Européenne. Productivité, compétitivité, rentabilité, innovation, etc, sont les paroles qui prédominent dans un discours vide d’analyses, sans que soit prononcée la parole crise. C’est dire que le discours des gouvernements européens est hautement idéologique, prisonnier des narrations et négoces des corporations.

 

images?q=tbn:ANd9GcRqtjAtmJsyILd36Qxpqr1


 Il faut donc faire remarquer l’exception, parmi les discours officiels, que constitua l’intervention de Graziano da Silva, le Brésilien directeur de la FAO. Graziano ne rentra pas dans les causes, mais il fut clair quant à l’importance de l’Agriculture paysanne ; “Le problème n’est pas de l’ordre de la productivité, c’est une question d’accès et de la distribution des aliments (…). Les agriculteurs familiaux ont été et seront ceux qui résoudront le problème de la faim dans le monde (…). Le marché global ? Où est-ce qu’il se trouve ? Comment peut-on acheter des aliments là ?(ironise-t-il). Il faut renforcer les marchés locaux et le rôle de l’agriculture familiale. Le marché global des aliments et l’agriculture industrielle implique une immense perte d’aliments par décomposition(…) » Il faut dire que cette position novatrice de la FAO constitue une ouverture favorable dans le contexte institutionnel international. Les gouvernements Européens par contre, comme toujours face à la crise du capitalisme et du libéralisme appliquent stupidement les recettes libérales qui ne font rien d’autre que d’empirer la situation des peuples.

 

Titre de l'image : Vincent van Gogh - La Moisson à La Crau, avec Montmajour dans le Fond


 Mais il y eu une autre surprise lors de cette conférence quand s’est rendu compte  de la présence de Etchvere, le Président de la Société Rurale Argentine, cette entité oligarchique de propriétaires terriens qui a grandi en tuant des indigènes en 1880 et s’appropriant leurs terres, et qui  continue de le faire à présent, cette entité qui a conclu des alliances avec des transnationales qui a provoqué et accompagné chaque dictature civico-militaire, qui a essayé par tous les moyens d’éliminer la démocratie. Ils vinrent comme membres de l’OMA (Organisation Mondiale des Agriculteurs), qui est devenue héritière de la FIPA et qui prétend également participer à l’année de l’agriculture familiale.

 J’ai vu Etchevere et immédiatement m’est revenu à la mémoire notre compagnon Cristian Ferreira, assassiné par un sicaire dans sa maison, devant sa famille. Cristian était un dirigeant du Mouvement Paysan, un jeune, son “péché” fut de promouvoir l’agriculture paysanne et d’avoir détenu un entrepreneur qui voulait s’approprier la terre communautaire. L’entrepreneur aujourd’hui est emprisonné. La Société Rurale agit politiquement et judiciairement pour le faire libérer. De même que Cristian, me passèrent en tête des centaines de paysans et de paysannes assassinés au Honduras, au Paraguay, au Guatemala, et dans tant d’autres pays de Notre Amérique Latine en lutte quotidienne pour la terre. Au cours de ces mêmes journées, un gang de nervis agressait violement un campement et un barrage établi pour empêcher la construction d’une usine de MONSANTO, dans le village de Malvinas, Cordoba, Argentine, une résistance dont les meneuses sont les mères dont les enfants souffrent ou souffraient de cancer et de leucémies causés par les fumigations au Glifosate qui se pratiquent quotidiennement dans les villages ruraux du Cône Sud et dans d’autres régions du continent.

 

A Turn In The Road - Paul Cezanne - www.paul-cezanne.org

 


 Mais les gouvernements européens nous viennent encore une fois avec les contes de fées, d’une harmonie possible entre corporations et paysans, dans laquelle résiderait la solution. Celle d’un prétendument libre marché dans lequel nous pourrions tous être en compétition et dont les règles sont « transparentes ».

 


bretonshepherdess.jpg

 

 Voyons quelques données :

- avec seulement ¼ des terres arables du monde, les paysans et paysannes alimentent 70% de la population mondiale,

et selon la FAO : plus de 40% des aliments de la chaîne agro-industrielle se perdent par décomposition.

90% du marché mondial des grains est entre les mains de quatre corporations : ABC, Bunge, Cargil et Dreyfus.

Monsanto contrôle 27% du marché global des semences et joint à 9 autres corporations plus de 90% du Marché des agro-toxiques.

 

Cette concentration leur permet de faire pression par la spéculation pour que les prix des marchandises augmentent systématiquement. En plus leur alliance étroite avec la finance internationale leur permet de disposer d’immenses masses de capital d’origine spéculative qui est utilisé pour l’accaparement de Terres, le lobbying et la pression sur les gouvernements du monde, la corruption, etc…

 


 

 

 De quel marché libre nous parlent-t-ils ? Le marché est otage des corporations et du capital financier.

 

 

 

Si nous ajoutons au monopole les problèmes de perte de biodiversité et de crises du milieu ambiant provoquée par de grandes extensions de monocultures, les graves problèmes de santé et la contamination par des milliers de tonnes d’agro-toxique par fumigation non discriminée, le travail d’esclave, l’usage sans discrimination de combustibles fossiles, la destruction des marchés locaux, entre autres, il nous apparaît clairement qu’il n’est pas possible d’harmoniser l’agriculture paysanne avec l’agriculture des corporations, comme il ne sera pas possible d’en finir avec la Faim par ce modèle né de la révolution verte.

 


 La Via Campesina,, malgré qu’elle n’était pas des mieux placées,  rendit cela très clair dans la conférence, faisant la preuve de la consistance, de l’humilité et de la force de la vie paysanne. Les fonctionnaires européens ne s’attendaient pas à  autant de critiques, et ils furent surpris par les applaudissements que reçurent chaque compagnon et compagnonne qui levait la main et parvenait à exprimer ces idées. Avec des visages africains, asiatiques, latino-américains et européens, ici, est apparue la voix paysanne, millénaire, vive et porteuse d’espoir.

 Il est à espérer que cette situation se reproduise sur tous les continents,  avec un fort débat autour de l’année de l’agriculture familiale.


images?q=tbn:ANd9GcRiidO1h01zX3FbybeOAr_

 


Pour l’année à venir se dessinent d’importants défis idéologiques et politiques. Nous devons parvenir à potentialiser la mobilisation et la lutte dans le monde entier, soutenant nos luttes historiques : Réforme Agraire pour la Souveraineté Alimentaire, aiguisant le regard sur notre principal ennemi : Les corporations transnationales et leur projet idéologique et technologique.

 

StablesDieppe.jpg


 Il est fondamental d’établir les meilleures alliances, de parvenir à connecter tous les processus de lutte et de résistance, avec des messages qui soient capables de transmettre quels sont les enjeux « La subordination totale de l’agriculture aux intérêts des corporations », ce n’est pas un problème des paysans, c’est le problème de l’humanité toute entière. Pour cela notre projet paysan et populaire doit pouvoir s’intégrer dans un projet politique populaire qui exprime les projets des secteurs populaires paysans, travailleurs, désoccupés, indépendants et professionnels, qui permettent que nos luttes et projets soient reflétés dans les politiques publiques.

En Amérique Latine, nous avons le défi de porter le débat à l’ALBA, UNASUR, MERCOSUR, à la CELAC, et de porter le débat dans ces programes qui ont permis de grandes avancées vers l’intégration anti-impérialiste et la construction d’une nouvelle hégémonie, mais qui a présent se retrouve engagé dans une grande bataille concernant le modèle à suivre, et dans laquelle la re-primarisation des économies est une grande menace.

 

DSC02222td53346_big.JPG


 Difficile de concevoir une Amérique Latine unie et libre si son agriculture reste subordonnée aux corporations et dans cette discussion, la question technologique est clé, l’agro-écologie doit avoir le caractère d’une « innovation ». La Banque du Sud devrait devenir un outil qui permette aux gouvernements de financer le développement agricole rural depuis la perspective de la Souveraineté Alimentaire et La Réforme Agraire est une politique continentale urgente.

 


 

 

 Cela sera possible en renforçant les organisations et en amplifiant nos luttes, avec un caractère créatif et diversifié, combinant l’action directe, avec l’action politique et le dialogue avec ces gouvernements progressistes et populaires articulant au niveau continental, national et local. Conservant l’autonomie nécessaire pour éviter que la bureaucratisation étatique et libérale et les programmes à court terme des gouvernements ne rendent la marche trop lente.

Les paysans et paysannes, nous allons continuer à alimenter les peuples, octroyant la vie et la liberté, c’est cela notre tâche historique.


Diego Montón

 


 

Traduction Anne Wolff

 


Plus de 200 défenseurs des terres fertiles, comme ils aiment à se définir, ont défilé hier matin dans les rues d’Avignon pour dénoncer le projet de déviation dans la Ceinture Verte d’Avignon. Photo DL / Angélique SUREL

 

Source  espagnole Los gobiernos europeos en las manos de las corporaciones | Minga Informativa

Partager cet article
Repost0

commentaires

D
<br /> Pardonnez mon commentaire, qui n'avait aucun intérêt, surtout en regard de la gravité et la qualité de l'article.<br /> <br /> <br /> En fait,  il me semble que Knorr vend 120 millions<br /> de cubes par an, ce qui fait déjà beaucoup d'excréments à ingurgiter...<br /> <br /> <br /> http://www.lavieeco.com/news/histoire-des-marques-au-maroc/knorr-330-000-petits-cubes-sont-vendus-chaque-jour--2332.html<br />
Répondre
A
<br /> <br /> Après lecture de l’article en lien, confirmation de ce que raconte Monton, et des<br /> centaines de millions – et là je suis certaine des chiffres que j’avance puisque rien qu’en membres officiels, la via campesina, c’est 200 millions de personnes à travers le monde le monde – il<br /> n’est pas du tout « raisonnable » de mettre l’agriculture paysanne entre les mains d’une entreprise qui fabrique le substitut vénéneux de la nourriture saine que le peuple ne peut plus<br /> se procurer.<br /> <br /> <br /> 120 millions de cubes par an rien que pour le Maroc, c'est déjà pas mal !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  328 767,12328767123287671232876712  par jour c’est déjà pas mal,<br />   encore que pour 32 millions d’habitants cela n’en fait en moyenne qu’un tous les 10 jours, encore un peu de rareté programmée et je suis<br /> certaine qu’Unilever pourra améliorer ce score… pour tout le monde et à tous les repas, le marché est loin d’être saturé !<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Unilever, "fameuse pour ses « cubes » Knorr, et sa<br /> production mondiale de 50 millions de cubes par seconde."<br /> <br /> <br /> C'est pas pour pinailler, mais en 1000 secondes, soit 16 minutes, ça<br /> fait 7 cubes par habitant de la terre...<br /> <br /> <br /> Bonjour l'indigestion....<br />
Répondre
A
<br /> <br /> On fera la balance en disant que les"centaines de paysans assassinés" est un chiffre qui lui est en dessous de la vérité, des milliers serait plus exact.<br /> <br /> <br /> Et chaque jour la liste s'allonge de quelques noms...<br /> <br /> <br /> <br />

Présentation

  • : Le blog de Anne Wolff
  • : Comprendre la globalisation, apprendre à y résister
  • Contact

Profil

  • Anne Wolff
  • Amoureuse de la vie, d'une fleur, d'un papillon, d'un arbre, du sourire d'un enfant, je m'oppose à tout ce qui conduit à la destruction systématique de ce que la nature a créé, de la vie, de la beauté du monde, de la tendresse et de la dignité
  • Amoureuse de la vie, d'une fleur, d'un papillon, d'un arbre, du sourire d'un enfant, je m'oppose à tout ce qui conduit à la destruction systématique de ce que la nature a créé, de la vie, de la beauté du monde, de la tendresse et de la dignité

No Pub

Malgré les publicités imposées dans sa nouvelles versions qui apparaissent sur ce blog,celui-ci reste un acte gratuit.

Recherche

Nouvelles formes du fascisme

"Le vieux fascisme si actuel et puissant qu’il soit dans beaucoup de pays, n’est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d’autres fascismes. Tout un néo-fascisme s’installe par rapport auquel l’ancien fascisme fait figure de folklore […].

Au lieu d’être une politique et une économie de guerre, le néo-fascisme est une entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d’une « paix » non moins terrible, avec organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes les petites angoisses qui font de nous autant de microfascistes, chargés d’étouffer chaque chose, chaque visage, chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle de cinéma."

 

Gilles Deleuze, février 1977.

Toutes Dernières Archives