24 août 2009 1 24 /08 /août /2009 17:07
 Source : Une stratégie autogestionnaire - Les Alternatifs
Dans le cadre : invitation à réfléchir aux possibles de notre avenir

Intervention à l’Université d’été

par Bruno Della Sudda

La juxtaposition des termes stratégie et autogestion peut surprendre Le premier a une connotation militaire, tandis que l’autre renvoie à l’expression des aspirations à l’autodétermination et à l’émancipation humaine.


La stratégie, c’est, ici dans le domaine politique, le moyen de la prise du pouvoir Mais c’est de l’autogestion qu’il faut partir : de quoi s’agit-il au juste ? Est-ce « une vieille lune », sur fond de nostalgie soixante-huitarde ? Ou s’agit-il plutôt d’une question redevenue très actuelle, à travers des pratiques mutiformes et des aspirations vivaces, tant dans le monde du travail que dans la commune ? Nous partons d’une première hypothèse : l’autogestion est à la fois un moyen et un but.
Mais alors comment la relier à la question de la prise de pouvoir et en quoi doit-elle être au coeur d’un projet alternatif au capitalisme ?
Nous partons d’une seconde hypothèse : ni consécutive au « grand soir » ni consécutive à une « révolution par les urnes », l’autogestion précède et prépare les ruptures ; l’autogestion n’est cependant généralisable que combinée au terme d’un processus, celui d’une révolution longue.
Enfin, l’autogestion invalide-t-elle la nécessité de structures organisées : associations, syndicats, forces politiques ?
C’est parfois ce que nous entendons autour de nous, et il y a quelques raisons à cela.
Nous pensons l’inverse : s’organiser est encore et toujours nécessaire, les structures collectives demeurent indispensables.
Mais c’est la fonction de ces structures, leur rôle et leur rapport à la société qu’il nous faut repenser.

1 L’AUTOGESTION DANS L’HISTOIRE : PRESENTE DANS CHAQUE CRISE ET DANS LES DEBATS DU MOUVEMENT OUVRIER

De la Commune de Paris (1871) à la Révolution polonaise (1980-1981), à l’Est comme à l’Ouest, l’autogestion est présente à tous les rendez-vous des crises révolutionnaires de la fin du XIX° siècle et du XX° siècle, ces moments où la question du pouvoir politique est posée à la suite de très fortes mobilisations populaires.
Dans un tel contexte, l’autogestion n’est jamais un a-priori idéologique, jamais une décision d’état-major.
L’autogestion est toujours une réponse immédiate et collective, une réponse concrète à un problème concret : la vacance du pouvoir « en bas » qui entraine un processus de remise en route de la production ouvrière et paysanne par les travailleuses et les travailleurs eux-mêmes/elles-mêmes.
On retrouve ainsi l’autogestion, de manière plus ou moins forte, non seulement dans les deux exemples déjà cités, mais aussi entre-autres dans la double révolution russe de 1917, dans l’Italie des conseils du début des années 1920, en Catalogne en 1936, à la Libération en 1944 (en France et en Tchécoslovaquie par exemple), dans la Révolution hongroise de 1956, à l’occasion du Printemps de Prague en 1968, au moment de la Révolution des Oeillets de 1974-1975 au Portugal…
Plus loin de nous sur le plan géographique, l’autogestion est aussi présente dans l’effervescence de la Révolution algérienne en 1962-1963 au lendemain de l’indépendance -il s’agit d’une autogestion paysanne-, au moment de l’Unité populaire au Chili (1972), au tout début de la Révolution iranienne de 1979 (avant que la chape de plomb des mollahs ne confisque cette révolution), au Chiapas après l’insurrection zapatiste de 1994.

A chaque fois, le déploiement de ces expériences autogestionnaires prend fin quand arrive le reflux, ou à fortiori en cas de contre-révolution : l’autogestion généralisée est incompatible avec le capitalisme ou l’ordre bureaucratique.

A l’intersection des crises révolutionnaires et des débats du mouvement ouvrier, il y a le cas yougoslave et sa singularité : en 1950, l’autogestion est mise en place après la rupture entre Tito et Staline, elle devient une référence officielle à l’échelle d’un Etat, la Yougoslavie.
L’autogestion yougoslave est à la fois une autogestion « par le haut », sous la direction de l’Etat et du « parti unique » (la LCY), et une autogestion « par le bas » : celle de la mobilisation et des aspirations populaires dans la continuité de l’extraordinaire résistance autonome ayant libéré la Yougoslavie du fascisme en 1944-1945.
L’expérience yougoslave est d’une formidable richesse : on en retiendra en terme d’acquis et de limites le premier schisme dans le mouvement communiste avec une référence autogestionnaire, l’autogestion au coeur du système économique et politique, mais aussi l’autogestion corsetée dans le système du « parti-Etat » et du « parti unique », et l’articulation non-résolue entre plan, marché et autogestion (question qui nous interroge encore aujourd’hui).

L’autogestion est toujours présente dans les débats du mouvement ouvrier mais c’est souvent une présence « en creux » : elle est inassimilable par les courants majeurs que sont la social-démocratie et le stalinisme tout au long du XX° siècle, et elle est suspecte aux yeux de l’extrême-gauche classique de type trotskyste ou maoïste dans leur apogée des années 1960 et 1970.
L’autogestion ne sera défendue qu’à la marge et dans les courants critiques des partis sociaux-démocrates et staliniens, et par les courants libertaires (la faiblesse majeure de ces derniers étant de ne pas établir de lien entre l’autogestion et une stratégie transitoire posant la question du pouvoir politique).

Le cas de la France est cependant spécifique : l’autogestion deviendra après mai 68 une référence revendiquée par des secteurs de plus en plus larges du mouvement ouvrier, sur le plan politique et syndical : le PSU et de manière plus ou moins ambigüe une partie de l’extrême-gauche (ambigüe car l’autogestion est renvoyée « aux lendemains de la révolution », sauf pour les libertaires et les marxistes autogestionnaires de l’AMR), puis par le PS qui tente de capter sur le plan électoral la radicalité d’alors, par le PCF enfin de manière très formelle ; et surtout par la force montante du syndicalisme dans les années 1970, vers laquelle affluent de nouvelles générations attirées aussi par l’écologie, le féminisme et le « soutien aux immigrés » : la CFDT.

Mais l’autogestion ne se limite en aucun cas à des expériences uniquement liées aux crises révolutionnaires : elle existe aussi dans des périodes de forte conflictualité sociale, ou même en période de reflux social ou politique

Ainsi, dans l’après mai 68, l’autogestion sera la réponse des travailleurs/travailleuses de Lip en France à partir de 1973, avec un impact international (« On fabrique, on vend, on se paie ») et la démonstration faite qu’ « un patron a besoin des ouvrier-e-s mais que les ouvrier-e-s n’ont pas besoin de patron », ou encore de Lucas Aerospace en Angleterre, expérience moins connue mais passionnante : dans ce cas, c’est aussi le contenu de la production qui a été remis en cause (et posée ainsi la question de la reconversion, en l’occurrence d’une production militaire à une production civile) par le plan alternatif élaboré en 1976 par les salarié-e-s, avec l’aide d’experts extérieurs à l’entreprise.

Plus proches de nous dans le temps, les expériences elles-aussi passionnantes de la mine de charbon de Tower Colliery au Pays de Galles (mise en lumière par le film de JM Carré, « Charbons ardents », 1999) à partir de 1994 ; ou encore de la coopérative ouvrière de Mondragon au Pays Basque aux racines anciennes et souvent considérée à partir de 1985 comme la plus importante coopérative ouvrière au monde

L’expérience de Mondragon n’est pas isolée : elle symbolise ce qu’on pourrait appeler « l’autogestion discrète », c’est-à-dire la persistance et le développement, en dehors des crises révolutionnaires et des périodes de forte conflictualité sociale, de pratiques autogestionnaires au travers du mouvement coopératif.

Les limites et les contradictions du mouvement coopératif, inhérentes à la pression du contexte capitaliste, n’empêchent qu’au travers de ce mouvement s’expriment des aspirations autogestionnaires, la volonté de vivre dès aujourd’hui d’autres relations sociales, un autre rapport au travail, qui préfigurent et préparent le projet alternatif et la société autogestionnaire de demain.

2 ACTUALITE DE L’AUTOGESTION : CAPITALISME MONDIALISE, CRISE DEMOCRATIQUE, AMERIQUE LATINE

Le capitalisme à l’heure de la mondialisation libérale a des aspects très contradictoires : nous ne connaissons que trop bien les conséquences dramatiques de la « globalisation » à travers l’aggravation brutale des inégalités et de la crise écologique, la financiarisation des économies, et la crise actuelle résultat de plus de 20 ans d’offensive néo-libérale.
Nous voyons moins d’autres tendances à l’oeuvre, tout aussi importantes et source de contradictions majeures pour le capitalisme : les modifications de la production à travers la tendance à une socialisation et une coopération accrues -même si elle ne concerne ni toute la production ni tous les emplois-, l’élévation générale du niveau moyen de formation et de qualification des populations, et les aspirations qui en découlent : partager le savoir et le pouvoir, réduire les relations hiérarchiques et la délégation de pouvoir, prendre ses affaires en mains, et ce dans toute la société.

L’une des conséquences du processus de globalisation est l’accélération de la crise de la démocratie représentative ou institutionnelle, « rabougrie » par le capitalisme mondialisé qui en réduit les compétences.
La démocratie représentative apparaît de plus en plus comme séparée de la société, à travers de multiples aspects, en particulier l’abstention électorale comme on vient de le voir avec le dernier scrutin européen d’abord marqué par l’abstention massive des milieux populaires et de la jeunesse.
Du reste, le capitalisme croit pouvoir s’accomoder de l’effacement de cette démocratie représentative « rabougrie », avec la mise an avant du concept de « gouvernance » (effacement qui aurait l’avantage d’éloigner les peuples et de confier les rênes de la marche du monde aux « élites »).
La crise de la politique et de sa représentation est de plus en plus nette, elle touche toutes les structures collectives (partis, syndicats, associations, comme on le voit avec les difficultés récurrentes à renouveler les équipes) en lien avec la montée de l’individuation, elle-même contradictoire (on aurait tort de n’y voir qu’une expression individualiste régressive : il y a aussi des aspirations à ne pas subir et à ne pas déléguer qui peuvent être, selon le contexte, un point d’appui pour l’autogestion).

Au capitalisme mondialisé et à la crise de la démocratie, répondent de nouvelles contestations et ce qu’on peut appeler le retour de l’autogestion Car depuis la dégradation des rapports de forces au sortir des « 30 glorieuses » et de la chute du Mur (1989) ouvrant la voie à l’offensive neo-libérale des années 1980-1990, l’autogestion a disparu du paysage politique, et ne s’est maintenue que sous la forme de « l’autogestion discète » évoquée précédemment.

Mais après le retour des mouvement sociaux et des mobilisations citoyennes en France et en Europe à partir du milieu des années 1990, l’émergence de l’antimondialisme et sa mutation très rapide en altermondialisme vont changer la donne et signer le retour de l’autogestion dans le paysage social et politique.

Car non seulement les pratiques coopératives se sont maintenues et même développées, mais l’économie sociale et solidaire apparaît de manière croissante comme un recours (il ne s’agit pas ici d’en évoquer les ambiguïtés bien réelles et que nous connaissons bien) et les expériences autogestionnaires touchent aussi aux pratiques et à la production culturelle.

Mais plus important encore est le déploiement d’expériences de démocratie dite participative ou active sur le terrain des communes et des collectivités territoriales (avec en particulier le processus du budget participatif) et de nouvelles expériences autogestionnaires en Amérique Latine, en particulier en Argentine (l’essor des « entreprises récupérées ») et dans le cadre du processus en cours au Venezuela.

Porto-Alegre a été à la jonction du déploiement de ces expériences autogestionnaires parcellaires et de la mutation altermondialiste, avec les caractéristiques nouvelles de ce nouveau mouvement d’émancipation, perceptibles dans les Forums sociaux : croisement des mouvements de contestation, fonctionnement « horizontal » en réseau et au consensus, recul des comportements hégémoniques et des hiérarchies autant pour les mouvements entre-eux que pour les structures elles-mêmes.

Si l’impulsion est venue d’Amérique Latine, avec une dialectique féconde entre ces expériences et les changements politiques de grande ampleur dans ce continent, il y a aussi une percée des pratiques et des expériences autogestionnaires, certes beaucoup plus modeste, ailleurs dans le monde, comme le révèle l’extension certes encore limitée mais réelle de l’altermondialisme en Asie et en Afrique. Les difficultés, bien réelles, de l’altermondialisme à la recherche d’un second souffle en Europe mais dont l’essor continue ailleurs dans le monde, ne doivent pas dissimuler cette percée prometteuse pour l’avenir.

3 UNE STRATEGIE AUTOGESTIONNAIRE : DES AUJOURD’HUI !

L’autogestion n’est donc pas une « vieille lune » : c’est aujourd’hui comme hier à la fois un moyen et un but, et pour les Alternatifs, il ne s’agit pas simplement d’enregistrer les pratiques coopératives au sens le plus large et les expériences autogestionnaires en cours et à venir, mais bien de les relier à la question de la prise du pouvoir et du projet de société.

L’autogestion est aussi une stratégie, et en cela elle renouvelle la problématique du changement de société, la problématique de la révolution.

Ce qui définit la stratégie autogestionnaire, c’est d’abord la prise en compte des mouvement sociaux et des mobilisations citoyennes dans lesquels sont combinées contestation radicale (même sur des objectifs partiels et limités) et propositions alternatives et dont toute avancée, même modeste, permet à la fois d’améliorer le rapport de forces, de redonner confiance, et d’ébranler la pensée dominante (celle qui justifie l’ordre établi).

Dans ces mouvements et ces mobilisations, la stratégie autogestionnaire favorise à la fois l’auto-organisation (ce qui ne signifie pas le refus des structures organisées : celles-ci sont nécessaires mais sans avoir un rôle dirigeant et sans être le « cadre obligé ») et les pratiques coopératives et les expériences autogestionnaires dans la production et la cité.

La stratégie autogestionnaire est favorable à tous les mouvements de résistance à l’ordre établi, toutes les pratiques de remise en cause des dominations et des aliénations à tous les niveaux de la société et dans tous les domaines.

La stratégie autogestionnaire prend appui sur toutes ces pratiques et expériences : dans la mesure où elles constituent des ruptures, même limitées et partielles, avec le capitalisme, les dominations et les aliénations, la stratégie autogestionnaire veut les inscrire dans un processus et une perspective politiques, sans ignorer que ces ruptures ne se situeront pas toutes au même niveau et qu’un seuil qualitatif ne sera pas atteint sans affrontement majeur avec le capitalisme.

Un processus : c’est ce que nous appelons la révolution longue, faite de ruptures partielles, d’avancées -et parfois de reculs car ce processus n’est pas nécessairement linéaire-, de construction d’un rapport de forces permettant ultérieurement d’autres avancées et d’autres ruptures, assumées et construites par une majorité de la population, un nouveau bloc social autour du salariat.

Une perspective : celle de l’autogestion généralisée et de la république autogérée.

Dans ce processus et cette perspective, c’est l’accumulation des ruptures assumées et construites par une majorité populaire qui rend possible l’hégémonie au sens où l’entendait Antonio Gramsci, fondateur et théoricien du Parti communiste italien, réduisant les germes et les risques de bureaucratisation et de substitutisme de la révolution par une avant-garde auto-proclamée.

La question du pouvoir politique, de l’autogestion et de la révolution ne se pose donc pas dans les termes posés par l’extrême-gauche classique : celle-ci, sur le modèle bolchevik, renvoie l’autogestion à l’après-révolution, sous prétexte que l’autogestion ne peut se déployer et se généraliser dans un cadre capitaliste, sous prétexte également du postulat d’une seule rupture révolutionnaire plutôt que d’une accumulation de ruptures constituant un processus révolutionnaire.

Pour les autogestionnaires, les pratiques coopératives et les expériences autogestionnaires existent déjà et elles sont indispensables précisément pour préparer, rendre possible et remporter les affrontements futurs et inévitables avec le capitalisme ; une révolution demeure nécessaire : c’est le processus de la révolution longue.
Dans ces pratiques et ces expériences, les ruptures sont en germe et déjà présentes, même limitées et partielles, elles annoncent et rendent possibles les suivantes.

Le pouvoir politique est le pouvoir populaire, le pouvoir citoyen ; il n’est en aucun cas celui d’un parti ou de tout autre structure organisée ; la démocratie directe ou active n’est pas celle de la consultation mais celle de la participation de toutes et de tous au processus de décision, en réduisant et contrôlant toute délégation de pouvoir (le maintien d’une démocratie représentative rendant impossible sa disparition immédiate).

Ainsi, la stratégie autogestionnaire doit être mise en oeuvre sans attendre ni « le grand soir » cher à l’extrême-gauche classique ni « la révolution par les urnes » remise récemment au goût du jour : c’est dès aujourd’hui qu’elle commence, sans attendre ni le mot d’ordre du déclenchement de l’insurrection, ni la victoire électorale ou la soumission aux institutions bourgeoises, tout en veillant à la validation par une majorité populaire du processus en cours, y compris par voie électorale

De même qu’il a été nécessaire de repenser la démocratie, de la « démocratiser radicalement », c’est aussi la révolution qu’il faut « révolutionner radicalement » : on ne reproduira pas à l’échelle du monde, dans les sociétés du XIX° siècle, les schémas des révolutions du XX° siècle dans les périphéries du capitalisme

4 PAS DE STRATEGIE AUTOGESTIONNAIRE SANS PROJET ALTERNATIF

Dans les consciences collectives et particulièrement dans les nouvelles générations, le socialisme et plus encore le communisme sont synonymes d’échec à changer le monde, y compris aux yeux de celles et de ceux qui aspirent à un changement radical.

On peut faire le pari que celles et ceux qui continuent de s’en réclamer dans le mouvement altermondialiste, par exemple, y sont certainement très minoritaires.

Le bilan dramatique des révolutions anti-capitalistes du XX° siècle oblige non seulement à repenser radicalement la stratégie de la révolution, mais aussi le projet de société lui-même.

Ce bilan nous oblige à « donner à voir », à celles et ceux qui veulent un changement radical, comme à celles et ceux qui par prudence préfèrent encore subir le capitalisme « tempéré par la démocratie » plutôt que l’enfermement bureaucratique ou la répression sanglante.

Nous devons donc montrer -au moins partiellement- le contenu de ce projet de société et donner toutes les garanties démocratiques, y compris sur le terrain de son élaboration.

Celle-ci ne pourra s’effectuer que dans une combinaison d’expériences politiques et sociales, beaucoup plus larges encore que celles que nous connaissons, et de débats et théorisations non pas à l’échelle d’un pays mais à l’échelle du continent et du monde.

C’est bien ce qui justifie sur le fond le refus de s’enfermer dans l’entre-soi ou dans le sectarisme, et ce qui oblige à l’action commune et au débat unitaire, au-delà de la nécessité de construire de meilleurs rapports de force : aucune force politique n’a à elle-seule les clés de cette élaboration indispensable, celle d’un projet alternatif.

Cette élaboration doit porter sur l’ensemble des champs sociaux, et s’appuyer en particulier sur les pratiques coopératives et les expériences autogestionnaires sur le terrain de la production et sur celui de la cité : la matière existe, notamment au travers des expériences en cours en Amérique Latine, de l’Argentine au Venezuela (sans en faire pour autant des modèles).

Nous devons être en mesure de préciser ce que nous entendons par changement radical dans l’entreprise comme dans la commune, proposer et expérimenter, soumettre à la réflexion et à la critique de l’ensemble des forces politiques qui prétendent au changement de société, aux forces syndicales et associatives, dans les Forums sociaux à toutes les échelles.

La stratégie autogestionnaire et l’élaboration d’un projet alternatif sont liées dans une dialectique ; l’autogestion est aussi une culture, cette culture est une condition de la révolution et elle exige tout à la fois une démocratisation de la production et d’autres rapports de propriété, de même qu’elle nous impose l’invention de nouvelles institutions politiques à toutes les échelles, du local au mondial.

Le projet alternatif sera autogestionnaire, mais pas seulement : ce projet sera aussi celui de l’émancipation sociale et de l’égalité des droits, reprenant et prolongeant les aspirations qui se sont exprimées au travers des références socialistes et communistes ; il sera aussi et tout autant celui du féminisme et de l’écologie.

Toutes ces dimensions du projet alternatif sont liées les unes aux autres, sans hiérarchie, ce qui différencie ce projet, à la fois :

  • du « vieux paradigme rouge » cher à la tradition communiste et à l’extrême-gauche qui prétend tout au long du XX° siècle réduire tous les problèmes de société à la contradiction capital-travail puis les résoudre par la révolution socialiste ;
  • du « nouveau paradigme vert » cher aux partis écologistes de la fin du XX° siècle qui prétend les expliquer et les résoudre, lui, par la seule référence à l’écologie.

C’est le défi d’une nouvelle synthèse qui caractérise le projet alternatif, comme nous le dit le mouvement altermondialiste qui se refuse avec raison à hiérarchiser ces dimensions du projet et ces terrains de lutte au quotidien.

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24 août 2009 1 24 /08 /août /2009 17:04


4 PAS DE STRATEGIE AUTOGESTIONNAIRE SANS PROJET ALTERNATIF

Dans les consciences collectives et particulièrement dans les nouvelles générations, le socialisme et plus encore le communisme sont synonymes d’échec à changer le monde, y compris aux yeux de celles et de ceux qui aspirent à un changement radical.

On peut faire le pari que celles et ceux qui continuent de s’en réclamer dans le mouvement altermondialiste, par exemple, y sont certainement très minoritaires.

Le bilan dramatique des révolutions anti-capitalistes du XX° siècle oblige non seulement à repenser radicalement la stratégie de la révolution, mais aussi le projet de société lui-même.

Ce bilan nous oblige à « donner à voir », à celles et ceux qui veulent un changement radical, comme à celles et ceux qui par prudence préfèrent encore subir le capitalisme « tempéré par la démocratie » plutôt que l’enfermement bureaucratique ou la répression sanglante.

Nous devons donc montrer -au moins partiellement- le contenu de ce projet de société et donner toutes les garanties démocratiques, y compris sur le terrain de son élaboration.

Celle-ci ne pourra s’effectuer que dans une combinaison d’expériences politiques et sociales, beaucoup plus larges encore que celles que nous connaissons, et de débats et théorisations non pas à l’échelle d’un pays mais à l’échelle du continent et du monde.

C’est bien ce qui justifie sur le fond le refus de s’enfermer dans l’entre-soi ou dans le sectarisme, et ce qui oblige à l’action commune et au débat unitaire, au-delà de la nécessité de construire de meilleurs rapports de force : aucune force politique n’a à elle-seule les clés de cette élaboration indispensable, celle d’un projet alternatif.

Cette élaboration doit porter sur l’ensemble des champs sociaux, et s’appuyer en particulier sur les pratiques coopératives et les expériences autogestionnaires sur le terrain de la production et sur celui de la cité : la matière existe, notamment au travers des expériences en cours en Amérique Latine, de l’Argentine au Venezuela (sans en faire pour autant des modèles).

Nous devons être en mesure de préciser ce que nous entendons par changement radical dans l’entreprise comme dans la commune, proposer et expérimenter, soumettre à la réflexion et à la critique de l’ensemble des forces politiques qui prétendent au changement de société, aux forces syndicales et associatives, dans les Forums sociaux à toutes les échelles.

La stratégie autogestionnaire et l’élaboration d’un projet alternatif sont liées dans une dialectique ; l’autogestion est aussi une culture, cette culture est une condition de la révolution et elle exige tout à la fois une démocratisation de la production et d’autres rapports de propriété, de même qu’elle nous impose l’invention de nouvelles institutions politiques à toutes les échelles, du local au mondial.

Le projet alternatif sera autogestionnaire, mais pas seulement : ce projet sera aussi celui de l’émancipation sociale et de l’égalité des droits, reprenant et prolongeant les aspirations qui se sont exprimées au travers des références socialistes et communistes ; il sera aussi et tout autant celui du féminisme et de l’écologie.

Toutes ces dimensions du projet alternatif sont liées les unes aux autres, sans hiérarchie, ce qui différencie ce projet, à la fois :

  • du « vieux paradigme rouge » cher à la tradition communiste et à l’extrême-gauche qui prétend tout au long du XX° siècle réduire tous les problèmes de société à la contradiction capital-travail puis les résoudre par la révolution socialiste ;
  • du « nouveau paradigme vert » cher aux partis écologistes de la fin du XX° siècle qui prétend les expliquer et les résoudre, lui, par la seule référence à l’écologie.

C’est le défi d’une nouvelle synthèse qui caractérise le projet alternatif, comme nous le dit le mouvement altermondialiste qui se refuse avec raison à hiérarchiser ces dimensions du projet et ces terrains de lutte au quotidien.

5 D’AUTRES INSTITUTIONS, D’AUTRES PRATIQUES ET D’AUTRES STRUCTURES ; LE PARTI-MOUVEMENT

Crise de la démocratie représentative et institutionnelle, aspirations autogestionnaires, nécessité d’un projet alternatif : une autre démocratie, embryonnaire, émerge au travers du monde coopératif et des expériences autogestionnaires, mais aussi dans la cité.

La démocratie directe ou active, édulcorée en « démocratie participative », peut-elle, doit-elle, prendre la place de la démocratie représentative et institutionnelle ? C’est une autre voie qui se dégage, nourrie par l’expérience et le bilan de l’échec des révolutions anti-capitalistes du XX° siècle : ni la « table-rase » qui prétendrait effacer la « vieille démocratie » représentative, ni la soumission qui voudrait utiliser -comme on l’entend parfois au PS et même à droite- la « démocratie participative » comme rustine de la démocratie représentative, mais l’invention d’une complémentarité entre démocratie directe ou active et démocratie représentative elle-même profondément renouvelée.

Cette complémentarité peut et sera probablement conflictuelle : d’un point de vue alternatif et dans cette optique conflictuelle, c’est l’élargissement de la démocratie active qu’il convient de viser de manière générale, y compris au détriment des prérogatives de la démocratie représentative, « en appuyant en bas sans briser le haut ».

Ce point de vue, une fois encore, ne peut dispenser de réfléchir à un renouvellement profond et radical de la démocratie représentative elle-même : du quartier et de la commune à l’échelle du monde, c’est l’ensemble des institutions qu’il convient de repenser à la fois en terme de contenu et d’articulation entre les différentes échelles.

Si l’autogestion est aussi une culture, celle-ci est déjà présente dans le mouvement altermondialiste, et l’organisation et la tenue des Forums sociaux -qu’il ne s’agit nullement d’idéaliser, car elle a sa part de limites et de contradictions que nous connaissons bien- « donne à voir » de manière significative : le fonctionnement en réseau, la pratique du consensus, le refus des hiérarchies et des chefs d’orchestre, la coopération horizontale des organisations qu’elles soient associatives, syndicales ou politiques.

C’est une nouveauté majeure, faite ici de pratiques plus que de théorisations, par rapport à l’histoire du mouvement ouvrier organisé qui est restée marquée par le primat du « parti » sur les syndicats (eux-mêmes primant sur les larges masses), avec toutes les pratiques de domination, de soumission et de manipulation qui en ont résulté (et qui contribuent elles-aussi à la crise de la politique et de sa représentation).

Le mouvement altermondialiste innove donc de manière décisive sur ce plan, comme sur d’autres par ailleurs : la nouvelle culture politique autogestionnaire, en gestation dans l’altermondialisme, commence par de nouvelles pratiques qui sont celles-là même que nous devons faire vivre dans les structures politiques.

La réduction et le contrôle de la délégation de pouvoir, la fin des hiérarchies et la priorité au travail en équipe et au projet, la déprofessionnalisation et le non-cumul strict des mandats -de même que leur limitation drastique- sont des exigences absolues pour un nouveau fonctionnement des structures politiques, et plus généralement des structures organisées, syndicales comme associatives.

Ayons à l’esprit que ces exigences sont également nécessaires d’un point de vue féministe pour rendre possible une participation paritaire aux affaires de la cité, comme elles le sont d’un point de vue social pour la participation des milieux populaires : ce qui est en jeu ici, c’est la socialisation de la politique, celle-ci doit devenir l’affaire de toutes et de tous.

Ce sont toutes ces données qui condamnent toute prétention au « parti-guide », et conduisent à un bilan sans complaisance d’une conception de l’organisation politique qui a dominé toute l’histoire du mouvement ouvrier organisé : pyramidale, verticale et autoritaire, confisquant la politique à sa façon, machine électorale et tremplin de carrière pour les élu-e-s et les dirigeants.

La remarque vaut aussi, dans une moindre mesure car le phénomène est beaucoup plus récent dans l’histoire, pour les partis écologistes dont on n’a pas oublié la prétention dans les années 1990 à domestiquer et manipuler les mobilisations écologistes et les activités du mouvement associatif défenseur de l’environnement.

Dans le contexte du capitalisme, s’organiser pour résister, construire un rapport de forces et lutter, mais aussi pour débattre, élaborer et proposer, demeure évidemment indispensable et fondamental.

Mais sur le plan politique il faut le faire différemment et on ne peut se contenter de professions de foi et d’engagements démocratiques -par ailleurs indispensables- : dans ce domaine aussi, nous devons « donner à voir », d’autant plus que le bilan des « partis », en pleine crise, est lui-aussi accablant, y compris à gauche, et pas seulement en France ou en Europe.

D’où la proposition réaffirmée au congrès des Alternatifs de novembre 2008 : la perspective non pas d’un « parti » mais d’un « parti-mouvement » spécifique par rapport aux autres structures organisées comme les syndicats et les associations : une structure politique est « généraliste », peut et doit jouer le rôle de synthèse (ce que ne peuvent faire ni les syndicats ni les associations dont l’existence est indispensable mais dont l’objet est auto-limité).

Un « parti-mouvement », c’est-à-dire une organisation politique d’un type nouveau :

  • son fonctionnement serait celui d’un mouvement et d’un « intellectuel collectif », au fonctionnement autogestionnaire, avec la démocratie interne, la souplesse, le pluralisme assumé, le droit à l’expérimentation et l’initiative des structures de base absents des « partis » à l’ancienne ;
  • son rôle serait celui de l’impulsion et de l’animation, jamais de la « direction » des mobilisations ou de la société ;
  • sa fonction reprendrait le flambeau de ce qu’il convient de conserver dans le « parti » d’autrefois : la mémoire, la socialisation et l’ancrage populaire qui font défaut aujourd’hui aux forces dispersées de la gauche dite antilibérale

Deux interrogations qui pourraient être des pistes fécondes en guise de conclusion :

  • la crise de la démocratie représentative et institutionnelle n’est-elle pas plus profonde encore que nous le disons ? Alain Badiou -dont on ne partage pas nécessairement l’ensemble du propos et sa conclusion- ne pointe-t-il pas un vrai problème quand il évoque les limites historiques et géographiques de la démocratie représentative ?
  • l’autogestion, moyen et but, pratique et stratégie, ne répond-elle pas également à ce qui s’exprime au travers de l’individuation ? L’autogestion ne permet-elle pas de réconcilier l’engagement collectif et l’épanouissement personnel, l’expression du meilleur de soi-même ? Le titre de l’interview récente de Rachel Lafontaine à « Politis » dit que « L’autogestion permet l’émancipation » : n’est-ce pas aussi ce que nous disent les actrices et les acteurs des expériences autogestionnaires de Lip ou de Tower Colliery dans les films et les reportages consacrés à ces expériences ?
SOURCE Une stratégie autogestionnaire - Les Alternatifs
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6 août 2009 4 06 /08 /août /2009 06:48
Publié par REINERORO un article qui interpelle pour susciter un peu de réflexion sur la question de nos choix en matière de résistance.






Mise au point à propos des « camarades » de la Fédération Anarchiste et autres libertaires

mardi 4 août 2009

« Une organisation qui se définit comme la gardienne des traditions idéologiques du mouvement anarchiste devient nécessairement conservatrice et finit toujours par considérer toutes les initiatives d’attaque - particulièrement quand elles ne sont pas sous son contrôle - avec soupçon et préoccupation. »
Alfredo M. Bonanno, Dans l’introduction de Sabate, 1985.



Le 11 Novembre 2008, jour de l’arrestation lyrico-mediatique et antiterroriste des dits « neufs de Tarnac » en Corrèze, la Fédération Anarchiste (FA) nous gratifiait d’un communiqué [1] dans lequel nos libertaires dénonçaient le manque de preuve contre les arrêtés accusés d’une nuit de sabotages à grande échelle du réseau ferré de la SNCF. Elle y explique que techniquement, les éléments de l’enquête étaient insuffisants pour accuser ceux de Tarnac. Elle s’étonne également que les auteurs des sabotages de novembre 2007, eux, n’aient pas été appréhendés aussi rapidement. Elle introduit également l’idée d’un complot de la SNCF dans le but de faire oublier sa volonté de fermeture de l’activité du fret, l’affaire des sabotages « tombe à point pour faire passer la pilule ».

 


L’on peut déjà noter que la FA préfigure dans son communiqué la stratégie de défense des co-inculpés du 11 novembre et de leurs avocats qui, en rentrant sur le terrain de la « preuve objective », éviteront ainsi de ré-affirmer quelques principes de base comme la destruction de toute les prisons et la liberté pour tout les prisonniers. Permettant également de n’affirmer de solidarité qu’envers les cas d’ « injustice », c’est à dire les cas dans lesquels le droit pénal est malmené à des fins politiques. En quelques sorte, et comme l’ont fait les avocats des inculpés, il s’agit de corriger une « dérive » de l’Etat de Droit, et donc permettre ainsi à l’Etat de devenir plus juste et plus équitable. Rien d’etonnant, certes, pour ces adeptes du « welfare state ». Mais il y a un « Mais ».

 


Historiquement, l’anarchisme est un courant fondé sur la négation du principe d’autorité et le refus de toutes contraintes découlant des institutions basées sur ce principe, la base minimale d’accord entre les divers sous-courants étant la destruction de l’Etat sous toutes ses formes. Or, il était urgent pour nos libertaires de corriger le tir d’une justice à la dérive, et ce, en apparaissant le plus vite possible pour affirmer leur solidarité… avec l’Etat de droit. Et qui sait, peut être qu’à force de conseiller la justice, la FA obtiendra des subventions assez juteuses pour investir dans son abolition. Mais on entend déjà les mauvaises langues dire que la FA n’est en fait ni anarchiste, ni contre l’existant.

 


Le jour même des arrestations, alors que les divers syndicats de cheminots et partis d’extrême gauche affirmaient ne pas être impliqués dans ces sabotages, un « responsable de la Fédération anarchiste nationale » réagissait dans le journal de France 3 Limoges à 19h. Il y affirmait qu’aucun militant de la FA n’était impliqué [2] et que de toute manière, ces pratiques de sabotages n’étaient pas celles de la FA. Rebelote, la FA qui a toujours prétendu lutter contre l’image de l’anarchiste incendiaire de la belle époque, « l’anarchiste poseur de bombe », réaffirme son intégration au système et la condamnation systématique de toute attaque contre ce qui nous détruit (avec ou sans bombes) comme par exemple, le TGV et le monde qui le produit.

 


D’abord elle affirme ne pas être impliquée, facilitant le bon déroulement de l’enquête. Que dire d’anarchistes plus prompt à affirmer leur innocence qu’à affirmer une solidarité de principe contre ce monde ? Il y a déjà un peu de la balance ou de l’indic dans celui qui, alors qu’on ne lui avait rien demandé, affirme son innocence en montrant patte blanche au supposé ennemi pour l’aider à pointer du doigt et à isoler (pour mieux réprimer) les « méchants », ceux qui passent à l’acte sans attendre. Elle s’arroge également la place convoitée du « gentil », de l’anarchiste de gauche, certes un peu contestataire, mais qui ferait pas de mal à une mouche, ou à l’Etat. Les « méchants » en l’occurrence, sont tous ceux qui, ne jouant pas la carte de l’innocentisme, font le choix d’assumer leurs idées et de garder la tête haute face à l’ennemi. Ceux qui croupissent en prison depuis trop longtemps dans l’indifférence totale de nos libertaires, certains d’entre eux sous juridiction antiterroriste. Est-ce vraiment là le rôle d’une organisation qui se prétend anarchiste de distinguer les bons saboteurs des mauvais saboteurs ?


 

Ensuite, elle condamne l’acte en affirmant que ces pratiques ne sont pas les siennes, que « si le sabotage est une arme à laquelle peut légitimement recourir le mouvement social dans une situation où un rapport de force s’est constitué, il n’est en revanche d’aucune utilité dans le cas contraire » en ajoutant tout aussi péremptoirement que « les cheminots-es le savent ».
Si le recours à des termes comme « Légitime » est déjà largement significatif, on peut se pencher plus en détail sur cette phrase citée plus haut et extraite du communiqué du 11 Novembre de la FA.

 


Déjà, le sabotage est une arme à laquelle ne peut recourir que le mouvement social, donc par extension, qui ne peut être le fait d’individus. Cet avilissement de la liberté individuelle au profit de la pression d’un groupe social est typique d’une certaine pensée. Ce « débat », a toujours été celui qui opposait (entre autres) anarchistes et marxistes. Aujourd’hui il est celui qui oppose -entre autres également, et quasi uniquement en France- libertaires organisés et anarchistes autonomes de tout partis, syndicats et autres organisations permanentes telles que la FA, la CNT, la CGA, AL et autres subvertisseurs des « masses ».

 


Selon nos libertaires, il faudrait donc que les révoltés contiennent et contrôlent leur rage, qu’ils attendent l’assentiment du fantomatique mouvement social pour l’exprimer. Il s’agit au final d’attendre la révolution imaginaire qu’ils nous promettent depuis 150 ans déjà, le grand soir messianique qui arrangerait tous nos problèmes et ferait de nous des êtres neutres et assainis de toute colère. Cette négation de la guerre sociale est donc aujourd’hui devenue la base d’accord entre les divers libertaires en recherche de respectabilité, de la FA à Alternative Libertaire en passant par No Pasaran, la CNT et José Bové.

 


Comme nous l’avons déjà vu dans un autre numéro [3], il y a toujours deux poids et deux mesures en ce qui concerne la révolte, le sabotage ou la reprise individuelle. Mais il faut être aveugle ou mal intentionné pour ne pas reconnaître l’attaque (individuelle ou collective) comme l’une des armes classique des anarchistes, mais surtout des exploités [4]. De tout temps, l’oppression a vu ses fondations fragilisées par le refus en acte de sa bonne marche. En outre, nos fins analystes, affirmant péremptoirement que « les cheminots-es le savent », refont soigneusement l’histoire en révisant les nombreux actes individuels de résistance des cheminots de 39-45, en passant par 1995 jusqu’à là réforme des régimes spéciaux en 2007. Et en effet, nous n’avons que très peu entendu la FA, lorsque des cheminots étaient accusés d’actes de sabotage et incarcérés ces dernières années. A croire que la taxidermie fait des merveilles.

 


Anarchistes ! désertez les organisations permanentes.

Quelques anarchistes, qui n’hésiteront pas, lorsque des libertaires se mettront en travers de leur route.

Extrait de Non Fides N°IV.

Notes

[1] Sabotages sur les lignes SNCF : Communiqué de la Fédération Anarchiste, 11 Novembre 2008.

[2] ouf, on avait tous peur qu’elle ne sorte du cadre imposé de la légalité, et qu’elle perde ainsi en credibilité vis-à-vis des medias et de l’Etat.

[3] Cf. Deux poids, deux mesures, de l’onanisme en milieu militant dans Non Fides N°3

[4] D’ailleurs nos libertaires ont l’air d’accord avec cette affirmation, mais uniquement lorsque l’attaque est le fait d’un passé glorieux ou d’une tentative d’insurrection exotique

 


 

Suite de l’adresse aux militants de la FA

Anarchistes, investissez dans l’épicerie !

mardi 4 août 2009

Voici que la Fédération Anarchiste remet le couvert sur la cocotte.



En effet, Hugues Lenoir, « porte-parole de la Fédération Anarchiste Française » –ainsi qu’il se présente lui-même-, a donné une interview à l’intérieur de la librairie munie d’antivols de la Fédération Anarchiste (Publico) à la chaîne parlementaire (LCP) - canal interne de télévision de l’assemblée nationale et du sénat créée en 1993 ayant « mission de service public, d’information et de formation des citoyens à la vie publique, par des programmes parlementaires, éducatifs et civiques. ». Le tout à l’occasion d’un numéro de l’émission « Ca vous regarde » consacrée à « l’ultra-gauche » et diffusée le Lundi 4 mai 2009.

 


Contents de la réussite de nos camarades anarchistes dans les hautes sphères parlementaires et ne voulant en rien gâcher une carrière politique si prometteuse pour nos compagnons si respectables, nous resterons corrects, malgré la tentation compulsive. Mais tout de même, nous nous sentons plus proches de l’anarchiste Vaillant qui lui, en 1893, n’entra au parlement que pour y foutre une bombe. Mais allons aux faits.

 


Après avoir précisé que les « anarcho-autonomes » refusaient de répondre à ses questions, le journaliste explique alors qu’il fut obligé de se rabattre sur la FA, dont voici la déclaration fidèlement retranscrite de notre cher porte-parole Hugues Lenoir : « ils sont relativement anti-organisationnels, de ce fait ils ne sont pas complètement les amis de la fédération anarchiste qui justement pense qu’il faut organiser le mouvement anarchiste pour qu’il soit un petit peu plus présent et efficace du point de vue des évolutions sociales. »

 


Rien de neuf sous le soleil donc, La FA se dissocie de nouveau en espérant ne pas être les prochains sur le tableau de chasse, mais cette fois ci à la télévision, avec un porte-parole officiel et qui plus est sur la chaîne étatique parlementaire. Il précise pourtant que « ces jeunes gens, de façon contradictoire, développent des pratiques qui nous sont extrêmement sympathiques ; par exemple installer une épicerie dans un village rural, développer des pratiques d’autogestion, développer une espèce de culture locale, ça c’est des choses que nous aussi on fait ici ou là ».

 


Ce que tout bon soldat de la FA doit retenir là, c’est que plutôt que de foutre le feu à ce monde comme Vaillant, il vaut bien mieux monter sa petite entreprise au sein de la communauté rurale, et en auto-gestion, comprendre en SARL. On y avait pas pensé.

Un anarchiste n’a plus d’excuse pour traîner ses guêtres dans cette foutue chiourme new-age, décroissante, bobo et chantre du retour à la terre. A bons entendeurs.

Browning.

Extrait de Non Fides N°IV.

 



Non contente de lutter pour l’aliénation par l’organisation, l’alter-capitalisme et le maintien de ce monde, ou plutôt sa non-destruction, la Fédération Anarchiste n’est plus à une ou deux contradictions prés. Ci-dessus, la une du Monde Libertaire N°1555, hebdo avec code barre officiel de la FA. Ce cocktail molotov que l’on voit sur cette couverture d’un gout particulier dans une pure tradition folklorique, est de même facture que ceux utilisés par les amants de la liberté de Clichy-Sous-Bois ou de Villiers-Le-Bel et de tous les autres emeutiers dont la FA s’empresse toujours de dénoncer la violence, "l’irresponsabilité" et "l’auto-destruction". De la mythomanie esthétique comme art de l’exorcisme et expiation des actes manquants. Ces prestidigitateurs nous expliquerons un jour comment ce qui dans la réalité se manifeste sous la forme d’un petit commerce, peut-il, mis sous la forme d’un dessin mytho, devenir un cocktail molotov. L’anarchisme c’est l’attaque, l’auto-defense c’est le repli.

 


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28 juin 2009 7 28 /06 /juin /2009 15:53

Un avant-goût de ce que j'entends par "se réapproprier le politique".


Athènes, dans le quartier d’Exarchia, à quelques pas de la rue où un policier a tué Alexis Grigoropoulos, quinze ans, le 6 décembre dernier. Les murs sont couverts de tags multicolores, de peintures, de tracts et d’affiches. Au coin de la rue Novarinou et Zoodochou Pigis, des passants ébahis découvrent le Parka, un jardin autogéré créé peu après les émeutes de cet hiver.


Un matin de mars, des habitants du quartier ont fait exploser le béton de cet ancien parking pour y planter des arbres et des fleurs, sans rien demander à la municipalité, réputée corrompue et inefficace. Tout le monde a mis la main à la pâte suivant ses envies et ses possibilités. Certains ont manié le marteau-piqueur, des paysagistes ont donné de jeunes arbres et des plantes. D’autres ont fabriqué les tables et les bancs, des artistes ont peint les murs et les panneaux de bois qui protègent le jardin.


Un coin de la place a été recouvert de sable noir pour y installer des jeux en bois pour les enfants. L’ancien abri du gardien de parking, repeint en bleu et jaune, sert d’appentis pour les outils, de petit café et éventuellement de chambre pour ceux qui n’ont nulle part où dormir. À l’autre bout, des vêtements sont accrochés sur des fils tendus entre les arbres. Des chaussures, des livres, des disques sont posés sur des tables. Chacun se sert et donne ce dont il n’a plus besoin, en suivant une règle pas d’argent.


Les musiciens grattent leur bouzouki, leur violon, leur guitare. Assis par terre ou sur les bancs disposés au hasard, on chante le rebetiko, ces chansons populaires grecques qui parlent d’exil, de destin et de deuil. Dimitrio, trente-deux ans, travaille comme cuisinière dans un restaurant du quartier. Elle est là depuis le début du projet. «Aujourd’hui c’est plutôt calme, normalement il y a beaucoup plus de monde. Les parents adorent emmener leurs enfants ici, parce qu’avant il n’y avait aucun espace vert dans le quartier. La municipalité voit ça d’un mauvais œil. Les policiers ont fait une descente, la semaine dernière, pendant la nuit. Mais je ne pense pas qu’ils vont réussir à détruire cet endroit.»


Des réunions ouvertes à tous ont lieu deux fois par semaine, afin que tout ce qui concerne le jardin soit décidé collectivement. Les discussions vont de l’aménagement de l’espace aux questions légales. On y discute, par exemple, de la stratégie de défense du projet, au cas où la municipalité leur intenterait un procès. Il fait vraiment bon lézarder à Plaka Novarinou, discuter sur un banc, refaire le monde et prendre son temps. «Bien sûr que c’est une idée géniale !» sourit Panos, vingt-trois ans, étudiant en ingénierie électrique et anarchiste. «J’aimerais que ce genre d’endroit se généralise. Que les gens participent, s’investissent dans la gestion de leur école, de leur entreprise, de leur quartier. Qu’ils puissent s’exprimer et décider librement, collectivement, sans hiérarchie.» Selon lui, si les assemblées générales de cet hiver n’ont rien changé à la situation politique, elles ont permis aux habitants de se rencontrer et de prendre conscience de leur pouvoir.



Victoire Tuaillon - L’Humanité, 25 juin 2009.



Le Jura Libertaire
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28 juin 2009 7 28 /06 /juin /2009 09:35

Fabriquer et habiter sa yourte, s'engager et inventer un nouvel art de vivre. Blog politique et spirituel en lutte pour le droit à l'auto-détermination de l'habitat social -écolo, pour la reconnaissance des Etablissements Humains Modestes et Légers.





Si je ne pouvais un indiquer qu'un, ce serait celui là, le blog de Sylvie Barbesse. Voyez, lisez que pourrai-je ajouter.
Anne
ma barque, ma yourte

Être là, dans la yourte, à chaque instant,

P1040263

à contempler, du matin au soir,

P1040477

la circulation limpide et chatoyante de la lumière,

être là, à s'enfoncer corps et âme dans le chromatisme

que chaque élévation du soleil dessine dans le cercle de la yourte,

P1040770

être là, lentement sur l'onde, réparant mes filets

en traversant la vie sur la barque du jour,

sylvie_photo_f_vrirer_09_107

être là, irradiée, du levant au couchant,

par l'astre capté dans le ventre de la yourte,

P1040773

tanguer, quand les rayons s'obliquent, en ramassant

dans sa mémoire le nuancier infini du créateur céleste,

voilà les seuls voyages qui me ravissent,

2_Montgolfieres

la seule aventure qui me comble.

Tout est là, entièrement, absolument.

Dans ma cabane en coton,

P1040731

vulnérable et vacillante, loin des fureurs hurlantes,

dans le silence des arbres et le murmure de la forêt,

le monde se déploie en kaléidoscope,

plénitude offerte par tout ce dont je me suis débarrassée.

P1040761

En ce début d'été où l'équilibre des températures

ouvre la puissance des sens,

se creusent de nouveaux sillons dans la profondeur de la perception.

DSC_3280

Humanité gaspilleuse de tes talents poétiques,

humanité obligée de transmutation,

DSC_3175

il te faut maintenant descendre dans l'antre de ta conscience

chercher le flambeau immortel, l'or du cœur,

qui nous délivrera des illusions.

Il te faut écouter les derniers conseils

des peuples martyrisés par les civilisateurs blancs qui,

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pour avoir traversé les déserts et la mort

détiennent les solutions de la survie.

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D'eux tu hériteras de la sagesse qui sait

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qu'en restant tranquille chez soi la porte  ouverte,

sans bouger, sans produire, sans piller, sans aider par la force,

attendant sans attendre la visite et la rencontre,

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on laisse murir le pardon et la réconciliation,

la guérison et la renaissance.

D'eux tu sauras que le temps n'est pas de l'argent

mais un espace vierge où chacun est libre

de poser les gestes qui lient ou délient,

P1030350

d'installer sa tente dont on plante les piquets

à l'aune de ses propres limites, et plus on se limite,

plus on fait de la place pour les autres.

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D'eux tu sauras qu'en multipliant l'avoir,

on siphonne l'être jusqu'aux abysses du néant

et que seule la gratuité étoffe le cœur. 

Qu'en cessant de courir, de projeter son angoisse en dehors,

on devient pour soi le compagnon qu'on espérait tant

et pour l'autre l'étonnement d'être enfin accepté.

Si je pratique la voie de la yourte,

ce n'est pas pour prouver, démontrer, justifier.

Je cultive seulement la présence,

P1040765

un endroit où plus on s'enracine,

sylvie_photo_f_vrirer_09_060

plus on se verticalise.

mongolie_2005_168

J'habite entièrement, absolument.

Comme une nonne en prière perpétuelle n'agit sur le monde

que par la force de sa foi,

avec ses failles qui ouvrent tellement vers l'Autre.

Le grand Autre. Rien d'autre.


sylvie_photo_f_vrirer_09_104

 

 

 

Posté par barbesse à 10:30 - le TAO de la yourte

Commentaires

Une fois encore, quel instant de communion
je comprends, je connais, je vis...
Bien à toi.
Merci

Posté par Bettina, 26 juin 2009 à 11:11

Sylvie, chaque fois, en te lisant, j'ai envie de tout laisser choir... d'arrêter de m'accrocher à ce que j'ai accumulé, d'objets inutiles, de peurs et de croyances encombrantes, qui font barrière au sentir, au vivre.
ma vieille peau appelle la yourte de toutes ses vibrations... mon vieux mental lâchera-t-il prise avant qu'il soit trop tard ?
je t'aime ma belle

Posté par mamiturbotartine, 26 juin 2009 à 11:27
Merci Dame Nature

Que dire après ces belles phrases si réelles, ces belles images si vraies, si pures, si positives ... que le bonheur existe sans chercher la complication, il est à la portée de tous, il suffit de regarder, mais pas voir sans regarder, de sentir, d'effleurer, d'apprécier et de dire merci Dame Nature, merci pour ta générosité et je te respecte pour tout ce que tu nous offres !!! http://www.colley-marialan.com

Posté par Marie, 26 juin 2009 à 11:29
Tu fais de l'écologie mentale

par une vie faite de simplicité .....
En accord avec la terre et le ciel .....
J'ai marché le long de drailles perdues au fond de roselières, j'étais en hamonie avec moi même, loin des fracas du monde, sans télévision , sans internet.... 10 jours de bonheur total.... Ce n'était que dix jours , mais bénéfiques et que je vais renouveller au plus vite. J'ai réussie à négocier mon départ de l'entreprise que je gérais avec mon ex mari... Je vais me désemconbrer doucement , mais sûrement ....
J'ai revue ma famille Tzigane, il m'aident dans ma démarche...C'est précieux .... Malgré le mépris, la discriminations dont ils font encore l'objet, ils tiennent bon .....Leur accueil est toujours aussi chaleureux, ils se contentent de peu ,la joie de vivre les habite, c'est beau!!!

Posté par Débla, 26 juin 2009 à 11:35

Merci pour ta lumière.

Martine

Posté par Martine, 26 juin 2009 à 13:07
L'envie de tout partir pour mieux revenir

Oui, j'ai envie de tout quitter, quand je vous lis Sylvie, moi jeune maman de 25 ans, enchaînée à mon crédit de 30 longues années, aux virements automatiques, aux publicités, aux taxes, mais aussi à l'amour...Car je ne suis pas seule, je peux montrer la voie à moitié mais pas la prendre à sa place. Et pourtant il faudra bien qu'un jour tout ceci s'arrête, je ne pourrais me mentir éternellement à moi même.
Oui j'ai peur quand je vous lis Sylvie, car c'est tellement beau de vérité, c'est simple c'est sortit du plus profond de vous, de nous_amis de la Terre_de moi.
Je suis un esprit égaré, qui erre dans ce monde en crise. 5 longues années encore à supporter, où mon corps sera enchaîné, mais pas mon esprit, rebelle, libre déjà là bas, dans ma yourte...
Merci à vous de m'aider à tenir.

Posté par Melissa, 26 juin 2009 à 22:05
mutation

Certains cultivent l’art de se plaindre, d’autres l’art d’agir et d’entreprendre et puis il y à ceux qui voudraient être quelqu’un d’autre et ceux qui le deviennent.

Comme la souris se réfugie dans son trou on se terre dans la conformité mais c’est là un confort mité.
Etre différent suppose le courage de sortir du trou, de naître en vérité. La peur du changement fait les êtres pusillanimes, les aventuriers sans aventure, sans risque. Notre société a introduit le mot « casse » dans la communion et en a fait la « communication », d'où le manque de liens. Être quelqu’un d’autre, c’est avoir voix au chapitre sur sa propre identité, c’est se construire en harmonie avec la création. Combien pensent quand il faut sauter, croire avoir affaire à un fleuve quand il ne s’agit que d’un ruisseau ?
Bravo pour ces mots, retour à l’évidence, on en a besoin. Et merci Sylvie, s'il y a de la vie.
A.C

Posté par poetiste, 27 juin 2009 à 11:20
Merci...

Merci à toi pour toutes les photos de ta magnifique yourte et tous tes textes si sereins et poetiques...c'est toujours, pour moi, un pur bonheur de te lire. Alors, merci...

Posté par Delphine, 27 juin 2009 à 15:58
merci

Merci pour ce beau texte et le magnifique moment passé dimanche ensemble ,ce cadeau cette porte ouverte ,merci de donner du temps pour le blog ,une source de bonheur de ressourcement et surtout cet accueil sur ce paradis dans ce beau cadre de vie partage et vérité je vous admire de vivre les choses à fond ...

Posté par Rose, 27 juin 2009 à 23:34
grand merci

un grand merci a toi, ta yourte est magnifique, tes textes sublime. petit a petit je lache la societe de consommation , n achetant que ce que j ai reellement besoin. je me suis tournée vers l'ecologie, jeter mon portable (plutot donner),je pratique le yoga , recherchant ma quietude interieur j'apprends la sophro. mais la a chaque fois sur ton blog, c'est... comment dire c'est comme quand je m'assois a meme le sol ,pres d une riviere , dans un bois c'est tout simplement un pur bonheur. merci, tu es une grande dame,merci merci , ton chemin mene d'autre personnes sur leur propre chemin. je fais partie de ses personnes.

Posté par elea, 28 juin 2009 à 08:59
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23 juin 2009 2 23 /06 /juin /2009 07:06

- Un exemple historique d'autisme généralisé avant la seconde guerre mondiale
- De la manière dont nos espaces de liberté sont grignotés de toutes parts et réduit comme des peaux de chagrin
- Appel pour rallier des poètes maudits

Tout cela dans un article fort bien ficelé
 
Ces petits riens qui font de notre vie un véritable enfer, aurais-je pu aussi mettre en titre. Oh, je sais qu'un blog n'a pas une grande portée médiatique. Il est là pour qu'on s'exprime, qu'on ait l'impression d'être quelque part entendu, voire écouté. C'est peu, c'est beaucoup, c'est une soupape de sécurité. Bon, mauvais, je ne sais....

Ainsi donc le 7 janvier 2009 est passé un décret en douce, comme d'habitude. Ce décret fait partie des grandes réformes gouvernementales dont on peut après deux ans de règne avoir une idée de la ligne directrice. Mais pourquoi se gêner ? Des troupes ultra endoctrinées travaillent avec succés à l'implantation souveraine de l'UMP ! Je vais peut être avoir mon point Godwin mais je ne peux m'empêcher de penser à ces troupes de jeunes gens "éduqués" peu avant la guerre de 39 - 40 en Allemagne. Ils débitaient exactement les mêmes conneries et avec la même ferveur que les troupes UMP jeunes et moins jeunes. Après les accords de Munich, ils étaient même parvenus à convaincre les populations qu'Hitler n'attaquerait jamais la France et que seul le front Ouest, c'est-à-dire la Pologne lui posait problème. Si vous lisez des lettres de ces jeunes de l'époque, vous pouvez les poser sur celles qu'écriraient aujourd'hui les endoctrinés de l'UMP. A l'époque, Daladier revenant de signer ce fameux accord de Munich, devant la foule l'acclamant à tout rompre, il lança "Quels cons !". A l'époque les français avaient une modeste excuse : la guerre de 14-18 étaient encore dans toutes les têtes, la plupart des familles avait perdu un ou plusieurs membres. A l'époque, les français ont pratiqué la politique de l'Autruche, y compris au niveau des gouvernements. L'arsenal militaire fut laissé en l'état tandis que celui de l'Allemagne prenait des airs de jeunesse.  On aurait pu arrêter l'Allemagne et surtout Hitler bien avant. Mais jusqu'au bout, la France a décidé d'ignorer le terrible danger qui la guettait. Les nantis ne doutaient pas eux et se sont barrés vite fait avec les valises pleines de valeurs. Les pauvres cons sont restés au Pays, la tête dans le sac jusqu'à ce que le ciel leur tombe sur la tête. Si la guerre a duré trois mois, c'est que la population était anesthésiée à force de respirer dans le sac. Occis par sa propre négation.
J'ai le regret de vous informer que nous sommes en train de reproduire exactement le même schéma. Il y avait la crise aussi à cette époque. Si le Front populaire a pu faire passer quelques réformes qui ont rendu la vie des Français un peu plus facile, il n'en est pas moins vrai qu'il n'y eut que des gouvernements de droite, tous résolument obtus et à la solde du capitalisme.
Et comme peu avant la guerre, le peuple français ressent d'instinct le besoin de se larver. C'est inconscient mais c'est réel. Nous sommes en danger. Il faut de temps en temps savoir écouter son instinct, ce n'est pas, je vous le promets, être mal élevé !

Mais revenons un instant sur ce décret. En fait, il consiste à obliger tout particulier qui désire vendre ses trois conneries dans un vide-grenier de s'inscrire dans un registre mis à la disposition de toutes les administrations. Il doit signer une attestation sur l'honneur certifiant qu'il ne se présentera pas plus de deux fois dans l'année pour vendre ses reliques sur le trottoir. Mais voyez un peu ce texte :

- L'article 1 du décret du 7 janvier 2009 prévoit ( III ) que "les ventes au déballage autorisées aux particuliers sont contrôlées au moyen du registre mentionné au 5ème alinéa de l'article 321-7 du Code Pénal".
 
Rappelons que ce registre doit permettre l'identification des vendeurs. Il doit être coté et paraphé par le commissaire de police ou, à défaut, par le maire de la commune siège de la manifestation. Il est tenu à la disposition des services de police et de gendarmerie, des services fiscaux, des douanes ainsi que des services de la concurrence, consommation et répression des fraudes pendant toute la durée de la manifestation. Au terme de celle-ci et au plus tard dans le délai de huit jours il est déposé à la préfecture ou à la sous-préfecture du lieu de la manifestation.
 
L'article 3 du décret du 7 janvier 2009 prévoit pour les particuliers désirant participer à une vente au déballage ou vide-grenier "la remise d'une attestation sur l'honneur de non-participation à deux autres manifestations de même nature au cours de l'année civile"
La remise de cette attestation doit être mentionnée sur le registre mentionné ci-dessus et tenu à l'occasion de toute manifestation donnant lieu à la vente ou à l'échange d'objets mobiliers usagés (Art. 321-9 du Code pénal).
 
Dans un courrier du 12 décembre 2008 adressé au SNCAO, M. Hervé Novelli, Secrétaire d'Etat chargé du Commerce et des petites et moyennes entreprises,soulignait que cette Attestation sur l'honneur remise au moment de l'inscription sur le registre des participants à une vente au déballage ne pouvait être qualifiée de mesure symbolique et présentait un réel engagement de la part de son auteur, toute fausse déclaration constituant un faux et usage de faux punis de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende conformément à l'article 441-1 du code pénal.
 
Enfin une dernière disposition du décret du 7 janvier 2009 concerne les personnes dites "auto-entrepreneurs" relevant du régime micro-social instauré par la Loi de Modernisation de l'Economie.
 
Cette disposition modifie l'article R 321-1 du Code Pénal qui prévoit que toute personne dont l'activité professionnelle comporte la vente ou l'échange d'objets mobiliers usagés est tenue de tenir un registre de police et de procéder à une déclaration à la préfecture dont dépend son établissement principal.
L'article R 321-1 du Code pénal qui prévoyait jusqu'ici que la déclaration à la préfecture devait comporter, parmi d'autres indications, un extrait d'immatriculation au registre du commerce, précise désormais que cette déclaration doit le cas échéant comporter "Le récépissé de déclaration d'activité remis par le Centre de Formalité des Entreprises aux personnes physiques bénéficiant de la dispense d'immatriculation prévue par l'article L.123-1-1 du code de commerce".   (le texte intégral ICI)


Des textes comme celui-ci, il y en a des paquets qui sont autant de fils à la patte. Ils consistent à précariser davantage la population, à la mettre en état de demande, en état de faiblesse. Ils visent à ne laisser aucun espace de rêve ou de liberté et à plonger peu à peu le peuple dans la peur. On vous l'a dit et redit, un peuple qui a peur est automatiquement asservi.

Tandis que le Roi Veilleuse se paie son caprice de Versailles sur le dos du contribuable, s'accordant une enveloppe de 500 000 euros pour que la fête soit belle, le peuple se morfond dans les soucis en remuant son ragoût de propos amers. Mais pourquoi voudriez-vous que ça s'arrête ? Voyez-vous du monde monter à la capitale pour envahir Versailles ? Voyez-vous des opposants à ce gouvernement, tourner le dos devant la face réjouie du roitelet ? Il y a bien sûr Mamère et quelques communistes qui laisseront leur siège vide. J'aurais espéré une fronde plus dense et plus imaginative, un véritable engagement qui ferait trembler la République. Où sont donc les poètes maudits qui versaient leurs pamphlets en terre de Paris ?  Mais les poètes sont gras aujourd'hui mes amis, ils n'ont plus faim, ils n'ont plus soif. Ils ont compris qu'en soustrayant leurs économies aux pauvres, cela leur permettait de faire bonne chère. Les poètes votent Hadopi et fréquentent la cour et dans le protocole ont balayé la classe à particule. Quand à Gavroche, il chante le rap, se faisant passer pour un rebelle parce qu'il met la casquette à l'envers et n'attend qu'une chose, palper la monnaie qu 'il adore dans ses vers et attend dans son lit.

C'est assez pour samedi... Qui donc est donc allé si bas pour y lire ceci : Bon Week end. Bonne fête de la Musique. Tapez le pavé, faites du bruit. Encanaillez-vous, sortez de votre trou, sortez des sentiers battus.  Sortez vos hardes de la naphtaline, faites danser vos méninges. Le ciel ne vous tombera pas sur la tête.  Portez haut la fierté d'être d'en bas, pas tout à fait encore dans le caniveau, mais rassurez-vous le roi s'y emploie !
Vous ne risquez rien à défendre vos rêves, tandis que là-bas en Iran, les jeunes risquent tout simplement leur vie en descendant dans la rue, en osant exprimer leur volonté de voir leur Monde changer....




Par plume de cib - Publié dans : STYLE - Communauté : Résistance 2007
   9 commentaires -

Je vous conseille vivement d'aller vois les commentaires, certains sont fort intéressants

vide-greniers, marché aux puces, restrictions, gloire aux cocus ! - La plume dans l'kawa 
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18 juin 2009 4 18 /06 /juin /2009 07:36

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ISABELLE STENGERS


Faire avec Gaïa : pour une culture

de la non-symétrie

[conférence prononcée le 17/12/1999 à l'occasion de l'exposition

« Le jardin planétaire » à la Grande Halle de la Villette]



Il est assez difficile de parler de nature en toute généralité. On pourrait même penser que l'on est dans une situation analogue à celle que Saint Augustin décrit à propos du temps : on croit savoir ce que c'est et au moment où on veut le dire, on n'arrive pas à l'expliciter. Pour moi, ce n'est pas du tout analogue parce que la difficulté de dire ce qu'est le temps pour Saint Augustin correspond à une expérience intime du temps. Qu'est-ce qu'est le temps qui passe pour moi ? Tandis que la difficulté de parler de nature en général et de définir la nature tient non pas à une expérience intime, mais au contraire à son caractère public, marqué par l'histoire des différentes définitions qui ont été accrochées à ce terme.

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Obéir à la nature pour pouvoir la soumettre

 

La nature désigne toujours quelque chose mais dans son rapport avec autre chose. Cet autre chose est éminemment variable : cela peut être la société des hommes, l'existence de l'homme, la morale ; cela peut être aussi la connaissance au sens rationnel du terme tout autant que des allusions à des surnatures ou du surnaturel. Julien, spécialiste de la Chine nous dit qu'il n'y a pas de traduction pour le mot nature en chinois. Les Chinois n'ont pas conçu qu'il y avait là quelque chose que l'on pouvait définir comme la nature. Effectivement, la nature est née grecque comme phusis et elle est née immédiatement par rapport à, par contraste avec et contre quelque chose. Julien nous dit qu'elle est née à la fois contre des récits fabuleux (le « on dit que ») qui relatent ce que l'on trouve très   loin mais aussi contre la magie, c'est-à-dire la possibilité d'agir par des moyens magiques sur le monde. Donc la nature est née grecque et a été associée très vite – ce qui n'a pas été le cas en Chine – à la fois à un thème de régularité et à un thème de rationalité. Régularité de la nature, rationalité de la connaissance. La régularité est le répondant de la rationalité. La nature est telle que les récits anecdotiques sont sans intérêt et la magie impuissante. Donc immédiatement la nature est un rapport d'affirmation qui est polémique, une affirmation contre quelque chose.

Il n'y a pas loin entre ce que je viens de dire et le mot d'ordre qui résonne à la Renaissance qui est : « obéir à la nature pour pouvoir la soumettre ». Obéir signifie ici 3178746602_aabfd92ce8.jpgpasser par la connaissance de ce qu'elle est indépendamment de nous, ne pas tenter de la violenter par une volonté qui ne serait pas connaissance, mais pour qu'elle nous obéisse c'est-à-dire pour pouvoir l'utiliser à nos fins. Déjà dans ce mot d'ordre, de nouveau anti-magicien et pro-rationaliste, on voit apparaître quelque chose de l'ordre d'une distribution assez classique et propre à la science moderne : d'un côté la science dite « pure », fondamentale, désintéressée, celle qui nous dirait en quoi il est nécessaire que la science obéisse à la nature, c'est-à-dire la comprenne en tant que telle pour pouvoir la faire obéir et d'un autre côté des applications, techniques fondées sur les sciences. Là de nouveau plus secrètement on trouve un rapport polémique : il s'agit non pas de faire obéir la nature à partir d'une volonté humaine non-fondée sur une connaissance objective, mais on se place contre des techniques qui seraient incapables de rendre compte de leur efficacité, c'est-à-dire de la manière dont en faisant obéir la nature, on lui obéit aussi.

302026953_762d300007.jpgDonc ce mot d'ordre passe par la nature mais est en fait adressé aux sociétés et au corpus technique. Il s'agit en fait d'une hiérarchie entre techniques : il y a les techniques fondées sur la science grâce à une entreprise de purification de tout ce qui dans les techniques n'est pas légitimé par une connaissance objective, et éventuellement aussi un mot d'ordre de conquête, c'est-à-dire là où des techniques seulement empiriques existent, il faut que des techniques enfin fondées sur la science s'y substituent. Là où régnait l'empirique doit venir le rationnel. C'est aussi un mot d'ordre que Freud a employé pour la psychanalyse par rapport à l'irrationnel inconscient

 

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Qualités premières versus qualités secondaires

 

J'ai parlé des sciences modernes qui remontent classiquement au XVIIe siècle. Ces sciences modernes – je parle à présent de théories ou de thèses à propos de la nature ont été dès leur naissance associée à la plus extraordinaire des conceptions de la nature que l'on puisse imaginer. La nature en vérité, telle que nous devrions lui obéir et arriver à la comprendre, serait composée de petits corps en mouvement, qualités dites primaires, alors que ne serait que secondaires, lié à notre subjectivité, à ce que l'esprit perçoit, tout ce que fait la nature, les sons, les odeurs, les parfums, les valeurs. On retrouve de nouveau une distribution extrêmement rude parce que d'un côté on a la connaissance rationnelle qui sera d'autant plus rationnelle que ce qu'elle décrit témoigne de cette objectivité d'une nature primaire, et de l'autre côté tout ce à quoi nous pouvons nous attacher en termes de goûts, de passions, d'esthétique, d'art. Il existe donc une hiérarchie : « dis-moi ce qui t'intéresse, je te dirais qui tu es, c'est-à-dire si tu pratiques la connaissance objective ou si tu es le sujet de tes passions ». Whitehead a consacré toute son oeuvre à lutter contre la bifurcation de la nature entre primaire et secondaire.

Le poète, comme dit Whitehead dans Science and Modern World, doit se résigner. Le 77996864_186a844aa1.jpg?v=0coucher de soleil n'a de beauté que dans son esprit. Le rossignol au sens où son chant n'est pas un bruit, heurt de petits corps en mouvement composant l'atmosphère, ne chante que pour lui. La nature, elle se hâte, dit

Whitehead, muette, insensée, sans but, sans signification.

Distribution, hiérarchie et évidemment la science physique au sommet de cette hiérarchie puisque c'est elle, comme le dit très bien Fontenelle au XVIIIe siècle en opposant la physique et la chimie, qui remonte aux principes. L'esprit du physicien comme les principes vers lesquels il remonte tandis que le chimiste s'arrête au mixte qui a déjà des qualités. L'esprit du chimiste est confus comme les mixtes auxquels il s'arrête.

Je voudrais souligner que cette doctrine que l'on appelle parfois le mécanisme n'est pas un produit du développement des sciences, même s'il met presque par définition la 2095064078_4dcfce2fd1.jpg?v=0physique au sommet des connaissances rationnelles. On ne peut pas dire qu'il soit un sous-produit du succès de la physique. En fait, le rapport entre mécanisme et développement de la physique est une histoire agitée qui n'a cessé d'être conflictuelle. Le plus beau scandale est celui des forces newtoniennes à la fin du XVIIe et une bonne partie du XVIIIe siècle. Nous sommes habitués aux forces newtoniennes, ces forces qui agissent à distance. En fait nous avons ajouté l'interaction à distance aux qualités primaires. Mais à l'époque, c'était un véritable scandale que d'habiller la nature de forces qui semblaient remonter à une époque dont le mécanisme nous avait débarrassé, une puissance de la nature. Pendant toute une partie du XVIIIè siècle, la leçon à tirer de la science newtonienne est restée une question ouverte. D'un côté, les physiciens-mathématiciens avaient admis ces forces, mais admis seulement en tant qu'opérant dans leurs calculs et d'autre part les naturalistes, chimistes, médecins, philosophes dont Venel, un chimiste qui a écrit l'article Chimie dans l'Encyclopédie qui tire cette leçon de Newton : « La nature opère la plupart de ses effets par des moyens inconnus. Nous ne pouvons nombrer ses ressources.

2357117617_9ddaf0f254.jpg?v=0Le ridicule réel serait de la limiter en la réduisant à un certain nombre de principes d'actions et de moyens d'opérations ». Le principal allié de Venel était Diderot. Diderot a tiré les conséquences politiques de cette affirmation. La nature lui permet de s'opposer aux académiciens, aux savoirs d'élite, au savoir qui entend construire des systèmes qui réduiraient la nature à un certain nombre de principes d'actions et de moyens d'opérations. Diderot met en scène face à l'élite – ceux qui pensent le peuple obscur des manoeuvres, ceux qui s'agitent – et de fait dit-il la nature donne empiriquement – retour de l'empirique – raison de temps à autre à un manoeuvrier et un grand système s'écroule.

Apparition d'un nouveau thème de la nature, le matérialisme de Diderot qui est très éloigné du mécanisme. Le matérialisme de Diderot célèbre une nature multiple et en 2407581887_62a02b2e54.jpg?v=0même temps puisque le terme de nature n'est jamais loin de celui de connaissance, une connaissance qui serait radicalement différente d'une construction close. Diderot ne nie pas l'intérêt des systèmes, l'intérêt qu'il y ait de tenter de ramener la nature à un certain nombre de principes d'actions. Ce qu'il veut c'est une alliance, c'est-à-dire un système tel que l'intérêt de ce système serait justement l'événement que constitue son écroulement. Il s'agit donc de l'intérêt du fait produit par un obscur et poudreux manoeuvrier qui produirait ce que le système ne pouvait pas admettre. Il raconte même une célèbre fable, peut-être de La Fontaine, du vieillard qui lègue à ses fils un champ plein de ronces et de pierrailles en leur disant qu'un trésor est enterré dedans. Les fils se mettent à labourer, à creuser. Finalement, il n'y a pas de trésor, mais le champ leur rapporte un grand profit puisqu'ils l'ont rendu arable. Le trésor, c'est ce que cherche l'esprit de système et sans le savoir, sans le vouloir, il crée la fécondité de ce que pourra éventuellement trouver le manoeuvrier. En fait, on peut dire que Diderot en appelait à une science qui jusqu'ici n'a pas véritablement eu lieu. Je me sens plus proche de Diderot que de la science à laquelle nous avons souvent affaire ici. Je vous rappellerai le contraste de la manière dont Diderot lutte contre la division en qualités primaires, qui permettent de réduire la nature à un petit nombre de principes d'actions, et le reste, le contraste entre cette manière de lutter et ce qui est arrivé lorsque la mécanique quantique s'est rendue compte que les qualités primaires (la position, la vitesse) ne pouvaient pas être directement attribuées au corps et donc n'appartenaient pas à la nature en tant que telle. Ces qualités primaires étaient attribuables à un corps, mais seulement moyennant nos questions. Elles n'étaient pas des attributs de la nature, mais attribuables par nos questions et à travers elles, à ce que nous mesurons, à ce que nous tentons de comprendre. Lorsque la mécanique quantique a découvert ce qui sonnait le glas des qualités primaires, les spécialistes n'ont pas chanté cette nature multiple qui agit par des moyens inconnus et ce ridicule qui avait conduit à penser que nous pouvions comprendre en termes de position et de vitesse ce qui existe. Tout cela correspond au triomphe de l'élite contre lequel Diderot luttait. Tout le monde croyait que le réel était intelligible en termes de position et de vitesse, mais maintenant les physiciens nous apprennent et nous forcent à reconnaître que tout le monde se trompait. La hiérarchie est parmi nous quand la nature entre dans le jeu de ceux qui opposent ce que tout le monde était censé croire et ce que maintenant une science annonce.

 

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Des jugements hiérarchisants et moraux

 

Je voudrais aussi rappeler en termes de hiérarchie le malheureusement célèbre : Mind/body problem. Vous savez qu'il fait rage aux Etats-Unis plus qu'ici, et en parler est un peu un antidote. Mind/body problem est un retour aux qualités primaires et secondaires puisqu'il appartient au mind de sentir, de percevoir, de vouloir, tandis que le body, notre système neuronal appartient lui à la nature et doit être décrit par les interactions physico-chimico-électrico-cellulaires qui sont ce que le scientifique décrit à propos du cerveau. Comment s'articulent le sentir, la volonté, la perception, au sens où ils sont vécus et ces interactions multiples entre ces populations de neurones échevelés ? La solution la plus radicale est ce que l'on appelle l'éliminativisme. Un jour, 2894765300_01c7acff19.jpgnous disent certains philosophes dits matérialistes alors qu'ils descendent directement de cette nature mécaniste même si leur mécanisme est informé par les sciences d'aujourd'hui. Un jour, disent par exemple les époux Churchland, les expressions comme je veux, je décide, je pense, appartiendront au folklore. On saura qu'on le dit mais c'est de la psychologie populaire parce que la science nous dira que mon émetteur alpha-b-48 a déchargé une impulsion vers mon récepteur b-55, b-78 et b-89, ce qui fait que etc. C'est très difficile à dire d'ailleurs. Il paraît que le philosophe Churchland montre au public non pas le portrait de sa femme bien-aimée, Patricia Churchland, mais la photo de l'image scanner de son cerveau, en disant : c'est elle que j'aime. Donc l'opposition qualités primaires et secondaires et le jeu, la nature objective par rapport à nos affects subjectifs est née, il y a longtemps et est toujours avec nous. Dans ce jeu-là, la nature est toujours ce qui fonde des jugements dont on peut dire qu'ils sont à la fois hiérarchisants et moraux. La morale ici c'est avant tout se défaire de nos attaches. Le monde est muet, nous devons comme Jacques Monod l'a souligné dans Le hasard et la nécessité, nous défaire de nos attaches affectives, esthétiques par rapport au monde. Ces attaches sont nôtres, le monde n'en répond en rien, il est muet et à lui s'oppose la liberté humaine comme morale. En fait, doubles universels mais en opposition absolue : la nature, le monde muet répond d'une connaissance qui doit mettre tout le monde d'accord puisqu'il s'agit d'une réalité à laquelle personne n'est attachée. Qu'il s'agisse de neurones ou de 465567548_59b0af30d2.jpg?v=1228451296corps en mouvements, c'est quelque chose qui choque également tout le monde, qui ne donne raison à personne sauf à ceux qui les étudient. La nature répond d'une connaissance universelle et ne donne aucun appui à quiconque prétendrait qu'elle justifie des valeurs, des convictions, des goûts particuliers. En face il y a l'universel de la liberté humaine qui lui non plus ne peut être limité par aucune valeur, aucune contrainte issue de la nature. Il est très important de rappeler que ce rôle de la nature comme répondant de jugements qui sont à la fois hiérarchisants et moraux ne cesse d'accompagner les sciences modernes, mais que cela ne se déduit jamais des sciences modernes. Il y a au contraire, me semble-t-il, un contraste extraordinaire entre la multiplicité des liens pratiques créés par chaque science, des êtres qui du fait du travail des scientifiques peuplent désormais notre monde et l'éternel retour du même appel à renoncer à nos attaches, du même appel à nous montrer un monde muet. Et cela comme si ce même appel se recomposait à chaque fois en absorbant dans les qualités primaires les nouveaux traits que les scientifiques avaient jugés bon d'attribuer, mais d'attribuer parce qu'ils avaient pu se lier à un phénomène naturel.

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Il y a une espèce d'éternel retour à l'origine. La grande origine c'est la nature horloge avec ce fameux contraste qui fait que l'horloge hante les esprits. Qu'est-ce que le contraste de l'horloge ? L'horloge est un mécanisme. Si on ouvre une horloge, on ne voit que des pièces obéissant aux lois de la mécanique et pourtant l'horloge nous donne l'heure. Elle ne se donne pas l'heure. L'heure n'a aucun sens pour les mécanismes horlogers et pourtant, qualités secondaires, elle a une signification pour nous. L'horloge a illustré à la fois l'inertie obéissante des pièces mécaniques, mais qui figurent bien les qualités primaires, et le pouvoir créateur de Dieu qui asservit ces mécanismes en tant que moyens pour ses fins. Comme vous le savez aujourd'hui, nous n'avons plus affaire au grand horloger, mais en ce qui concerne la sélection naturelle à l'horloger aveugle de Dawkin, the 3391276313_59ab3220cf.jpg?v=0blind clockmaker. The blind clockmaker est tout à fait proche de l'ancien grand horloger, sauf qu'il est aveugle, qu'il n'est plus Dieu mais la sélection naturelle. De nouveau, on retrouve ce même contraste entre des mutations génétiques dépourvues de significations, insensées et la toute puissance de la sélection qui au fond fabrique le sens. C'est de nouveau la sélection naturelle qui nous dit que si le poète peut célébrer la nature, il s'agit avant tout d'une sélection sexuelle pour séduire sa femelle.

Contraste parce que pendant ce temps-là, la science de Darwin qui n'est pas simplement réduite à l'horloger aveugle, cette science n'a cessé d'explorer la fécondité de cette nouvelle compréhension de la nature qu'apportent des temps extrêmement longs, les milliards d'années pendant lesquels les êtres ont vécu et découvert l'histoire de la vie. Ils découvrent aussi cette connaissance toute différente – je me réfère ici à Steven Giboul – à quel point la connaissance de l'historicité de la nature peut créer de nouvelles manières de savoir, de manières autres que les sciences expérimentales de comprendre.

 

 

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 Gaïa

 

J'abandonne cette division binaire, nature par rapport à autre chose pour m'intéresser aux nouveaux contrastes qui surgissent et qui me semblent prometteurs. Ce contraste qui va mettre en scène des natures multiples, profondément enchevêtrées et historiques, ne nous donne pas une nature neutre. La nature qui est mise en scène ici n'est pas plus neutre qu'avant. Simplement, elle s'inscrit dans de nouveaux contrastes, dans de nouvelles oppositions.

7061327_a0f62283f1.jpg?v=0La première figure de cette historicité nouvelle de la nature, la plus connue, celle qui a fait hurler beaucoup de gens pour qui c'était de la superstition, a eu un nom : Gaïa. Gaïa pour Lovelock et Margulis, scientifiques extrêmement respectables quoique légèrement hérétiques, est d'abord là pour nous dire l'ancienneté de la vie, les milliards d'années pendant lesquelles des myriades de bactéries ont littéralement fabriqué la Terre que nous habitons. Indissociabilité dite par

Gaïa entre cette multitude ancienne de vivants, les régimes climatiques sous lesquels nous vivons, l'existence même d'océans et de sols fertiles. Tout à coup, la nature est là et ce qu'elle produit est l'enchevêtrement de ce que nous pouvions distinguer. Usuellement on pouvait penser que le climat, l'existence d'eau, de sols, donc de la terre, de l'eau, de l'atmosphère – les vieux éléments des Grecs – que cet ensemble était donné comme principe. On disait souvent que la Terre était juste à la bonne distance du soleil pour ne pas être trop froide comme Vénus, trop chaude comme...

C'est ce que l'on a appelé ensuite la fable de Boucle d'Or.

Vous connaissez l'histoire de Boucle d'Or et des trois ours.1520809212_968d4289c9.jpg?v=0

Boucle d'Or arrive dans la maison habitée par Papa ours,

Maman ours et petit-ours et goûte le bol de porridge, puis essaye le fauteuil et le lit. Chaque fois il y en a un qui est trop grand, l'autre trop petit et le dernier juste bien ; l'un qui est trop chaud, l'autre trop froid et le dernier juste bien. La Terre serait juste bien. Or Gaïa nous dit que la Terre aurait pu être désertique comme Mars. C'est à la vie qu'elle doit de pouvoir abriter la vie. Les bactéries sont véritablement les co-auteurs de la Terre. Gaïa nous apprend en plus que la métastabilité, (ce qui n'est pas instable mais pas stable non plus, ce qui peut être instabilité) n'est pas celle de Gaïa mais celle du régime dont nous dépendons.

Les mathématiques avaient souvent été associées aux qualités primaires. Descartes était aussi mathématicien. Les mathématiques sont l'une des grandes ressources de l'invention physique. Cette fois-ci, ce sont les modèles mathématiques, la simulation par ordinateur, les théories du chaos et de l'instabilité qui disent : « attention, ces régimes interconnectés et interdépendants, ces processus qui réagissent les uns par rapport aux autres, ce sont des régimes potentiellement instables. Cela pourrait changer brutalement ». Les mathématiques au lieu de nous dire la régularité des processus naturels se mettent aussi bien du côté de leur possible irrégularité. Evidemment, le plus bel exemple qui nous préoccupe aujourd'hui et qui est directement lié à Gaïa est l'effet de serre. L'effet de serre fait partie de nos pensées de la nature aujourd'hui. Nos interventions, même si elles relèvent d'un temps très court, pourraient provoquer un bouleversement des régimes qui pourtant se sont établis selon des temps longs.

11490189_1312395d9f.jpg?v=0Nouvelle figure de la nature avec Gaïa. Elle n'est plus moyen pour nos fins, elle n'est plus non plus à protéger parce que Gaïa survivra. Les bactéries continueront quelles que soient les bêtises que nous puissions faire, disent les partisans de Gaïa.

Elle doit être respectée parce que nous dépendons d'elle, non pas au sens où elle serait respectable comme une déesse, mais au sens où elle est sensible voire même chatouilleuse. Ce que nous devons craindre, c'est un haussement des pôles de Gaïa qui nous décrocherait tandis que Gaïa, les bactéries, les fourmis continueraient. Donc cette fois la nature s'inscrit de nouveau dans un contraste, dans une morale, dans une science. La morale c'est faire attention, ne pas se fier à une obéissance trompeuse, à une intelligibilité qui simplifie. Nous avons des définitions simples qui sont liées aux problématiques moyen-fin, qui définissent des ressources pour nous. Ces définitions peuvent avoir des conséquences inattendues et parfois profondément déplorables. Donc caractère limité de nos définitions sociales qui tranchent toujours dans un environnement, dans un enchevêtrement problématique, métastable qui3102824006_185a29624c.jpg?v=0 pourrait nous révéler quelques petites surprises. Et nouvelle fable quant au savoir scientifique. Le savoir pertinent ici n'est plus celui de l'expérimentation, de la preuve qui oppose les faits à l'opinion. Le savoir scientifique qui est à l'œuvre notamment dans les modèles de simulation est un savoir proprement mathématique qui intègre tout ce que les sciences expérimentales peuvent nous apprendre, mais aussi un savoir du scénario possible, de l'imagination des possibles qui transforme le scientifique non d'abord en homme de la preuve mais en tireur de sonnette d'alarme des possibles et des risques. Cette fois-ci, dans cette situation, la nature n'intervient plus en opposition avec l'ordre social comme l'automatique par rapport à ce qui se décide, se délibère. Elle n'est pas non plus similaire à cet ordre. La nature n'est pas un modèle, la nature devient un vecteur d'incertitude qui nous dit la nécessité de ne pas nous fier à nos simplifications, la nécessité d'apprendre à prendre en compte. Dès lors l'ordre social, ce grâce à quoi nous apprenons à prendre en compte, peut se juger selon la manière dont soit il prend ses projets pour ce à partir de quoi il faut assigner des rôles, des fonctions et des définitions au monde, soit au contraire il accepte que tout projet est une expérimentation risquée, sous le signe du « faire attention ».

 

 

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Le vaisseau spatial Terre

 

Je voudrais quant à moi établir un contraste très important avec l'ancienne métaphore de la nature ou de la terre qui a accompagné la découverte, il y a quelques dizaines d'années du caractère limité des ressources : c'était « nous sommes sur le vaisseau spatial Terre ». C'est une tout autre histoire qui se produit avec Gaïa parce que le vaisseau spatial Terre en tant que vaisseau a un capitaine et un équipage et le pire crime est la mutinerie. Donc le message de cette nature comme faisant partie d'un vaisseau que nous devions respecter était un message de discipline et de pénurie. Ici au contraire, la pénurie peut nous menacer, mais se double de risques inédits. Du coup, ce n'est plus du tout un message de discipline. Il nous faut une multitude de guetteurs, une multitude d'imagination, il nous faut apprendre à vivre avec et non plus à ne pas épuiser des ressources rares. Le vaisseau 2862535200_0333104109.jpg?v=0spatial Terre était pour moi un message assez menaçant de deuil et de « serrons-nous la ceinture et faisons face à la pénurie ». Ici « apprendre à vivre avec » dans cette multitude instable et enchevêtrée devient intéressant et c'est ce que pourrait éventuellement devenir ce que l'on globalise aujourd'hui sous l'étiquette un peu énigmatique de « développement durable ». Pour moi, le développement durable ou bien sera une sinistre farce, ou bien sera une relance de ce que nous entendons par connaissance rationnelle ou bien se situera entre les deux. Mais en tout cas, c'est une nouvelle ressource argumentaire qui se lie à la nature qui se lie à une science qui apprenne à prendre en compte, à nouer, à enchevêtrer l'hétérogène puisque la nature est elle-même enchevêtrée et lie l'hétérogène dans des régimes semistables.

 


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 De quoi un animal est-il capable ?

 

Je vais faire un second petit parcours de contrastes à un autre niveau cette fois-ci pour vous montrer que ce n'est pas seulement la Terre Gaïa qui crée et suscite d'autres idées et pratiques de la nature, mais aussi éventuellement le rapport que nous avons avec les animaux. Le plus bel exemple que nous ayons est ce qui est arrivé ces dernières années à l'éthologie comme science du comportement des animaux.

2316579129_cf91f0e260.jpg?v=1212495374Jusqu'à peu régnait l'opposition usuelle : l'animal qui obéit à sa nature et l'homme le sujet qui s'arrache à sa nature. Je me souviens d'avoir entendu le philosophe Luc Ferry qui ne connaît rien à la biologie, à l'éthologie, et qui ne s'est jamais intéressé à aucun animal sauf peut-être à son chien, insiste sur France Inter sur le fait que tout animal en tant que tel répond à un code, est seulement la traduction de son code. De quoi s'agissait-il ? On n'en sait rien. Ce qu'il fallait, c'était affirmer que l'homme est 3414306201_9d2bc75fb4.jpg?v=0différent de tout animal, quel qu'il soit, parce que l'homme, lui, s'arrache au code et crée malgré les codes et s'arrache à la nature. Dans le cadre de cette opposition, l'ennemi de l'éthologie était l'anthropomorphisme. Il fallait véritablement ne rien attribuer à l'animal qui rappelle la liberté ou la manière d'être des humains. Il fallait une distribution bien nette entre le scientifique qui crée, qui pose des questions et l'animal qui ne répond jamais au scientifique. C'est l'horreur parce que cela veut dire que l'animal est domestiqué, il n'est plus pur, il n'est plus lui-même, il est une espèce d'hybride et on ne peut plus comprendre à quoi il obéit. Non, l'animal ne répond pas aux scientifiques (domestication), il doit d'une manière ou d'une autre manifester ce à quoi il est soumis. Bruno Latour a écrit des articles forts intéressants avec une babouinologue, Shirley Strom. Cette babouinologue nous vient avec une idée complètement 3424510043_19e6cffd1d.jpg?v=0différente de ce que signifie en l'occurrence comprendre les babouins. Au lieu de se demander à quoi dans une population de babouins, les babouins sont soumis, à quoi ils obéissent, quelle est leur hiérarchie, à quoi reconnaît-on un dominant, elle s'est rendu compte que la meilleure façon de comprendre les babouins, de les rendre intéressants, de se lier à eux au sens de la connaissance, c'était qu'eux-mêmes étaient en train de produire des réponses à ces questions. Les questions qui étaient celles que le

babouinologue se posait, éventuellement les babouins ne cessaient de tester, de construire de fabriquer des versions de ce qu'est être dominant, se faire accepter dans une société.

Donc c'est en reconnaissant que le comportement des babouins était beaucoup plus intelligible, en tentant de résoudre des problèmes plutôt qu'en les dominant, en cherchant à quoi ils obéissaient que cela devient intéressant. Quand elle s'est rendu compte de cela, elle a fait basculer l'éthologie du côté de la question non pas à quoi obéit un animal, mais de quoi un est-il capable et de quoi est fait son monde. Cette éthologie devient absolument passionnante au moment où les éthologues inventent des situations, des dispositifs, des manières d'observer tels que l'animal manifestera de manière lisible – puisqu'il s'agit de produire de la connaissance – la manière dont pour lui se pose le problème auquel répond son activité observable. 2217943387_9ba1d6ca82.jpg

De quoi est-il capable et non plus à quoi est-il soumis et donc éventuellement aussi que peut-il apprendre ?

Evidemment, la plus belle fable de cette nouvelle éthologie, qui serait l'horreur pour ceux qui sont contre la domestication, est cette histoire des singes qui apprennent à parler, les chimpanzés, les bonobos, les orangs-outangs. Au début, c'était une question très classique : est-ce que leur patrimoine génétique leur permet de parler ? On va essayer. Or plus cette recherche s'est développée, plus l'idée qu'ils en étaient capables en eux-mêmes s'impose. Ils devenaient capables de choses étonnantes, mais dans une relation proche, émotionnelle, dans une attache affective avec ceux avec qui ils apprenaient. Donc pas moyen de savoir de quoi ils étaient capables en eux-mêmes, indépendamment du lien avec l'humain puisque c'était justement ce lien qui les rendaient des singes, des primates proches, de type nouveau, des hybrides dont le comportement n'était ni animal, ni humain ; un comportement nouveau dont ils se rendaient capables dans un 2284134037_6e21639ff1.jpg?v=0environnement complètement nouveau. Je crois que c'est une superbe figure du savoir qui engage et qui attache à ce point que les spécialistes des singes n'ont pas pu se résoudre, leurs singes devenant trop vieux et n'apprenant plus rien, à les renvoyer soit au zoo, soit dans la nature, soit à l'abattoir. Ils ont lancé auprès du public américain une collecte pour créer des maisons de retraite où l'on conserve aux singes l'environnement qui leur était devenu consubstantiel, dont ils avaient besoin puisque c'était cet environnement qui les avait créés. Cette question d'un savoir qui engage, qui produit, qui invente du nouveau, est de manière plus générique la suivante : de quel devenir commun sommes-nous susceptibles avec des êtres dont nous disons qu'ils appartiennent à la nature ?

 

 

 

 

 

 

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Une culture de la non-symétrie

 

Cette nature, au sens où l'on pourrait la définir une fois pour toute, où elle aurait une identité, où elle permettrait d'opposer ce qu'elle est à l'humanité, cette nature n'existe pas.

L'autre nature n'existe pas plus au sens objectif. Mais elle m'intéresse plus car elle est prise dans l'historicité humaine qui me semble le problème de notre monde contemporain. 311-12158923587d1L.jpgQu'est-ce que cette nature qui n'existe pas en elle-même, mais qui existe peut-être dans un sens déterminé ? Elle existerait au sens où elle nous oblige à penser, à négocier, à prendre en compte, à imaginer, à faire attention sans que nous devions dire, elle pense, elle négocie, prend en compte, imagine, négocie, fait attention. Nous devons penser, négocier, prendre en compte, imaginer avec quelque chose qui n'en fait pas autant. Je dirais qu'il s'agit là du début d'une culture qui me semble très intéressante, une culture de la non-symétrie. Je ne crois pas à Gaïa, à une déesse au sens où elle entendrait nos raisons. Cela me semble un appauvrissement de la situation. S'il est quelque chose que les singes alors même qu'ils apprennent à parler ne peuvent pas comprendre, c'est ce qui peut pousser les humains à leur consacrer tout leur temps, toute leur patience infinie. Cela ils n'ont pas à le comprendre. Non-symétrie.

S'il est quelque chose que la nature Gaïa nous apprend, c'est que c'est à nous de faire attention parce que le fait que le régime d'interdépendance actuelle nous convienne n'est pas du tout un privilège de ce régime. Gaïa n'aura rien perdu, les gros mammifères comme nous aurons tout perdu. Gaïa n'a pas de raison d'être accrochée à un quelconque 2793405692_3b6563355b.jpg?v=1219599093faire attention à nous, c'est nous qui devons faire attention à elle. Non-symétrie ne veut pas dire objectivité : elle contre nous, nous nous opposons à elle. Non-symétrie veut dire cette situation extrêmement intéressante : la nature nous intéresse alors que nous n'intéressons pas la nature. Cette non-symétrie peut générer une multiplicité d'intérêts pratiques au double sens d'inventif, manière de faire et manière de devoir se bien conduire, de devoir se comporter. Manière de la faire exister entre nous et nous.

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16 juin 2009 2 16 /06 /juin /2009 04:58

Périphéries - Femmes, magie et politique, de Starhawk

« Quitter la terre ferme des certitudes »

En Europe, certains connaissent Starhawk, la sorcière néopaïenne de San Francisco, pour l’avoir croisée lors des rassemblements de Seattle, de Gênes ou de Québec. Femmes, magie et politique, qu’ont publié ce printemps les Empêcheurs de penser en rond, est son premier livre traduit en français. Il date de 1982 - elle avait alors trente ans -, mais les enjeux qu’il définit, élaborés dans le contexte du reaganisme triomphant et de ce que l’on apercevait de l’évolution globale du monde à cette époque, collent parfaitement aujourd’hui. Si bien que c’est un livre qui tombe à pic, et même, qui produit une accélération, qui bouscule sérieusement, qui invite à s’aventurer plus loin, à penser autrement.



Même s’il a été écrit avant la naissance et le baptême officiel de l’altermondialisation (et même si Starhawk a publié récemment aux Etats-Unis un livre sur les mobilisations de ces dernières années), on peut le prendre comme un soutien de poids aux quelques penseurs francophones qui mettent en garde le mouvement actuel contre les insuffisances et les faiblesses constitutives auxquelles il s’expose lorsqu’il se contente de - comme elle l’écrivait déjà à l’époque - « dénoncer les abus les plus criants de la propriété ». Comme Annie Le Brun, qui juge dérisoire de ne faire que « brandir l’épouvantail économique », et qui doute que l’on puisse « lutter contre la séparation avec les armes de la séparation », Starhawk nous dit (dans un style très différent, certes) que la seule raison raisonnante est impuissante à nous tirer du très mauvais pas où nous sommes ; qu’elle ne fera même que nous y enfoncer un peu plus.

Pourquoi « sorcière » ? Dans une annexe captivante du livre, « Le temps des bûchers », elle étudie le coup de force qui s’est joué en Europe au moment de l’Inquisition. C’est l’époque des enclosures, des « mises en clôtures » : les terres autrefois exploitées collectivement par les villageois, même si elles appartenaient formellement au seigneur, sont clôturées ; on cherche désormais à en tirer un profit maximum : la valeur d’échange supplante la valeur d’usage. « La terre enclose, au lieu de servir de multiples besoins et objectifs, n’en servait qu’un, observe-t-elle. Quand une forêt était abattue et close pour la transformer en pâturage, elle ne pouvait plus fournir de bois pour le chauffage ou la construction, de glands pour les porcs, d’habitat pour le gibier, de lieu pour la cueillette des herbes thérapeutiques, ni d’abri pour ceux qui étaient amenés à vivre en dehors des confins de la ville ou du village. » L’organisation collective du travail est détruite : l’unité productive se réduit à l’individu. Les plus marginaux, privés de leurs derniers moyens de subsistance, deviennent entièrement tributaires des salaires. La chasse aux sorcières sert tous les objectifs de la révolution qui est en train de se produire. Elle contribue à détruire la communauté, puisque le risque de se faire dénoncer comme sorcier ou sorcière pousse chacun à se méfier de tous. Elle éradique le lien à la terre, ce lien que les villageois célébraient à travers les rituels marquant le cycle des saisons. Elle est aussi confiscation de la connaissance : en qualifiant les savoirs populaires de superstitieux et d’obscurantistes, voire de diaboliques, on substitue à la figure du guérisseur intégré à la communauté celle du médecin qui dispense sa science d’en haut. Le patient, privé de sa confiance dans sa propre culture et sa propre force, est désormais entretenu dans la conscience de son impuissance et de son indignité fondamentale. En martyrisant la chair des femmes, l’Inquisition exprime aussi une haine de la vie sensuelle qui se retrouve dans l’éthique protestante du travail : les tâches nourricières sont dévalorisées et même frappées d’« irréalité » ; le travail et le profit constituent une sphère autonome, une fin en soi, et condamnent le désir de confort, la jouissance immédiate de la vie ; sont glorifiés le contrôle, la domination du corps et de la nature.

« La fumée des sorcières brûlées
est encore dans nos narines ;
elle nous intime avant tout de nous considérer
comme des entités séparées, isolées
en compétition, aliénées,
impuissantes et seules »

Le monde qui émerge est celui de ce que Starhawk appelle la « mise à distance », et qu’un Miguel Benasayag - dans Le mythe de l’individu, notamment - nomme « séparation » : l’être humain est coupé de la nature, coupé de ses semblables, coupé de son propre corps. Cette idéologie « promet de façon mensongère que le soi peut entièrement se libérer de la terre, que la maîtrise et le contrôle peuvent complètement gagner sur les forces profondes de la vie et de la mort, que la nature peut être domestiquée ». On voit triompher la vision « mécaniste » du monde, dans laquelle les choses n’ont pas de lien les unes avec les autres, et ne sont que des entités inertes, dont la valeur est strictement d’échange. C’est la fin de l’immanence, conception selon laquelle la valeur sacrée réside dans chaque élément du monde et nulle part ailleurs : elle n’y est pas rapportée par un Dieu qui lui serait extérieur. L’immanence, qui avait survécu au catholicisme à travers les pratiques et les croyances qu’incarnaient les sorcières, mais aussi un certain nombre de sectes radicales, ne résiste pas à la mise en coupe réglée de la culture populaire qui se joue à l’époque de l’Inquisition.

Pour Starhawk, « le passé vit dans le présent », et cette histoire d’expropriation et de répression se poursuit jusqu’à aujourd’hui : « Nous pouvons lire dans nos journaux les mêmes accusations contre la fainéantise des pauvres. Les expropriateurs se déplacent dans le tiers monde, détruisant les cultures, pourvoyant la connaissance occidentale estampillée, pillant les ressources de la terre et des gens. L’éthique de la propriété les anime. L’agriculture scientifique empoisonne la terre de pesticides ; la technologie mécaniste construit des centrales nucléaires et des bombes qui peuvent faire de la terre une chose morte. Si nous écoutons la radio, nous pouvons entendre le crépitement des flammes à chaque bulletin d’information. Si nous regardons le journal télévisé ou sortons marcher dans les rues, où la valeur transcendante du profit augmente les loyers, le prix de l’immobilier, et contraint les gens à quitter leurs quartiers et leurs maisons, nous pouvons entendre le bruit sourd de l’avis de mise en clôture en train d’être cloué à la porte. (...) La fumée des sorcières brûlées est encore dans nos narines ; elle nous intime avant tout de nous considérer comme des entités séparées, isolées, en compétition, aliénées, impuissantes et seules. » C’est sans doute aux Etats-Unis, où les colons européens l’ont imposée par la violence en éradiquant la culture « immanente » des autochtones, que la « mise à distance » est le plus développée. C’est peut-être à elle, d’ailleurs, que les militants altermondialistes en veulent confusément lorsqu’ils s’en prennent aux Etats-Unis : le reconnaître ne leur permettrait-il pas d’assumer sans complexe leur anti-américanisme, en même temps que de se prémunir contre le manichéisme (invalidé du seul fait qu’une Starhawk représente, elle aussi, un visage des Etats-Unis) ?

 


« La physique moderne reconnaît
ce que les chamans et les sorcières ont toujours su :
que l’énergie et la matière ne sont pas des forces séparées
mais des formes différentes de la même chose
 »

Pour tenter d’inverser la vapeur, les sorcières néopaïennes travaillent à redonner à chacun la conscience de son propre pouvoir, en même temps qu’à renforcer ses liens avec les autres et avec le monde. Au « pouvoir-sur », le pouvoir de l’autorité, imposé d’en haut, elles opposent le « pouvoir-du-dedans » - on retrouve là la dialectique du « pouvoir » et de la « puissance » que développe Benasayag. Cette force et ces liens ne sont pas des enfantillages gentiment ésotériques : ils existent réellement, et ne sont qu’atrophiés, escamotés. La vision mécaniste du monde, si elle continue à régner sur nos consciences, a été depuis plusieurs décennies invalidée par la science, fait remarquer Starhawk : « La physique moderne ne parle plus des atomes séparés et isolés d’une matière morte, mais de vagues de flux d’énergies, de probabilités, de phénomènes qui changent quand on les observe ; elle reconnaît ce que les chamans et les sorcières ont toujours su : que l’énergie et la matière ne sont pas des forces séparées mais des formes différentes de la même chose. » Elle écrit ailleurs que « nous sommes chacun une ride dans le nimbe de la terre », faisant ainsi écho au physicien Harold Morowitz (cité par Augustin Berque), pour qui « toute chose vivante est une structure dissipative, c’est-à-dire qu’elle ne dure pas en soi, mais seulement en tant que résultat du flux continuel de l’énergie dans le système. De ce point de vue, la réalité des individus pose problème parce qu’ils n’existent pas en eux-mêmes, mais seulement comme des perturbations locales dans ce flux d’énergie universel ». Ce sont ces flux d’énergie, cette force qui lie tous les éléments du monde - le prana hindou, le qi chinois, le mana hawaïen -, que les sorcières apprennent à célébrer et à manier, inventant de nouvelles formes de rituels.

 


Il ne s’agit pas pour elles de ressusciter tel quel un passé idéalisé : comme le notait la philosophe Isabelle Stengers dans un entretien à la revue Vacarme, à un moment où le livre de Starhawk, qu’elle a coédité et dont elle signe la postface, était encore en préparation, les sorcières américaines « en sont venues à se présenter comme des productrices de rituels. Le rapport entre ce qu’elles font et les anciens rites de sorcières ne passe pas par la question de l’authenticité. Elles se pensent héritières d’un savoir transmis, mais elles ne s’y tiennent pas. Elles inventent des rituels chaque fois qu’une situation les oblige à produire de la puissance collective - qu’il s’agisse de participer à un blocus contre une centrale nucléaire, de manifester à Seattle, ou encore de résister au désespoir, en faisant des actions de lamentation après le 11 septembre, des “productions de douleur” qui n’ont rien à voir avec la façon de Bush. Elles créent donc des rituels à la hauteur de la situation qu’il s’agit d’activer ». Parce qu’ils reposent sur un savoir construit, cohérent, en constante évolution, parce qu’ils incluent l’humour et la négativité, ces rituels ne semblent jamais ridicules ou ineptes. Starhawk fait notamment une évocation impressionnante de celui par lequel elle et ses amis célèbrent le solstice d’hiver, en allumant un grand feu sur la plage puis en se plongeant dans les vagues de l’océan, bras levés, avec des chants et des vociférations de jubilation. Avec son langage simple, concret (le grand principe des sorcières : « des choses, pas des idées »), elle est bien plus terre-à-terre que ceux-là même qui, se considérant eux-mêmes comme sensés et raisonnables, pourraient l’accuser de divaguer. L’un des grands mérites de son livre est de réancrer solidement le lecteur dans le monde, et de révéler, par contraste, l’irréalité et la déraison foncière des adeptes de la pensée mécaniste.

« Prendre le risque de faire ricaner »

Il reste que Femmes, magie et politique est une lecture aussi dérangeante que stimulante. Elle oblige le lecteur, même s’il se croit et se veut éminemment progressiste, à se reconnaître comme l’héritier du monde qui a brûlé les sorcières, au cours de cette période restée dans l’Histoire officielle sous le nom de « Renaissance » : elle l’oblige à se confronter avec ce qui, en lui, considère effectivement les anciennes guérisseuses comme des sorcièresTraité de physique et de philosophie) « notre ontologie instinctive ». Bref, rétrogrades, sales et superstitieuses (même si on commence timidement à redécouvrir la validité de leur médecine préventive et de leur usage avisé des plantes) ; avec sa propre tendance à dévaloriser et à rejeter le corporel et le nourricier ; avec sa propre adhésion à la vision mécaniste du monde, laquelle demeure, malgré les évolutions de la science, ce que le physicien français Bernard d’Espagnat appelle (dans son elle l’oblige à identifier les formes d’autorité qu’il véhicule en lui-même - et là aussi on pense à Benasayag écrivant, dans Résister c’est créer, que « le néolibéralisme est en nous ». Or, même si la vision mécaniste, qui se présente abusivement comme la seule vraie et raisonnable, produit des désordres de plus en plus évidents et de plus en plus graves, la réticence à s’en démarquer, l’espoir qu’on puisse résoudre la situation sans s’en écarter, restent très prégnants. Car au-delà d’elle, s’ouvre un terrain sur lequel on ne se sent guère à l’aise - surtout en Europe. En préparant cette traduction, les Empêcheurs de penser en rond étaient conscients du risque qu’ils prenaient : En France, écrivent-ils en quatrième de couverture, « ceux qui font de la politique ont pris l’habitude de se méfier de tout ce qui relève de la spiritualité, qu’ils ont vite fait de taxer d’être d’extrême droite. Magie et politique ne font pas bon ménage et si des femmes décident de s’appeler sorcières, c’est en se débarrassant de ce qu’elles considèrent comme des superstitions et de vieilles croyances, en ne retenant que la persécution dont elles furent victimes de la part des pouvoirs patriarcaux. Ce n’est pas le cas de la sorcière Starhawk et des femmes qui l’entourent. Non seulement elles ont pris au sérieux l’héritage des sorcières du passé sans aucun renoncement, mais elles le prolongent et transforment les idées que l’on se fait de la “magie”, “art des sorcières”. »

Starhawk elle-même, dans sa préface à l’édition française, se montre également consciente de la « crainte de tout irrationalisme chez les progressistes européens ». Penseurs et militants, uniquement soucieux de trouver la posture intellectuelle qui leur semble la plus avantageuse et de s’y tenir, répugnent en général à abandonner leur quant-à-soi narcissique, à « prendre le risque de faire ricaner », pour reprendre l’expression d’Isabelle Stengers. Elle remarque dans sa postface que la philosophie, en général, « se méfie de ceux qui osent des perspectives apparemment incongrues, dépourvues de la garantie de qualité qui authentifie la grandeur du chemin, rend impossible toute confusion avec une quelconque divagation, écarte la crainte de se retrouver en mauvaise compagnie ».

Cette crainte, dans le cas des écrits de Starhawk, est tout à fait justifiée. Parce que « la communauté s’oppose à la mise à distance », parce que « les institutions de la domination se sont établies en détruisant les communautés », elle affirme que « nous devons être intimement soucieux de préserver et de créer des communautés ». Elle a de très belles pages sur les vertus des groupes, « un manteau qui protège chacun de nous du froid, un filet qui nous reçoit quand nous tombons ». Mais elle n’élude pas ce qu’ils peuvent aussi avoir de frustrant, d’exaspérant, d’ennuyeux, ni combien ils sont difficiles à organiser, à faire tenir tout en respectant l’intégrité de chacun. Forte de son expérience et du savoir élaboré à cet égard avec ses compagnons de recherche et de lutte, elle décrit toutes sortes de méthodes pour tenter de remédier à ces difficultés : comment faire en sorte que les uns ne prennent pas trop de place tandis que d’autres se recroquevillent dans leur coin, comment circonscrire les orateurs qui tiennent le crachoir pendant des heures en soûlant tout le monde, comment lever l’autocensure de chacun et permettre une expression franche sans pour autant laisser les conflits ravager le groupe... Puisqu’on ne veut pas renoncer à la communauté, qu’on en a besoin pour agir, pour s’épanouir, mais qu’on connaît les difficultés qui se présenteront inévitablement, s’il faut y mettre de la méthode, du formalisme, eh bien, on en mettra : le raisonnement est imparable. On comprend tout l’intérêt d’Isabelle Stengers pour l’apport des sorcières dans ce domaine quand on lit ce qu’elle disait à Vacarme : sa conviction que « l’idée de faire de la politique autrement restera en panne tant que l’on ne parviendra pas à produire des groupes aussi inventifs dans leur mode de fonctionnement et de décision que le type de société auquel ils en appellent. Si on échoue à faire qu’on ait de l’appétit à se rassembler, à travailler ensemble parce qu’on se sent devenir plus intelligent à cause des autres, on reste dans l’esprit de sacrifice, avec toute la violence et le silence que cela suppose ».

 


Cultiver l’art du dosage plutôt que rechercher
un principe intrinsèquement bon

Mais, évidemment, le lecteur sent tout de suite naître en lui certaines inquiétudes : tout cela n’évoque-t-il pas le new age, dont l’idéologie et les principes de gestion des groupes furent si utiles aux experts en management ? N’y a-t-il pas là un risque de dérive sectaire ?... Que les choses soient claires : à plusieurs reprises, Starhawk se démarque explicitement du new age ; elle formule une critique sévère de l’idéologie du travail et de la logique d’entreprise ; elle conçoit le groupe comme un rehausseur de la personnalité singulière de chacun, comme un moyen de la révéler, de l’affermir, et non de la dissoudre ; loin d’imposer un dogme, elle insiste sur la nécessaire multiplicité des manières de vivre l’immanence si nous nous répandons partout par différents chemins, nous pouvons couvrir un espace beaucoup plus grand ») ; enfin, elle parle très simplement de sa propre tendance à jouer les « stars » : elle se félicite des correctifs que son mari ou ses amis apportent sans cesse à son autorité, car elle juge la situation d’égalité avec les autres bien plus enrichissante et gratifiante que le culte de la personnalité tant valorisé par la société américaine.

On n’est donc ni dans le new age, ni dans une logique sectaire, mais dans une pensée qui n’est pas forcément immunisée contre eux. Et peut-être est-ce là un risque qu’il faut se décider à prendre. C’est ici qu’intervient la problématique des pharmaka que définissait dans Vacarme Isabelle Stengers : « Dans notre tradition - et ce depuis Platon - on discrédite les pharmaka - ces choses dangereuses qui demandent un art du dosage - au profit de ce qui porterait en soi la garantie d’être bon ou véridique. (...) Les pharmaka exigent une attention égale au devenir-poison et au devenir-vivant, productif. Nous n’avons pas cultivé l’art des pharmaka - la science des agencements mortifères ou des agencements producteurs de vie. Nous sommes donc très dépourvus. (...) Il n’y a pas de théorie générale des agencements. Ils demandent une prudence et une expérimentation pharmacologiques. Rappelez-vous ce que disaient Deleuze et Guattari : attention, prudence pour les lignes de fuite, parce qu’elles peuvent se transformer en lignes de mort. “Agencement”, c’est un terme neutre ; il y a des agencements pour le pire et il y a des agencements intéressants. Qu’est-ce qu’un agencement-secte par rapport à un agencement-sorcier-empowerment américain ? La seule réponse expérimentale : être attentif aux devenirs mortifères, y compris de ce qu’un groupe a lui-même créé pour produire de la vie. »

Peut-être ce qui est juste n’est-il pas aux antipodes de ce qui est faux, mais tout près, séparé de lui par l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette ; si tel était le cas, s’obstiner à arpenter les antipodes serait se condamner à la stérilité. S’atteler à l’art des pharmaka, ce serait quitter les dogmes monolithiques qui se veulent garantis tous risques, s’obliger à garder un esprit critique toujours en éveil, à évaluer les pratiques avec la plus grande honnêteté. Ce serait se fier à ce que l’on ressent, et déloger pour cela les formes les plus subtiles et les plus profondes de l’autocensure. Mais c’est peut-être justement cette confiance qui manque. « Ceux qui restent campés sur la terre ferme de leurs certitudes désespérées ont en tête des “cas” qui leur répugnent, écrit Isabelle Stengers dans sa postface. Sectes ! Messes nazies ! Que de fois j’ai entendu ce cri : “Mais ce serait ouvrir la porte à... !” Comme si “derrière la porte” se pressait en effet l’obscur, la masse dense et répugnante de tous les fanatismes, de tous les irrationalismes. Maintenir la porte fermée, surtout ne pas faire confiance. »

 


Isabelle Stengers :
« Ce qu’évoque Starhawk a autant de mal
à se frayer son chemin dans ma vie
que le sang dans les pieds débandés des Chinoises »

Femmes, magie et politique ne parle pas qu’à notre intellect, mais aussi à nos sensations. Ici, comme l’écrit encore Isabelle Stengers, « la question n’est pas d’adhérer mais de sentir. Un tel sentir peut faire penser autrement et l’expérience peut en être aussi pénible, insensée et douloureuse que celle de ces Chinoises d’antan, dont le sang fluait à nouveau à travers les pieds rabougris »... Le livre agit justement par la résistance, voire par la réprobation viscérale qu’il suscite. C’est parce qu’il prend à rebours tant de nos présupposés, et que par là il nous les révèle, que sa lecture est une expérience à part entière. Expérience que Stengers résume très bien : « Ce qu’évoque Starhawk a autant de mal à se frayer son chemin dans ma vie que le sang dans les pieds débandés des Chinoises. Même si je n’en ai pas d’expérience directe, je sens le type d’exigence des rituels de la Déesse, de toutes mes fibres aristocratiques, de toute ma haine de m’exposer, de tout l’espoir, l’anesthésie, le “à quoi bon” qui permettent de supporter ce monde. Elle frappe juste. C’est pourquoi il m’est impossible de mettre l’aventure des sorcières au compte de la naïve Amérique, voire des exotismes de l’expérimentation californienne. »

Cet effet de malaise, Starhawk le recherche sciemment. « Un changement de paradigme, de conscience, est toujours incommodant, écrit-elle. Chaque fois que nous éprouvons la sensation légèrement effrayante, légèrement embarrassante, que produisent des mots comme Déesse, nous pouvons être sûrs que nous sommes sur le chemin d’un profond changement dans la structure et le contenu de notre pensée. » Ou, ailleurs : « La magie est un autre mot qui met les gens mal à l’aise, aussi je l’utilise délibérément car les mots avec lesquels on se sent bien, les mots qui paraissent acceptables, rationnels, scientifiques et intellectuellement fiables, le sont précisément parce qu’ils font partie de la langue de la mise à distance. » Elle accueille avec sérénité les réactions qu’elle suscite ainsi chez ses interlocuteurs ; elle est habituée à provoquer « un rire nerveux ou stupide », et des sorties du genre : « si vous êtes une sorcière, hi hi, transformez-moi en crapaud » (elle répond parfois, paraît-il : « pourquoi faire dans la redondance ? »).

Il n’est pas forcément nécessaire qu’on sorte de là avec le désir d’imiter les sorcières américaines - au risque de les singer - pour que la lecture ait été profitable. Femmes, magie et politique agit par les changements de paradigme qu’il amorce effectivement - ou qu’il alimente - dans la tête et dans le corps, par les nœuds qu’il y défait, par les outils conceptuels qu’il propose pour penser son rapport au monde, à la nature et à la culture, à la singularité et au collectif. Loin de les opposer, il parvient à faire converger le désir de bien-être et celui de participer à la « bataille de notre temps ». Aussi éloigné du pessimisme cynique que des mièvreries de l’espoir, il conjugue la plus grande lucidité quant à l’évolution du monde avec une immense confiance dans sa propre force. C’est un livre à la hauteur. Voilà peut-être pourquoi il produit un effet aussi euphorisant.

Mona Chollet

Les photos publiées avec ce texte proviennent de l'album suivant
http://www.flickr.com/photos/auntiep/60453561/in/set-860297/
elles ne sont pas sans rapport avec l'idée que je me fait de la magie


Starhawk, Femmes, magie et politique, (très bien) traduit de l’américain par Morbic, postface d’Isabelle Stengers, Les Empêcheurs de penser en rond, 360 pages, 19 euros.

Voir aussi :
* Le site de Starhawk
* « Ce que nous essayons de faire », un texte de Starhawk écrit après le sommet de Québec (avril 2001) et publié en français dans L’Interdit
* « Une politique de l’hérésie », entretien avec Isabelle Stengers dans Vacarme (avril 2002)

Sur le(s) même(s) sujet(s) dans Périphéries : Altermondialisme

Rationalisme
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16 juin 2009 2 16 /06 /juin /2009 02:59
-Entretien réalisé par Andrée Bergeron
Mise en ligne le samedi 29 avril 2006


Dans cet entretien avec Andrée Bergeron, Isabelle Stengers remet en perspective la question de l’expertise, à laquelle le mouvement des intermittents se trouve - parmi d’autres mouvements, aujourd’hui comme hier - confronté. Elle nous rappelle que la figure de l’expert n’est pas une « invention » contemporaine et qu’elle recouvre des réalités multiples rarement dénuées d’enjeux politiques. Au contraire, le choix de l’expert, la définition des questions admissibles, le degré de « surdité » aux « événements démocratiques » sont des questions éminemment politiques. En se donnant les moyens de poser les questions qui le concernent (nouveau modèle, enquête sociologique citoyenne), le collectif des intermittents et précaires a déjà créé un « événement démocratique ». Il s’agit maintenant de relever un double défi : pour le mouvement, fabriquer une intelligence collective qui transformerait le savoir produit en mode d’interventions capables de faire sentir et penser ; pour les chercheurs en sciences sociales, réussir à considérer cet événement à la manière dont les sciences expérimentales considèrent le laboratoire : ce grâce à quoi il y a innovation, possibilité d’apprendre. Construire le choix d’une contre-expertise, c’est apprendre à doubler la lutte que l’on choisit d’engager autour de ce que Deleuze et Guattari nomment les axiomes, d’une invention pratique d’un tout autre genre, qui engage un devenir minoritaire, une intelligence collective, qui ne contredit pas mais crée.

Andrée Bergeron. Avec le mouvement des intermittents, on assiste à la (re)prise de la parole par les concernés, qui, au-delà de la dénonciation d’une réforme dont on relèverait soigneusement les incohérences, s’emparent de l’expertise et produisent du savoir. Quels sont, selon vous, les aspects les plus importants de cette expérience ?


Isabelle Stengers.
Que des concernés s’emparent de l’expertise et produisent du savoir n’est pas un cas unique. Il suffit de penser aujourd’hui à Act up, ou aux collectifs des usagers de drogue. Et, à l’époque où les mouvements syndicaux étaient vivants, cela devait être « normal ». Mais le mouvement des intermittents a pour très grand intérêt d’intervenir à notre époque marquée par les mots d’ordre étatico-patronaux : « des réformes sont nécessaires » ; « il faut bien ». Il y a eu un grand mouvement de dénonciation des réformes, à propos des retraites notamment. Mais il n’a pas réussi à désarticuler le mot « réforme », à sortir d’une problématique générale de lutte purement politique, du genre « d’autres choix sont possibles ». Grâce aux intermittents, on sait désormais que le gouvernement travaille un peu à l’aveugle, ne dispose pas des chiffres lui permettant de prétendre qu’il sait ce qu’il fait lorsqu’il « réforme ».
Le sens du « il faut bien » se transforme, renvoie non à une nécessité que tous devraient reconnaître, mais plutôt à une opération globale de réagencement des relations entre État et Capitalisme.



Ce que les intermittents ont mis au jour était un secret de polichinelle chez « ceux qui savent », mais pas un argument à « mettre en politique », parce que justement cette situation d’opacité était tolérée de tous, voire favorisée. Je reprendrai ce qu’a écrit Deleuze : la différence de nature entre la « gauche » et la « droite », c’est que la « gauche » a besoin que les gens pensent, donc besoin de fabriquer de la « matière pour penser » - ce qui n’est pas le cas lorsque l’on occupe, sur le mode de la légitimité, une position de pouvoir (gouvernemental ou oppositionnel, ou académique). Le mouvement des intermittents a déjà pris les moyens de produire un savoir de type nouveau et a, lui, intérêt à le propager, à initier d’autres modes de résistance aux dites réformes. Il s’agit peut-être maintenant de faire passer, de faire sentir, avec leurs moyens propres, la possibilité de parer à l’attaque que constitue l’énoncé : vous êtes trop nombreux, surnuméraires.

 

La catégorie de surnuméraire est une véritable machine à fabriquer ce qui est aujourd’hui l’enjeu de la nouvelle articulation entre État et capitalisme, la production de gens prêts à tout pour ne pas tomber dans cette catégorie. Résister à cette machine demande précisément ce qu’elle détruit, une intelligence collective qui n’a rien à voir avec les « compétences » associées au general intellect : des compétences, cela se possède, alors que l’intelligence collective n’existe que sur le mode de la création, et avec des vertus épidémiques - cela donne des idées à d’autres, met leur imagination en mouvement. Il y a là un enjeu important : les intermittents du spectacle seront-ils capables de l’intelligence collective qui transformerait le savoir qu’ils ont produit en mode d’interventions capables de faire sentir et penser ?

 


Andrée Bergeron. Lors de la rencontre qui a eu lieu à la coordination, vous avez attiré l’attention sur le fait que ce que l’on appelle expertise peut recouvrir des réalités bien différentes. Il y a les cas (et vous avez cité l’exemple de Lavoisier) où l’expertise pourrait être qualifiée d’ »intéressante » : le problème posé est pris au sérieux, l’expertise se déroule de façon assez transparente et peut aboutir à la production de connaissance. Et il y a les autres, ceux où les experts sont choisis aussi en fonction de leur capacité à respecter un cadre tacitement pré-assigné, où ils ont intégré le fait qu’il y a des questions qu’on ne peut pas poser et ne les poseront pas. La lutte pour le choix de l’expert serait donc déjà une lutte politique ?


 


Isabelle Stengers. Un cas tel que celui de Lavoisier étudiant l’insalubrité des prisons est intéressant en ce qu’il met en scène un « scientifique moderne », académicien et se présentant comme fondateur d’une science, la chimie, qu’il a « enfin débarrassée des mauvaises questions », selon le mot d’ordre moderne, et qui met sa science au service d’un problème d’intérêt public. C’est donc la figure d’un expert au sens désormais usuel, mais assez nouveau à l’époque car le duo discipline autorisant l’expertise/problème de terrain n’en est alors qu’à ses premiers pas. Lavoisier prend au sérieux sa tâche, étudie le terrain, fait des hypothèses, les teste. Mais il est sur le terrain, pas au laboratoire. Par définition, la question d’un terrain comme les prisons insalubres déborde son savoir de chimiste, alors qu’au laboratoire les situations ont pour première caractéristique de rendre éventuellement décidable une interprétation contre les autres. LUn expert, tout scientifique qu’il soit, n’a jamais l’autorité que confère la clôture d’une controverse scientifique.

 

La qualité d’une expertise, sa fiabilité, dépend de la lucidité avec laquelle est envisagée et prise en compte l’incommensurabilité entre les problèmes appelant expertise et les situations purifiées et contrôlées qui autorisent (parfois) un « verdict scientifique » ; elle dépend d’abord de la manière dont le problème est posé, c’est-à-dire aussi de la manière dont ceux qui nomment l’expert définissent sa tâche, explicitement ou non. À un extrême, le médecin légiste, par exemple, qui doit répondre à des questions précises pour lesquelles il est qualifié ; à l’autre peut-être ce fameux expert dit indépendant, qui prend sur lui de réduire une question à des chiffres réputés neutres, au-dessus de la mêlée, et ne s’interroge pas sur la pertinence pratique des catégories que traduisent ces chiffres et qui le vouent comme par hasard à rester sourd au savoir des intermittents. La neutralité, lorsqu’il s’agit d’une question politique, est une neutralisation, une opération qui n’est jamais neutre, qui correspond toujours aux perceptions de l’État. Lorsque les catégories d’une discipline opèrent cette neutralisation, c’est-à-dire autorisent ce que Deleuze appelait la « bêtise », un jugement qui s’abat sur une situation et la démembre, les experts de cette discipline sont tout préparés pour servir ce qu’ils nomment alors l’intérêt général, dont l’État est le garant : il y a convergence entre la surdité de la formalisation et celle qui permet la définition de ce qui est nommé l’intérêt général.

 

Entre ces deux extrêmes, il y a toute la gamme, avec quelques points cruciaux prévisibles. Par exemple, l’opposition entre des chiffres dits objectifs et ce que vivent les gens, dans le cas des mesures de bruit autour des aéroports par exemple. Ou alors la formalisation administrative et politique de ce qui est du ressort de l’expertise : par exemple, l’expertise OGM est légitime en ce qui concerne la santé et l’environnement, et il y a déjà une lutte pour que soient étudiées les conséquences pour l’environnement des pratiques agriculturales concrètes, qui ne répondent pas souvent à l’idéal abstrait, mais pas question de poser la question des conséquences économiques et sociales. Et encore les zones de silence et de tabou : par exemple, il y a encore dix ans, la question des conséquences pour les consommateurs de drogue des lois de prohibition - « s’intéresse-t-on aux conséquences pour les violeurs de l’interdiction du viol ? » - était alors un argument courant. Quant aux conséquences du régime de guerre économique défini aujourd’hui comme sans fin, l’expert qui les mettrait en scène de manière frontale, qui ne ferait pas comme s’il s’agissait de problèmes transitoires auxquels il faut s’adapter serait disqualifié comme « faisant de la politique ». L’expert doit faire comme s’il avait affaire à un « problème » auquel une « réforme » apportera sa solution, il doit pouvoir armer les « il faut bien » de l’État.


Andrée Bergeron. N’y aurait-il pas, entre les deux extrêmes de la gamme, une différence qui irait au-delà de la simple opposition expertise/contre-expertise, qui serait davantage une différence de nature ?

Isabelle Stengers. L’opposition expertise/contre expertise est importante lorsqu’une question est assez précise, identifiable, pour que cette opposition puisse s’articuler. C’est souvent le cas devant un tribunal. En revanche, lorsqu’une position campe sur une définition locale du problème alors que l’autre a besoin de remonter vers une mise en cause plus générale - par exemple celle qui inclurait la question du développement durable dans le problème de la localisation d’un aéroport et mettrait en cause la densification du trafic aérien - il est difficile de parler de contre-expertise. Les experts n’ont rien à se dire, ce qui est un fait pour les uns est ce qui pose question pour les autres. Les uns ont des chiffres, les autres des « choix de société ».

 

Dans certains cas, la contre-expertise a néanmoins un sens, c’est lorsque l’on peut soupçonner que, même dans les termes officiellement acceptés par les experts, ce qu’ils proposent peut être contesté. C’est le cas avec les intermittents. Mais pour un groupe en lutte, le choix d’une telle démarche n’a rien d’évident, et il a avantage à être bien construit. Parce qu’il va susciter l’accusation de réformisme - accepter l’inacceptable - et exposer aux conflits - la contre-expertise, si elle doit tenir la route, et dans ce cas il le faut, produira peut-être des savoirs qui n’arrangent pas tout le monde. Si les contre-experts ne sont pas nourris par le mouvement, se retrouvent isolés, accusés de trahison, ils peuvent en venir à confirmer toutes les suspicions et devenir les gestionnaires du compromis qu’ils auront aidé à établir.

 


 










On pourrait dire que c’est un choix entre la pureté de la lutte et les risques de l’apprentissage, et qu’il s’agit de le construire pour ne pas le subir. Deleuze et Guattari insistaient, dans Mille Plateaux (p. 588), sur l’importance de la lutte autour des axiomes, c’est-à-dire la lutte qui en passe par les conditions axiomatiques de l’État. Mais ils ajoutaient : « la lutte autour des axiomes est d’autant plus importante qu’elle manifeste et creuse elle-même l’écart entre deux types de proposition, les propositions de flux et les propositions d’axiomes ». Là, il s’agit en effet d’une différence de nature, et pas du choix catastrophique entre pur et réformiste. Construire le choix d’une contre-expertise, c’est apprendre à doubler la lutte que l’on choisit d’engager autour des axiomes, d’une invention pratique d’un tout autre genre, qui engage un devenir minoritaire, une intelligence collective, qui ne contredit pas mais crée. L’humour est très intéressant, de ce point de vue, parce qu’il protège des poisons que sont toute perspective « apocalyptique » (rien n’est possible en dehors de la lutte finale) ou puriste (ne pas se salir les mains), perspectives toutes deux majoritaires. C’est un art minoritaire, parce qu’on ne fait pas d’humour en général, mais plutôt au corps à corps avec le pouvoir. Et c’est bien là l’enjeu : la création de manières de faire et de se connecter qui ne se laissent pas soumettre aux axiomes quels qu’ils soient, mais les plongent dans leur propre mode de calcul.

 

Quant à une expertise « de flux », pour reprendre l’expression de Deleuze, elle diffère en effet de nature avec une contre-expertise, parce qu’il s’agit de suivre, d’itinérer, « à la recherche des < singularités > d’une matière ou plutôt d’un matériau, et non pas à la découverte d’une forme ». Mais elle ne peut se faire que dans une situation où, pour une raison ou pour une autre, il y a accord pour faire primer la pertinence, comme c’est apparemment le cas avec les accidents d’avion. Dans ce cas, les experts ne sont pas autorisés par des disciplines, ce sont d’abord des enquêteurs. Bien sûr, dans la plupart des cas où la politique est en jeu, ce type d’expertise est exclu, ou plus précisément il est à l’usage des groupes minoritaires en tant que minoritaires. Il peut alors aboutir à des recettes, à reprendre, expérimenter et modifier par d’autres groupes, c’est-à-dire à fabriquer une expérience transmissible dont nous manquons aujourd’hui cruellement.

 

 


Andrée Bergeron. Le mouvement des intermittents soulève également la question des singularités de l’expertise quand elle s’exerce dans le champ des sciences sociales. En quoi cette expérience interroge-t-elle le chercheur en sciences sociales ?

Isabelle Stengers. Les situations étudiées par les sciences sociales ne sont jamais définies et contrôlables au laboratoire. Cela pose donc la question générale : qui définit les questions, les catégories dont se prévaut le chercheur ? Un mouvement apprenant à poser ses propres questions peut donc, selon la définition que le chercheur donne de sa science, constituer une sorte de menace - qu’il peut lisser en recourant aux catégories d’idéologie ou de « perception » par les intéressés d’un problème dont ils sont les marionnettes - ou alors, constituer une formidable opportunité.
En ce second sens, l’événement par où un collectif crée les moyens de poser les questions qui le concernent - ce que j’appelle « l’événement démocratique », parce que c’est l’effectuation de la démocratie en tant que pari - serait aux sciences sociales ce que la réussite de laboratoire est aux sciences expérimentales : ce grâce à quoi il y a innovation, possibilité d’apprendre de ce à quoi l’on s’adresse.



Ce qui traduit également la différence, que la sociologie dite positive s’évertue à minimiser, entre le rôle des « faits » dans les deux types de sciences. Les faits expérimentaux sont des réussites rares et sélectives. Les « faits sociaux » posent la question de ce qui les fait tenir et des possibles qu’ils nient : le discours des sociologues qui s’appuient sur eux est en rapport de redondance, ratifiant un relief qu’il appartient précisément aux « événements démocratiques » de bouleverser.


Évidemment, cela signifie que les sociologues devraient être aussi intéressés par de tels événements que les expérimentateurs le sont par leurs montages expérimentaux. Car ces événements sont ce qui fait d’eux des chercheurs, dont le savoir est mis en risque et en apprentissage par ce qu’ils étudient. Il ne s’agit pas tellement du vieux thème de la recherche participante, du « sociologue engagé ». Il s’agit d’apprendre, ce qui exclut de mettre le possible et le plausible, l’échec du mouvement, sur le même plan. De ce point de vue, la démarche de contre-expertise constitue un excellent site, si elle se double du devenir minoritaire qui est une autre manière de parler de l’événement démocratique. Car le contre-expert est en position d’apprendre à partir de la manière dont le groupe va gérer la contre-expertise qu’il a décidée. Il me semble qu’il est important de ne pas viser l’idéal d’indistinction entre chercheurs et groupe en lutte, mais de réussir à créer activement les rôles. Afin d’éviter toute mise en cause des personnes. Afin de donner au groupe l’espace de jeu problématique lui permettant de se situer par rapport aux contraintes de l’opération. Et afin de donner aux chercheurs l’espace de production de ce qui n’est pas l’énonciation d’un groupe, mais l’énonciation d’un chercheur, destiné à modifier d’autres chercheurs.



Mais il y a d’autres manières dêtre transformé en chercheur par l’événement. Par exemple, à l’occasion de l’événement OGM, des sociologues sont sortis du rôle d’interprètes des « perceptions des risques par le public ». Ils se sont saisis de l’occasion pour explorer les dispositifs de consultation susceptibles de favoriser les processus de construction de positions et de questions, au lieu de s’intéresser encore et toujours à « expliquer » l’opinion en termes d’influence, d’habitus, de rapport de domination. Les résultats de leur étude( [1]), le type de questions que des soi-disant incompétents se rendent capables de formuler, peuvent désormais servir de point d’appui pour refuser la mise en scène qui prévaut, selon laquelle il s’agit de avec le progrès technico-scientifique un public dont l’ignorance expliquerait l’inquiétude.

 



Andrée Bergeron. Cela souligne une fois encore l’importance d’une « propagation » des acquis issus de la lutte. Les intermittents du spectacle, qui sont d’une certaine manière des professionnels de l’invention des formes, ne sont-ils pas particulièrement armés pour « spectaculariser » leurs trouvailles (de lutte, de savoir) ? Je pense notamment à l’usage qui est fait de la formule, donnant la valeur de l’indemnité journalière dans le Nouveau modèle : utilisée en banderoles lors des manifestations, bombée sur les murs, vendue en rubans de soutien... Il y a là une forme d’incongruité - car les objets mathématiques sont rarement ainsi brandis dans la rue, même pas par les mathématiciens - et partant d’humour, qui rendent d’autant plus visible l’existence d’une alternative aux propositions gouvernementales qui réunit du monde derrière elle. Une façon simple et efficace de dire que l’expertise n’est pas un monopole...

 


Isabelle Stengers. La banderole est certainement une bonne idée, mais elle risque de se heurter à un ressentiment général : nous aussi on est victimes de « rationalisations » aveugles... Ce sont les limites de la contre-expertise : elle implique que le savoir importe, alors qu’il faut aussi créer la situation où il peut devenir important. Il me semble que la « spectacularisation » d’Act up, par exemple, ne s’est pas bornée à « rendre visible » mais a tenté de « faire sentir ».



C’est là qu’est essentielle la fabrication d’une intelligence collective qui rende capable de « faire exister » pour elle-même et donc aussi pour d’autres ce qui est en train d’arriver : peut-être le sentiment d’impuissance sur lequel jouent les soi-disant réformes, sans doute leur absurdité, mais aussi cette alternative qui ne tient pas seulement à des chiffres. Les chiffres disent un possible, mais en termes de contre-axiomes, dans le langage de l’État. Ils ne peuvent donc pas rendre ce possible vivant. Or, le rendre vivant voudrait dire que les « gens du spectacle » s’emparent de la contre-expertise avec leurs moyens propres, et se rendent capables d’explorer ce dont ce qu’ils défendent les rend capables. Je crains un peu des mots d’ordre comme « on ne joue plus, on lutte ». Je préfèrerais « ils vont voir ce dont ceux qui savent jouer sont capables » Trois fois le mot « capable » en deux phrases, cela veut dire que pour moi le « devenir capable », le « se rendre capable » est le défi de la production d’intelligence collective, ce en quoi elle peut faire coïncider lutte et joie. Ce que les activistes américains appellent empowerment.


Isabelle Stengers


[1] Voir le programme de recherche « Perception des OGM par le public en Europe », www.inra.fr/Internet/Directions/SED/science-gouvernance/PABE/PABE-Summary-FR.pdf

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2 juin 2009 2 02 /06 /juin /2009 07:07




Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D'ivresse et de grandeur, le front vaste, riant
Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour
Que le Peuple était là, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d'or traînant sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle
Pâle comme un vaincu qu'on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait
Car ce maraud de forge aux énormes épaules
Lui disait de vieux mots et des choses si drôles,
Que cela l'empoignait au front, comme cela !

"Or, tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la
Et nous piquions les boeufs vers les sillons des autres :
Le Chanoine au soleil filait des patenôtres
Sur des chapelets clairs grenés de pièces d'or.
Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor
Et l'un avec la hart, l'autre avec la cravache
Nous fouaillaient. - Hébétés comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient plus ; nous allions, nous allions,
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissé dans cette terre noire
Un peu de notre chair... nous avions un pourboire :
On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit ;
Nos petits y faisaient un gâteau fort bien cuit.

..."Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises,
C'est entre nous. J'admets que tu me contredises.
Or, n'est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
Énormes ? De sentir l'odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse ?
De voir des blés, des blés, des épis pleins de grain,
De penser que cela prépare bien du pain ?...
Oh ! plus fort, on irait, au fourneau qui s'allume,
Chanter joyeusement en martelant l'enclume,
Si l'on était certain de pouvoir prendre un peu,
Étant homme, à la fin ! de ce que donne Dieu !
- Mais voilà, c'est toujours la même vieille histoire !

"Mais je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire,
Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau,
Qu'un homme vienne là, dague sur le manteau,
Et me dise : Mon gars, ensemence ma terre ;
Que l'on arrive encor, quand ce serait la guerre,
Me prendre mon garçon comme cela, chez moi !
- Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,
Tu me dirais : Je veux !... - Tu vois bien, c'est stupide.
Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide,
Tes officiers dorés, tes mille chenapans,
Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons :
Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles,
Et nous dirons : C'est bien : les pauvres à genoux !
Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous !
Et tu te soûleras, tu feras belle fête.
- Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tête !

"Non. Ces saletés-là datent de nos papas !
Oh ! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière.
Cette bête suait du sang à chaque pierre
Et c'était dégoûtant, la Bastille debout
Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !
- Citoyen ! citoyen ! c'était le passé sombre
Qui croulait, qui râlait, quand nous primes la tour !
Nous avions quelque chose au coeur comme l'amour.
Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines.
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines
Nous allions, fiers et forts, et ça nous battait là...
Nous marchions au soleil, front haut, - comme cela, -
Dans Paris ! On venait devant nos vestes sales.
Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! Nous étions pâles,
Sire, nous étions soûls de terribles espoirs :
Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Les piques à la main ; nous n'eûmes pas de haine,
- Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux !

______

"Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous !
Le tas des ouvriers a monté dans la rue,
Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue
De sombres revenants, aux portes des richards.
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards :
Et je vais dans Paris, noir, marteau sur l'épaule,
Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !
- Puis, tu peux y compter, tu te feras des frais
Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requêtes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes
Et, tout bas, les malins ! se disent " Qu'ils sont sots !"
Pour mitonner des lois, coller de petits pots
Pleins de jolis décrets roses et de droguailles,
S'amuser à couper proprement quelques tailles,
Puis se boucher le nez quand nous marchons près d'eux,
-Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux ! -
Pour ne rien redouter, rien, que les baïonnettes...,
C'est très bien. Foin de leur tabatière à sornettes!
Nous en avons assez, là, de ces cerveaux plats
Et de ces ventres-dieux. Ah ! ce sont là les plats
Que tu nous sers, bourgeois, quand nous somme féroces,
Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses !..."

______

Il le prend par le bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule,
La foule épouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer,
Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons saignants de bonnets rouges :
L'Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout
Au roi pâle et suant qui chancelle debout,
Malade à regarder cela !
"C'est la Crapule,
Sire. Ca bave aux murs, ça monte, ça pullule :
- Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux !
Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,
Folle ! Elle croit trouver du pain aux Tuileries !
- On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J'ai trois petits. Je suis crapule. - Je connais
Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets
Parce qu'on leur a pris leur garçon ou leur fille :
C'est la crapule. - Un homme était à la Bastille,
Un autre était forçat : et tous deux, citoyens
Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens :
On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose
Qui leur fait mal, allez ! C'est terrible, et c'est cause
Que se sentant brisés, que, se sentant damnés,
Ils sont là, maintenant, hurlant sous votre nez !
Crapule. - Là-dedans sont des filles, infâmes
Parce que, - vous saviez que c'est faible, les femmes -
Messeigneurs de la cour, - que ça veut toujours bien, -
Vous leur avez craché sur l'âme, comme rien !
Vos belles, aujourd'hui, sont là. C'est la crapule.

______

"Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos brûle
Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,
Qui dans ce travail-là sentent crever leur front,
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là, sont les Hommes !
Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux où l'on voudra savoir,
Où l'Homme forgera du matin jusqu'au soir,
Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes,
Où, lentement vainqueur, il domptera les choses
Et montera sur Tout, comme sur un cheval !
Oh ! splendides lueurs des forges ! Plus de mal,
Plus ! - Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-être terrible :
Nous saurons ! - Nos marteaux en main, passons au crible
Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !
Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire
D'une femme qu'on aime avec un noble amour :
Et l'on travaillerait fièrement tout le jour,
Écoutant le devoir comme un clairon qui sonne :
Et l'on se sentirait très heureux ; et personne,
Oh ! personne, surtout, ne vous ferait ployer !
On aurait un fusil au-dessus du foyer...

______

"Oh ! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille.
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !
Il reste des mouchards et des accapareurs.
Nous sommes libres, nous ! Nous avons des terreurs
Où nous nous sentons grands, oh ! si grands ! Tout à l'heure
Je parlais de devoir calme, d'une demeure...
Regarde donc le ciel ! - C'est trop petit pour nous,
Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux !
Regarde donc le ciel ! - Je rentre dans la foule,
Dans la grande canaille effroyable, qui roule,
Sire, tes vieux canons sur les sales pavés :
- Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lavés !
- Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France
Poussent leurs régiments en habits de gala,
Eh bien, n'est-ce pas, vous tous ? Merde à ces chiens-là !"

______

- Il reprit son marteau sur l'épaule.
La foule
Près de cet homme-là se sentait l'âme soûle,
Et, dans la grande cour, dans les appartements,
Où Paris haletait avec des hurlements,
Un frisson secoua l'immense populace.
Alors, de sa main large et superbe de crasse,
Bien que le roi ventru suât, le Forgeron,
Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !

 

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Nouvelles formes du fascisme

"Le vieux fascisme si actuel et puissant qu’il soit dans beaucoup de pays, n’est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d’autres fascismes. Tout un néo-fascisme s’installe par rapport auquel l’ancien fascisme fait figure de folklore […].

Au lieu d’être une politique et une économie de guerre, le néo-fascisme est une entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d’une « paix » non moins terrible, avec organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes les petites angoisses qui font de nous autant de microfascistes, chargés d’étouffer chaque chose, chaque visage, chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle de cinéma."

 

Gilles Deleuze, février 1977.

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