« L’utopie ou la mort » est le titre d’un livre de l’agronome René Dumont publié au début des années 70 et qui est à l’origine du développement de l’écologie politique. Il fait écho aux avertissements lancés par le Club de Rome en 1969 et qui mettait l’accent sur la finitude des ressources de la planète et prévoyait l’explosion démographique qui s’est produite depuis. Un cri, un appel : il est urgent de changer nos modes de production et nos modes de consommation ! Il faut changer nos conceptions du monde ! Quarante ans et nous n’avons rien fait d’autre (ou presque) que d’aller vers le pire !



René Dumont met l’accent sur toutes les formes de désertification à travers le monde. Celles dues à l’érosion éolienne des sols à cause d’une agriculture extensive qui supprime les haies. Les vents ne sont plus freinés, la couche arable du sol est arrachée. Dans les grandes monocultures, des tracteurs trop lourds écrasent les précieux vers de terre. Au-delà d’une certaine dose, les engrais chimiques ne sont plus productifs et ils vont polluer la nappe phréatique. L’usage de ce surplus serait bien plus utile dans des pays atteints par la famine. René Dumont anticipe les conséquences de l’explosion démographique à venir. C’est un homme en colère. Dans de nombreux pays qui connaissaient la prospérité, en termes de « simplicité volontaire », les cultures vivrières ont été remplacées par des cultures d’exportation pour habitants des pays riches –cacao, café- dont les populations locales ne tirent d’autres bénéfices que de se retrouver à travailler comme esclaves dans les plantations de riches colons. L’importation du « modèle occidental » se traduit par des catastrophes. Vive le développement ! Vive « la civilisation » !

Je suppose que j’aurai l’occasion de développer quelques cas précis de mode de vie « primitifs » qui convenaient fort bien aux personnes qui les pratiquaient au quotidien, mais ici,  j’aimerais que chacun se pose la question en son « âme et conscience ». Qu’est-ce que l’Occident a apporté aux peuples qu’il a soi-disant « civilisés » ? Je suis Belge de nationalité et donc l’histoire du Congo m’interpelle. L’œuvre de Léopold II (roi mal aimé des Belges, et avec raisons ; roi qui détestait les Belges) dans ce pays est une œuvre de destruction massive.



Rappelons que la Belgique ne voulait pas du Congo, que du vivant du roi, elle fut propriété sa personnelle et qu’il légua ce pays en héritage à la Belgique. Comment peut-on léguer ce qui ne vous appartient pas ? Politique des mains coupées pour ceux qui ne veulent pas travailler dans les plantations, et les personnes qui se laissent mourir plutôt qu’avoir à subir cela, domestiques pour les planteurs…de quel droit ? De quel droit prend-on un peuple en otage ? De quel droit pressuriser un peuple, le mettre en esclavage ? De quel droit piller les richesses naturelles d’un pays ? De quel droit méprise-t-on sa culture sans prendre la peine de la connaître ? Sinon pour la coller sous forme de curiosité dans des bouquins d’ethnologues qui étudie des personnes humaines comme des entomologistes étudieraient des insectes ? Et de quel droit l’assassinat de Lubumba, l’homme qui a libéré les mots de la vérité, libérant la parole d’un peuple du carcan de l’hypocrisie colonialiste ?





« Tout le monde veut vivre comme nous ». Ce n’est pas vrai ! Il est plus que temps d’en finir avec cette idée de la suprématie du modèle occidental. Un modèle tellement merveilleux qu’il recueillerait l’adhésion spontanée de tous les habitants de la planète ? Universalité ? Ce n’est pas vrai ! Demandez aux Irakiens ce qu’ils en pensent (pour ne citer qu’eux). Il est temps de faire écho aux centaines de millions de voix qui clament de partout sur la planète : « Nous ne voulons pas de votre modèle. Il est sinistre, morbide, ne laisse pas de place à la joie, à la solidarité. Il enferme les enfants dans des carcans qui leur déforment le corps et l’esprit ! » Parlons-en des enfants « analphabètes » mais capables de déchiffrer une multitude de signes qui leur permettent d’évoluer dans des milieux où un petit occidental, fût-il premier de classe, ne survivrait pas cinq minutes ! C’est un des points de mon programme de rééducation  pour occidentaux pourris prétentieux : largué au milieu d’une forêt, avec un couteau et un peu d’eau, et retrouve ton chemin mon gars ! (On peut rêver !)



Ce qui est vrai, c’est que partout ou l’occidental est passé, il a détruit les traditions, les cultures, les modes de vie locaux. Stérilisation, et l’agriculture qui épuise les terres, et les déforestations, la pollution des eaux…Bref rendant une bonne partie de la planète inhabitable, l’occidental a provoqué les mouvements d’exode vers les villes ou vers les pays mythiques de l’Occident. Au secours ! Nous sommes envahis de vagues d’immigrés. Mais ce mouvement a été créé en entretenant le mythe de l’Occident auprès des populations locales. Il n’y a qu’une solution au « problème de l’immigration », c’est de restituer des conditions locales d’une vie digne ! Ouvrez les yeux, nombre de ces gens qui fuient la misère préfèreraient rester chez eux s’ils trouvaient sur place les conditions d’une vie digne. Je vis actuellement dans une commune où se côtoient (pas trop mal d’ailleurs) 169 nationalités, quasi la totalité des nations de la planète y ont des représentants. Souvent les gens viennent me parler, j’écoute ce qu’ils ont à raconter et c’est prodigieusement intéressant. Il ressort de ces conversations que la plupart de ceux qui sont arrivés ici, contraints par la misère, préfèreraient vivre « au pays » si seulement leur conditions de subsistance et celle de leur famille y était assurées. Ils ne sont pas ici par désir de s’enrichir, c’était vrai il y a quelques décennies cela : aujourd’hui ces personnes sont ici pour ne pas crever de faim.



N’oublions pas que nous sommes les héritiers de cinq siècles d’Inquisition et de chasse aux sorcières qui ont éradiqué nos cultures locales et modelé nos consciences à la dure par la torture et les bûchers, l’assassinat systématique de tous les dissidents. N’oublions pas que ce modèle occidental à vocation universel dont certains d’entre nous sont si fiers n’a pu voir le jour que par l’éradication violente des cultures locales. N’oublions pas que cette terreur est toujours présente dans les inconscients collectifs ! N’oublions pas non plus que la culture occidentale, s’est fondée par la rencontre avec la culture de l’Islam lors des croisades. Que cette rencontre nous a livré des trésors inestimables que ce soit dans le domaine des mathématiques, de la philosophie (Aristote était quasiment inconnu dans nos contrées), de l’hygiène, de l’agriculture, de l’architecture. N’oublions pas que sans cet apport, sans ce syncrétisme,  il n’y aurait jamais eu de culture occidentale !



Bref le « modèle occidental » n’a pu se construire et dominer une partie de la planète que par la violence et l’éradication, l’annihilation de toute autre forme de culture que ce soit dans les contrées où est né et où s’est développé ce modèle ou dans les contrées où il a tenté de s’exporter. Sa prétendue universalité est un mythe, comme les notions de démocratie et de liberté sont des mythes. Non tout le monde ne veut pas vivre comme nous, tant s’en faut ! 



Qui sont ceux qui adoptent notre modèle dans les pays de la périphérie ? Ce sont les bourgeoisies achetées par l’oligarchie pour l’imposer aux populations locales ! Encore que la plupart du temps, une fois détruits les modes de vie locaux, il n’y a qu’un alibi de culture. Ce qu’amène l’Occident ce sont les infrastructures qui facilitent le pillage des matières premières et les transports des produits de l’agriculture destinés aux riches des pays en voie de paupérisation.



Je rappelle que j’appelle pays en voie de paupérisation, les nations occidentales qui sous le poids de l’endettement voient des tranches toujours plus larges de leurs populations sombrer dans la misère. Et c’est bien là, le nœud de l’histoire : miséreux d’occident, populations pauvres des périphéries nous avons le même ennemi qui nous contraints de la même manière à obéir à ses diktats de déshumanisation du monde. Cet ennemi, c’est la petite tranche d’oligarques transnationaux qui par l’intermédiaire du FMI confisque le monde.



C’est une des mauvaises nouvelles du mois, on n’est pas sortis de l’auberge ! Le G-20 a décidé d’accorder au FMI les fonds censés nous sortir de la crise. Une vaste blague, une triste mascarade dont nous allons faire les frais. Ne nous leurrons pas, on peut toujours revendiquer l’abolition de la dette. On peut toujours revendiquer tout et n’importe quoi d’ailleurs. Revendiquer, c’est reconnaître son statut de soumission, de subordination. La liberté ne se revendique pas, elle se prend (elle s’autopose)!


photo yurtao

De toute façon, pour les aspirants Maître du Monde, renoncer au moyen de pression, d’étranglement que représente la dette détenue par le FMI, donc par eux, in fine, ce serait renoncer à leurs ambitions (on peut rêver…mais tout de même). Et cela bien sûr, ils ne sont pas prêts de le faire, jamais ils ne renonceront autrement que par la force de la contrainte ou de l’abandon.




La stratégie de l’abandon. La grève du consumérisme est une des armes de cette stratégie. Les pays d’Amérique latine et d’Asie qui se sont organisés pour rembourser leur dette et retrouver leur indépendance pratiquent également cette stratégie. Partout où cela est possible, il faut cesser de remplir les caisses de l’oligarchie en reconstruisant une économie de subsistance à partir de cellules de base en interaction. Certains pratiquent déjà cette stratégie. Mais chaque personne, chaque micro ou petite entreprise, chaque association qui s’ajoute au rhizome (je développerai cette notion à la fois complémentaire et opposée à celle de réseau plus loin dans un autre article) est un ancrage de plus dans la réalité d’un autre monde (plus doux) en construction, en action.

 

photo yurtao

Pour y parvenir, il y a une lutte politique et une lutte juridique à mener, stratégie de la contrainte. Il est urgent que ce construise des associations internationales de lutte pour le droit à un habitat différent : yourtes, tipis, cabanes, caravanes, roulottes, maison de terre paille, etc…Une autre lutte concerne la politique fiscale : exemption totale d’impôts pour les petites entreprises et pour les petits revenus. Une taxe légère sur les multinationales compenserait largement le manque à gagner pour l’état. D’autre part une telle politique permettrait à de nombreuses personnes qui aimeraient créer de petites entreprises, mais on peur en cas d’échec de se retrouver surendettées, d’échapper à la honte d’être « socialement assistés » et l’état se verrait crédité des revenus de remplacement qu’il n’aurait plus à distribuer.

Bref il s’agit d’une lutte pour le droit à la simplicité volontaire et la création des structure légale et fiscale qui permettront de concrétiser ce droit sans vivre sous la menace constante du risque de l’expulsion, du risque de criminalisation.

Utopie : Il y a de nombreuses personnes qui vivent comme cela aujourd’hui prouvant qu’il est possible de vivre « autrement » dans la beauté, le confort et la joie avec de très petits moyens financiers et matériels. Ces modes de vie offrent les facettes d’un syncrétisme culturel qui transcende le modèle occidental. Ils sont donc subversifs en tant que leur existence même réfute l’universalité de ce modèle. Ils dérangent le pouvoir qui cherche à les éliminer, personne par personne, lieu de vie par lieu de vie. Il ne suffit donc pas de pratiquer la stratégie de l’abandon, il va falloir aussi user de la contrainte pour imposer nos manières de vivre. N’oublions pas une chose, jamais : tous les politiciens, tous les représentants des « forces de l’ordre » ne sont pas les défenseurs conscients et volontaires des Profiteurs. Il ne faut pas s’aliéner ceux qui pensent de bonne foi agir pour le « bien », mais au contraire, il faut les convaincre, les gagner à notre cause, s’en faire des alliés, ils peuvent nous rejoindre, ils peuvent nous être utiles dans les luttes à venir. Il y aura bien assez (bien trop) de « sang et de larmes », pas besoin d’en rajouter pour le plaisir de jouer au héros, pour le plaisir de jouer aux martyrs.

 


Il y a également une lutte de propagande à mener. Nous ne retrouverons des économies nationales, des politiques nationales que si nous remboursons la dette au lieu de l’augmenter. Il faut que cela se sache, que des réflexions soient menées pour trouver les moyens d’y parvenir. « Ils ont des yeux mais ils ne voient pas. Ils ont des oreilles mais ils n’entendent pas » C’est le cas de la plupart de nos concitoyens trop conditionnés pour voir au-delà de ce qu’on leur dit de regarder les oreilles bouchées pour tout ce qui n’est pas systématiquement correct.





Une chose me rassure tout de même, quelques personnes, qui il y a quelques années, me prenaient pour une délirante totale quand je leur annonçais les catastrophes à venir si on ne se magnait pas le cul (et j’étais bien en-dessous de la vérité) commencent à avoir un autre regard et une autre écoute. La prise de conscience est lente, trop lente, mais cependant réelle et en constante avancée. Que peut-on faire pour accélérer  le réveil des consciences? Que peut-on faire pour que se multiplie les initiatives pratiques et concrètes de construction au présent d’un monde plus joyeux ?

 

Anne

 


Anne

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