Comprendre la globalisation, apprendre à y résister
Le Mouvement pour le Socialisme a montré ces derniers jours qu’il est une force politique bien implantée dans la population, capable de se recomposer même après une attaque féroce, comme le coup d’état qui a tenté de le détruire. Les putschistes ne se sont pas contentés de renverser Evo Morales, ils s’en sont pris aussi au dirigeants et cadres du mouvements, forçant les uns à fuir le pays, emprisonnant d’autres et tentant de semer la terreur dans l’ensemble du mouvement.
Il y a à peine quelques jours, la Bolivie était plongée dans la violence, et la situation semblait désespérée. Les usurpateurs du pouvoir avaient déchaîné une violence qui plus que les coups d’états qui ont mis au pouvoir des dictatures en Amérique Latine évoquait la montée au pouvoir des nazis en Allemagne. Non sans raison sans doute, puisque les principales forces des putschistes viennent de la Media Luna bolivienne, une région qui a eu le triste privilège d’être une foyer d’accueil de l’essaimage nazi, un des pires d’entre eux ,Klaus Barbie y trouva un refuge, protégé par les USA pour les services qu’il leur avait rendus dans la « lutte contre le communisme ».
Le fascisme en accédant au pouvoir pratique systématiquement un nettoyage ethnique, un nettoyage politique et un nettoyage social. La cible ethnique des néo-fascistes et autres nazis d’Amérique Latine, ce ne sont pas les juifs, mais bien les populations indigènes, leur mot d’ordre : achever la Conquista en apportant une solution finale à la « question indigène », l’ extermination définitive des peuples originaires. Un des vecteurs de ce courant est religieux, c’est un courant évangélique en pleine croissance. Il sévit en Amérique du Nord au Sud et compte des dizaines de millions d’adeptes, 20 millions au Brésil où ils ont porté Jair Bolsonaro au pouvoir.
Mais il existe également des courants catholiques qui servent la même cause, comme on a pu le voir récemment au Mexique quand un prêtre demande à ses disciples de prier pour délivrer ce pays de Satan auquel l’aurait livré le président Andrès Manuel López Obrador et de détruire toutes les institutions du pays, alors qu’en Bolivie, de bons chrétiens pratiquent des exorcismes collectifs pour chasser Satan, la Pachamama (enceinte de l’antéchrist) du pays. Le coup d’état a été dirigé par Luis Fernando Camacho, qui bien que catholique est un proche de Bolsonaro et des fondamentalistes évangéliques. Il dirige l’Union des Jeunes Cruzénistes, mouvement d’extrême-droite, paramilitaire dont la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, déjà en 2008 dénonçaient les exactions commises par ce groupe paramilitaire « parmi lesquelles figurent les harcèlements, menaces, assassinats de défenseurs de droits humains et de paysans qui luttent pour une juste répartition des terres mais qui mènent aussi des attaques contre des personnes ou des groupes du seul fait qu’ils sont indigènes ou partisans du gouvernement »….. «
Nettoyage ethnique, nettoyage politique, nous avons pu voir leurs troupes à l’œuvre au cours des dernières semaines, cette fois ils bénéficiaient de la protection de la police et de l’armée.
Le coup d’état consommé, Camacho qui ne s’est jamais présenté à aucune élection entre au palais présidentiel en vainqueur et prononce cette phrase qui fera le tour de la planète « Le Christ est de retour, plus jamais la Pachamama n’entrera dans ce palais ».
La répression se déchaîne alors, ciblée ou « aveugle », le paysage du pays se couvre de champs de bataille, des batailles ignobles tant les forces sont inégales. C’est clair toute la violence ne vient pas du côté des putschistes, il y a des groupes violents qui s’opposent au nouveau pouvoir et des actes de vandalisme, dont on ne sait qu’elle fut la part de provocation et le rôle qui aurait joué des membres du MAS. Mais l’immense partie du mouvement de résistance qui se lève est pacifique, et d’autres qui le sont moins opposent des pierres aux fusils des militaires qu’un décret promulgué d’urgence par la pseudo-présidente a exempté de toute responsabilité pénale pour les actes commis pendant cette sanglante répression.
Officiellement c’est une trentaine de personnes qui sont tombées, en majorité tuées par les balles des militaires, mais il y a de nombreux disparus et des témoignages affirment que les militaires ont fait disparaître des corps en différents lieux du pays. Les hôpitaux sont fermés ou débordés, pour soigner les centaines de blessés, des médecins, infirmiers et autres volontaires installent des hôpitaux de rue, plusieurs d’entre eux seront arrêtés pour cela sous prétexte de sédition. Un mot à la mode à ce moment en Bolivie, le même qui a obligé les journalistes internationaux a quitter le pays, une autre décret les menacent de se voir accusés de sédition si dans la pratique de leur métier, plutôt que de chanter les louanges du nouveau pouvoir, ils filment la terrible réalité du terrain et recueillent des témoignages qui permettent au monde d’en prendre connaissance. Les journalistes sont également menacés physiquement, ils ne s’approchent plus des fenêtres, de peur que quelque franc-tireur les prenne pour cibles, la situation devient intenable. J’ai pu voir une partie de l’évacuation épique de plusieurs journalistes argentins, en état de choc, choqués parce qu’ils avaient pu voir, choqués de s’être vu menacés de mort pour simplement faire leur boulot.
Mais déjà le rapport de force se déplace. Le projet de pays d’Evo Morales avait perdu une grande partie de son soutien. De plus de 60 % des voix, il tombe à 47 % (toute question de fraude présumée mise à part), clairement il est en désaffection. Un projet de transformation radicale comme le menait Evo Morales n’est viable que si l’adhésion qu’il rencontre est en permanente augmentation. Un projet de changement radical pour s’imposer quand moins de la moitié du pays le soutient, demande sinon une dictature, du moins un régime autoritaire afin de contraindre les opposants à se soumettre au nouveau modèle.
Pourquoi ce projet est tombé en désaffection, j’ai des pistes et mon opinion, mais pas encore assez documentée pour mener une plus ample analyse. Je suis cependant toujours surprise de voir que la gauche crie au miracle parce qu’un président socialiste à un taux de croissance élevée, alors que même des économistes de droites commencent à reconnaître que les taux de croissance positifs sont synonymes d’écocide et que l’importance du PIB comme ont la vu pour le Chili, n’est en rien une garantie de réduction des inégalités et de la pauvreté d’un pays. Que pendant ses deux premiers mandats Evo ait accomplit un travail formidable pour améliorer les conditions de vie, l’accès à l’éducation et à la santé d’une grande partie de la population la plus pauvre, la plus abandonnée, la plus démunie et exclue, c’est certain. Qu’il ait contribué à la possibilité pour la population originaire, jusque-là marginalisée, de prendre place à part comme sujet à part entière dans l’activité politique du pays, cela aussi il faut le mettre à son actif. Mais petit à petit, le pouvoir s’est stratifié, et les hautes sphères du MAS ce sont coupées des militants de base du parti et de leur implantation populaire. Les témoignages se recoupent, si de nouvelles têtes apparaissent dans le cénacle dirigeant ce n’est plus parce qu’elles ont été élues par la base, mais bien parce qu’elles ont été cooptées par Evo.
Le mécontentement grandit, et quand Evo annonce qu’il est réélu président, il se déchaîne sous forme de massives protestations. Des protestations qui ont certes deux composantes, une qui est le résultat du travail de sape qui fait partie du coup d’état préparé depuis Washington avec des complicités locales depuis l’accession au pouvoir d’un président socialiste, exactement comme ce fut le cas au Venezuela, où renverser Hugo Chavez était devenu une priorité pour Washington et l’oligarchie locale dés sa première élection en 1998. Il y a beaucoup de points communs dans les mouvements subversifs et putschistes qui sévissent dans ces deux pays et de liens entre les membres de ces 2 factions qui font partie d’un même courant et reçoivent les mêmes formations de la NED, l’USAID et autres ONGs de la subversion US. Mais où je voulais en venir, c’est que si comme au Chili ou en Colombie, se retrouvent dans les soulèvements des gens qui ont été mobilisés par des « agitateurs professionnels », ils sont une petite partie d’immenses mouvements de légitime mécontentement populaire, c’est important, j’y reviendrai plus tard, quand Piñera, Duque ou le « ministre de la défense » du gouvernement de fait de Bolivie Luis Fernando López Julio justifient la répression militaire par la présence d’une « attaque d’origine étrangère », ils insultent un peuple capable de décider seul que la manière dont il est gouverné ne lui convient pas.
Et donc dans la première phase de soulèvement populaire en Bolivie, il y a beaucoup de gens qui sont là parce qu’ils aspirent réellement à un changement à la tête du pays, des gens qui se sentiront trahis et utilisés quand l’extrême-droite confisquera le mouvement puis le pouvoir. La grande erreur de cette clique usurpatrice a été de déchaîner leur racisme triomphant dès les premières heures de leur victoire. Des sinistres relents d’un passé pas si lointain, d’une cruelle domination et exploitation de la majorité indigène du pays par cette même minorité blancoïde a ouvert les yeux de ceux qui manifestaient contre Evo, mais certainement pas pour l’accession au pouvoir d’une extrême droite raciste, cruelle, et fanatique religieuse.
La composition des manifestations avant et après la victoire du coup d’état n’est pas la même, le rapport de force change et le peuple uni commence a se réorganiser. Le nouveau pouvoir débordé par la force de la réaction déchaîne une répression démesurée. Il espère semer la terreur parmi la population, la forcer à dégager les routes et les rues, c’est le contraire qui se produit, au-delà de la douleur, la colère et la détermination populaire s’intensifient.
Pendant ce temps, le nouvel exécutif formé totalement des fidèles de ce courant qui a emporté 4 % des votes aux dernières élections, tente de détruire les assemblées législatives où le MAS occupe presque deux tiers des sièges. Les représentants du peuples sont sauvagement agressés, leurs familles sont séquestrées, leurs maisons brûlées, d’autres sont emprisonnés, d’autres encore entrent dans la clandestinité où prennent le chemin de l’exil. Des députés, des sénateurs ne peuvent tout simplement plus quitter leur région pour se rendre au siège du gouvernement faute de moyens de transport.Tout semble perdu…
Soudain pourtant le processus s’inverse. Des députés et sénateurs du MAS se sont accrochés, pour pouvoir continuer à travailler certains campent sur place dans les locaux du Congrès , ils ont peur s’ils sortent soit de se faire arrêter, soit d’être empêchés de rentrer par des forces de l’ordre qui ont battus l’ancienne présidente du sénat, toujours sénatrice, pour l’empêcher de pénétrer dans les locaux.
Une jeune femme va prendre la direction de la réorganisation des forces. Elle s’appelle Eva Copa Murga, elle a 32 ans, militante dès l’adolescence, elle a déjà derrière elle un long parcours politique. Je n’ai pas tous les détails de toutes les étapes des événements qui vont suivre, mais une bonne idée générale. Le 14 novembre Eva est élue, dans le respect des règles constitutionnelles, présidente du Sénat. Le but : remettre le législatif au travail pour pouvoir opposer aux putschistes à la légitimité nulle, une force politique légitime, cohérente et représentant la majorité du pays. Parce que dehors le massacre se déchaîne, que l’armée tire sur des gens désarmés, parce que les représentants du peuples sont menacés de mort. Il faut avant tout arrêter le massacre et ensuite, couper court à la volonté clairement et activement manifestée des usurpateurs de se maintenir au pouvoir. Il ne faut pas laisser se prolonger le vide législatif qui leur permet de gouverner par « décret suprême ». Il ne faut pas leur permettre d’organiser seuls de nouvelles élections dont ils décideraient des règles. Je ne sais pas exactement comment les Assemblées ont pu se remettre au travail, mais elles l’ont fait. Et sous supervision de représentants de l’église, de l’Union Européenne et de l’ONU, des tables de négociations ont eu lieu réunissant le pouvoir de fait, le pouvoir législatif et les représentants des organisations sociales. Le samedi 23 novembre sont proposées face à cette assemblées les versions finales de deux projets de loi, la première concerne la pacification du pays, la seconde l’organisation des élections, elles seront signées le le lendemain. Quatre vidéos d’un peu plus d’une heure chacune rendent compte de ces débats, j’ai regardé la dernière, je vous en rendrai compte par la suite, parce qu’il y apparaît beaucoup de choses importantes pour comprendre les forces en confrontation et que ce moment est une incontestable victoire du peuple obtenue par des négociations qui ont ramené la Pachamama de pied ferme, la voix haute, claire portant un discours intelligent et déterminé, au cœur du palais présidentiel.
Anne W