4 décembre 2013 3 04 /12 /décembre /2013 23:16

 

Excellente présentation de l'état des rapports de force et des enjeux des élections municipales du dimanche 8 décembre au Venezuela. Suspens.

 

municipios-de-venezuela
La campagne pour les élections municipales au Venezuela est sur le point de se terminer. Le peuple sera de nouveau convoqué aux urnes cette année le 8 décembre prochain pour désigner qui, des 16.800 candidats en lice, occupera les 365 postes de maires et 2389 postes de conseillers municipaux.
Lors de la dernière confrontation électorale municipale, le Parti Socialiste Uni du Venezuela (Psuv) et ses alliés avaient remporté 64% des mairies et surtout 18 des 22 capitales régionales. Le Psuv pourra-t-il désormais maintenir ce pouvoir local ?

La guerre économique

 Profitant du départ, puis du décès du Comandante Chávez, certains secteurs économique et financier se sont lancés dans une véritable guerre contre le Peuple vénézuélien. Que le gouvernement ait une part de responsabilité, certes. Que le fléau de la corruption existe toujours au Venezuela, et favorise les diverses marchés de contrebande (essence, produits alimentaires, devises), certes. Il n´empêche. En seulement quelques mois, l´inflation a enregistré son pire niveau depuis près de 20 ans. Plusieurs produits de première nécessité sont plus difficile à trouver, des coupures d´électricité irrationnelles sont venues perturber la vie quotidienne des vénézuéliens, notamment en province.

Dans le même temps, les politiciens d´opposition et l´écrasante majorité des media vénézuéliens pointe du doigt « l´incompétence » du président Nicolas Maduro. Nul ne peut nier qu´il s´agit d´une nouvelle épreuve de force contre la Révolution Bolivarienne orchestrés par  de puissants secteurs économiques nationaux et internationaux, pour tester le premier gouvernement révolutionnaire de l´ère post-Chávez. L´histoire chilienne (1) , ou encore les attaques similaires contre le Peuple vénézuélien durant l´année 2007(2)  viennent rappeler que la bourgeoisie vénézuélienne est résolue à reprendre le contrôle du pouvoir, peu importe les conséquences sur la vie de leurs compatriotes.
La stratégie de l´opposition n´évolue guère mais elle s´adapte : créer des conditions de vie impossibles pour capter ce mécontentement dans les urnes. En somme, un remake du lock-out pétrolier de 2002 ou du blocus organisé de 2007. Les candidats de la Mesa de Unidad Democrática (MUD, plateforme qui regroupe tous les partis d´opposition) ne font pas pratiquement pas campagne électorale. Il est vrai que l´absence de programmes sérieux de gestion locale ne joue pas en leur faveur. Lors de leur rares apparitions, les candidats se limitent à offrir tous types de solutions afin de résoudre des problèmes qui dépassent de bien loin les simples compétences d´un maire ou d´un conseiller municipal. La stratégie est avant tout de capitaliser la grogne suscitée par les attaques économiques.
Pour Henrique Capriles, éternel candidat à la Présidence de la République, cette élection pourtant municipale doit être “un plébiscite pour en finir avec ce gouvernement” (3) .  L´enjeu pour la droite vénézuélienne n´est pas de conquérir le plus de mairies mais de dépasser le chavisme en nombre d´électeurs, afin de légitimer la prise de pouvoir de manière légale, ou pas.

La réponse de l´Etat

 Le 6 novembre 2013, le président Nicolas Maduro a annoncé une série de mesures visant à stabiliser la situation économique : inspection des commerces, création d´une Corporation Nationale du commerce extérieur affirmant la participation de l´Etat dans l´importation de certaines marchandises, créer un fond de compensation pour la sécurité de l´approvisionnement des biens de première nécessité -ce fond sera financé en parti par les amendes payés par les commerçants spéculateurs (4) . Quelques jours plus tard, le 19 novembre 2013, l´Assemblée Nationale vota la ley habilitante permettant au président de gouverner par décret dans le domaine économique pour une durée d´un an. Celui-ci renforça les premières mesures : l´Etat fixera à 30% le bénéfice maximum des entreprises importatrices, le prix des loyers des petits commerçants dans les malls sera fixé par l´Etat à un prix raisonnable, les banques devront augmenter le taux d´intérêt des plans d´épargne, afin d´enrayer la spirale consumériste.

Le gouvernement, l´armée et les conseils communaux sont envoyés dans les boutiques des grands importateurs pour rétablir une rationalité des prix de vente au public. On découvre qu´en plus de cacher de la marchandise, les grands importateurs réalisaient des bénéfices de plus de 1000% ! La chaine mafieuse de la spéculation organisée est touchée. Maduro s´attaque à la bourgeoisie compradore véritable responsable de l´envolée des prix en quelques mois (5) .
Même s´il est un peu tôt pour pronostiquer une conséquence électorale de ces mesures, l´action de l´Etat á laissé l´opposition sans voix. Le referendum symbolique contre “l´incompétence” du chef de l´Etat que souhaitait Capriles est désormais hors de propos. L´Etat semble, enfin, agir avec force, ce que souhaitait une grande majorité des vénézuéliens au delà de la couleur politique.

D´un plébiscite contre Maduro à un referendum contre Capriles ?

 La stratégie de Capriles Radonski et de ceux qui le suivent au sein de la MUD était tracée : transformer des élections locales en un plébiscite national contre le gouvernement. Dans le cas où l´opposition arriverait á obtenir une nette majorité d´électeurs, elle lancerait ses partisans dans des actions de rue pour prendre le pouvoir de manière illégale. Point de paranoïa chaviste, plusieurs dirigeants de l´opposition, dont Capriles, avaient laissé entrevoir leur plan dans les media privés. (6)  Ce dernier prévoit d´ailleurs que le gouvernement “réprimera” les manifestations suivant les élections municipales indiquant ainsi sa tentative de déstabilisation. Rappelons que le mandat de Nicolas Maduro vient à échéance en 2019, et que la seule façon démocratique de le destituer est un référendum révocatoire á mi-mandat.

Mais comme dit Capriles, en cas de victoire de l´opposition aux élections municipales : “si le gouvernement ne comprend pas le message de changement, le peuple lui passera dessus” (7). Très élégant et très peu démocratique. Il serait intéressant de savoir ce que penserait François Hollande d´une telle déclaration à la veille des élections municipales en France…
Cependant, le pari de Capriles est loin d´être acquis. Loin d´un ras de marée de l´opposition, on se dirige plutôt vers le renforcement de deux blocs d´électeurs assez similaires en quantité (8) . De plus, il n´est pas aisé d´hurler à la fraude comme lors de l´élection présidentielle. Les maires élus de l´opposition ne contesteront pas la validité de leur élection.
L´opposition n´est pas un bloc monolithique. Plusieurs forces politiques la traversent (9) . Son leadership est aujourd´hui assumé par la frange la plus radicale et la plus néolibérale. Or, si la stratégie de Capriles est défaite dans les urnes, il y a fort à parier que les autres courants de la MUD régleront leurs compte avec cette machine à perdre qu´est le gouverneur de Miranda.
Le plébiscite contre Maduro pourrait alors se retourner contre son inventeur. Réponse le 8 décembre au soir dans les urnes.

Romain Mingus

Notes :

(1) Il convient de noter la similitudes des méthodes employées hier pour faire tomber Allende et aujourd´hui au Venezuela: Attaques spéculatives, disparition des mêmes produits de première nécessité, blocus de l´approvisionnement par les camionneurs, opérations psychologiques, etc. Le rôle de la CIA, des Etats Unis et de la bourgeoisie chilienne a depuis été révélé, parfois même par les propres acteurs de ce conflit.

(2) Nous dénoncions en 2007, un blocus similaire sur les produits de première nécessité dans le but d´influer sur le résultat du vote lors du referendum pour réformer la Constitution. Voir Romain Migus, “Réforme Constitutionnelle et Déstabilisation : Chronique(s) d’une Révolution en marche”, Venezuela en Vivo, 2007, http://www.romainmigus.com/2013/06/reforme-constitutionnelle-et.html.

(3) “Capriles insiste en que el 8D tiene que convertirse en un plebiscito”, El Universal, 10 aout 2013. Source consultable sur: http://www.eluniversal.com/nacional-y-politica/130810/capriles-insiste-en-que-el-8d-tiene-que-convertirse-en-un-plebiscito (source consultée le 06/11/13).

(4) Luigino Bracci, “Conozca todas las medidas anunciadas por el Presidente Maduro contra la guerra económica y el “golpe silencioso” empresarial”, Alba Ciudad, 06/11/13,http://albaciudad.org/wp/index.php/2013/11/presidente-maduro-inicia-anuncio-de-medidas-contra-la-especulacion/ (source consultée le 03/12/13)

(5) La bourgeoisie compradore étant la véritable bourgeoisie vénézuélienne. Une bourgeoisie productive et maitre de ses moyens de production faisant défaut au Venezuela, á quelques rares exceptions prés.

(6) Voir notamment, “El país no puede soportar más meses con Maduro en el poder”, entrevista con Julio Borges, coordinador nacional de Primero Justicia, El Universal, 14/10/13,http://www.eluniversal.com/nacional-y-politica/131014/el-pais-no-puede-soportar-mas-meses-con-maduro-en-el-poder, “Henrique Capriles: La FAN no apoyará el Gobierno si pretende reprimir pos 8D”, El Universal, 03/11/13, http://www.eluniversal.com/nacional-y-politica/131103/la-fan-no-apoyara-al-gobierno-si-pretende-reprimir-el-pos-8d, “Machado: Recuperaremos nuestra libertad y democracia el 8D”, El diario de Caracas, 30 octobre 2013, http://diariodecaracas.com/politica/maria-corina-machado-esperamos-como-nunca-antes-el-8-d-vamos-recuperar-nuestra-libertad (sources consultées le 03/12/13).

(7)“Henrique Capriles: La FAN no apoyará el Gobierno si pretende reprimir pos 8D”, Ibid.

(8) En revanche, il semblerait que le Psuv et ses alliés gagnent une confortable majorité de mairies, notamment grâce à des victoires dans les petits et moyens municipios.

(9) Voir Romain Migus, “Cherche opposition démocratique de toute urgence”, FAL Mag, numéro 111, décembre 2012. Disponible sur http://www.romainmigus.com/2013/06/cherche-opposition-democratique-de.html

 

 

Source : Elections municipales au Venezuela : élections locales ou nationales ? | Mondialisation

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1 décembre 2013 7 01 /12 /décembre /2013 22:37

 

 

 

par Gabriel Périès

Intervention de Gabriel Périès, docteur en Sciences Politiques, lors du colloque « Les citoyens français assassinés ou portés disparus pendant le terrorisme d’Etat en Argentine », le 8 décembre 2011, au Sénat, organisé par le « Collectif argentin pour la mémoire » et l’Ambassade de la République Argentine en France.

Il s’agit donc d’évoquer ici une articulation entre une forme d’Etat, l’Etat terroriste, et un procédé, ou plutôt un processus criminel spécifique : la disparition forcée, dont la liste des compatriotes français dont nous invoquons la mémoire constitue notre tribut national à une souffrance ressentie, encore aujourd’hui par des milliers d’Argentins, d’Espagnols, de Paraguayens, de Boliviens, d’Uruguayens, sans compter les guatémaltèques ou les Algériens, victimes hier des Centre d’interrogatoires des DOP et autres « corvées de bois » pendant la guerre d’ Algérie, et cela ne fera pas si longtemps de cela, dans les années 1990 de la terrible guerre contre les maquis fondamentalistes qui a fait plusieurs milliers de disparus… de victimes de la pratique de la disparition forcée.

Car, il convient de soulever un grave problème : les victimes françaises n’ont pas été des victimes inutiles : suite à un long travail de recherche, d’investigation, à la ténacité de juristes argentins comme Rodolfo Mattarollo, ou français comme Nuri Albala ou Louis Texier pour ne citer qu’eux, aujourd’hui, la disparition forcée constitue un crime spécifique, un crime contra l’humanité, dont la particularité est d’être imprescriptible jusqu’à la réapparition du disparu, ce qui déclenche alors le processus judiciaire qui aboutit , comme ce fut le cas il y a quelques semaines , à la condamnation de l’ex-officier de Marine Alfredo Astiz, « l’Ange blonde de la mort » condamné justement pour la disparition forcée à et l’assassinat, entre autres charges et victimes, des sœurs françaises Alice Domont et Léonie Duquet. Ce pose également la question de la responsabilité de ceux qui donnaient les ordres au sein de l’appareil hiérarchique des Forces Armées Argentines de l’époque. Elle devient lancinante lorsqu’on évoque la présence de officiers français légalement intégrés à l’état-major de ce pouvoir terroriste et à l’Ecole de guerre de Buenos Aires, où ils assuraient un transfert de technologies, d’un management normatif de la violence dont ils possédaient le savoir-faire : celui de la guerre non-conventionnelle, irrégulière, contre-insurrectionnelle, ou encore désignée de guerre anti-subversive ou dite de la « guerre révolutionnaire ». C’est que l’Argentine a reçu alors un leg s’agissant des méthodes éprouvées depuis la guerre d’Indochine, d’Algérie, du Vietnam, et dont nous retrouvons encore aujourd’hui la présence au Rwanda, le dernier génocide du XXème siècle.

Aujourd’hui il existe un TPIR pour le génocide des Tustis du Rwanda, et la justice argentine condamne pour crime de génocide des officiers supérieurs ayant participé au fonctionnement de la dictature des Juntes entre 1976 et 1983. Un point commun : la même doctrine a été désignée par ceux-là même qui l’ont enseignée et appliquée…les mêmes accords de défense, un même partenaire. Car quelque part la conclusion est là : Plus jamais ça ! Nunca mas ! Nous le devons à nos compatriotes disparus en Argentine, à leur exemplarité : c’est le devoir qu’ils nous imposent, à nous les survivants, et ce, devant la conscience universelle.

I. De l’Etat terroriste

- A. Etat militaire et Etat terroriste

Il existe une différence notable entre un Etat militaire et un Etat terroriste. Ce dernier, comme le détermine Jose-Louis Duhalde, l’actuel secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme de la République argentine, « a besoin d’un niveau bien plus élevé de contrôle de la société civile que le premier. Il nécessite en même temps que la chaine qui reproduit et assure la propagation de ses effets — l’acceptation et le consensus forcés, fondés sur la terreur — ne souffre de la moindre altération et contestation qui la détournent de ses objectifs. L’Etat militaire construit son pouvoir à travers la militarisation de la société, tandis que l’Etat terroriste construit son pouvoir en militarisant la société en la désarticulant à travers la peur de l’horreur, d’une horreur réelle qui accompagne de façon conjointe l’élimination de milliers d’êtres humains et de structures politiques, sociales, syndicales avec une vision stratégique : la contre-insurrection ». [1] Et plus loin de souligner que «  l’élimination physique d’une partie importante de la population civile et l’organisation d’appareils coercitifs clandestins et permanents en marge de toute légalité formelle afin d’assurer, ici et maintenant, l’ordre social imposé en constitue la finalité immédiate. »

Cette mécanique, cependant, ne renvoie pas à une on ne sait quelle « anarchie militaire et policière ». Elle repose sur une action répressive codifiée et normative.

C’est dans ces mêmes murs, qu’en janvier-février 1981, dans le cadre d’un colloque intitulé le Refus de l’oubli, consacré à la politique de disparition forcée de personnes, l’avocat Emilio Fermin Mignone du CELS, en l’absence de son collègue Augusto Conte Mc Donnell, interdit de sortie du territoire par la dictature militaire, déterminait les principales caractéristiques de l’action répressive déployée depuis 1974 (npus dirions aujourd’hui depuis 1971) par les forces armées et de sécurités argentines depuis 1974, et plus encore à partir du 24 mars 1976 (date du coup d’Etat contre le régime constitutionnel) reposait en fait sur deux niveaux normatifs.

  • 1- « Le premier, de caractère public, constitué par l’ensemble de règles approuvées avant et après le 24 mars 1976, destinée à pourvoir d’un cadre formel l’action institutionnelle du Processus de Réorganisation National (PRN) nom officiel de la dictature des Juntes.
  • 2- Le second, de caractère secret, mais susceptible d’être reconstitué grâce aux faits, aux témoignages/…/ et composé d’ordres et de règles d’organisation et d’action proposés par les services de renseignements et les états-majors des trois forces, et approuvés par leurs commandements respectifs ».

Les auteurs désignent ce dispositif bifront de « doctrine du parallélisme global » établissant la jonction entre un état d’exception devenu pratiquement la règle générale depuis 1969 et « ces conceptions [qui] ont été inspirées pour l’essentiel, par la pensée et les propositions des officiers français qui participèrent aux luttes coloniales d’Indochine et d’Algérie et par ce qu’on nomme la doctrine de la sécurité nationale […] », aujourd’hui introduite, soit dit en passant, dans notre dispositif étatique français depuis la rédaction du Livre Blanc de la défense et de la sécurité nationale rédigé entre 2007 et 2008. Etrange retour…

C’est au cœur de ce dispositif constitutif d’un Etat dual et de hiérarchies parallèles que se situe la pratique de la disparition forcée dont l’objectif, comme nous le verrons s’il est bien d’exterminer l’opposant social et politique, en détruisant également sa culture, propage la terreur de masse. L’exemple de la paraléllisation du système de santé : le système hospitalier et les Centre Clandestins de Détention (CCD) et du ministère du Bien Etre Social.

Nous n’avons pas le temps ici de rendre compte du système répressif de la Triple A émanant du ministère du Bien être social de la période des gouvernements Perón à partir de 1973. Nous voudrions toutefois citer un témoignage que nous avons trouvé dans le cadre d’une recherche menée sur le terrain avec la Docteur Mónica Padró, Professeur de médecine à l’université de la Plata et fonctionnaire au Ministère de la Santé actuel. Et il s’agit du fonctionnement des hôpitaux qui deviennent à leur tours tant de cible de la répression que des lieu de détention et d’interrogatoire clandestins. Il se monte ainsi, dans le cadre de l’Hôpital Posadas de Buenos Aires et comme nous l’a rapporté Marta Ayala, syndicaliste de la santé et infirmière à l’époque où « ce dispositif va également être implanté dans d’autres hôpitaux , dont l’Hôpital San Roque de Gonet (La Plata) et au cœur de l’Hôpital naval Rio Santiago de La Plata, faisant partie intégrante de ce qu’on a appelé par la suite un circuit spécifique de disparition forcée dans la Province de Buenos Aires, Le « Circuit Camps » du nom du général qui en avait pris la direction placé à la tête de la police de la province de Buenos Aires.Ce témoignage est important :

- B. Les infrastructures hospitalières comme bases clandestines du dispositif répressif

Entretien Marta Ayala  :

Q : Peut-on reconstituer l’appareil répressif monté au sein même du système de Santé en Argentine pendant la dictature ?

Cette information est corroborée par Marta Ayala, puisque ce dispositif va également être implanté dans d’autres hôpitaux dont l’hôpital San Roque de Gonet (La Plata) et l’hôpital naval Rio Santiago (La Plata). Le témoignage est important :

« Les religieuses françaises, Alice Dumont y Léonie Duquet seraient passées par cet hôpital militaire après avoir été enlevées. Dans cet hôpital, il y avait des micros et des téléphones sur écoute. Et au moment de sortir, les employés devaient utiliser un mot de passe qui était changé quotidiennement. Si on ne le faisait pas, ils nous descendaient avec un FAL. Il y avait des gens armés partout. Tout le monde savait que les religieuses françaises étaient au 1er étage, celui des personnalités, et que l’Amiral Emilio Massera y faisait ses visites. Après, il y avait un étage dans l’hôpital auquel on n’avait pas le droit d’accéder y qui était surveillé par un officier armé. On m’y a amené les yeux bandés pour placer une sonde naso-gastrique sur un jeune homme qui était attaché à son lit, une capuche sur la tête et couvert de sang /…/ La morgue de l’hôpital était sous la garde de militaires et il y avait là des cadavres qui ne correspondaient pas à ceux de nos patients. Et pendant la nuit, des camions sortaient depuis le BIM 3 qui partageait le même terrain que l’hôpital. Lorsque ses camions sortaient on disait aux officiers : « robinet ouvert », ce qui signifiait qu’ils devaient vider leur chargeurs sur les détenus et ainsi occulter qui avait tiré. Il y avait des sous-officiers et des officiers qui se vantaient d’avoir gardé les vêtements des détenus exécutés : les blousons de cuir et les chaussures. »

Il y aura également des maternités clandestines, dans lesquelles accouchent des femmes disparues enceintes, torturées, et dont les bourreaux intègrent des réseaux d’adoption illégale où des juges participent à la rédaction de faux certificats de naissance afin qu’ils soient adoptés par leur bourreaux ou par des amis ou des gents en relations avec eux. Les mères après leur accouchement étaient exécutées dans le cadre d’un « transfert » ou d’un « vol de la mort » pendant lesquels elles étaient précipitées vivantes d’un avion en pleine océan. Ce sera là une cause judiciaire de condamnation de crime de génocide, puisque l’on s’attaquait à un groupe spécifique à travers sa descendance. La jurisprudence argentine est sur ce point remarquable.

II. La disparition forcée comme technologie

C’est un processus qu’ont connu tous les disparus qui sont passés par les fameux CCD (Centres Clandestins de Détention) dont la répartition sur le territoire argentin est aujourd’hui connu. Il s’agit bien d’un processus, voire d’une procédure reposant sur un bloc de normativité technique, c’est à dire une doctrine qui fixe comme nous le verrons, le type et les modalités d’action de l’Etat devenu terroriste pour et dans l’application de cette doctrine.

Pilar Calveiro, une universitaire et survivante argentine de ces camps, elle même détenue disparue-réapparue, a décrit le processus et interrogeons nous sur son produit : le disparu certes, mais aussi la terreur.

- A. La disparition forcée : un processus technique

1. L’arrestation

C’était trois heures du matin, je me suis approchée de la porte et j’ai demandé :

- Qui est là ?

- Joaquín le concierge, il s’agit d’une urgence.

J’ouvre. On me jette au sol. On me met les mains dans le dos et on me passe les menottes. Une botte militaire sur le dos. J’essaye de regarder mais on me passe une cagoule sur la tête, on me couvre d’un pardessus, sur ma chemise de nuit, et tire hors de mon appartement en me faisant dévaler les escaliers, on me frappe frape lorsque je trébuche, mais je ne vois rien… Le froid de la rue me fait trembler, ou c’est la peur.
On me jette dans une voiture, à l’arrière et on me plaque au sol, couverte d’une couverture malodorante.
Le trajet fut long /…/ je me souviens que je tremblais. Les coups m’ont étourdie, je suis totalement déconnectée de la réalité. Brusquement la voiture s’arrête et on me sort de la voiture à coups de poings et de pieds pour me jeter dans un lieu poussiéreux et crasseux.. De là on me fait passer à la « salle d’opérations » comme ils disent. Je ne sais pas qui ils sont. En me hurlant dessus ils me déshabillent …Et c’est la torture, la gégène, le supplice de la baignoire, les cris, les coups de pieds, de chaines,…pourquoi poursuivre… /…/ réveille-toi — debout— baisse le bandeau qui te couvre les yeux. Tu es ici P 44. Tu n’as pas de nom.
 [2]

2. Le CCD comme espace organisé de la peur et de la mort

Selon de nombreux témoignages apparaît alors un dispositif d’organisation physique de l’espace, avec deux variables fondamentales : le système des cellules et celui des « couchettes ». Ces dernières étaient constituées de compartiments d’aggloméré sans toits, de quelques 80 cm de largeur sur 2m de long, compartiment dans lequel pouvait tenir une personne couchée sur un matelas de mousse. Les cloisons latérales avaient environ 80 cm de hauteur afin d’empêcher tout contact visuel entre les prisonniers, mais permettant à un garde debout ou assis de contrôler simultanément l’ensemble tel un petit panoptique. Une ouverture assurait la sortie du prisonnier.

En ce qui concerne les cellules, elle pouvaient contenir une ou deux personnes, bien que souvent il pouvait en avoir plusieurs. Leurs dimensions étaient de 2,50 x 1,5 mètres, avec des matelas en mousse. La porte comportait un judas. Dans d’autres lieux ; comme dans le CCD « Mansión Seré », les personnes étaient littéralement jetées sur le sol avec un bout de caoutchouc mousse. Finalement il ne s’agissait que d’un systèmes de compartiments ou de containers /…/ afin de garder et de contrôler des corps, pas des êtres humains.

Dès son arrivée donc, le prisonnier perdait son nom et lui était attribué un numéro : son identité disparaissait dont le point final était le NN : la fosse avec ces lettres pour No Name… ce qui n’était pas sans rappeler évidemment le décret Nacht und Nebel du régime nazi.
Les détenus étaient attachés de façon permanente et couverts d’une capuche ou les yeux bandés/…/ Ils pouvaient être également menottés ou comme à la ESMA avoir les jambes entravées par des chaînes.
Dans ce le CCD « Mansión Seré » les personnes étaient maintenues dénudées de façon permanente et pour dormir les jambes étaient attachées et repliées. Tous les témoignages de survivants renvoient ainsi à la permanence de l’obscurité, du silence et de l’immobilité.

3. Le transfert

Enfin, selon un programme établit au fil des opérations menées sur la base des renseignements obtenus sous la torture, l’expérience se soldait par le « transfert » ou le « vol de la mort » c’est à dire une exécution sommaire, individuelle ou parfois collective des prisonniers. L’effet de surprise et l’imprévision étaient apparents et voulus pour éviter tout « durcissement » des prisonniers lors des interrogatoires.

4. La terreur comme effet

Ce système tenait aussi comme espace de production de la terreur, de sa dissémination. En effet, dans les CCD, si l’on pouvait trouver des militants politiques ou des syndicaliste et des défenseurs des droit de l’homme, on pouvait également y trouver des personnes qui avaient été les témoins des enlèvements, des innocents pris dans des opérations de ratissages ou de simples contrôles d’identité, ou le fruit de processus crapuleux dirigés par des militaires, comme dans le cas de la famille Greiver, qui s’est vue dépossédée de tous ses biens industriels. Des lycéens ou des enfants pouvaient être également portés disparus. Sans compter le terrible jeu des abus sexuels impunis. C’est l’ensemble de la société qui se trouvait dès lors « embarquée » dans ce processus de terreur. Même la clandestinité n’était qu’un mensonge. Certains CCD étant situés en pleine ville comme le Garage Olympo, il était possible d’entendre de nuit les va-et-vients des voitures banalisées et les cris des suppliciés. La clandestinité était un leurre et servait à rendre palpable le mystère et faire souffrir les imaginations des vivants. Il fallait produire la terreur généralisée. Elle aussi avait été pensée et codifiée.

III. Une doctrine en question : des hiérarchies parallèles à la terreur sociologique

A. « La doctrina des Hiérarchies parallèles » du colonel Lacheroy

C’est le colonel Lacheroy qui, analysant le premier le système de l’ennemi, fit la trouvaille des hiérarchies parallèles. Celle-ci repose sur la découverte de l’appareil clandestin du Viet Minh ; cette structure complexe, associative, politico-militaire et administrative, empêche toute infiltration d’agents dans la zone qu’il contrôle, non seulement territorialement, mais aussi verticalement. À travers les organisations dédoublées par le Parti communiste, le Viet Minh dirige ainsi un quasi État avec ses institutions.

Une Arme du Viet Minh : les hiérarchies parallèles [3] ; tel est le titre du texte qui, prononcé en 1952, alimenta, de l’Indochine à l’Algérie, les cours de formation des cadres territoriaux de l’Armée française, mais aussi d’armées étrangères comme argentines.

Ext. N°1  :[Les habitants] sont enfermés dans un système de coercition d’une perfection machiavélique dont il est très difficile de s’évader et à l’intérieur duquel il n’y a de place que pour le dévouement ou au moins l’obéissance. Ce système est celui des HIÉRARCHIES PARALLÈLES […] »

Selon Lacheroy, le système colonial totalement dépassé par la situation, a fait de la dictature la « solution » en Indochine :

Ext. N°2  : D’un côté, une justice débonnaire dans une démocratie vénale et détendue, de l’autre, une dictature populo-politico-militaire, relativement pure, toujours dure et, quand il le faut, cruelle. [...]

III-SOLUTION

On objectera qu’il ne nous est pas possible d’avoir recours à des procédés que nous condamnons, à des formules dictatoriales de conduite de la guerre alors que nous luttons contre la dictature que, sur le plan international, le nouvel État du VIETNAM et, par contrecoup, la France prendraient une position indéfendable... etc. mais il faut savoir ce que l’on veut.

Dans le domaine militaire pur, quand un des adversaires prend l’initiative de mettre en œuvre une arme nouvelle plus ou moins défendue par la réglementation internationale, l’autre adversaire ne se contente pas d’épiloguer sur son aspect déloyal, voire révoltant pour la conscience humaine…

En refusant de nous en servir, nous nous comportons aussi sottement que les premiers Valois en présence des armes à feu. La lutte, parvenue au degré d’âpreté qu’elle a atteint, ne se gagnera pas sans une mobilisation totale et dure des arrières et l’adoption par le Gouvernement vietnamien de l’Arme des HIÉRARCHIES PARALLÈLES.

Maintenant cette formule nous la connaissons bien, c’est l’Arme des Hiérarchies parallèles. Sa mise en œuvre relève d’une technique parfaitement au point et infaillible.

C’est à l’articulation de l’horizontal (la dimension territoriale) et du vertical (l’organisation bureaucratique) que se situe le point central des systèmes argentins et français à Alger en 1957 de la mise en action des structures parallèles de coercition : les Groupes d’action mixte armés de la bataille d’Alger et autre GT.

C’est en juillet 1956, dans un entretien à la Revue des Forces Terrestres publié sous le titre « Contre-guérilla » [4], que le colonel Trinquier prévient du déploiement de la future structure répressive qui va implacablement s’abattre sur l’Algérie :

Pour que l’habitant échappe à la pression et au contrôle des rebelles, pour qu’il devienne utilisable à notre profit, nous devons le rendre commandable, c’est-à-dire le faire entrer dans l’organisation hiérarchisée dont nous avons parlé, englobant l’ensemble des populations, qu’un chef pourra contrôler jusqu’à l’échelon individuel. Personne ne devra avoir la possibilité d’y échapper afin que chacun puisse à tout instant répondre aux ordres donnés. Car ce contrôle des masses par une stricte hiérarchie, et souvent même par plusieurs hiérarchies parallèles, est pratiqué dès l’abord par les rebelles, dont il est l’arme maîtresse, et auxquels il permet de déceler rapidement la présence de tout élément qui leur serait hostile. [5]

B- Les cours du CIPCG d’Arzew et la terreur sociologique

Tous les officiers français et les officiers argentins qui se sont croisés sur les banc de l’Ecole de guerre de Paris puis d’Argentine et au sein des états majors des Forces armées argentines ont été mis au courent des cours de guerre et d’action psychologiques. Et il est un point essentiels ici, il y a eu des cours organisés en France pendant cette période de circulation de la doctrine militaire contre-insurrectionnelle française de la « guerre révolutionnaire », sur le thème de la terreur sociologique.

C’est ainsi que, parmi les cours du CIPCG d’Arzew, l’un d’entre-eux porte précisément sur l’utilisation de la psychologie de la peur. Ce cours, dont nous reproduisons ici les termes essentiels, y compris dans leur prosaïsme, date de 1956, c’est-à-dire que nous sommes à quelques mois du début de la grève insurrectionnelle qui devait marquer le déclenchement de la bataille d’Alger.

La propagande par la terreur

C’est l’utilisation de la psychologie de la peur. Il y a deux catégorie de peur : la peur active (celui qui fuit) ; la peur passive (celui qui est paralysé). Dans la peur l’homme ressent beaucoup moins la souffrance (ex. du Blessé). C’est dans la mesure où il a peur, la peur amenant une diminution des souffrances, que certain soldat sera héroïque. La terreur joue sur deux instincts : Passif, Actif

Objectif d’utilisation de la terreur : Faire adhérer au groupe qui la manipule. La peur aboutit à faire adhérer. /…/

La terreur sociologique

Causes :

Notion sociologique  : pour qu’il y ait terreur, il faut qu’il y ait silence. Le silence donne une puissance d’émotivité au moindre bruit. Le silence sociologique est représenté par le secret, l’ignorance de certaines préparations politiques. /…/ La terreur suppose, dans un silence sociologique, l’irruption mystérieuse et violente d’un événement insolite.

  • Ex  : le camp de concentration : zone de silence puis, brusquement, le rassemblement où l’on désigne 20 condamnés à mort.
  • Ex  : l’assassinat de Rohem en 1934, au milieu d’une période d’euphorie nazie.

    Effet de la terreur : Elle est considérée comme se multipliant dans le groupe social par simple contact. Elle a un puissant potentiel de dégradation en panique.
    Possibilité machiavélique  : dégrader la terreur en panique, et contrôler la panique en se présentant comme sauveur.
    - 1) La vague de terreur provoque une longue période de dépression. La masse devient neutre et amorphe (attentisme).
    - 2) Elle peut convaincre les « neutres ». [6] /…/
Conclusion :

Pour conclure cette présentation nous désirerions poser deux questions relatives, premièrement à la présence des officiers français au sein de l’état major des forces armées argentines, entre 1957 et 1983, connues sous le nom de Missions françaises dont le contenu des cours et conférences étaient exactement celui que nous avons analysé ici. Alors, sur le plan juridique, sur le plan pénal, comment désigne-t-on une personne qui enseigne des pratiques qui relèvent du terrorisme d’Etat, qui est intégrée hiérarchiquement à l’appareil qui en fait la gestion et qui de plus serait de la même nationalité que les victimes dont nous commémorons aujourd’hui la disparition forcée. Ne s’agit-il pas de complicité de crime contre l’humanité ? Si je collabore à l’étranger à l’assassinat d’un compatriote, ou si je collabore à l’organisation criminelle qui l’élimine, ne suis-je pas objectivement un complice sur le plan pénal ? et en l’occurrence complice d’un crime imprescriptible, la disparition forcée relevant de la qualification de crime contre l’humanité ?

Seconde question, ou plutôt une demande : cette doctrine, qui tant en Argentine comme au Rwanda a aboutit à la commission de crimes qualifiés de crimes de génocides devant la justice pénale nationale, dans le cas argentin, ou internationale comme dans la cas rwandais, nous avons vu que ces principaux concepteurs la considérait comme une arme de guerre. Ne peut-on, à l’instar des campagnes contre les mines anti-personnelles ou contre l’usage du napalm, concevoir ce management normatif si particulier de la violence d’Etat comme illégale, car, pour l’essentiel, la pratique des « hiérarchies parallèles » et autre « sociologie de la terreur de masse » font terminer ceux qui sont chargés de les mettre en œuvre, devant des tribunaux pour des crimes contre l’humanité ? C’est bien là ce que nous devons à nos disparus.

Je vous remercie.

***
Note de El Correo :

Lire : « Une guerre noire Enquête sur les origines du génocide rwandais (1959-1994) » de Gabriel Périès y David Servenay

El Correo. Paris, le 17 décémbre 2011.

Contrat Creative Commons
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Notes

[1] Eduardo Luis Duhalde, El Estado Terrorista argentino. Quince años después, una mirada crítica, Eudeba, Bs As, 1999, p. 237

[2] Celina Benfield. « 179 días entre « El banco » y « El Olimpo »…y una vida para contarlo ». Astralib, Bs As, 2003, p. 16–17

[3] Colonel Lacheroy, Une arme du Viet Minh : les hiérarchies parallèles, Conférence faite à Bien Hoa en 1952

[4] Contre-guérilla, entretien de la Revue des Forces Terrestres avec le lieutenant-colonel Trinquier, RFT n° 5, juillet 1956, p. 128.

[5] Idem, p. 132.

[6] La guerre psychologique, Conférence n°3, Lois de la guerre psychologique, CIPCG, X° Région militaire, 1956-1957, p. 8-9

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17 novembre 2013 7 17 /11 /novembre /2013 17:42

 

 

La Yaguaina, chronique d'une commune venezuelienne

Photo de Veronica Canino

Une salle de bataille sociale. Le matin dans les pupilles. Un carnet de route vierge. Un cercle de communards. Avec les idées de Javier Biardeau  dans la tête : « pour qu’existe la Commune, il faut qu’existe l’esprit de la Commune, et pour qu’existe l’esprit de la commune il faut le cœur de la Commune, peut-être que l’Etat ne le comprend pas »…, nous sommes arrivés à La Yaguaina (terre de palmiers) avec le défi de raconter ce qui se construit à partir du cœur, ce cœur qui fond quand on parle du Commandant et qui chemine à travers la forêt et le lac, plein de contradictions et de certitudes absolues.

Ici comme dans tous les villages proches de la côte des Caraïbes, résonne le vallenato de Colombie… On se reconnaît dans le cercle horizontal de la parole; maintenant on appelle porte-paroles ceux qu’on traitait jusqu’ici de lutteurs sociaux, « ñángaras », va-nu-pieds, indigents, ou plèbe comme les appellent encore  certains. Ici on compte 15 Conseils Communaux qui ont rendu possible cette Commune qui est tout sauf un dossier rempli de paperasserie légale, ici la Commune, c’est la rage et la tendresse de réaliser avec ses propres mains, « nous voulons que les enfants puissent avoir tout ce que nous n’avons pas eu » répète-t-on comme principe.

Matria 4

C’est Luisa Rivas, une femme de 35 ans, porte-parole du Conseil Communal Las Cañas, qui ouvre la conversation pour dire comment il ont commencé à croire dans la volonté commune, dans le travail collectif  : « nous existons depuis quatre ans, grâce à une initiative lancée par trois porte-paroles de conseils communaux différents, à la suite d’une émission du président Chavez sur la nécessité de créer la Commune, on ne savait pas ce que c’était en soi, mais nous avons commencé, et quand nous nous réunissions on nous appelait les fous. Quand nous avons constaté que les gens ne voulaient pas participer, nous avons décidé de bouger et d’organiser les réunions de village en village pour les motiver.» Nous avons commencé par la communauté Cruz Cano Chiquito, qui est très éloignée, nous y sommes allés en camion sans savoir ce que nous faisions réellement, on a commencé par motiver les gens – « ensemble, nous travaillerions mieux, nous devons entendre le président Chavez , c’est comme ça que nous avons tenté de former la Commune ».

C’est le travail volontaire qui a déclenché l’organisation d’une commune aujourd’hui consolidée. Tout a commencé par le dégagement des routes, un travail peu à peu habité par la musique et les conversations. On a nettoyé ensemble les câbles de haute tension, le cimetière, on est venu en mule, à pied, en camion, on est toujours venu travailler, « et après la soupe collective, on en faisait quatre ou cinq marmites après chaque journée de travail, on se réunissait pour évaluer l’activité ».

Matria 1

«Pour commencer, on n’est pas parti de directives ou de lois, nous avons commencé avec la volonté, avec le simple amour de faire»… Ici commence la liste de critiques, de plaintes, de rappels des institutions à leur devoir de faire la révolution, institutions qui restent souvent aveugles, les bras croisés. «Nous étions fatigués d’attendre la réponse, on nous a si souvent fait miroiter des villas et châteaux, on nous a utilisés, manipulés tout au long de l’Histoire, et  lorsque nous ouvrons les yeux, nous nous retrouvons à nouveau… entre la déception et espoir ».

Le processus de légalisation de la Commune a donc affronté les mille et un obstacles de la bureaucratie : « depuis le 17 Novembre 2012, nous avons remis les certificats des Conseils Communaux, et ils viennent de nous les rendre il y a seulement un mois. Lorsque l’on arrive enfin à former les Conseils Communaux… il faut recommencer tout le processus à zéro parce que le mandat des porte-parole touche à son terme, on nous laisse sans réponse, nous devons voyager pendant des heures jusqu’à Cumana pour refaire les démarches administratives, parfois on ne veut pas nous recevoir, on nous demande de revenir plus tard, parfois tout ça donne envie de pleurer. »

Matria 5

Le communard Renan Correa propose des solutions : «si nous avions plus de ressources nous produirions plus, à partir de notre  grand potentiel que sont les racines et tubercules, ces aliments doivent sortir de cette zone vers l’axe Apure-Orénoque. Nous devons relancer l’usine de traitement d’alimentation pour animaux et de produits triturés, nous pourrions lui fournir notre récolte et on nous payerait le prix  juste car d’ordinaire ce sont des intermédiaires qui nous exploitent, ce sont eux qui gonflent les prix des produits (..) Nous, les agriculteurs, on nous ignore partout. Comme disait Chavez, nous voulons que le pouvoir du peuple, la collectivité, soient écoutés, et qu’on arrête de prendre des décisions sans nous prendre en compte

La Yaguaina est humide, et cette sensation colle à la peau, au dos brûlé de soleil. On ne cesse de regarder, parce que la vue est une vertu pour tant de choses qui naissent, le végétal est la terre, sa croissance, ce sont ses femmes et ses hommes, leur labeur. Parler vite n’enlève pas leur poids aux mots justes, aux exigences légitimes de ces communard(e)s. Dans le fond, sur une colonne de bois, une image de Chavez, un silence.

Maria Martinez nous raconte comment cette Commune en cours de construction s’est intégrée au Système national de Troc qui existe dans notre pays depuis plusieurs années, avec une approche pratique, concrète, réflexive d’économie socialiste, tout un processus qui va de la conscience de quelle nourriture nous consommons, aux rapports de production existants en zone rurale, en passant par la récupération des pratiques ancestrales.

Matria 2

La Yaguaina fait partie du Système Régional de Troc de Pariagoto. Ici on utilise comme monnaie communale « Paria » et depuis mai 2009, mois après mois, de nouvelles volontés ont adhéré. Les marchés de Troc se sont répandus dans tout le pays, invitant les pairs à participer à un échange de ce qu’ils cultivent, tissent, écrivent, rêvent. Un monde sans argent, c’est l’utopie du monde possible. La Commune nous a invité à un de ces marchés à Cumana ;  une dame debout, micro à la main, nous a reçu en disant: « Pour être libres, nous devons produire nos propres pommes de terre, si nous ne produisons pas ce que mangent nos enfants nous ne serons jamais libres ». Les travailleurs de l’entreprise sardinière récupérée La Gaviota leur ont narré leur lutte. Au-delà la géographie humaine de Sucre a œuvré à partir de la mémoire, partageant les semences, la connaissance et la culture communale.

Traduction : Suki Neve,  http://quebolaparis.blogspot.com/

Source en espagnol : Aquarella Padilla, Ciudad Caracas,  « Narrar la Matria II… Crónicas de un recorrido »,  Photos : Verónica Canino, http://www.ciudadccs.info/?p=485684

Source : http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/11/06/la-yaguaina-chronique-dune-commune-venezuelienne/

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8 novembre 2013 5 08 /11 /novembre /2013 22:30

 

 

Bonnes feuilles de "Amériques latines. Emancipations en construction"

(coordonné par Franck Gaudichaud)


Gaudichaud.jpg

 

Franck Gaudichaud (coord.), Amériques latines. Emancipations en construction, Paris, Syllepse, collection "Les cahiers de l'émancipation", Paris, 2013 (en partenariat avec France Amérique Latine). 

Pages : 130 pages. Format : 115 x 190. ISBN : 9782849503621

Prix : 8€ + 1.80€ de frais de port par livre

A commander par mail : falnationale@franceameriquelatine.fr

 

Nous publions ici le texte introductif de Franck Gaudichaud à l’ouvrage collectif « Amériques latines. Emancipations en construction » que viennent de publier les éditions Syllepse, en partenariat avec l’association France Amérique Latine (www.franceameriquelatine.org). Ce petit ouvrage de débat et de réflexion plurielle décrit plusieurs expériences alternatives « par en bas » et processus démocratiques latino-américains en cours. Ces « liens qui libèrent » sont présentés par une dizaine d’auteur-es qui décryptent une « cartographie d’autres mondes possibles » dans une Amérique « indo-afro-latine » en pleine ébullition sociale et politique (Voir présentation et sommaire ici). Franck Gaudichaud est membre du comité de rédaction de la revue ContreTemps et maître de conférences en Civilisation de l’Amérique latine à l’Université Grenoble III (contact : franck.gaudichaud@u-grenoble3.fr).

 

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Pouvoirs populaires latino-américains. Pistes stratégiques et expériences récentes

 

« Émancipation » (du latin emancipatio, -onis) : Action de s'affranchir d'un lien, d'une entrave, d'un état de dépendance, d'une domination, d'un préjugé 

 

Le laboratoire latino-américain1

Depuis maintenant plus d’une décennie, l’Amérique latine apparaît comme une « zone de tempêtes » du système-monde capitaliste. La région a connu d'importantes mobilisations collectives et luttes sociales contre les ravages du néolibéralisme et ses représentants économiques ou politiques, contre l’impérialisme également; des dynamiques protestataires qui ont abouti dans certains cas à la démission ou la destitution de gouvernements considérés comme illégitimes, corrompus, répressifs et au service d’intérêts étrangers à la souveraineté populaire. Le changement des rapports de force régionaux, dans l'arrière-cour des États-Unis, s'est aussi traduit sur le plan politique et institutionnel par ce qui a été qualifié par de nombreux observateurs de « tournant à gauche »2 (Gaudichaud, 2012), ainsi que, dans certains cas, par une décomposition du système des partis traditionnels :

« Au début des années 90, la gauche latino-américaine était à l’agonie. La social-démocratie se ralliait au néo-libéralisme le plus débridé. Seuls quelques embryons de guérillas et le régime cubain survivant à la chute de l’URSS, par une période de pénurie appelée « période spéciale », refusaient la « fin de l’Histoire » chère à Francis Fukuyama. Après avoir été le laboratoire de l’expérimentation du néolibéralisme, l’Amérique latine est devenue, depuis le début des années 2000, le laboratoire de la contestation du néolibéralisme. Des oppositions ont surgi en Amérique latine de manières diverses et désordonnées : des révoltes comme le Caracazo vénézuélien réprimé dans le sang (1989)3 ou le zapatisme mexicain, des luttes victorieuses contre des tentatives de privatisations comme les guerres de l’eau et du gaz en Bolivie ou encore des mobilisations paysannes massives comme celles des cocaleros boliviens et des sans-terres brésiliens. Entre 2000 et 2005, six présidents sont renversés par des mouvements venus de la rue, principalement dans sa zone andine : au Pérou en 2000 ; en Équateur en 2000 et 2005 ; en Bolivie, suite à la guerre du gaz en 2003 et en 2005 et enfin une succession de cinq présidents en deux semaines en Argentine lors de la crise de décembre 2001. À partir de 1999, des gouvernements se revendiquant de ces résistances se constituent. En un peu plus d’une décennie, plus de dix pays basculent à gauche s’ajoutant à Cuba où les frères Castro sont toujours au pouvoir. Portés par ces mouvements sociaux puissants, de nouveaux gouvernants de gauche aux trajectoires atypiques s’installent au pouvoir : un militaire putschiste au Venezuela, un militant ouvrier au Brésil, un syndicaliste cultivateur de coca en Bolivie, un économiste hostile à la dollarisation en Équateur, un prêtre issu de la théologie de la Libération au Paraguay…» (Posado, 2012). 

Même si le thème du « socialisme du 21e siècle » est revendiqué par des leaders comme Hugo Chávez, la région n'a pas pour autant connu d'expérience révolutionnaire au sens d'une rupture avec les structures sociales du capitalisme périphérique, comme ce fut le cas lors de la révolution sandiniste au Nicaragua, avec le castrisme à Cuba ou -dans une certaine mesure- durant le processus de pouvoir populaire pendant le gouvernement Allende au Chili. Pourtant, dans un contexte mondial difficile, marqué par la fragilité relative des expériences progressistes ou émancipatrices, les organisations sociales et populaires latino-américaines ont su trouver les moyens de passer de la défensive à l’offensive, bien que pas toujours de manière coordonnée. En écho aux revendications de celles et ceux « d’en bas » et/ou au début de crise d’hégémonie du néolibéralisme, quelques gouvernements mènent des politiques aux accents anti-impérialistes et des réformes de grande envergure, notamment en Bolivie, en Équateur et au Venezuela. Plutôt qu’un affrontement avec la logique infernale du capital, ces derniers s'orientent vers des modèles nationaux-populaires et de transition post-néolibérale, de retour de l’État, de sa souveraineté sur certaines ressources stratégiques, avec parfois des nationalisations et des politiques sociales de redistribution de la rente en direction des classes populaires, mais tout en maintenant des accords avec les multinationales et les élites locales (ALAI, 2012). C’est aussi dans ces trois pays que se sont déroulées les plus importantes avancées démocratiques sur le plan constitutionnel de cette décennie, grâce à des assemblées constituantes novatrices; un contexte qui offre de nouveaux espaces politiques et une marge de manœuvre accrue pour l’expression et la participation des citoyens. Le «  progressisme gouvernemental » revêt aussi parfois les habits d’un social-libéralisme sui generis, particulièrement au Brésil (et de manière différenciée en Argentine), combinant une politique volontariste et des transferts de revenus conditionnés destinés au plus appauvris à d’amples faveurs aux élites financières et à l’agrobusiness. Selon l’économiste Remy Herrera :

« L’intelligence politique du président Lula tient en ce qu’il a résolu un dilemme, tout à fait insoluble pour ses prédécesseurs de droite, dans leur recherche d’un néolibéralisme « parfait » : celui d’approfondir la logique de soumission de l’économie nationale à la finance globalisée, tout en élargissant l’assise électorale au sein des fractions défavorisées des classes exploitées contre lesquelles cette stratégie est pourtant dirigée. L’une des explications réside sans doute dans le mode de gestion de la pauvreté adoptée par l’État : changer la vie des plus miséreux, concrètement, grâce à un revenu minimal, sans toucher aux causes déterminantes de leur misère » (Herrera, 2011).

Dans d’autres pays, les mouvements populaires doivent toujours faire face à des régimes conservateurs et ouvertement répressifs, au terrorisme d’État, aux mafias ou au paramilitarisme, comme c’est le cas dans de grands pays comme la Colombieet le Mexique ou encore au Paraguay (depuis le coup d’État « légal » de juin 2012) et au Honduras (depuis le coup d’État de 2009)4. En pleine crise internationale du capitalisme, la région montre néanmoins des taux de croissance du Produit intérieur brut étonnants (et de plus sur une période longue), qui n'ont pas manqué de susciter l’admiration de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, mais une « croissance » inégale, essentiellement basée sur une vision neodeveloppementiste, maintenant ou renouvelant le saccage des ressources naturelles, l’extraction de commodities (pétrole, gaz, minerais, etc...) et une forte dépendance à l’égard du marché mondial, par une stratégie « d’accumulation par dépossession » (selon les termes de David Harvey) extrêmement coûteuse sur le plan social et environnemental. Cette stratégie « extractiviste », désormais partagée par l’ensemble des gouvernements de la région, est l’une des principales tensions de la période (Svampa, 2011):

« Au niveau économique, ce modèle, orienté essentiellement vers l’exportation, est accusé d’induire un gaspillage de richesses naturelles largement non renouvelables. Il engendre une dépendance technologique vis-à-vis des firmes multinationales et une dépendance économique vis-à-vis des fluctuations des cours mondiaux des matières premières. Si les prix élevés de ces dernières dans la conjoncture actuelle ont permis aux pays d’Amérique latine de surmonter la crise après 2008, la reprimarisation des économies, c’est-à-dire l’incitation à se retourner vers la production de matières premières non transformées, les rend très vulnérables à un éventuel retournement des marchés. Dans un contexte de mondialisation économique, ce modèle renforce aussi une division internationale du travail asymétrique entre les pays du Nord, qui préservent localement leurs ressources naturelles, et ceux du Sud. 

Sur le plan environnemental, les mines à ciel ouvert, la surexploitation de gisements à faible concentration, l’agrobusiness ou encore l’extraction d’hydrocarbures impliquent le rejet de métaux lourds dans l’environnement, la pollution des sols et des nappes phréatiques, la déforestation et la destruction des paysages, des écosystèmes et de la biodiversité. [...] Cette situation crée – presque mécaniquement – les conditions d’une intensification des conflits sociaux. Pour les gouvernements, cependant, la marge de manœuvre est étroite : d’une part, ces économies sont largement fondées sur l’exportation de matières premières et, de l’autre, les gauches récemment arrivées au pouvoir ont besoin pour se maintenir de résultats tangibles à courte échéance en termes de redistribution et de développement social » (Duval, 2011).

Cependant, si l'on compare l'état actuel du continent avec la période des années 70-90, de nombreuses évolutions sociopolitiques sautent aux yeux. Car il faudrait rappeler brièvement « d’où vient » le sous-continent. Après les années 80, les années de la décennie « volée » (plutôt que « perdue »), années de l’explosion d’une dette extérieure souvent illégitime, les années 90 ont été celles des applications sauvages des préceptes du FMI, des ajustements structurels, de la continuation des politiques du consensus de Washington, des dérégulations et des privatisations au nom d’une supposée efficacité économique, aboutissant à la destruction de secteurs entiers des services publics et à une marchandisation des champs sociaux d'une ampleur inégalée. L’Amérique latine a vraiment subi de plein fouet le « néolibéralisme de guerre » (pour reprendre l'expression du sociologue mexicain Pablo González Casanova), son hégémonie puis sa crise, en particulier en Amérique du sud, bien que ce dernier persiste -et se renforce même- dans d'autres pays : au Mexique, en Colombie et dans une partie de l'Amérique centrale. Ces périodes ont souvent succédé à des longues dictatures. Le Chili incarne encore ce capitalisme du désastre des Chicago-boys et de la doctrine du « choc néolibéral »5. Produit des défaites des gauches, de la répression du mouvement ouvrier et de l’imposition de ce nouveau modèle d’accumulation, le sous-continent est le plus inégalitaire de la planète : la région des inégalités sociales, territoriales et raciales. Ceci, malgré une légère amélioration sur ce plan, comme sur celui -de manière plus nette-de la pauvreté (en Colombie, contre-exemple, les inégalités ont continué a augmenter) (Gaudichaud, 2012)6.

 

Mouvements sociaux, utopies concrètes, pouvoirs populaires

Dans une analyse récente des « heurs et malheurs de la conflictualité sociale » en France, des années 1970 aux années 2000, Lilian Mathieu note à juste titre que « la question des alternatives à l’ordre capitaliste se pose avec autant d’acuité aujourd’hui qu’il y a trente ou quarante ans. Peut-être même avec davantage d’urgence : les conséquences désastreuses de ce mode de production sur la simple survie de l’humanité sont désormais beaucoup plus tangibles »; mais le sociologue constate également qu’après les dévoiements autoritaires de plusieurs expériences post-capitalistes au 20e siècle :

« Ce ne sont pas seulement les alternatives ailleurs qui ont connu un effondrement de leur crédibilité. Les tentatives de construire sur place des formes de vie soustraites à l’ordre dominant ont elles aussi pour la plupart rapidement tourné court et ne sont plus envisagées qu’avec dérision. Le phénomène des communautés, s’il a été numériquement marginal, n’en a pas moins connu un écho certain et fortement impressionné les contemporains, cela d’autant plus qu’il était souvent le fait de jeunes diplômés, en tant que tels destinés à assurer la reproduction de l’ordre capitaliste. Les thématiques du « retour à la nature » (ou au « pays » régional), l’exigence d’authenticité dans la production et la consommation, la volonté d’échapper à la logique marchande, la revendication de rapports sociaux plus égalitaires (dans le couple, la famille, l’entreprise…), bref plusieurs éléments de ce que Luc Boltanski et Eve Chiapello désignent comme la « critique artiste »7, ont été soit invalidés lors de tentatives infructueuses d’application concrètes, soit réprimés, soit « récupérés » et asservis à l’ordre capitaliste. Ces deux logiques de « dé-crédibilisation » des alternatives au capitalisme peuvent être éclairées par le triptyque d’Albert Hirschman8. Tant l’option de la « voice » (hâter l’instauration du socialisme via une mobilisation de masse) que celle de l’ « exit » (l’instauration de « poches » d’existence échappant à l’ordre dominant à l’intérieur même de sociétés capitalistes, sans les remettre frontalement en cause) ayant été mises en échec, ne resterait plus que l’option de la loyauté au capitalisme » (Mathieu, 2012).

Cette constatation part d’une description critique du « nouvel esprit du capitalisme » et des réalités politico-sociales des pays industriels des centres de l’économie-monde et du quatrième âge (néolibéral) du capital. Mais qu’en est-il dans les suds et à la périphérie du système, dans des sociétés dépendantes et soumises à l’échange inégal mondialisé ? Pour comprendre aussi bien les tentatives de transitions post-néolibérales que celles de construction communautaires d’émancipations locales, d’autogestion territoriale en Amérique latine, il est indispensable de prendre en compte la temporalité propre de la région (bien qu’intégrée à un tout mondial) et ses formations sociales spécifiques. Ainsi, si la réflexion sociologique citée ci-dessus peut nous fournir des éléments théoriques sur les liens actuels -et passés- entre expériences révolutionnaires et essais de constructions locales (ce que certains nomment « utopies concrètes »), elle doit être subordonnée à la prise en compte des réalités d’une Amérique indo-afro-latine.

Premier constat, cette dernière a été traversée par de grands moments révolutionnaires et plusieurs projets nationaux, souvent vaincus, de transition anti-impérialiste : de la révolution mexicaine dés 1910 -bien avant la révolution russe- jusqu’aux discussions actuelles -quoique embryonnaires- sur la socialisme « du 21e siècle », en passant par la révolution cubaine (1959) et bien d’autres encore... Autre évidence, déjà mentionnée, le continent latino-américain est, à la différence d’un « vieux monde » en pleine crise de civilisation, de nouveau un terrain d’essai pour la construction d’alternatives : n’est-ce pas sous ces latitudes, dès les années 90, que s’ouvrit le cycle altermondialiste (Pleyers, 2011) et que se tinrent les forums sociaux mondiaux, conçus comme des expériences de démocratie participative (en particulier à Porto Alegre, Brésil) ; n’est-ce pas -en partie- là aussi que l’on peut situer les premières expressions des résistances globales au néolibéralisme (Vivas et Atentas, 2009), en particulier au travers du cri symbolique « ¡Ya Basta!» des néozapatistes chiapanèques contre les traités de libre-échange ; n’est-ce pas, enfin, au sud du Rio Bravo que l’on parle désormais de « bien vivre » 9, de droits de la Nature et des biens communs, d’État plurinational ou encore d’autonomies indigènes ? Quant à la notion de « pouvoir populaire », elle a parcouru toutes les grandes mobilisations sociales du 20e siècle latino-américain, en Argentine comme le montre Guillaume de Gracia (2009), comme dans le reste de la région : elle désigne une dynamique que l’on peut voir à l'œuvre durant les périodes de crises révolutionnaires, mais aussi dans plusieurs expérimentations locales ou communautaires, circonscrites à un quartier, une usine, un territoire; une notion donc qui a connu de multiples mises en pratiques mais toutes liées directement au mouvement ouvrier et social. Ce poder popular consiste en une série d'expériences sociales et politiques, la création de nouvelles formes d’appropriations collectives (souvent limitées), qui s’opposent -en totalité ou pour partie- à la formation sociale dominante et aux pouvoirs constitués. En d'autres termes, il s'agit d'une remise en cause des formes d’organisation du travail, des hiérarchies sociales, des mécanismes de domination matériels, de genre, de race ou symboliques. L’Amérique latine a été parcourue, en plusieurs points de son territoire, par ces « éclairs autogestionnaires » aux identités et à la géographie sociale inextricablement liées à leur ancrage dans ce continent (Petras et Veltmeyer, 2002).

Avec ce petit ouvrage collectif, notre ambition est précisément de revenir sur ces grammaires d’une émancipation plurielle - partielle et traversée de multiples conflits, mais « en actes »-, au cours de la dernière décennie. Les dix utopies concrètes que nous nous proposons d'évoquer ici reflètent ainsi la diversité de ces expérimentations, certaines « par en bas », directement issues du mouvement social, d'autres davantage liées à des formes de démocratie participative et en lien avec certaines institutions. Des expériences qui esquissent la cartographie, morcelée, d’autres mondes possibles : Commune de Oaxaca, femmes et féministes mexicaines face à la violence et au patriarcat, essais difficiles de contrôle ouvrier au Venezuela ou entreprises récupérées au Argentine, conseils communaux dans les quartiers populaires de Caracas, luttes des sans-toits en Uruguay ou organisation collective exemplaire des travailleurs sans-terre au Brésil, initiative pour une société post-pétrolière et du « bien vivre » en Équateur et agro-écologie dans une communauté colombienne, malgré la guerre ; analyses, enfin, du processus constituant bolivien qui soulève la question des institutions et de l’édification d’une démocratie postcoloniale. Dans des contextes variés, surgissent des germes de pouvoirs populaires qui cherchent à tâtons les chemins de l’émancipation, et ceci, le plus souvent, contre les pouvoirs constitués et la répression d’État; mais aussi, parfois, en lien avec des politiques publiques post-néolibérales et le champ politique ou partisan national. Bien entendu, les exemples que nous avons sélectionné n’entendent pas donner une image exhaustive de toute la mosaïque des expériences en cours. Nous aurions pu aussi revenir sur les médias communautaires de nombreux pays, la lutte des Mapuche du Chili pour leur survie et la récupération de leurs terres et l’auto-organisation paysanne au Honduras, l’incroyable capacité de résistance des « caracoles » et conseils de bons gouvernements zapatistes, les cantines communautaires autogérées de Buenos Aires ou encore sur les juntes de voisins de la ville de El Alto (Bolivie), « l'assembléisme » et les occupations étudiantes de la dernière période, etc. Notre objectif est davantage, au travers de textes courts, accessibles, écrits par des auteur-e-s qui connaissent de près ces expériences, souvent au travers d’observations participantes sur le terrain, de défricher certains sujets peu ou pas abordés dans les médias dominants, avec l’espoir d’inviter au débat sur les questions stratégiques que soulèvent ces expériences.

Loin de nous l’idée de décrire ou mythifier ce que le sociologue Franck Poupeau a pu désigner comme de « petits univers » refermés sur eux-mêmes, « une micro-société formidable, parce que singulière, régie par l’entraide et le partage, coupée des flux de la communication marchande et des échanges intéressés qui sont le lot de la masse des consommateurs » : ces « sentiers de l’utopie » 10 en construction, que nous évoquons ici ne cherchent pas à « penser l’utopie à partir des expériences de communautés en rupture avec le reste du monde social ». Nous pensons effectivement que « le « commun » tire son efficacité de ce qu’il est universalisable, extensible au-delà de la communauté d’initiés, dans les sphères où l’antagonisme entre travail et capital laisse entrevoir la possibilité d’un renversement » (Poupeau, 2012) et qu’il doit s’adresser au plus grand nombre, à commencer par les classes populaires et celles et ceux qui subissent directement la misère du monde. C’est précisément ce que laissent entrevoir, -avec un degré de réussite ou d'échec variable et à des échelles diverses -, les expériences que nous mettons en débat dans cet ouvrage collectif. Toutes résistent à leur manière à l’air du temps (néolibéral, raciste, machiste et austéritaire) et participent, ici et maintenant, à la construction de nouveaux espaces politiques, territoires sociaux à la recherche de « liens qui libèrent ». D'une certaine manière, on pourrait suggérer que ces pouvoirs populaires répondent concrètement à l'écho planètaire et aux interrogations des indigné-e-s, au surgissement de ce « peuple des places » et aux multiples révoltes qui fissurent le consensus néolibéral, depuis des mois, dans plusieurs pays. Ces 99% de citoyen-ne-s qui font face à l'arrogance de 1% d'oligarques de la finance et d'une politique politicienne aveugle :

« L'année 2011 marque un tournant historique. La vague révolutionnaire partie de Tunisie gronde encore place Tahrir, en Égypte. Elle a bouleversé la donne politique dans le monde arabe et rapidement fait tache d'huile aux quatre coins de la planète. De Santiago du Chili à la commune de Wukan dans le sud de la Chine, de la Puerta del Sol à la place Syntagma, de Moscou à Wall Street en passant par les émeutes de Londres, le cours régulier de la domination a été bousculé. Dans le cyberespace, un nouveau front s'est ouvert avec la guérilla des Anonymous contre les grandes corporations et les dispositifs à la Big Brother. Ces événements sont encore trop proches pour que l'on puisse suivre les fils qui les relient, en saisir les racines. L'ampleur et la nature des bouleversements enclenchés sont pour l'heure impossibles à connaître. Mais il est déjà clair que, comme en 1848 ou 1968, la possibilité d'un autre futur s'est entrouverte en 2011 » (ContreTemps, 2012).

Pourtant, il est nécessaire de souligner que les émancipations latino-américaines toujours en chantier que nous présentons ici se différencient aussi largement de la constellation des indignations mondiales. Tout d’abord car elles ont pu passer, parfois depuis plusieurs années, de l’offensive à la construction, de l’indignation à la création alternative. Mais aussi du fait de leurs liens spécifiques et directs avec les classes populaires de la région, loin d’un « sujet révolutionnaire » désincarné ou d’une revendication de citoyenneté abstraite, telles que l’on a pu les trouver chez certain-e-s indigné-e-s. Mais surtout, ces expériences ont leur propre répertoire et ne prétendent en aucun cas signifier des modèles « clefs en main », ou encore du prêt-à-porter de praxis militantes censées être applicables mécaniquement sous d’autres cieux. Au contraire, nous souhaitons montrer en quoi ces processus naissent des entrailles même des conditions matérielles et subjectives du capitalisme latino-américain, de sa violence, de son exclusion, dans lesquels ils sont immergés. Elles sont le fruit d'un cycle de mobilisations qui débute globalement au milieu de la décennie 90, il y a plus de 15 ans, et elles révèlent de nombreux acteurs en lutte. Une multiplicité d’ailleurs en partie produit des effets de la fragmentation sociale néolibérale et de sa mise en place brutale en Amérique latine :

« Ces mouvements ont des histoires, des bases sociales et revendicatives et des ancrages dans les territoires ruraux ou urbains très différents. Ils sont néanmoins capables de se mobiliser collectivement autour d’objectifs communs, notamment lorsqu’un projet politique gouvernemental, supranational ou économique (stratégie d’une multinationale par exemple) menace les secteurs qu’ils représentent. Il est possible d’identifier quelques familles structurantes au sein de cette nébuleuse d’organisations locales, régionales ou nationales dont l’histoire commune s’est forgée dans les résistances aux oligarchies et aux politiques néolibérales depuis une trentaine d’années : les mouvements indigènes (très actifs en particulier dans les pays andins) ; les mouvements et syndicats paysans (présents sur l’ensemble du sous-continent et dont le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre du Brésil (MST) est le plus emblématique et le plus puissant) ; les mouvements de femmes ; les syndicats ouvriers et de la fonction publique ; les mouvements de jeunes et d’étudiants ; les associations environnementales » (Ventura, 2012). 

Nous sommes bien face à sujet émancipateur pluriel et complexe, marqué par la multidimensionnalité. Est-ce-à dire que la composante de classe, le syndicalisme ou encore les travailleurs seraient absents ou « dilués » dans une nébuleuse post-moderne, uniquement marquée par la nouveauté de ces mouvements ? En aucun cas. La dimension de classe de ces conflits reste centrale et les salariés ont joué un rôle essentiel dans ce cycle protestataire ascendant et ils le jouent encore au travers d'expériences que nous décrivons dans ce livre (voir les textes sur l’Uruguay, l’Argentine ou le Venezuela). Cependant, se constitue une praxis propre aux mobilisations de la dernière période, en particulier celle du mouvement indigène et sa remise en cause de la « colonialité du pouvoir »11, qui « a renouvelé et enrichi les programmes et les horizons, avec une profondeur stratégique qui est encore loin d'être assumée dans toute sa dimension pour être cohérente avec la maxime de Mariátegui qui stipule que le socialisme indo-américain ne peut surgir ni du calque, ni de la copie. [...] Dépossédées ou menacées d'expropriation, craignant pour leurs terres, leur travail et leurs conditions de vie, beaucoup de ces organisations ont trouvé une identification politique dans leur dépossession (les sans-terre, les sans-travail, les sans-abri), dans les conditions sociopolitiques de vie communautaires menacée (les mouvements d'habitants, les assemblées citoyennes » (Algranati, Taddei, Seoane, 2011). Ces nouvelles formes d'organisation sont notamment marquées par l'horizontalité des formes d'organisation, l’importance de la discussion en assemblées et la revendication d'un territoire de luttes.

Durant la dernière décennie, nous avons ainsi pu assister à une relocalisation des mouvements sociaux et à une montée en puissance de l'espace local comme base territoriale de sociabilité, mais aussi comme centre des revendications et de l’action protestataire : luttes contre les expropriations de terres, luttes pour l'environnement, luttes pour le logement, luttes contre la fermeture d'usines etc... Il s'agit de construire des territoires alternatifs ou encore « des espaces d'expérience dans lesquels les participants tentent de traduire dans la pratique les valeurs de participation, d'égalité et d'autogestion ». Cependant, « l'ancrage local d'acteurs et de mobilisations n'est en rien incompatible, ni avec le lien politique national, ni avec une projection de la citoyenneté au-delà des frontières de l'État-nation » (Merklen, Pleyers, 2011). Bien entendu, ces pratiques situées et circonscrites à une espace spécifique, malgré tout leur potentiel, posent également la question des limites de mobilisations qui peinent à obtenir des résultats sur le plan national, en l'absence de projet politique à une échelle plus large. L'ensemble de ces processus pose donc d'importantes questions stratégiques sur le « haut » et le « bas », les outils et les tactiques d'une stratégie émancipatrice pour le 21e siècle...

 

En bas, en haut et à gauche12. Changer le monde en transformant le pouvoir et... la société

Une réflexion sur ce laboratoire latino-américain en termes d'expériences démocratiques, autogestionnaires, participatives, et potentiellement émancipatrices, telles que présentées ici, s'avère riche de pistes de réflexions sur toute une série de questions : rapport entre autonomies sociales et État, relation entre mouvements, partis et institutions, formes d'organisation des classes populaires et liens entre le local, le national et le global, rapport au marché comme aux autres secteurs sociaux subalternes, etc... Depuis quelques années, les débats autour de comment « changer le monde » (Whitaker, 2006) sont très présents en Amérique latine mais aussi autour du rapport au Pouvoir qu'engagent les diverses modalités de transformation sociale.

Certains analystes et militant-e-s ont été séduit-e-s par l'idée de la construction d'un « anti-pouvoir », ou d'un contre-pouvoir, uniquement basé sur l’autonomie des mouvements sociaux, des « multitudes » et d'espaces communautaires autogérés. On retrouve, avec des sensibilités différentes, ces idées chez Toni Negri, Miguel Benasayag et, surtout, John Holloway. Ce dernier, s'inspirant particulièrement de la riche expérience zapatiste, appelle ainsi à « changer le monde sans prendre le pouvoir », à construire davantage du « pouvoir-action », du « pouvoir-faire » (potentia), plutôt que de s'intéresser au « pouvoir-sur » (potestas), celui de l’État et des institutions : « le monde ne peut être changé par le biais de l’État », lequel constitue seulement « un nœud dans la toile des rapports de pouvoir » (Holloway, 2008). Le but stratégique serait ainsi de libérer la potentia de la potestas, prémunir les expériences autogérées du « danger » des institutions. Depuis cette perspective, comme a pu le remarquer -avec mordant- Daniel Bensaïd, Holloway a forgé en quelque sorte un « zapatisme imaginaire »13, bien loin des réalités du Mexique : certes, les conquêtes des zapatistes sont considérables et leur « rage digne » à défendre coute que coute, tout comme leur proposition de « commander en obéissant », toutes ont beaucoup à apporter aux pratiques politiques et militantes de ce début de siècle. Mais pourquoi ne pas voir également leurs difficultés et surtout l’existence concrète d’un pouvoir -bien réel (et parfois nécessairement vertical)- qu'ils pratiquent au quotidien, au travers d’institutions comme les « conseils de bon gouvernement », d'une armée (EZLN), de dirigeants (quelque-fois même sur-représentés) ? (Baschet, 2002).

Parmi les auteurs « mouvementistes » latino-américains les plus féconds s’étant intéressé aux expériences bolivienne (« guerres » de l’eau et du gaz), argentine (piqueteros14) et particulièrement mexicaine, citons aussi Raúl Zibechi. Selon ce dernier, il s'agit plutôt de « disperser le pouvoir » (2009), en se basant particulièrement sur la pensée communautaire des populations amérindiennes, une communauté entendue au sens de l’anthropologue Pierre Clastres, c’est-à-dire de la société contre l’État. Pour Zibechi, le défi serait de « fuir l’État, d’en sortir », alors que des processus tels que la Commune d’Oaxaca, représentent « des moments épistémologiques, qui font comprendre le non-visible, ce que la vie quotidienne recouvre le reste du temps. La dispersion du pouvoir s’y réalise de deux façons : on assiste, d’une part, à une désarticulation de la centralisation étatique, et d’autre part, ces mouvements ne créent pas de nouvel appareil bureaucratique centralisé, mais adoptent une multitude de formes d’organisation, de sorte qu’à l’intérieur les pouvoirs sont distribués à travers toute la trame organisationnelle ». Il décrit des micro-pouvoirs, s'inspirant ainsi de Foucault, Deleuze et Guattari. Mais à la question -essentielle- de la structuration (démocratique) de telles alternatives, à leur pérennisation, il préfère des alternatives « seulement provisoires. Elles existent aujourd’hui, mais peut-être pas demain ; ce n’est pas un problème, car elles peuvent toujours renaître »15. Mais de telles fondations mouvantes constituent-elles des perspectives solides pour un autre monde possible ? Ne risque-t-on pas alors de tomber dans une politique sans politique, théorisant une certaine impuissance à franchir les obstacles d'une révolution refusant de prendre le pouvoir ? D’ailleurs, si la commune de Oaxaca est sûrement la première grande commune du 21e siècle, comme le rappelle Pauline Rosen-Cros dans ce livre, elle s’est toujours présentée comme une institution au service du peuple et même comme un « espace d’exercice du pouvoir » intégrant « toutes les organisations sociales et politiques, les syndicats démocratiques, les communautés et tout le peuple ». On est donc là, pas vraiment dans une logique d’anti-pouvoir ou même de sa « dispersion », même s’il est exact que pour Holloway c’est bien l’Etat qu’il s’agit de combattre, ce que la commune de Oaxaca a tenté de faire de toutes ses forces.

D'autres auteurs, dans le sillage d'un marxisme plus orthodoxe, ont eu tendance à tordre le bâton dans l’autre sens et insister -à l'inverse- sur la nécessité de prendre le pouvoir d’État pour forger des alternatives solides à l'impérialisme et au capitalisme16. Revendiquant davantage l'héritage cubain ou le processus bolivarien vénézuélien, rappelant (à juste titre) la violence des expériences contre-révolutionnaires en Amérique latine, le sociologue argentin Atilio Borón critique ainsi l'absence de consistance intrinsèque de l'anti-pouvoir face à l'impérialisme, aux militaires ou aux multinationales. Il montre la « fragilité constitutive, sociologique, de la multitude », qui ne parvient pas à prendre forme dans une structure politique large, un projet national capable de résister et construire dans le cadre de la mondialisation (Borón, 2001). Car, autonome mais isolé, un mouvement, une communauté, un collectif peuvent se retrouver cooptés ou marginalisés et réprimés par le pouvoir -lui bien réel- de l’État en place (à ce propos l’histoire argentine est tout à fait exemplaire). Comment alors fédérer une multiplicité d'espaces alternatifs et autonomes pour peser face au rouleau compresseur du capitalisme militaro-industriel néolibéral ? On retrouve là certains traits du débat initié au 19e siècle en Europe par Proudhon, Bakanounine et Marx, mais aussi par les communards parisiens.

Selon le journaliste Serge Halimi, il serait contradictoire de faire « comme si quelques préfigurations d’une utopie « libertaire » (une coopérative à Boston, un mouvement indigène dans le Chiapas, un squat à Amsterdam), et l’établissement de « liens » divers (Internet, Forums mondiaux) entre ces îlots participatifs, pouvaient tenir lieu de stratégie politique. Comme si les expériences locales qu’on élevait sur le pavis n’étaient pas tributaires de décisions nationales ou internationales (niveau de vie du pays, fiscalité, accords de libre-échange, monnaie, guerres...) interdisant de confectionner à part sa petite utopie, « sans prendre le pouvoir ». Comme si un internationalisme légitime devait faire oublier que certains États-nations avaient constitué des terrains de luttes, de solidarité, et permis de garantir les conquêtes ouvrières que la « mondialisation » a entrepris de casser en menus morceaux » 17.

Cette remarque si elle a une certaine pertinence stratégique, n'en néglige pas moins un problème (et pas des moindres !) : les socialismes « réels » du XX° siècle n'ont absolument pas réglé le problème de l'existence de l’État, de sa bureaucratisation, de son autoritarisme, tel que cela a été très justement mis en avant par les mouvements libertaires. Comment « prendre » le pouvoir sans se faire prendre par le pouvoir ou s'en accommoder au nom d'un certain « réalisme » institutionnel (question posée récemment par l'histoire du Parti des travailleurs au Brésil) ? Comment construire des formes de pouvoir populaire constituant, voire de double pouvoir, façonnant des institutions radicalement démocratiques, contrôlées par en bas et socialisant le pouvoir à tous les pores de la société (au lieu de l'étatiser)? Ce qui est en jeu c'est le difficile passage de pouvoirs constituants aux pouvoirs constitués et les modes d'articulation entre démocratie directe, participative et représentative, entre espaces de délibération et de décision : bref la question classique de la « souveraineté » du peuple. Et cette construction-destruction-création doit-elle se déployer en extériorité totale à l’État (pour le mettre à bas) ou bien comme émergence combinée à la fois de formes externes et d'une impulsion venant des institutions gouvernementales? C'est très clairement la question posée par les conseils communaux au Venezuela, effectivement souverains à une certaine échelle, mais dépendant directement d'une relation verticale avec l’exécutif d'Hugo Chávez, comme nous l'explique Mila Ivanovic. Même problème du reste au niveau économique, avec les coopératives, entreprises récupérées et autres expérimentations locales : comment coordonner ces essais autogestionnaires autrement que par le marché, qui tend à désarticuler la dimension alternative de ces espaces ? Et avec quels outils ? Partis, organisations, mouvements ?Et comment envisager la discordance des temps entre les élections -aujourd’hui l’Amérique latine vit dans des régimes constitutionnels, après la nuit noire des dictatures et guerres civiles- et celui, indispensable, des luttes sociales et de l’auto-organisation ? Hervé Do Alto nous rappelle par exemple que l'expérience bolivienne actuelle n'aurait pu voir le jour sans la création du parti-mouvement MAS (Mouvement au socialisme), qui a non seulement porté au gouvernement Evo Morales par les urnes, mais a aussi commencé à démocratiser ce pays, le plus pauvre de l’Amérique du sud. Pour autant, les gouvernements actuels, et leur orientation générale néo-développementiste ou en faveur d’un « capitalisme ando-amozonien », rappellent une fois de plus que les gauches peuvent gagner le gouvernement, sans que le peuple ne gagne pour autant le pouvoir, ni que cela ne signifie un processus de rupture (Toussaint, 2009). A contraire même, il arrive bien souvent que les initiatives venues d’en bas se trouvent en butte à l’autoritarisme d’exécutifs qui, initialement, s’étaient fait élire comme une possible voie du changement. Que penser du gouvernement nationaliste de Ollanta Humala au Pérou, qui avait reçu l’appui de toute une partie de la gauche et de la société civile et qui aujourd’hui incarne la figure d’un gouvernement au service des transnationales minières, prêt à réprimer son peuple. Et qu’en est-il des relations entre toute une partie des mouvements sociaux, indigènes, ouvrier, avec des gouvernements nationalistes-populaires ou progressistes (tels par exemple ceux de Correa en Equateur, Roussef au Brésil ou Morales en Bolivie) : nombreux sont les militant-e-s qui dénoncent ce qu’il considèrent comme un nouveau visage du capitalisme davantage que comme une perspective de réformes post-néolibérales, d’où les conflits à répétition entre ces présidents et une partie de la population ou des travailleurs organisés. Dans ses réflexions sur « l’avenir du socialisme », l’économiste Claudio Katz rappelle que le débat ne porte pas tant sur la réalisation immédiate d’un autre monde possible mais sur son commencement, condition essentielle pour toute avancée future. Il affirme ainsi qu’une stratégie de transformation radicale s’étend nécessairement sur une longue période et, que, dans ce chemin semé d’embuches « tout projet politique et économique, fondé sur la majorité de la population qui présente des signes allant vers l’extension de la propriété collective et la consolidation de l’autogestion populaire, représente une forme embryonnaire de socialisme » (Katz, 2004). C’est à cette aune (et dans les rapports existants avec l’impérialisme) que l’ont peut juger des processus de transformation dans la région. Sur cette base, nul doute que la route apparait encore longue, malgré les sauts réussis vers l’émancipation....

Changer le monde en favorisant l'auto-organisation et en transformant modèle de développement, mode de production, institutions et société : un défi pour penser l'émancipation au 21e siècle... Mais, il s’agit aussi de réussir ici et maintenant d’autres formes de vie possible, faire la démonstration des alternatives, tester in vivo de nouveaux horizons et créer des biens communs : comme le dite Jacinte, militante du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) brésilien, il s’agit de devenir « sujet de sa propre histoire » ou encore selon José Martinez, producteur agroécologique colombien : de recréer « des systèmes de vie ». Jules Falquet rappelle que malgré la violence masculine, néolibérale et guerrière qui règne au Mexique, femmes et féministes ont su reprendre l’initiative. En somme, avec ce livre collectif, nous avons cherché à montrer le moment vertical et le moment horizontal d'une politique de l’émancipation, et leur tensions permanentes. Il s'agit d'une invitation à s’inspirer de la richesse des expériences « par en bas », communautaires, locales, autogérées, mais aussi en partie « par en haut », avec le rôle des partis politiques, des processus constituants, des gouvernements progressistes, afin de reprendre un débat stratégique nécessaire, qui a été en partie enseveli sous les décombres du mur de Berlin et éclipsé par l’asphyxie de la révolution cubaine.

Pour Richard Neuville :

« La diversité des expériences [en cours] démontre amplement la richesse des pratiques émancipatrices à l’œuvre dans le sous-continent latino-américain. Elles expriment des rapports différenciés au pouvoir. […] Dans leur diversité, les mouvements sociaux interrogent clairement la question de la démocratie dans ses aspects économique, politique et social, que ce soit au travers du contrôle et la gestion directe de la production, la participation active aux instances de décision ou l’auto-organisation et l’autonomie. En cela, avec des nuances, ils peuvent être catégorisés comme mouvements autogestionnaires » (2012).

Il s'agit aussi de penser les liens entre le champ social et politique que posent ces expériences variées, afin de poursuivre une réflexion toujours ouverte. Ceci, pour reprendre des figures théoriques évoquées plus haut, afin d'envisager l'articulation entre critique « artiste » et « sociale » du capitalisme, entre la Voice et l'Exit, entre utopies concrètes et projets politiques post-capitalistes et écosocialistes. Car, au moment de parcourir les exemples que nous présentons ici, on peut faire l’hypothèse qu’en Amérique latine, les dénonciations de l’aliénation néolibérale ou les essais d’émancipation communautaires restent précisément connectés à la critique sociale et environnementale du capitalisme (OSAL, 2012) et, surtout, à ses mouvements populaires. C’est d’ailleurs ce qui fait la force du panorama actuel dans le sous-continent. Avec, évidemment, bien d'autres questions fondamentales qu’il faudra traiter : celle des modèles de développement au moment où extractivisme et écocides font des ravages dans tout le continent, celle des rapports de "race" et de genre, celle des intégrations régionales et de la solidarité internationale. Vaste programme en perspective !

Comme le remarquait Daniel Bensaïd lors de son débat avec John Holloway :

« Il faudra bien oser aller au-delà de l’idéologie, plonger dans les profondeurs de l’expérience historique, pour renouer les fils d’un débat stratégique enseveli sous le poids des défaites accumulées. Au seuil d’un monde en partie inédit, où le nouveau chevauche l’ancien, mieux vaut reconnaître ce qu’on ignore, et se rendre disponible aux expériences à venir, que de théoriser l’impuissance en minimisant les obstacles à franchir » (ContreTemps, 2003).

 

Ce petit livre collectif est une invitation au voyage, au débat le plus large et à penser d'autres possibles pour demain. Une invitation au « principe espérance » et à l’optimisme que défendait le philosophe Ernst Bloch18, par delà les catastrophes et la barbarie qui guettent. Une conviction : ces utopies concrètes vues du Sud, venues de la « grande patrie » de José Marti et de Mariátegui, peuvent, avec d’autres, nous aider à nous réarmer sur le plan des idées et à (re)penser comment transformer le monde.

 

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C. Whithaker, Changer le monde. Nouveau mode d'emploi, Editions de l'Atelier, Paris, 2006.

R. Zibechi, Disperser le pouvoir : les mouvements comme pouvoirs anti-étatiques, L'Esprit frappeur, Paris, 2009.

 

Nos contenus sont sous licence Creative Commons, libres de diffusion, et Copyleft. Toute parution peut donc être librement reprise et partagée à des fins non commerciales, à la condition de ne pas la modifier et de mentionner auteur·e(s) et URL d'origine activée.

  • 1. Merci à Emmanuel Delgado Hoch des éditions Syllepse pour ses commentaires critiques à ce texte. Le résultat final restant, comme il se doit, de mon entière responsabilité.
  • 2. Il s’agit en réalité d’une grande variété de gouvernements : de centre-gauche, progressistes, sociaux-libéraux ou national-populaires suivant les configurations socio-historiques nationales, et leurs relations aux mouvements sociaux, à l'impérialisme et aux classes dominantes.
  • 3. Caracazo : insurrection populaire survenue le 27 février 1989 à Caracas contre la politique néolibérale et les hausses de tarifs, imposées par le président social-démocrate Carlos Andrés Pérez. La répression policière causa, selon les estimations, entre 1000 et 3000 morts.
  • 4. Sur cette nouvelle génération de Coups d’Etat, parfois dits « légaux », voir : «  Coup d’Etat au Paraguay  », 23 juin 2012 et « Honduras, un an après le coup d’Etat » (par Renaud Lambert), La valise diplomatique, 28 juin 2010, www.monde-diplomatique.fr.
  • 5. N. Klein, La Stratégie du choc, Actes Sud, Paris, 2008.
  • 6. Voir également le dossier : « Menos desigualdades, ¿más justicia social? », Nueva Sociedad, N°239, Junio 2012, www.nuso.org.
  • 7. Dans leur livre, Boltanski et Chiapello distinguent la critique « artiste » dénonçant l’aliénation, la société de consommation et l’inauthenticité du capitalisme (souvent assumée par des étudiants, artistes et intellectuels), de la critique « sociale », centrée sur l’exploitation et portée par le mouvement ouvrier ; l’une étant récupérée par le système du management et largement déconnectée de l’autre, dès ses débuts, en 1968 (Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999).
  • 8. Albert O. Hirschman, Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995.
  • 9. Sur la notion métisse de « bien vivre » et indigène de Sumak Kawsay, voir l’article de Matthieu Le Quang sur l’Equateur dans ce volume.
  • 10. Voir le riche reportage sur plusieurs utopies communautaires européennes de Isabelle Fremeaux et John Jordan : Les Sentiers de l’utopie, Zones – La Découverte, Paris, 2011 et le compte rendu critique de F. Poupeau : « Peut-on changer le monde ? Des gens formidables... », Le Monde Diplomatique, Paris, novembre 2011.
  • 11. Le concept de « colonialité du pouvoir » a été présenté pour la première fois par l’intellectuel péruvien Anibal Quijano. Selon ce dernier, la matrice coloniale se fonde sur quatre piliers : l’exploitation de la force de travail, la domination ethno-raciale, le patriarcat et le contrôle des formes de subjectivité (ou imposition d’une orientation culturelle eurocentriste). Deux siècles après les indépendances latinoaméricaines, cette matrice resterait encore centrale dans les rapports sociaux : « cette colonialité du pouvoir s’est avérée plus durable et plus enracinée que le colonialisme au sein duquel il a été engendré, et qu’il a aidé à s’imposer mondialement », s’inscrivant alors dans une domination de type post-coloniale (Quijano, 2007).
  • 12. L’idée du « En bas, à gauche » est une référence centrale de l’expérience zapatiste.
  • 13. D. Bensaïd, « La Révolution sans prendre le pouvoir ? À propos d’un récent livre de John Holloway » (ContreTemps, 2003)
  • 14. Les piqueteros sont les « travailleurs désoccupés » en Argentine, ayant mené de grand « piquets » de grève en barrant les routes depuis la crise de 2001.
  • 15. Voir l’intéressant entretien de Zibechi paru dans la revue libertaire Réfractions (2007).
  • 16. Sur ce débat stratégique international et ses prolongements, tout comme les réponses apportées par Holloway voir : Contra y más allá del Capital (2006).
  • 17. S. Halimi, « Quelle société future ? Dernières nouvelles de l’Utopie », Le Monde Diplomatique, Paris, août 2006.
  • 18. A. Münster, Ernst Bloch, messianisme et utopie, PUF, Paris, 1989.
date: 
10/01/2013 - 15:54
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3 novembre 2013 7 03 /11 /novembre /2013 12:26

 

 

 


Un Guarani. Des hommes armés ont pris position autour d'une communauté guarani et ont tiré des coups de feu.
Un Guarani. Des hommes armés ont pris position autour d'une communauté guarani et ont tiré des coups de feu.

© Fiona Watson/Survival

Les Indiens guarani du Brésil craignent une effusion de sang imminente alors que des hommes armés connus pour avoir assassiné des leaders indiens au cours des dernières années ont pris position autour d’eux et ont tiré des coups de feu.

Les Guarani ont rapporté que les hommes armés, de la compagnie de sécurité Gaspem de triste notoriété, ont été recrutés par les éleveurs locaux et se sont positionnés dans un rayon de 100 mètres autour d’eux.

Un Guarani présent sur les lieux a déclaré à Survival : ’C’est la guerre. Les hommes armés nous menacent et ils veulent nous tuer. Ils veulent tous nous exterminer, mais ils n’y parviendront pas parce que nous, les Indiens, sommes forts et parce que nos chefs spirituels sont ici. Nous voulons que le monde sache ce qu’il nous arrive’.

Les Guarani ont rapporté que les hommes armés appartiennent à la compagnie de sécurité Gaspem, une 'milice privée' de triste notoriété'.
Les Guarani ont rapporté que les hommes armés appartiennent à la compagnie de sécurité Gaspem, une 'milice privée' de triste notoriété'.

© Survival

En septembre dernier, les procureurs avaient ordonné la suspension de Gaspem, caractérisant la compagnie de ‘milice privée … qui use de violence contre les Guarani… en recrutant des brutes qu’ils appellent ‘gardes de sécurité’.

Cette violence fait suite à la récente réoccupation des Guarani d’une partie de leurs terres ancestrales qui leur avait été spoliée pour faire place à un ranch de bétail, il y a près de 40 ans.

Environ 500 Guarani de la communauté Yvy Katu ont réoccupé cette terre le mois dernier, ne pouvant plus supporter les conditions dégradantes auxquelles ils étaient réduits sur le minuscule lopin de terre où ils vivaient depuis 2004.

Des milliers de Guarani du Brésil font pression pour que leurs territoires ancestraux leurs soient restitués, comme le garantit la Constitution du Brésil, mais le processus de cartographie de leurs terres est interrompu, ce qui condamne les Guarani à supporter la malnutrition, la maladie, la violence et l’un des taux de suicide les plus élevés au monde.

La plupart des terres guarani ont été transformées en vastes plantations de canne à sucre qui approvisionnent des compagnies étrangères, telles que le géant alimentaire américain Bunge.

Plusieurs leaders guarani ont été tués par des hommes armés après la réoccupation d’une partie de leurs terres.

Source

Via Brésil: Les Indiens guarani craignent une effusion de sang imminente - WikiStrike.com

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31 octobre 2013 4 31 /10 /octobre /2013 10:13

 

 


Fillette guarani devant son abri en bord de route - des champs sans fin ont remplacé la forêt luxuriante de son peuple. Beaucoup d'enfants se sont suicidé, la plus jeune n'avait que neuf ans.
Fillette guarani devant son abri en bord de route - des champs sans fin ont remplacé la forêt luxuriante de son peuple. Beaucoup d'enfants se sont suicidé, la plus jeune n'avait que neuf ans.

© Paul Patrick Borhaug

Attention : contient des images choquantes

A la veille de la journée mondiale de la santé mentale, le 10 octobre, Survival International révèle de nouvelles données sur le suicide qui affecte les Guarani du Brésil. Face à la perte de leurs terres ancestrales et aux attaques constantes des hommes de main armés, les Indiens affrontent un taux de suicide au moins 34 fois plus élevé que la moyenne nationale.

Les chiffres montrent qu’en moyenne, au moins un Guarani s’est suicidé chaque semaine depuis le début de ce siècle. Selon le ministère brésilien de la Santé, 56 Indiens guarani se sont suicidé en 2012 (les chiffres réels sont probablement plus élevés en raison du manque d’information). La majorité des victimes avaient entre 15 et 29 ans, et la plus jeune n’avait que 9 ans.

Rosalino Ortiz, un Guarani, a déclaré : ‘Les Guarani se suicident car nous n’avons plus de terre. Autrefois nous étions libres, mais aujourd’hui nous ne le sommes plus. Alors nos jeunes pensent qu’il ne leur reste plus rien. Ils s’assoient et pensent, ils se perdent et se suicident’.

Les Guarani ont perdu la majeure partie de leur terre ancestrale – avec laquelle ils possèdent une forte relation spirituelle – transformée en pâturages et en plantations de canne à sucre. Les Indiens sont forcés de vivre dangereusement et dans des conditions déplorables au bord des routes ou dans des réserves surpeuplées, ils souffrent de malnutrition et d’alcoolisme et leur santé est précaire.

La majorité des victimes avaient entre 15 et 29 ans.
La majorité des victimes avaient entre 15 et 29 ans.

© João Ripper/Survival

Les communautés qui tentent de retourner sur leur terre sont confrontées à une extrême violence, les fermiers employant des hommes de main pour les attaquer et, souvent, pour les tuer.

La démarcation des terres guarani devait avoir lieu il y a plusieurs années, mais le processus est aujourd’hui gelé et les hommes politiques brésiliens débattent actuellement sur un amendement constitutionnel qui donnerait au Congrès, influencé par le lobby agricole anti-Indien, davantage de pouvoir dans le processus de démarcation. Ce projet de loi serait désastreux pour les Guarani et leur lutte pour leur terre.

Survival International appelle le gouvernement brésilien à démarquer les terres guarani de toute urgence et exhorte les compagnies telles que la nord-américaine Bunge à cesser d’acheter de la canne à sucre en provenance des terres guarani.

Stephen Corry, directeur de Survival International, a déclaré aujourd’hui : ‘Ces suicides sont un rappel brutal et déchirant de la dévastation que provoque pour les peuples indigènes le vol de leurs terres. Malheureusement, les Guarani ne sont pas un cas isolé – les peuples indigènes à travers le monde souffrent souvent d’un taux de suicide plus élevé que la population nationale. Le soi-disant ‘progrès’ détruit fréquemment les peuples indigènes, mais dans ce cas précis, la solution est claire : il faut démarquer les terres guarani avant que d’autres vies innocentes ne soient perdues’.

Note aux rédactions :

Visionner la galerie photos sur la réoccupation courageuse d’une partie des terres ancestrales de la communauté guarani de Apy Ka’y

Télécharger le rapport de Survival sur les Guarani (en anglais).

 

http://www.survivalfrance.org/actu/9641

Via Une épidémie de suicides dévaste les Guarani - WikiStrike.com

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13 octobre 2013 7 13 /10 /octobre /2013 19:58

 

 

Carmelo Ruiz Marrero

mercredi 9 octobre 2013, mis en ligne par Dial

L’Institut national pour la recherche agronomique (INRA, France), l’un des organismes moteurs de la révolution verte dans les années 60, avec, comme corolaire, l’utilisation massive d’engrais et de pesticides, a fait depuis 2010 de l’agroécologie un de ses deux chantiers scientifiques prioritaires. Dans un entretien publié sur le site du journal Le Monde Philippe Lemanceau, actuel directeur de l’unité Agroécologie à l’INRA, expliquait ainsi récemment :

« On s’est rendu compte que l’agriculture avait, certes, pour objectif la production et la sécurité alimentaire, mais aussi celui de rendre des services environnementaux – éviter de contribuer au réchauffement climatique, empêcher la détérioration des sols, garantir une eau pure, éviter les invasions de pathogène – le tout dans un contexte de forte croissance démographique au niveau mondial. C’est un changement de paradigme : on n’est plus dans l’affrontement entre agronomie et écologie, agriculture productiviste et écosystèmes, mais dans leur réconciliation. » [1]

Dans ce contexte, nous proposons de faire retour sur l’expérience novatrice cubaine, conduite depuis les années 1990. Article de Carmelo Ruiz Marrero publié par 80grados (Puerto Rico), le 7 juin 2013.


« Durant les années les plus difficiles de la Période spéciale [2], nos paysans et nos chercheurs en agronomie ont trouvé d’innombrables solutions innovantes. Il y avait un objectif et une priorité : récupérer nos systèmes agricoles et produire le nécessaire à notre alimentation. Nous avions cependant besoin de concepts qui intègrent et adaptent les changements déjà inévitables, et nous les avons trouvés dans l’agroécologie. » Orlando Lugo Fonte, président de l’Association nationale des petits producteurs de Cuba [3]

Cuba est le pays qui a le plus avancé dans le passage de la production agricole traditionnelle à la production biologique, et dans le laps de temps le plus court. De nombreux experts et observateurs ont rendu compte et fait l’éloge du succès de cette transition, parmi lesquels Peter Rosset, Miguel Altieri, et les organisations Food First et Worldwatch Institute [4]. Elles ont même fait l’objet d’un documentaire intitulé The Power of Community : How Cuba Survived Peak Oil [5].

Le pays s’est trouvé dans une situation très inhabituelle et critique au début des années 90. Avec l’effondrement du bloc soviétique, les aides que recevait Cuba sous forme de produits alimentaires et d’intrants agricoles ont cessé du soir au matin, provoquant une crise sans précédent. Mais le pays s’en est sorti grâce à la transformation réussie de son modèle agricole, en l’orientant vers une agroécologie reposant sur de petites unités de production.

Lors du mois de mars passé, alors que je séjournais dans la ville colombienne de Medellín, j’ai eu le grand plaisir d’échanger avec les professeurs cubains Fernando Funes et Luis Vázquez, deux avocats de l’agroécologie jouissant d’une reconnaissance internationale et enseignants du programme doctoral de la Société scientifique latino-américaine d’agroécologie [6]. Entre de longues promenades dans le centre-ville et quelques bières dans le quartier de Pilarica, nous avons pu longuement dialoguer sur les défis de l’agriculture, l’écologie et le socialisme. Cet article se fonde sur ces conversations et sur des écrits de Funes et d’autres auteurs.

Funes écrit qu’après le retrait de l’aide soviétique « la situation critique ainsi créée dans le secteur agricole cubain ouvrit la voie à la transformation de la structure agraire et à la possibilité d’atteindre une nouvelle dimension technologique, économique, écologique et sociale, ceci afin de parvenir à la sécurité alimentaire grâce à de nouvelles méthodes et de nouvelles stratégies » [7].

Avant de chercher à appliquer les expériences cubaines dans d’autres pays et contextes, il faut connaître la conjoncture unique et extraordinaire de Cuba. La révolution de 1959 et la réforme agraire qui la suivit ont été un événement unique dans l’histoire de l’Amérique latine. Lors de la révolution cubaine la classe dominante a été extirpée à la racine et expulsée. Les classes possédantes latino-américaines, appuyés par les redoutables services de contre-insurrection états-uniens n’ont lésiné sur aucun moyen pour s’assurer que jamais ne se reproduise une révolution telle que celle de Cuba.

Un des principaux facteurs du succès de l’agriculture écologique et de la souveraineté alimentaire à Cuba est l’appui de l’État. L’expérience cubaine prouve de façon saisissante que pour se lancer sur la voie de l’agroécologie un engagement important du secteur public est nécessaire, et contredit l’image d’un gouvernement cubain bureaucratique, sans créativité ni imagination. Si l’État cubain avait été aussi rigide et impuissant que le prétendent les détracteurs de la révolution il n’aurait pas pu prendre, de façon rapide et décisive, les mesures nécessaires pour éviter une crise alimentaire fatale.

Parmi les décisions concrètes prises par le gouvernement il faut inclure la mise en place de 276 établissements de reproduction d’entomophages et d’entomopathogènes (organismes qui sont des ennemis naturels des fléaux agricoles), un Programme national d’agriculture urbaine subdivisé en 26 sous-programmes qui englobent la production de légumes, de plantes médicinales, de condiments, de grains, de fruits et l’élevage d’animaux (poules, lapins, ovins, caprins, porcins, abeilles et poissons), qui ont été développés dans l’ensemble du pays, ainsi qu’un programme de promotion de l’agriculture écologique dans le cadre de l’Association nationale des petits agriculteurs (ANAP).

Funes décrit les fondements de cette révolution agricole écologique : « Ces avancées vont de l’usage de biologique-pesticides et de contrôles biologiques jusqu’aux diverses utilisations d’engrais biologiques, compost, humus de vers de terre, de biotierra [8], de la traction animale etc. à grande échelle et de manière rapide ». Les techniques qui ont été explorées et développées intègrent aussi la polyculture, la rotation, l’utilisation intelligente de légumineuses qui fixent l’azote et une grande variété de solutions écologiques aux problèmes des fléaux agricoles et des mauvaises herbes.

Conjointement à l’innovation, il y a eu une reconnaissance pleine et entière de traditions anciennes de grande pertinence et utilité. Funes explique : « La combinaison des pratiques traditionnelles de culture et de fertilisation biologique courantes dans la campagne cubaine, apportées d’Europe par les immigrants espagnols il y a plusieurs siècles, et des stratégies adaptées d’utilisation du climat, des phases de la lune et souvent même des croyances religieuses et dictons enracinés dans la sagesse paysanne, a permis, sans aucun doute, que ce secteur ait été celui qui s’est récupéré de la manière la plus convaincante et rapide de la crise ouverte par l’arrêt de la fourniture d’intrants. »

Mais l’action de l’État à elle seule, bien que nécessaire, n’est pas suffisante pour faire avancer l’agroécologie. On en a déjà eu la preuve au Venezuela, en Bolivie et en Équateur, où des gouvernements progressistes à orientation bolivarienne souhaitent agir en faveur de la souveraineté alimentaire et de l’agroécologie et en ont fait des politiques d’État. De façon hiérarchique, du haut vers le bas, ces gouvernements ont transmis des directives à cet effet aux universités publiques et aux ministères de l’agriculture, et rien ne s’est passé. Les bureaucrates, agronomes et universitaires formés dans le moule de l’agriculture industrielle et conventionnelle (connu comme le modèle de la révolution verte) ont tout simplement ignoré les instructions des hautes sphères et ont continué à faire ce qu’ils avaient toujours fait, privilégier la monoculture et les engrais chimiques toxiques et refusé de s’ouvrir aux aux nouveaux discours et concepts agricoles issus de l’écologie et de la mobilisation populaire.

Cuba a évité que sa révolution agricole subisse ce sort grâce à une combinaison de décentralisation et de modèles participatifs. Les entreprises agricoles d’État ont cédé la place à des Unités de base de production coopérative. Funes explique que « l’idée de “se sentir maître” a favorisé un engagement plus important dans la prise de décision et a placé l’individu en situation d’élaborer des stratégies d’autogestion, à une échelle moindre dans ce cas, ce qui a joué en faveur de résultats économiques et d’une productivité supérieures [9] ».

La révolution cubaine agroécologique s’est distinguée par le développement de méthodologies participatives nouvelles et novatrices dans le domaine de la recherche agricole en employant des processus horizontaux de validation, débat et adaptation des nouvelles idées et propositions. Ces méthodologies, qui doivent beaucoup à la pédagogie de Paulo Freire, sont connues collectivement comme : Paysan à paysan (CAC, pour son sigle en espagnol). Né en Amérique centrale dans les années 70, le CAC a révolutionné l’agriculture écologique dans toute l’Amérique latine et commence à avoir une influence à niveau mondial.

Selon l’ouvrage récent Révolution agroécologique à Cuba, « le CAC est une méthodologie dynamisante qui place le paysan et sa famille dans une situation de protagonistes de leur propre destin ; par contraste avec l’extensionismo classique [10] – étatique et démobilisateur de la base paysanne – s’appuyant sur le technicien comme vecteur du savoir… il s’appuie sur la transmission horizontale et l’élaboration collective de connaissances, pratiques et méthodes. C’est-à-dire qu’il essaie d’intégrer tradition et innovation paysannes en complément des résultats de la recherche scientifique en agroécologie. En résumé, affirme le livre, « l’agroécologie a réussi en dix ans environ ce que le modèle traditionnel n’a jamais réussi ni à Cuba ni ailleurs : produire plus avec moins de moyens (devises, intrants et investissements » [11].

D’après Orlando Lugo Fonte, président de l’ANAP, le facteur le plus important dans le succès de l’agroécologie à Cuba, c’est « la Révolution, qui nous a donné et garanti la propriété de la terre, qui socialement, techniquement et sur le plan éducatif nous a fait progresser ; qui nous a inculqué les valeurs du collectivisme, la coopération et la solidarité. Mais par-dessus tout, elle a donné leur dignité à l’homme et à la femme du monde paysan et les a rendus maîtres et responsables de beaucoup plus que de leur parcelle. Elle en a fait des femmes et des hommes conscients de leur responsabilité : nourrir le peuple et protéger l’environnement afin que les générations futures de Cubains puissent aussi se nourrir et disposent de terres propres et saines où vivre. »

« Grâce à toute son histoire révolutionnaire, depuis le XIXe siècle, la paysannerie cubaine a accumulé de très nombreuses expériences », affirme João Pedro Stédile, membre de la Coordination nationale de La Via Campesina - Brésil et du Mouvement des sans terre (MST). « En plus d’être passée par la Révolution verte, la paysannerie cubaine a maintenu vivante sa Révolution populaire et résiste désormais depuis 50 ans à toutes les agressions de l’impérialisme. Pour cette raison, c’est aujourd’hui le secteur paysan le mieux préparé, idéologiquement et scientifiquement, pour nous aider, nous les paysannes et paysans du monde, à affronter les défis qu’impose le capital. » [12]

Il ne faudrait pas pour autant oublier toute perspective critique et avoir une vision romantique ou idéalisée de la réalité cubaine. L’agroécologie à Cuba affronte de sérieux défis et contradictions [13]. Le gouvernement cubain ne semble pas avoir l’intention d’écarter le modèle d’agriculture traditionnelle ; en outre, il est en train de développer des cultures transgéniques [14], chose que Funes a critiquée publiquement [15]. Certains, dans les hautes sphères du Parti communiste, voient l’agroécologie comme un pansement temporaire à abandonner une fois terminée la période spéciale. Mais Funes et bien d’autres agriculteurs cubains sont convaincus que l’agroécologie est aujourd’hui le chemin adéquat et le restera demain : « Pratiquons aujourd’hui une agriculture biologique non par nécessité mais avec la conviction que c’est réellement la voie à suivre » [16].


  • Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3253.
  • Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
  • Source (espagnol) : 80grados, 7 juin 2013.

 

Notes

[1Bolis, Angela, « L’agroécologie, un chantier prioritaire pour l’INRA : entretien avec Philippe Lemanceau », Le Monde.fr, 24 avril 2013. http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/04/24/l-agroecologie-un-chantier-prioritaire-pour-l-inra_3165681_3244.html. [consulté le 9 octobre 2013].

[2Nom donnée à la période de crise économique qui a suivi la dissolution de l’URSS en 1991, qui a eu notamment pour conséquence de réduire considérablement l’approvisionnement en hydrocarbures de l’île.

[3Citation tirée du prologue rédigé par Orlando Lugo Fonte pour l’ouvrage Revolución agroecológica en Cuba : el movimiento Campesino a campesino de la ANAP en Cuba [Révolution agroécologique à Cuba : le mouvement Paysan à paysan de l’ANAP à Cuba], de B. M. Sosa, A. M. Roque Jaime, D. R. Avila Lozano et P. M. Rosset. Première édition publiée à Cuba en 2010.

[4Fernando Funes et al., Sustainable Agriculture and Resistance : Transforming Food Production in Cuba [Agriculture durable et résistance : transformer la production alimentaire à Cuba], Food First Books ; Ben Block, « Traditionnal Farmer Knowledge Leads Cuba to Organic Revolution », Worldwatch Institute.

[5Ce documentaire peut être vu et téléchargé librement (anglais sous-titré espagnol) : http://vimeo.com/8653921 – note DIAL.

[6Blog du programme doctoral de la SOCLA : http://doctoradoagroecoudea.wordpress.com/.

[7Fernando Funes Monzote, « La agricultura cubana en camino a la sostenibilidad » [L’agriculture cubaine sur la voie de l’agriculture durable], revue LEISA, juillet 2001.

[8Mélange de terre et de compost, principalement à base de résidus de canne à sucre.

[9Le féminin pluriel provient de l’application de la règle de l’accord de proximité – note DIAL.

[10Politiques publiques visant à fournir aux agriculteurs différents outils technologiques susceptibles d’améliorer la productivité – note DIAL.

[11B. M. Sosa, A. M. Roque Jaime, D. R. Avila Lozano et P. M. Rosset, Revolución agroecológica en Cuba : el movimiento Campesino a campesino de la ANAP en Cuba [Révolution agroécologique à Cuba : le mouvement Paysan à paysan de l’ANAP à Cuba], Cuba, 2010.

[12Citation tirée du prologue de João Pedro Stédile à Revolución agroecológica en Cuba , op. cit.

[13Miguel Altieri et Fernando Funes Monzote « La paradoja de la agricultura cubana » [Le paradoxe de l’agriculture cubaine], http://www.nodo50.org/ceprid/spip.php?article1395.

[14Informations sur les OGM à Cuba rassemblées par le Projet de biosécurité de Porto Rico, http://bioseguridad.blogspot.com/search/label/Cuba.

[15Transgénicos : ¿Qué se gana ? ¿Qué se pierde ? Textos para un debate en Cuba [Transgéniques : que gagne-t-on ? que perd-t-on ? Textes pour un débat à Cuba], textes rassemblés par Fernando Funes Monzote et Eduardo Francisco Freyre Roach, http://www.cfv.org.cu/publicaciones/lib64transg.html.

[16On peut voir en ligne une conférence donnée par Fernando Funes sur « L’agroécologie à Cuba » (espagnol)

 

Source : CUBA - Agroécologie : l’autre révolution - AlterInfos - América Latina

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28 septembre 2013 6 28 /09 /septembre /2013 18:42

 

Un texte qui exprime bien mieux que je ne pourrais le faire cette inquiétude croissante que je ressens face à l'évolution économique de l'ensemble de l'Amérique Latine.

En ce moment doit se voter une nouvelle loi des semences au Venezuela. Le Venezuela de Chavez, était un Venezuela sans OGM, donnant priorité aux moyens de la souveraineté alimentaires et aux semences locales, s'appuyant sur la Via Campesina comme conseillère. Ce projet semble péricliter, être condamné, des voix s'élèvent au Venezuela pour interpeller Maduro à ce sujet, mais je n'ai pas trouvé de sa part ou de la part de son gouvernement de réponse à ces questions qui concerne la protection des semences, le développement de la souveraineté alimentaire, le développement de commune agricoles d'agriculture traditionnelle.... Beaucoup à dire mais qui demanderait un immense travail pour rassembler les données sur tous le continent Sud.


Nous constatons aussi que cette ruée extractiviste atteint l'Europe, comme si les trnasnationales voulaient se dépécher de vider à jamais de leurs ressources les veines tailladées de la planète Terre.

 

 

Ruée vers l’or extractiviste en Amérique latine

 

extrativisme

La fuite en avant extractiviste de la presque totalité des pays d’Amérique latine ne cesse de s’amplifier. À tel point que le thème s’est invité au 9e sommet des chefs d’état de l’Alliance bolivarienne des Amériques (ALBA), tenu à Guayaquil, en Équateur, du 28 au 30 juillet dernier.

Dans leur déclaration finale, les présidents des neuf pays membres (les plus à gauche de l’Amérique latine : Cuba, Venezuela, Bolivie, Équateur, Nicaragua, etc.) prennent la peine de rejeter « la position extrémiste de groupes déterminés qui, sous le mot d’ordre d’anti-extractivisme, s’opposent systématiquement à l’exploitation de nos ressources naturelles ».

Deux semaines plus tard, le 15 août, le président équatorien, Rafael Correa, mettait fin au moratoire pétrolier dans le parc national Yasuni, moratoire en échange duquel Quito demandait à la communauté internationale une compensation de 3.6 milliards de dollars, soit la moitié des revenus que l’exploitation pétrolière aurait rapporté au gouvernement.

>Le président a accusé d’hypocrisie les pays riches qui profitent de la biodiversité du parc Yasuni, mais refusent de payer pour sa sauvegarde. Il a certainement raison, mais l’hypocrisie tombe bien car, six mois auparavant, le gouvernement équatorien avait conclu des accords d’investissements pétroliers records d’une valeur de 1,7 milliard de dollars!

Le 12 juillet, le président bolivien, Evo Morales, annonçait un projet de loi soustrayant les activités de prospection et d’exploration minières à l’obligation de consultation préalable auprès des populations indigènes prévue dans la Constitution du pays.

De plus, le projet limite à quatre mois le processus de consultation préalable pour le volet exploitation et stipule que, si, au bout de ce délai, une communauté n’est pas parvenue à un accord (et on sait combien les compagnies minières peuvent diviser une communauté!), la décision d’implanter un projet minier revient au ministère des Mines.

En Argentine, la présidente Cristina Fernandez annonçait, le 16 juillet, un important accord avec nulle autre que la transnationale états-unienne Chevron, la même qui, aujourd’hui, dépense 400 millions de dollars et emploie 900 avocats pour renverser une sentence des juges équatoriens la condamnant à verser des milliards de dollars à l’Équateur pour avoir affecté la santé de 30 000 personnes en déversant 63 milliards de litres d’eau toxique en Amazonie.

Le gisement pétrolier de Vaca Muerta, dans la province de Neuquen, est concédé à Chevron pour 35 ans alors que la Constitution argentine limite la durée des concessions minières à 25 ans. À la fin de ces 35 ans, explique le journaliste argentin Facundo Gutierrez Galeno, Chevron aura investi 8,25 milliards de dollars, mais aura récupéré 61,3 milliards pour une rentabilité minimale de 742%!

La présidente a aussi récemment conclu un accord avec Monsanto pour la création d’une «semence transgénique nationale de soja» et mis son véto à une loi de protection des glaciers jugée trop radicale.

En 2002, au début de l’ère des Kirchner, il y avait 18 projets miniers dans le pays contre 614 en 2011!

Depuis le 7 juillet, les paysans et petits producteurs agraires de presque toutes les provinces colombiennes ont mené sans interruption une « grève agraire nationale » contre l’ensemble de l’œuvre du gouvernement Santos, incluant son projet principal de «locomotive minière» de l’économie colombienne.

Au cours des vingt dernières années, plus d’un million de paysans ont été déplacés par la violence étatique et paramilitaire en Colombie, pour faire place à des projets extractivistes.

Au Mexique, le président du PRI Enrique Pena Nieto envoyait au Sénat, le 12 août, un projet réformant les articles 27 et 28 de la Constitution mexicaine pour «ouvrir le secteur énergétique (pétrole et électricité) au capital privé national et étranger».

L’ouverture concerne au premier chef la pétrolière PEMEX, nationalisée en 1938 par le président Lazaro Cardenas, et qui, selon l’anthropologue mexicain Arsinoé Orihuela, finance le tiers des dépenses publiques actuelles du gouvernement mexicain.

Cette réforme a une seule fin, écrit Orihuela: « Le transfert à des firmes privées étrangères de la puissance, de la propriété et de la rente qui, constitutionnellement, appartiennent à la nation. Cela poursuit le processus historique monumental de dépouillement des ressources naturelles, territoriales (Californie, Texas, etc.) et humaines du Mexique ».

Partout ailleurs, l’extractivisme prend les airs de ruée vers l’or.

Au Pérou, le président Humala doit concrétiser un pacte d’investissements miniers d’une valeur de 60 milliards de dollars conclu avec la puissante oligarchie de ce secteur.

Au Guatemala, nous dit le Projet Accompagnement Québec-Guatemala, les concessions minières sont passées, entre 2005 et 2013, de 111 à 379, alors que 656 autres demandes sont en attente de traitement par le gouvernement. Même le gouvernement haïtien de Michel Martelly prépare une «loi attrayante» pour attirer les investisseurs du secteur minier.

Selon la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine), 71.2% des exportations de toute l’Amérique latine provient aujourd’hui des secteurs énergétique (44,5%) et minier (26,7%).

Les initiatives d’extraction ou de monocultures ont de forts impacts sur la vie des populations là où elles s’implantent, générant de nombreux conflits sociaux. Le 31 mai 2013, l’Observatoire des conflits miniers en Amérique latine (OCMAL) en dénombrait 172, répartis dans dix-huit pays de la région et, cela, pour le seul secteur minier.

Dans les pays progressistes, dit le sociologue vénézuélien, Emiliano Teran Mantovani, les politiques assistancialistes de redistribution de la richesse sont financées par l’extractivisme. Elles amènent la modernité capitaliste (autoroutes, centres d’achat, mode de vie et valeurs consuméristes) dans de nouveaux territoires, dissolvent communautés, savoirs, cultures, économies ancestrales, etc., et découragent fortement les économies productives.

L’augmentation de la consommation et de l’individualisme qu’apporte l’extractivisme est une bombe à retardement qui a commencé d’exploser dans des pays comme le Venezuela et l’Argentine, où une importante partie de la population est prête à voter pour l’opposition de droite à la moindre difficulté économique réelle ou inventée que traverse le pays.

Malgré une décennie de soi-disant rupture avec le néolibéralisme, continue Mantovani, tous les gouvernements de la région sont plus que jamais en position de grande dépendance envers les exportations de ressources naturelles non transformées.

Non seulement les pays d’Amérique latine se font-ils déposséder de richesses, dont leur population aura grand besoin plus tard, mais en confiant une importante partie de leur économie à des transnationales étrangères et en s’insérant toujours davantage dans la globalisation capitaliste, ils deviennent vulnérables à toutes sortes de chantages.

Mantovani donne l’exemple des pénuries alimentaires qui touchent le Venezuela. Celles-ci sont d’autant plus facilement orchestrées par la droite, soutient-il, que le pays ne produit pas la plupart des aliments qu’il consomme et importe ceux-ci de l’étranger.

De plus, l’embellie causée par les prix élevés des ressources naturelles a déjà commencé à décliner, tirant vers le bas les taux de croissance des pays de la région. Or, ces pays n’ont prévu aucune alternative aux importantes baisses de revenus provenant de l’extractivisme!

On s’attend certes à cela de régimes néolibéraux qui pensent à court terme (Colombie, Mexique, Pérou, Chili, etc.) mais, dans le cas des gouvernements populaires, on ne peut manquer d’être complètement abasourdi par un manque de planification aussi suicidaire.

André Maltais

Source :
Ruée vers l’or extractiviste en Amérique latine | Mondialisation

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31 août 2013 6 31 /08 /août /2013 22:13

 

 

Un entretien avec la chercheuse et révolutionnaire Eva Golinger


Entretien avec l’essayiste et révolutionnaire Eva Golinger, gagnante du Prix International de Journalisme de Mexico (2009) et appelée « La fiancée du Venezuela » par le président Hugo Chavez. Eva est une avocate et écrivaine newyorkaise qui vit à Caracas depuis 2005, et auteur du best-seller « Le Code Chavez. La CIA contre le Venezuela « (Editions Marco Pietteur, 2006), traduit en 8 langues, et de « Bush vs Chavez : La guerra de Washington contra Venezuela (2007, Monthly Review Press) entre autres.

Depuis 2003, Eva s’est mise à chercher, analyser et écrire au sujet de l’intervention des USA au Venezuela, utilisant l’Acte de Liberté de l’Information (FOIA) pour obtenir des informations sur les efforts du Gouvernement étatsunien pour saper les mouvements progressistes en Amérique latine.

Mike Whitney : La couverture de la mort de Hugo Chavez aux Etats Unis a été très limitée. Vous pouvez décrire brièvement la réaction du peuple vénézuélien ?

Eva Golinger : Le décès de Chavez a été dévastateur pour les Vénézuéliens. Tout en étant au courant de sa maladie, la majorité des Vénézuéliens croyait qu’il allait gagner la bataille contre le cancer comme il avait gagné avant tant d’autres batailles. La réaction fut un cri collectif de profonde désespérance et tristesse, mais aussi d’amour, profond amour pour cette personne, pour cet homme qui donna jusqu’à son dernier souffle pour faire de son pays un lieu meilleur pour tous. Officiellement furent déclarés dix jours de deuil dans tout le pays, et on autorisa l’accès au cercueil de Chavez afin que des millions de personnes puissent lui présenter leur respect avant d’être finalement enterré. Il y a des personnes qui firent la queue jusqu’à 36 heures pour dire au revoir à Chavez à l’Académie Militaire, lieu où surgit sa conscience politique et où son cercueil fut mis provisoirement à la suite de sa mort tragique.

Ensuite, après les 10 jours, un cortège massif de personnes accompagna le cercueil jusqu’au sommet de la colline où se trouve la Caserne de la Montana, en face du palais présidentiel de Miraflorès à Caracas, où il fut enterré dans une surprenante et belle tombe appelée « Les quatre éléments ». La Caserne de la Montana est là où Chavez commença sa carrière politique en février 1992, par une tentative de rébellion militaire contre un président néolibéral corrompu et assassin. Cette tentative échoua, et il alla en prison, mais son message et son charisme toucha des millions de personnes, qui s’unirent au mouvement qui plus tard donna lieu à son élection comme président en 1998. Le lieu de la tombe de Chavez, « Les quatre éléments », composé du cercueil, qui repose sur un nénuphar joliment sculpté sur de l’eau douce et de la terre propre. Aujourd’hui des centaines de vénézuéliens visitent le site, pour avoir l’occasion de se rapprocher de leur aimé président.

M.W. : Chavez a été un leader inspiré et charismatique, capable de mener à bien des politiques progressistes qui bénéficièrent à la majorité des gens. La Révolution Bolivarienne continue t’elle sous l’actuelle présidence de Nicolas Maduro ou s’est-il produit un changement dans la direction ?

E.G. : La Révolution Bolivarienne continue avec le Président Maduro, il n’y a eu aucun changement de direction. Bien qu’il ait gagné les élections présidentielles en avril avec une marge étroite, Maduro n’a pas modifié les politiques de Chavez de manière significative ; au contraire, il a cherché à les consolider. Il a changé pas mal de membres de son cabinet, mais cela a été considéré comme un pas positif, surtout parce qu’il a fait appel à beaucoup de jeunes, des personnes peu orthodoxes, au lieu de continuer avec ceux qui constituèrent une partie de l’administration de Chavez durant des années. Néanmoins, il a maintenu à leur poste de nombreuses personnes proches de Chavez parce que, bien sûr Maduro est l’un d’entre eux ; mais il a amené du sang nouveau pour démontrer qu’il était disposé à faire quelques changements nécessaires.

Par exemple, il a nommé un critique fréquent des politiques communautaires de Chavez, Rein aldo Iturriza, comme ministre du Pouvoir Populaire pour les Communes, qui est un ministère qui se consacre à aider les communautés organisées au moyen de la gestion de ressources et du développement de projets. Ledit Iturriza est un organisateur de base qui a remplacé un bureaucrate. Maduro a maintenu jusqu’ à maintenant les politiques économiques du gouvernement de Chavez, néanmoins, il a changé les membres du cabinet à charge de celles-ci. Il a pris des mesures plus drastiques en matière de corruption gouvernementale et de délinquance. Des dizaines de fonctionnaires publics ont été détenus pour corruption, et il a militarisé les zones de haute criminalité, afin de mettre sous contrôle la violence et l’insécurité. Ainsi je dirais qu’il a recueilli l’héritage de Chavez et l’a accéléré.

M.W. : Vous pourriez résumer quelques-uns des succès les plus importants de Chavez comme président ?

E.G.  : Les succès de Chavez comme président sont vastes et nombreux. Il a transformé le Venezuela d’une nation dépendante et lâche, sans identité nationale, avec une pauvreté généralisée et une apathie accentuée, en un pays souverain, indépendant et digne, plein de fierté nationale et satisfait de sa riche diversité culturelle. Il a aussi réduit la pauvreté de plus de 50% et institué avec succès l’assistance universelle, gratuite et de qualité, et des programmes d’éducation et de diversification de l’économie avec la création de nouvelles industries nationales et de milliers de nouveaux propriétaires de petites entreprises et coopératives. Une des plus grandes réussites a été le réveil collectif de la conscience du pays. Le Venezuela était très apathique avant que Chavez assume la présidence, pire que les Etats-Unis. Aujourd’hui c’est un lieu où les élections enregistrent plus de 80% de participation volontaire. Tout le monde parle de politique et des affaires d’importance pour la nation. Les jeunes veulent participer à la construction de leur pays, son futur.

Dans les dernières années ont été élus les membres du Congrès (Assemblée Nationale) les plus jeunes de l’histoire, avec des législateurs de seulement 25 ans. La moitié des membres du nouveau cabinet exécutif de Maduro n’ont pas 45 ans. Il y a de nouveaux mouvements de jeunes, des mouvements d’étudiants-tant d’opposition que chavistes-qui sont actifs et participent à la vie politique. Et il ne fait pas de doute que les politiques sociales de Chavez et l’investissement dans des programmes sociaux, de plus de 60% du budget national, constituent une énorme différence dans les vies quotidiennes des Vénézuéliens. Aujourd’hui il y a plus de capacité de consommation, les Vénézuéliens sont mieux nourris et mieux logés. Chavez a aussi impulsé des lois favorables aux travailleurs qui garantissent un salaire digne (le salaire minimum le plus élevé d’Amérique latine) et d’importants bénéfices pour les travailleurs. Il y a beaucoup de choses qu’il n’a pas pu terminer, mais ce qu’il a réussi est extraordinaire en seulement en un peu plus d’une décennie de pouvoir, en tenant en compte qu’il a dû aussi transformer des institutions étatiques corrompues, inefficaces et ruinées, et en même temps faire face à une opposition soutenue par les Etats-Unis avec un immense pouvoir économique.

M.W. : Vous avez beaucoup écrit sur les activités secrètes des organismes de renseignement des Etats-Unis et des organisations non gouvernementales au Venezuela. Voyez-vous un signal que l’ingérence a diminué depuis la mort de Chavez ?

E.G. : L’intervention des USA a augmenté progressivement chaque année depuis que Chavez a été élu pour la première fois en 1998. Durant le coup d’état contre lui en avril 2002, qui fut défait par le peuple et les forces armées loyales, les USA appuyaient déjà l’opposition, mais avec une aide modérée en comparaison de celle actuelle. Chaque année, le financement des groupes anti-Chavez a augmenté en millions de dollars, provenant de l’USAID, de la National Endowment for Democracy (Fondation Nationale pour la Démocratie-NED), du Département d’Etat et d’autres organismes financés par les Etats-Unis, comme Freedom House, el Instituto Republicano Internacional (IRI) et l’Instituto Nacional Democrata para Asuntos Internacionales (NDI).

De fait, Obama non seulement a augmenté le financement des groupes antichavistes mais l’a fait encore en incluant ouvertement ce financement dans le budget annuel des opérations étrangères (Foreign Operations Budget). Il y a un paragraphe spécial consacré au financement des groupes de l’opposition vénézuélienne, ou comme ils l’appellent « la promotion de la démocratie ». J’ai démontré avec force détails dans mes études que ce financement était destiné à susciter la déstabilisation par des organisations et activités vénézuéliennes très peu démocratiques. Nous savons par les documents publiés par Wikileaks et plus récemment par Edward Snowden, que l’espionnage des USA au Venezuela a augmenté de manière exponentielle cette année, avec la détérioration de la santé de Chavez.

Les USA ont utilisé une énorme quantité de moyens économiques et politiques en faveur du candidat présidentiel perdant Henrique Capriles, et est le seul pays qui se refuse encore à reconnaître officiellement la victoire électorale du président Maduro en avril. Washington continuera d’appuyer l’opposition avec l’espoir que le mandat de Maduro fera l’objet d’un référendum révocatoire dans trois ans. Les USA comptent réussir à le destituer à ce moment, si ce n’est pas avant à travers d’autres moyens non démocratiques. Divers membres de l’opposition ont été découverts récemment conspirant pour tenter un coup d’Etat contre Maduro, ainsi que faisant des plans pour son assassinat. Tous voyagent fréquemment à Washington pour tenir des « réunions ».

Le gouvernement vénézuélien a aussi mis fin récemment au dialogue engagé avec Washington à partir de janvier, en raison de plusieurs expressions offensives de la nouvelle ambassadrice étatsunienne aux Nations Unies, Samantha Power. Le gouvernement de Maduro, de même que celui de Chavez, espère avoir une relation respectueuse avec le gouvernement des USA. Mais il ne va pas supporter des agressions, des ingérences ou des conduites d’une manière ou d’une autre interventionniste. Les USA paraissent incapables de s’engager dans une relation respectueuse et mûre avec le Venezuela.

M.W. : J’ai là quelque chose que Barack Obama a dit dans un entretien avec Univision quand Chavez était sur son lit de mort. Il a affirmé : « Le plus important est de se rappeler que le futur du Venezuela doit être entre les mains du peuple vénézuélien. Dans le passé, nous avons vu Chavez développer des politiques autoritaires et supprimer la dissidence ». Il y a eu des réactions au Venezuela à ces propos ?

E.G. : Bien sûr, il y eut une réaction très forte. En premier lieu, les commentaires furent considérés comme totalement irrespectueux envers un pays et son gouvernement, à un moment où la santé de Chavez se dégradait. Ils indiquèrent clairement que le gouvernement d’Obama était ignorant sur le Venezuela et ne prenait pas en compte les sentiments collectifs de millions de personnes dans le pays en raison du délicat état de santé de Chavez. L’objectif numéro un du président Chavez - qu’il a atteint dans une grande mesure - était la transmission du pouvoir au peuple. L’hypocrisie d’Obama avec sa déclaration éclipsa son propre échec pour comprendre la réalité du Venezuela. Le nombre de personnes qui participent à la vie politique est beaucoup plus grand que jamais, et beaucoup plus important qu’aux USA, en pourcentage. A une époque d’espionnage massif, d’assassinats sélectifs, de drones , de prisons secrètes, de violation s graves des droits humains et autres politiques répressives dirigées par les USA, Obama devrait réfléchir à deux fois avant d’exprimer ces opinions contre le gouvernement d’une autre nation qu’il ne connaît que par les opinions préparées que ses analystes désinformés lui fournissent. En résumé, les Vénézuéliens s’indignèrent des commentaires insensibles et irrespectueux d’ Obama, mais il n’ont pas été surpris. Ces commentaires sont typiques de la position hostile de Washington envers le Venezuela durant le gouvernement de Chavez.

M.W. : Pourquoi Washington détestait Chavez ?

E.G. : Je suppose que Washington détestait Chavez pour des raisons multiples. Bien sûr, le pétrole est une source primaire de l’attitude agressive de Washington vis-à-vis de Chavez. Le Venezuela détient les plus grandes réserves de pétrole de la planète, et avant qu’Hugo Chavez soit élu, les gouvernements étaient subordonnés aux intérêts étatsuniens. De fait, le Venezuela était près de la privatisation de l’industrie pétrolière, de même que tout le reste dans le pays, au moment où Chavez fut élu.

Chavez non seulement redressa et transforma l’industrie pétrolière pour redistribuer la richesse et s’assurer que les firmes étrangères respectent les lois (le paiement des impôts et des primes, par exemple), mais aussi il nationalisa les autres ressources stratégiques du pays que les USA avaient dans leurs mains, comme l’or, l’électricité et les télécommunications. Il est évident que Chavez était une épine de grande taille dans les intérêts économiques de Washington dans la région. Une fois que Chavez prit la tête de la création de l’intégration et de la coopération de l’Amérique latine, qui conduisit à des organisations comme l’Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR), l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de notre Amérique (ALBA), la Communauté des Etats Latino-Américains et Caribéens (CELAC), ainsi que Petrocaribe, Telesur (première chaîne de télévision de la région), et beaucoup d’autres initatives , Washington rapidement commença à perdre de l’influence dans la région.

Cela suscita aussi une hostilité envers Chavez encore plus forte, étant donné qu’il était le principal leader de l’indépendance et de la souveraineté de l’Amérique latine au XXIe siècle. Washington et l’élite vénézuélienne ne pouvaient pas non plus supporter les manières de Chavez et sa façon directe de dire les choses comme elles sont. Il n’avait peur de rien ni de personne, et jamais ne recula, se maintenant toujours ferme et disant ce qu’il croyait, bien que ce ne fut pas diplomatiquement correct. Et Washington le détestait pour avoir remis à l’ordre du jour le « mauvais » concept de socialisme pour le monde d’aujourd’hui. Washington avait tenté par tous les moyens de débarrasser la planète de toute chose vaguement en rapport avec le communisme du XXe siècle, si bien que le « socialisme du XXIe siècle » était une gifle à la figure de la vieille garde étatsunienne, qui tient toujours les rênes du pouvoir aux USA.

M.W. : Voulez-vous ajouter une réflexion personnelle sur la mort de Chavez ?

E.G  : La mort de Chavez est impossible à accepter. C’était une force vibrante, motivante, pleine d’amour et d’affection authentique envers les gens et la vie. Il avait une extraordinaire capacité de communication, et pouvait entrer en contact avec toute personne par une étreinte sincère pleine d’humanité. Il était un visionnaire brillant et un créateur de rêves. Il aidait les gens à voir leur potentiel en eux, et à se rendre compte de leurs capacités. Il adorait son pays, sa riche culture, sa musique, sa diversité et réellement donna tout de lui-même pour la construction d’un Venezuela digne, fort et beau. J’ai eu la chance d’être son amie et de partager beaucoup de moments exceptionnels avec lui. Il avait des faiblesses et des imperfections, comme tout le monde, mais sa capacité d’aimer et de se préoccuper de tous les gens le conduisit à surmonter beaucoup d’obstacles difficiles, pour ne pas dire quasiment impossibles.

Réellement il croyait qu’il allait vaincre le cancer, et bien sûr nous avons tous cru qu’il y parviendrait. Sa mort laisse un profond vide et une profonde tristesse pour des millions de personnes. Son énergie était si infinie pour diriger et orienter la révolution qu’il aida à construire. C’est pour cela qu’il est si difficile d’accepter son départ, parce qu’il est encore si présent dans nos vies, et bien sûr, dans chaque coin du Venezuela. Chavez s’est converti en Venezuela, la patrie chérie, et son héritage continuera à croître et à prospérer.

Mike Whitney vit dans l’Etat de Washington. Il collabore à Hopeless : Barack Obama and the Politics of Illusion (AK Press).

Source : Rebelion du 02/08 /13
Traduit de l’espagnol par Gérard Jugant

 

Via : Un entretien avec la chercheuse et révolutionnaire Eva Golinger - Rouge Midi

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6 juin 2013 4 06 /06 /juin /2013 21:27

 

 

Cuba hors des idées reçues
La Havane. 22 Mai 2013

Un regard sur le modèle cubain de bien-être
Dr. Patricia Arés Muzio

À plusieurs occasions, j’ai demandé à mes étudiants quelles seraient les principales raisons de dire qu’il fait bon vivre à Cuba. La majorité des réponses étaient liées à l’accès à la santé, à l’éducation et à la sécurité sociale, qui effectivement sont les piliers de notre modèle socialiste. Cependant, pour les personnes les plus jeunes, ces réalités sont tellement intégrées à leur vie quotidienne qu’elles en deviennent trop banales ou restent figées dans un discours qui, à force d’être répété, perd de son intérêt.

J’irais jusqu’à dire qu’il existe un modèle cubain de bien-être qui a été assimilé avec une telle familiarité acritique qu’il en est devenu invisible à nos yeux mais, paradoxalement, il est présent dans le discours de nombreux Cubains qui ne vivent plus dans notre pays – précisément qui ont perdu ce mode de vie – ou dans celle de visiteurs qui vivent d’autres réalités dans leur pays d’origine. À propos de la vie quotidienne à Cuba, ce sont des difficultés dont on parle le plus souvent, notamment celles à caractère économique, alors que l’on n’entend peu parler de nos avantages et de nos forces.

Les récits entendus en consultation m’ont amenée à réfléchir longuement sur notre socialisme, vu comme une culture et une civilisation alternative. Lorsque les psychologues et autres spécialistes, nous avions participé à la bataille pour le retour d’Elian Gonzalez, l’enfant cubain retenu aux États-Unis, cette question était revenue avec force. Récemment, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec plusieurs personnes âgées rapatriées, avec des enfants qui, sur décision de leurs parents, devaient aller vivre dans d’autres pays, ou avec des jeunes gens qui sont revenus d’Espagne après avoir été jetés à la rue parce qu’ils ne pouvaient pas payer leur loyer, si bien que je me suis de nouveau posée la question du modèle cubain de bien-être, à partir de leurs expériences vécues.

Je me souviens que lorsqu’Elian était aux États-Unis, lorsque son grand-père Juanito lui disait au téléphone qu’il était en train de lui fabriquer une carriole, le lendemain l’enfant apparaissait à la télévision avec une voiture électrique qui ressemblait à une vraie voiture, lorsque les grands-parents ou son père lui disaient qu’il manquait à son petit chien, le lendemain Elian apparaissait avec un chiot labrador qu’on lui avait offert, et lorsqu’on lui disait qu’on lui avait acheté un livre d’Elpidio Valdés, il apparaissait avec un costume de Batman. Pourtant, l’affection de sa famille, l’amour de tous ceux qui l’attendaient, la solidarité de ses camarades de classe, de ses instituteurs, ont été plus forts que toutes les choses matérielles du monde.

Je discutais récemment avec un homme âgé qui a pris la décision de ne pas retourner aux États-Unis après y avoir vécu 19 ans. Il me disait : « C’est vrai, docteure, là-bas ont vit très confortablement, mais ce n’est pas tout dans la vie. Là-bas, « tu n’es personne, tu n’existes pour personne ». Il me racontait qu’il restait de longues heures tout seul chez lui, en attendant le retour de ses enfants et de ses petits enfants, qu’il restait enfermé parce qu’il ne pouvait pas sortir, sous prétexte qu’il était vieux et qu’on ne lui permettait pas de conduire, et dans la journée le quartier où il vivait « ressemblait à une maquette » : on n’y voyait personne et personne n’avait de temps à perdre pour discuter un moment.

Lors d’une visite qu’il fit à son autre fille qui vit à Cuba, il décida de ne pas repartir. Il me racontait qu’il fait de la gymnastique au parc, qu’il joue aux dominos l’après-midi, qu’il surveille les devoirs de son petit-fils et de deux de ses copains, qu’il a retrouvé quelques amis de la « vieille garde » et qu’avec les quelques sous qu’on lui envoie et l’aide de sa famille ici, il a largement pour couvrir ses frais.


Il me dit textuellement ceci : « Certains me disaient que j’allais revenir vers l’enfer, mais en réalité, docteure, je me sens au paradis. » Évidemment, son mode de vie aujourd’hui, ce n’est pas le paradis, mais il lui procure un bien-être supérieur.

Un jour, j’ai reçu en consultation l’enfant de deux diplomates, qui était venu en vacances et qui ne voulait pas repartir avec ses parents à l’ambassade où ils travaillaient. Il était « révolté », en pleine « grève » : il demandait à rester avec sa grand-mère, il ne voulait pas repartir, il n’aimait pas vivre là-bas. Quand j’ai demandé à ses parents de m’expliquer ce qu’il se passait, ils m’ont raconté que là-bas il devait vivre enfermé pour des raisons de sécurité ; il avait très peu de camarades de classe avec lesquels jouer après l’école, et ses cousins qu’il adorait, lui manquaient. « Dès qu’il revient ici, c’est comme si on lui rendait la liberté, me disaient les parents : il va au parc au coin de la rue avec les copains du quartier, il va se promener avec ses cousins, il joue au baseball et au foot en pleine rue, il passe ses journées entouré de ses grands-parents, de ses oncles et des voisins. » Au cours de l’entretien, l’enfant, m’a raconté que ses cousins lui disaient qu’il était stupide de vouloir rester à Cuba alors qu’il avait l’occasion de vivre dans un autre pays, et le garçon me disait : « Quand je suis ici, la pizza aux poivrons me manque beaucoup, mais je t’échange un million de pizzas pour rester vivre à Cuba tout de suite. »

Un jeune revenu d’Espagne me racontait qu’il avait perdu son travail et qu’évidemment il n’avait pas d’argent pour payer son loyer ; la propriétaire lui avait donné un délai de trois mois, mais comme il ne pouvait pas payer, elle l’avait jeté à la rue. Le plus triste dans ce cas, c’est que personne, pas même ses amis ne lui avaient tendu la main, car, disaient-ils, à cause de la crise chacun « devait se débrouiller comme il pouvait ». Il a dû revenir à Cuba car il n’avait qu’un seul choix : dormir dans le métro ou revenir chez ses parents. « Finalement, me disait-il, ceux qui sont prêts à t’accueillir, ce sont toujours les tiens ».

J’ai réfléchi à ces témoignages qui pourraient être bien utiles à tant des jeunes qui ne trouvent aucun avantage à vivre à Cuba, qui ne pensent qu’à une vie « de progrès » à l’étranger ou qui surestiment la vie ailleurs comme une vie de réussites et d’opportunités. Et je me demande : qu’avons-nous ici qui manque à d’autres lieux ? Qu’ont découvert l’enfant, la personne âgée et le jeune revenu d’Espagne, à partir de leurs expériences ailleurs, qu’est-ce que nous ne voyons pas ici ? Le modèle de vie que proposent les sociétés capitalistes contemporaines constitue-t-il réellement un modèle de bien-être aujourd’hui, même s’il est vendu par les médias comme « le rêve de la terre promise » ?

Parlons-nous aujourd’hui de bonne vie ou de bien vivre, de vie remplie ou de vie pleine ? Le développement économique et technologique est-il le seul moyen d’assurer le bien-être personnel et social ?

Je vais tenter de faire une synthèse, en partant de ces expériences professionnelles, dans lesquelles pourraient bien se trouver certaines des bases de notre modèle cubain de bien-être.


PAS DE SENTIMENT D’EXCLUSION, PAS D’« ANOMIE SOCIALE »

Il s’agit d’une question aux connotations spirituelles et éthiques profondes.

Quand on arrive dans un quartier à Cuba et qu’on cherche l’adresse de quelqu’un, on nous dit généralement : « Il habite dans cette maison ». Les Cubains, nous avons tous un nom et une biographie parce que nous avons tous des espaces d’appartenance (famille, école, communauté, lieu de travail) et de participation sociale. Nous avons tous assumé des responsabilités, assisté aux réunions dans le quartier, nous sommes allés à notre cabinet médical, nous votons dans le même bureau, nous achetons les produits « normés » au marché ou nous avons le même « mensajero » (coursier). Bien sûr, il nous arrive de dire : « Les mêmes têtes tous les jours ! », mais c’est justement là que réside un espace vital aux dimensions humanistes et solidaires immenses.

L’anomie sociale qui s’exprime, dans les paroles du grand-père par « tu n’existes pas », est tout le contraire de ce que nous vivons à Cuba. L’anomie sociale est le fait de vivre sans avoir de lieu, sans être reconnu ou remarqué, et il ne s’agit pas d’un lieu physique, mais d’un lieu symbolique, un lieu d’appartenance et de participation, un lieu qui donne sens à la vie. Vivre dans le « non-lieu », c’est se sentir isolé, dans une solitude existentielle, c’est se sentir étranger, et c’est un des problèmes du monde actuel. Même les lieux où cohabite aujourd’hui beaucoup de monde sont des « non-lieux » plutôt que des lieux de rencontre.

Il paraît incroyable que dans un métro bourré quotidiennement par des centaines de voyageurs, personne ne se parle et que les gens sont plus intéressés par leur téléphone portable, dans une sorte d’autisme technique, que par le contact de personne à personne. Les aéroports ou les supermarchés (cathédrales de la consommation) sont autant de « non-lieux » : beaucoup de monde autour de vous et absolument aucun contact. Si vous tombez, personne pour vous aider à vous relever, parce qu’en plus, il existe tellement de lois concernant les « droits citoyens » qui sont censées protéger les personnes d’un point de vue individualiste que personne n’osera vous toucher car il existe le risque d’être accusé de « harcèlement sexuel ». Le « non-contact » et l’indifférence sont réglementés.

Aujourd’hui, la réalité sociale dans d’autres pays fait que la société facilite plus l’exclusion que l’inclusion. À Cuba, même s’il existe des inégalités sociales comme conséquence des réalités économiques actuelles, notre projet politique vise à promouvoir l’inclusion sociale afin de supprimer la distance entre les genres, les couleurs de peau, les capacités physiques et l’orientation sexuelle. Le système social cubain, malgré les difficultés et les contradictions, tente de construire un monde dans lequel chacun a une place, et où la réciprocité humaine spontanée se construit à partir de ces conditions. Dans l’« autre géographie », sur la carte de la globalisation néolibérale, divisée en classe, les relations interpersonnelles sont détériorées par de multiples discriminations, si bien que les uns sont séparés des autres par des frontières invisibles, qui empêchent l’intégration et la participation.


LES DIFFÉRENTS ESPACES DE SOCIALISATION

Les espaces de socialisation tiennent une place importante dans la vie, à travers le réseau social qui est un soutien pour tout sujet car il est évident que c’est dans cet espace qu’une personne peut s’épanouir. Actuellement, les familles vivent isolées partout dans le monde, et plus le niveau de vie est élevé, plus le mode de vie cloîtré dans sa maison se développe.

Personne ne connaît son voisin, personne ne sait qui il est. Chez eux, les membres de la famille ont peu de moments en tête-à-tête, parce que l’invasion de la technologie est telle qu’un père peut être en train de « chatter » avec un collègue au Japon et ne pas avoir la moindre idée de ce que fait son fils dans la chambre d’à côté. Des études réalisées dans plusieurs pays ont révélé que le temps de conversation en tête-à-tête qu’un père consacre à ses enfants ne dépasse pas 15 minutes quotidiennes.

Le peu de temps consacré à la famille ou à d’autres espaces communautaires est une des grandes conséquences du modèle capitaliste hégémonique actuel. Pendant la semaine, la famille « n’existe plus » en tant que groupe : les horaires de travail extensifs, le pluri-emploi des parents qui doivent résoudre les exigences de plus en plus nombreuses de consommation font que les anciennes habitudes et les traditions familiales ont disparu de la vie quotidienne.

Selon des psychologues et des sociologues, la solitude de l’enfant et l’absence de relations pour la personne âgée sont la plus grande conséquence de cette réalité. De nombreux enfants de la classe moyenne ou de la classe moyenne supérieure reviennent de l’école sans qu’un adulte ne soit présent à la maison avant des heures avancées de la soirée ; certains sont gardés par une nourrice qui leur prépare les repas, mais qui ne saurait remplacer l’affection et l’attention des parents.

Les moyens technologiques apparaissent comme l’antidote de la solitude, mais sans aucune restriction de la part des adultes, au risque de produire une addiction aux jeux vidéo, d’augmenter la violence et de stimuler l’érotisation précoce. Aujourd’hui, il est rare que les enfants et les adolescents disposent de places publiques, de rues ou de parcs en plein air comme lieux de rencontre, car il n’y a pas de sécurité citoyenne. Les univers spatiaux-temporels du réseau urbain destinés à la jeunesse sont considérés comme des lieux menaçants et dangereux plutôt que comme des espaces de loisirs et de construction de liens sociaux. À Cuba, les parcs et les places restent des lieux de socialisation pour les différentes générations. La famille cubaine est liée par des réseaux sociaux d’échange, avec les voisins, avec les organisations, avec l’école, avec les parents, y compris pour les émigrés. Ce qui identifie le mode de vie des Cubains, ce sont les espaces de socialisation, un tissu social qui n’exclut personne et où tout le monde a un nom.

Je dirais que la cellule de base de la société cubaine, en dehors de la famille en tant que foyer, est constituée par un réseau social d’échange, familial ou de voisinage. Ce tissu social en réseau représente une des plus grandes forces invisibles du modèle cubain de bien-être. C’est là que réside la plus importante réussite de notre processus social : la solidarité sociale, la contention sociale et l’échange social permanent. Ce capital n’est perceptible que pour celui qui le perd et qui commence à vivre une réalité différente à l’étranger.

Malgré les difficultés économiques et les problèmes non résolus, la famille continue d’occuper une place privilégiée : une famille qui commence à vivre intensément à la sortie de l’école quand les enfants et les adolescents reprennent leur vie familiale et communautaire. La famille cubaine ne vit pas portes closes. On peut frapper à la porte d’un foyer cubain plusieurs fois dans la journée, que ce soit les agents de la fumigation contre les moustiques, les voisins, l’infirmière, les dirigeants du quartier, les vendeurs au porte à porte. Il faut sortir tous les jours pour aller au marché, aller chez les voisins chercher ses courses, jeter les ordures, aller à la pharmacie, chercher les enfants à l’école… La vie familiale est multi-générationnelle : toutes les générations interagissent, la majorité des personnes âgées ne vit pas en maison de retraite, leur véritable espace étant généralement dans la communauté.


LA SOLIDARITÉ SOCIALE À CONTRE-COURANT DE L’INDIVIDUALISME

Sur le plan international, le bien individuel est plus important que le bien social. Le modèle de développement économique place les personnes face au désir de vivre « mieux » (parfois aux dépens des autres) au dessus du vivre bien pour tous.

Aujourd’hui on a coutume de dire : « Je ne fais de mal à personne, que personne ne vienne fourrer son nez dans ma vie ; pour moi, ça va bien, c’est mon corps, c’est ma vie, c’est mon espace. » On privilégie ce qui va apporter le plus de bénéfices. Le « je » a remplacé le « nous ». Dans ce monde hégémonique, on qualifie positivement la conduite égoïste de « rationalité instrumentale » alors qu’en réalité cette rationalité dissimule une grande insensibilité sociale.

Dans notre pays, la solidarité sociale existe, même si aujourd’hui nous vivons une sorte de parallélisme entre nos comportements solidaires et l’insensibilité de certaines personnes. La socialisation du transport ou « botella » (auto-stop), par exemple, l’attitude des voisins, la famille, le partage des téléphones particuliers, les échanges d’uniformes scolaires, de certains médicaments, le prêt de sa maison comme salle de classe après le passage d’un ouragan qui a détruit l’école, sont des exemples de nos échanges solidaires.

Une jeune fille en internat à l’école Lénine me racontait que chaque semaine dans son groupe d’amies – comme dans tous les groupes – les élèves mettaient en commun tous les aliments qu’elles avaient apportés et les partageaient équitablement. Ainsi, elles mangeaient toutes la même chose, indépendamment que certaines pouvaient apporter plus de choses que d’autres. Pour elles, le plus important, c’était l’amitié et la fraternité.

LA CRÉATIVITÉ ET L’INTELLIGENCE COLLECTIVE

À Cuba, l’on peut discuter et avoir de nombreux échanges sociaux, et l’on peut aussi s’offrir le luxe d’avoir une bonne conversation avec beaucoup de gens. Nous savons tous quelque chose, nous pouvons tous donner une opinion ou avoir de bonnes idées. Nous avons une culture politique, une culture sportive et certains sont connaisseurs en art.

Nous avons un capital culturel accumulé qui fait partie de notre patrimoine social et du bien-être invisible. Nous sommes cultivés, et c’est le résultat des niveaux d’enseignement atteints. Les Cubains et les Cubaines, nous impressionnons par notre capacité à converser, à exposer des idées et des critères. Un de mes grands problèmes, en tant que psychologue clinicienne, lorsque je m’occupe de quelqu’un, c’est que les séances prennent beaucoup de temps, parce que nous sommes habitués à converser. Certains viennent avec une liste écrite pour ne rien oublier de ce qu’ils avaient à dire. Nous prenons notre temps et c’est un luxe à notre époque, alors que personne ne veut perdre son temps, et que partout dans le monde, on vit avec le syndrome de la vitesse.

Lorsque je me rends dans des pays latino-américains pour donner des cours, les étudiants présentent, dans leurs travaux sur la famille, une réalité familiale et sociale qui me laisse perplexe, à cause de la quantité de problèmes sociaux accumulés, non seulement dans les familles pauvres, mais aussi dans toutes les classes sociales.

Je me rends compte à travers ce que j’entends que nous sommes à des siècles de distance, parce que leurs problèmes ne sont pas d’ordre économique mais ils sont plutôt liées à l’ignorance, la pauvreté mentale accumulée, les stigmates sociaux, les préjugés de classe, de genre, de race, la violence contre les femmes, les solutions magiques sans fondement scientifique à des problèmes, l’abus sexuel des enfants, la polygamie, les tares génétiques dues à une sexualité irresponsable. Ce sont des problèmes quotidiens qui sont associés au chômage, à l’absence de programmes sociaux de prévention. Ce qui pour nous est l’exception est pour eux le quotidien.

En tant que professeur, je sens que notre population est cultivée et développée, et nous le vivons sans même nous en rendre compte. Même si notre quotidien semble être insignifiant, il reste la grande toile de fond de l’Histoire.

Certains jeunes émigrés se rendent compte souvent de cette réalité sociale si différente lorsqu’ils y sont confrontés.


COMMENT RENFORCER NOTRE MODÈLE DE BIEN- ÊTRE ?


Le nouveau modèle économique a, entre autres objectifs, l’augmentation de la productivité. Il a pour but le renforcement de notre modèle de bien-être qui représente une alternative à l’anti-modèle dominant, une conception que partage également l’ensemble des peuples indigènes du continent et du monde, et qui tire ses racines d’une longue tradition dans les différentes manifestations religieuses.

Pour tous ces projets de société, y compris le cubain, l’objectif de développement n’est pas de posséder toujours davantage, mais d’ « être » davantage, ce n’est pas accumuler davantage de richesses, mais davantage d’humanité. Il propose de vivre bien et non pas de vivre mieux, ce qui implique solidarité, pratiques de réciprocité et volonté de parvenir à un équilibre avec l’environnement, et en même temps d’améliorer les conditions de vie de la population. Cependant, l’amélioration des conditions de vie ne pourrait à elle seule résoudre les problèmes sociaux qui se sont accumulés.

La dimension économique ne saurait être isolée des dimensions sociales, culturelles, historiques et politiques qui donnent au développement un caractère intégral et interdisciplinaire, permettant de récupérer le sens du bien-être et du bien vivre comme objectif fondamental.

Il n’y a pas besoin d’être un scientifique social pour se rendre compte que, à la marge des conditions de vie, nombreuses sont les personnes et les familles qui bien plus que dans la pauvreté matérielle se sont installées dans la pauvreté spirituelle. Certaines d’entre elles souffrent de pauvreté spirituelle, ce qui s’exprime par des modes de vie éloignés de la plus élémentaire décence, loin des réalités de notre pays. Elles se montrent avides de biens matériels superflus, avec des aspirations contraires au bien-être collectif. Une culture de la banalité et de la frivolité propre au modèle hégémonique actuel.

L’accumulation de problèmes matériels, du fait de la profonde crise économique que nous avons traversée dans les années 90, a considérablement détérioré les valeurs sur le plan social.

Les valeurs ne sont pas seulement des principes, elles doivent se traduire dans nos comportements. Si nous contredisons les principes dans notre pratique, nous sommes en fait face à une crise des valeurs. Cuba n’est pas à l’abri des influences hégémoniques du monde unipolaire. Nous devons continuer à construire un modèle alternatif de bien-être, « contre vents et marées », malgré toutes les influences de la colonisation de la subjectivité, y compris, malgré l’effet modulaire de nos politiques sociales. Sur le marché, les valeurs ne comptent pas : seule compte la possibilité de consommer. Les non consommateurs se considèrent comme des êtres humains « non reconnus », exclus de tout type de reconnaissance sociale.

Le monde d’aujourd’hui est saturé d’informations, certaines intéressantes, d’autres médiocres et superficielles. Pour augmenter les ventes, les médias de l’actuel modèle hégémonique n’hésitent pas à faire l’éloge de la banalité. Nous sommes assaillis par les divertissements, les téléfilms, les séries et les films de violence qui ont un tel pouvoir de séduction incroyable qu’elles attrapent le téléspectateur, avec le risque d’être entraîné dans l’oisiveté et l’addiction (drogue, alcool, pornographie, argent facile, jeux de hasard, jeux vidéo).

Lorsque Ghandi, prix Nobel de la Paix, signalait les sept péchés capitaux de la société contemporaine, il faisait précisément allusion au contexte mondial dans lequel nous sommes immergés : la richesse sans travailler, le plaisir sans la conscience, la connaissance inutile, le commerce injuste, la science sans humilité, l’adoration sans le sacrifice et la politique sans principes.

La publicité et le marché associent généralement le bien-être au plaisir, à l’« avoir », au succès et au statut social.

Il est certain que le manque de culture favorise la tendance à penser que le bien-être réside dans l’ «avoir », à se laisser prendre par toutes sortes d’offres de consommation qui fleurissent comme de la mauvaise herbe, et à se laisser dominer par l’ignorance. L’éthique de l’être exige une formation morale, une éducation familiale, généralement une éducation d’une plus grande envergure. C’est là le pari que nous devons faire pour notre société.


ENCOURAGER LA SOLIDARITÉ SOCIALE


Avec l’augmentation du travail indépendant, la communauté représente l’espace de vie de nombreuses familles. Les liens entre la famille, la communauté, les organisations politiques et sociales et le travail se développent. Par ailleurs, les nouveaux espaces constituent une occasion parfaite pour renforcer la vie communautaire, en même temps que le travail au bénéfice du bien-être commun. Cuba peut faire la différence en ce qui concerne le sens de la solidarité et de la solidarité sociale.

Il est important de développer une culture solidaire et une responsabilité sociale pouvant servir d’antidote à la pénétration de la culture mercantile, de conserver une éthique solidaire afin de ne pas abandonner le projet collectif, même si le nom, – et pas l’idée du travail à son compte – suggère une certaine déconnexion sociale, qui ne représente pas notre éthique solidaire.


RENFORCER L’ESPACE COMMUNAUTAIRE


Aujourd’hui, la famille et la communauté ont gagné en importance à Cuba en temps qu’espaces de vie. Lorsqu’un visiteur observe notre mode de vie communautaire, il dit parfois qu’autrefois l’on vivait ainsi dans son pays, mais qu’il y a plus de 10 ans que l’on vit « portes fermées » et que les « maisons sont vides une grande partie de la journée ». Cela est dû en grande partie à l’apparition de nouvelles technologies, aux horaires de travail de plus en plus étendus, aux changements de lieu d’habitation et de travail répétés, et aux villes toujours plus grandes et plus peuplées.

La croissance exacerbée de l’individualisme rend de plus en plus difficile le fait de ressentir un sentiment communautaire. En effet, la communauté s’est réduite au simple noyau familial, et dans ces circonstances, il est très facile de tomber dans l’isolement qui entraîne la solitude et la dépression, créant un grand collapsus social, avec des résultats aussi inquiétants que l’augmentation de la violence, de l’abus de drogues et des maladies mentales.

Lorsque les personnes de tous âges, les groupes sociaux et culturels ont le sentiment d’appartenir à une communauté, elles ont tendance à être plus heureuses et sont en meilleure santé ; le réseau social devient plus fort, plus stable et plus solidaire. Une communauté forte apporte beaucoup d’avantages, aussi bien à l’individu qu’au groupe, en favorisant l’amélioration de la société. Nous avons un grand défi devant nous : que nos portes restent ouvertes, que nous ne perdions pas la sensibilité envers les autres, envers notre quartier et son environnement, que nous continuions à nous préoccuper du bien-être collectif.

Les diverses formes d’insertion à l’économie n’ont pas détérioré le tissu social existant. Nous ne sommes pas une société stratifiée en classes sociales, mais tissée en réseaux familiaux, de voisinage et sociaux, et nous maintenons une éthique solidaire.

L’important, c’est de trouver des solutions novatrices à de nombreux problèmes qui existent dans la communauté, conçue comme espace permettant d’apporter des solutions. Pour y parvenir, il faut une plus grande dynamique de la communauté dans sa capacité d’influer sur les problèmes locaux, en maintenant l’implication des citoyens dans la vie sociale, en prenant soin de nos espaces, de nos anciens, des enfants, des femmes, des personnes handicapées, et surtout il est important de maintenir la responsabilité sociale dans l’éducation des jeunes générations.

Compte tenu de tous ces éléments, nous avons la responsabilité sociale de préserver notre modèle cubain de bien-être, car notre pays dispose de conditions sans précédent pour marquer la différence. Nous devons continuer à résister à la colonisation culturelle et à la subjectivité, car le grand défi, c’est de proposer d’autres modèles d’être humain et de collectivité qui indiquent réellement les voies d’une véritable humanisation.


Source :  Granma International

 

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