29 novembre 2012 4 29 /11 /novembre /2012 00:36

 

 

OGM au Mexique:

Un crime contre le maïs paysan et indigène, un crime contre l’humanité

Vía Campesina

 

 

(Mexico, 20 novembre 2012) Les multinationales Monsanto, DuPont et Dow attendent l’aval du gouvernement mexicain au cours des prochains jours pour semer 2,4 millions d’hectares de maïs transgénique au Mexique, une surface équivalente à la superficie du Salvador. La situation est des plus préoccupantes, le Mexique étant au cœur de la diversité du maïs dans le monde. Des milliers de variétés y sont cultivées dans les campagnes par les communautés paysannes et indigènes. De nos jours, le maïs est l’un des trois aliments les plus consommés au niveau mondial. Par conséquent, la contamination des maïs au Mexique par de dangereux OGM constitue une menace pour le monde entier. 

Des milliers de variétés locales de maïs sont cultivées par les communautés paysannes du Mexique, chacune d’elles étant le produit de climats, sols, écosystèmes et cultures différents. C’est depuis le Mexique que le maïs fut exporté à travers le monde, devenant un aliment crucial pour nombre d’autres peuples, notamment au sud de l’Afrique, en Asie et dans toute l’Amérique Latine. Néanmoins, ces dernières décennies, le maïs a également attisé les convoitises de l’industrie et des multinationales. Ces dernières ont créé des variétés de maïs hybride dépendant d’agrotoxiques et autres intrants que les paysans et paysannes doivent acheter. Elles ont également créé des variétés de maïs transgénique qui à ce jour (2011) couvrent une superficie de 51 millions d’hectares dans le monde.

« La situation est alarmante, car le gouvernement mexicain privilégie les multinationales au détriment du bien-être des paysans et de notre santé » a déclaré Alberto Gómez, de la Via Campesina au Mexique. « Cela fait vingt ans que le gouvernement mexicain met en péril notre souveraineté alimentaire en ouvrant l’agriculture au libre-échange, nous inondant de maïs bon marché de piètre qualité, et faisant sombrer dans la pauvreté des milliers de paysannes et paysans. Maintenant ils veulent nous empoisonner avec du maïs transgénique. Nous ne les laisserons pas faire.»

De récentes études publiées en France démontrent que le maïs transgénique pourrait présenter de graves risques pour la santé. Ces risques ne sont pas évalués de façon adéquate. Dans le cadre de ces études, des rats nourris avec ce maïs présentaient de fortes incidences de cancer et leurs organes vitaux étaient endommagés. Au Mexique, ces entreprises cherchent notamment à semer la variété de maïs transgénique utilisée dans les études françaises, le maïs NK 603.

Par ailleurs, les OGM sont contraires aux droits des paysannes et des paysans. « Les plantes transgéniques contaminent toutes les cultures paysannes, via des gènes brevetés par les multinationales, et empêchent ainsi les paysans d’utiliser leurs propres semences. Voilà pourquoi en Europe nous avons fait pression pour qu’aujourd’hui les lois interdisent les OGM dans nos campagnes et nos aliments. Les Européens et le reste du monde doivent soutenir le peuple mexicain dans sa résistance aux multinationales. Le bien-être du monde entier en dépend », a souligné Guy Kastler, de la Via Campesina en France. 

Les organisations de la Via Campesina du monde entier se joignent à la société civile et les paysans et paysannes mexicains qui s’opposent aux demandes de Monsanto et exigent leur rejet. La Via Campesina enjoint les organisations et les citoyens à mener des actions dans leur pays pour rendre compte de l’attitude irresponsable du gouvernement mexicain. « Il nous faut agir partout et condamner cette agression contre le maïs mexicain, qui est une agression contre l’humanité toute entière », soutient Francisca Rodríguez de la Via Campesina au Chili. « Les semences paysannes sont un trésor des communautés paysannes et indigènes. Ce sont les seules semences à nourrir le monde de façon saine et sans l’apport d’agrotoxiques. Ce sont les seules dont la diversité permet de s’adapter au changement climatique. On ne peut se permettre de perdre ces semences de maïs à cause de la contamination par les OGM.
 
La Via Campesina appelle ses organisations à lancer un assaut d’envergure, à rester vigilant face à cette offensive et à mener des actions dans tous les pays : plaintes au siège des multinationales Monsanto, DuPont, Dow, et des gouvernements les soutenant ; plaintes devant des instances telles que la FAO ou la Convention sur la Diversité Biologique (CBD) des Nations Unies ; pressions sur les ambassades du gouvernement mexicain à travers le monde ; actions et manifestations ; diffusion d’informations via tous les canaux possibles. Les peuples du Mexique et les communautés paysannes résistent aux multinationales. Repoussons cette attaque contre la vie dans le monde entier!




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28 novembre 2012 3 28 /11 /novembre /2012 22:00

 

 

 

Vivre dans les égouts de Bogota

 

Colombie limpieza-social  

Le gouvernement colombien développe une nouvelle image de son pays afin d’attirer massivement les capitaux étrangers tandis que l’extermination des individus jugés indésirables se perpétue dans la capitale.

C’est au mois de septembre dernier, lors de l’ouverture d’un match de football contre l’Uruguay, que la Colombie a dévoilé ce qu’elle désigne comme sa « nouvelle identité visuelle » à travers le lancement d’une vaste campagne publicitaire. (1) « La Colombie traverse un bon moment. Nous sommes en train de construire ensemble un pays meilleur. Aujourd’hui on nous regarde avec d’autres yeux, on parle de notre pays comme d’une étoile fulgurante. Nous possédons tout ce dont le monde a besoin et nous allons lui apporter des solutions » déclare le Président colombien Juan Manuel Santos dans le film publicitaire de la « Marque Colombie » aux côtés du Ministre du Commerce, et dont la diffusion coïncidait avec l’annonce de négociations de paix avec la guérilla. (2)

‘La respuesta es Colombia’

Avec un budget publicitaire de 3 millions de dollars, l’Etat colombien vient en effet de s’offrir une nouvelle vitrine en déployant une opération médiatique d’envergure afin de promouvoir les différents secteurs de son économie pour tenter de « rectifier l’image négative » du pays et attirer les investisseurs du monde entier : ‘La respuesta es Colombia’ (La réponse c’est la Colombie). (3) Un autre projet d’envergure verra le jour en 2014 à Bogota puisque la Colombie est en train de faire construire son plus haut gratte-ciel (66 étages), un projet immobilier pharaonique de 186 millions de dollars, symbole de cette ascension fulgurante que Monsieur Santos et son gouvernement ambitionnent pour les années à venir. (4)

La paix, une affaire rentable

Après cinquante années d’un conflit interne sanglant financé par les Etats-Unis à hauteur de 10 milliards de dollars via le Plan Colombie, et au cours duquel des dizaines de milliers de vie auront été sacrifiées, il est bien évident que le pays en paie un lourd tribut. La guerre coûtant chaque année deux points de croissance à l’économie du pays, la signature hypothétique d’un accord pour mettre fin au conflit qui frappe le pays depuis plus d’un demi-siècle pourrait ainsi avoir des conséquences profondes sur l’économie nationale.

Pourtant, tandis que le Président Santos a le regard tourné vers les étoiles et se prend à rêver que le monde entier ne peut plus se passer de lui, de profondes inégalités sociales demeurent au cœur du conflit toujours en cours et d’innombrables violations des droits humains restent une constante à travers tout le pays. Parmi un des aspects de cette véritable crise humanitaire que vit la Colombie, une réalité particulièrement sordide se déroule tout juste sous les pieds des habitants de Bogota, puisque c’est au fond des égouts que les sans-abris ont trouvé un bien sinistre refuge, pour tenter d’échapper aux opérations de « nettoyage social » que les forces de police colombiennes et les escadrons de la mort pratiquent régulièrement dans la capitale.

Le nettoyage social en Colombie, une pratique de longue date

Le phénomène du « nettoyage social » ou limpieza social n’est pas nouveau en Colombie et fait son apparition à la fin des années 70. Ce sont les individus jugés indésirables pour la société, les « habitantes de las calle » (« habitants des rues ») qualifiés de « desechables » (« jetables ») qui sont les cibles de cette éradication de la pauvreté : enfants des rues, délinquants, toxicomanes, sans-abris, prostituées, travestis… Afin de « nettoyer » la société, des escadrons de la mort, les milices paramilitaires d’extrême droite, mais également les forces de police colombiennes, se livrent littéralement au massacre de ces personnes, depuis plusieurs décennies et en toute impunité. Une vaste tragédie dont l’écho est à peine perceptible et qui persiste jusqu’à ce jour.

Le « nettoyage social » est un phénomène diffus en Colombie et connaîtra différentes phases au cours des décennies avec, parfois, la diffusion de tracts dans certaines villes annonçant la venue de ces escadrons de la mort. Mais c’est peut-être plus particulièrement à Bogota, capitale de 8 millions d’habitants, qui compte la plus grande population de réfugiés du pays, que s’exerce sans relâche ce procédé infâme auquel les autorités colombiennes ont recours. (6)

Descente aux enfers

 

Un documentaire intitulé « Les égouts de Bogota », réalisé par Vice Magazine, nous emmène au fond des égouts de la capitale colombienne et dévoile le sinistre quotidien de ces personnes condamnées à la déchéance. Transis de froid, crevant de faim, des hommes, des femmes et des enfants survivent dans l’obscurité, au milieu d’excréments humains, entourés de rats et de détritus, dans la misère la plus extrême et sous la menace permanente du « nettoyage social » dont ils savent qu’ils sont la cible. (7)

Le Docteur Jaime Jaramillo est une des rares personnes en Colombie à venir en aide aux personnes vivant dans les égouts et a fait sortir des centaines d’enfants des canalisations de Bogota. C’est dans les années 70 que le Docteur Jaime Jaramillo, ou comme on le surnomme en Colombie « Papa Jaime », a commencé à descendre dans les égouts afin de sauver les enfants des rues des abus et de la mort. (8) « J’étais asthmatique et je n’arrivais pas croire que des êtres humains puissent vivre comme çà », raconte le Docteur qui a créé la Fondation Enfants des Andes, une organisation sanitaire et sociale qui recueille, soigne, éduque et socialise ces enfants qui ont vécu les pires souffrances. « Malheureusement, pour pouvoir manger ces enfants doivent voler, et pour voler ils doivent prendre de la drogue. C’est un cercle vicieux. » explique t-il.

« Quand c’est ton tour, c’est ton tour »

Contraints de se terrer dans les égouts où ils continuent d’être traqués par la police et les escadrons de la mort, des hommes, des femmes et des enfants sont les victimes d’agressions barbares. Pedro, qui a survécu à une agression au couteau, témoigne : « Il y a six mois les paramilitaires sont venus et ont mis le feu à une petite fille. Ils ont versé de l’essence sur elle et l’ont enflammée. C’est terrible. » Lorsque leurs agresseurs ne peuvent pas les atteindre par balles ou au couteau alors ils déversent de l’essence dans les bouches d’égouts et y mettent le feu. 22 enfants sont ainsi morts brûlés vifs. Le harcèlement par la police, qui agit généralement le dimanche, est permanent et les pousse à se réfugier au plus profond des canalisations de la ville. « Ils viennent constamment ici, t’attrapent et t’emmènent au poste de police. Là ils te frappent dur et t’aspergent avec un puissant jet d’eau. Ils te disent que tu es bon pour le nettoyage social. Ils ne te disent pas quand mais quand c’est ton tour, c’est ton tour », raconte Roberto. Un autre homme, Pablo, raconte qu’il a perdu sa femme, emportée par une brusque montée des eaux dans les canalisations lors d’une forte pluie à Bogota.

L’année dernière, une pétition en ligne a été lancé sur internet par le site Care2 afin d’attirer l’attention de l’opinion internationale sur le cas du « nettoyage social » en Colombie et pour demander au Président Juan Manuel Santos, au Ministre de la Défense et au Directeur de la Police Nationale que cesse enfin le massacre des sans-abri par les forces de l’ordre et autres escadrons de la mort. La pétition a rassemblé près de 25.000 signatures des quatre coins du monde mais n’aura, semble-t-il, connu aucune suite…(9)

Alors que viennent tout juste de s’engager des pourparlers entre le gouvernement et la guérilla, la Colombie, troisième pays le plus inégalitaire au monde, figure toujours sur la liste noire des différents organismes des droits de l’Homme. Tout récemment, la Cour pénale Internationale vient d’émettre un rapport sur la situation de la Colombie et adresse clairement, à travers celui-ci, un dernier avertissement à l’Etat colombien afin que des changements importants soient mis en œuvre dans la politique pénale de ce pays. (10)

Florence Gatineau

http://libertad95.com/2012/11/16/nettoyage-social-en-colombi…

Cet article a également été publié par Le Grand Soir

 

(1) La marque Colombie se déplace partout dans le monde – vidéo 10 septembre 2012
http://www.youtube.com/watch?feature=endscreen&NR=1&…

(2) Marca Colombia (La Marque Colombie) – vidéo 7 septembre 2012
http://www.youtube.com/watch?v=ktW5Qroam7Q

(3) Marca Colombia – site internet du gouvernement colombien
http://www.colombia.co/

(4) Financement participatif pour le plus haut gratte-ciel de Colombie – article SmartPlanet du 10 octobre 2012
http://www.smartplanet.fr/smart-people/financement-participa…

Projet BD Bacata (Bogota Downtown) – vidéo 17 juillet 2012
http://www.youtube.com/watch?v=KpVbxLNJTaU&feature=share…

(5) Marginalité et répression en Colombie : le cas du « nettoyage social » (Thèse de Doctorat de Delphine Minotti-Vu Ngoc, 2002, Département d’Etudes ibériques et ibéro-américaines) http://delphine.minotti.free.fr/these/tout2.pdf

(6) Colombie : La nouvelle phase du « nettoyage social » – article Tlaxcala du 5 avril 2009
http://www.tlaxcala.es/pp.asp?lg=fr&reference=7381

(7) Les égouts de Bogota – vidéo 18 mai 2012
http://www.youtube.com/watch?v=X4koXeZvAfg

(8) Qui est Papa Jaime ? – vidéo 2011
http://www.youtube.com/watch?v=MWpMg2VRbG0&feature=relat…

(9) Des milliers de sans-abri massacrés, obligés de vivre dans les égouts – article Care2 petitionsite du 5 décembre 2011 http://www.care2.com/causes/thousands-of-homeless-massacred-…

Colombie, stop à l’assassinat des sans-abri au nom du nettoyage social ! (pétition en ligne)
http://www.thepetitionsite.com/1/colombia-stop-murdering-the…

(10) La Cour Pénale Internationale adresse un dernier avertissement à la Colombie – article Fédération Internationale des Droits de l’Homme du 15 novembre 2012
http://www.fidh.org/La-Cour-Penale-Internationale-12432

 

Source : Nettoyage social en Colombie : le massacre des sans-abri | Mondialisation
Nettoyage social en Colombie : le massacre des sans-abri | Mondialisation

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23 juin 2012 6 23 /06 /juin /2012 10:35

 

 

 

José Antonio Gutiérrez D
"Si tu en touches une, tu nous touches toutes Aucune agression sans riposte ne pas toucher, ne pas violer, ne pas tuer"

Le brutal assassinat, avec torture et viol de Rosa Elvira Cely, en plein Parc National de Bogota, a provoqué une vague justifiée d’indignation à travers tout le pays. Au cri de « Pas une Rosa de plus ! », des milliers de Bogotanas se sont rassemblé-e-s le 3 juin sur le site du macabre assassinat pour rendre hommage à cette victime et pour protester avec véhémence contre la violence envers les femmes.



Je ne veux pas m’appesantir ici sur ce crime particulier, qui malheureusement n’est qu’un de plus dans un ensemble de milliers d’abus et de féminicides qui ont cours quotidiennement en Colombie. Je ne veux pas non plus aborder les multiples négligences qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’issue fatale de cette histoire (la réponse inadéquate de la police aux appels de détresse, la négligence dans le traitement médical avec des blessures au couteau non traitées qui ont provoqué sa mort etc.). Ce sur quoi je veux attirer l’attention est l’hypocrisie des médias et des élites colombiens qui sont aujourd’hui saisis d’horreur devant le corps de Rosa Elvira Cely, mais qui ont fermé systématiquement les yeux devant les crimes des paramilitaires, dont l’empalement de Rosa Elvira Cely est une copie conforme.

La pratique de l’empalement, c’est-à-dire la pénétration forcée de l’anus ou du vagin de la victime avec un bâton qui perfore les organes internes, et parfois sort par la bouche, n’est pas une nouvelle forme de sadisme. De fait, c’est une pratique qui a été utilisée en Colombie depuis le début de la violence initiée par les conservateurs, au milieu des années 1940, dans de nombreux villages et zones rurales, où les gangs de chulavitas, pájaros ou paramilitaires (comme on a appelé à diverses époques et dans diverses régions les armées privées au service des grands propriétaires terriens et des caciques politiques de l’establishment) se déplaçaient en terrorisant la population et utilisant la violence sexuelle comme moyen de terreur et de contrôle. L’empalement, tout comme les autres formes sadiques d’agression envers les femmes (couper les seins et extraire le fœtus du ventre, par exemple), démontre clairement une continuité entre la violence « chulavita » des années 40 et la violence « paraca » [paramilitaire] des années 1990 à aujourd’hui. Les agressions envers les femmes et les petites filles sont vues dans la logique paramilitaire comme un moyen d’humilier et d’exercer un contrôle total, machiste, patriarcal et violent sur les communautés considérées comme hostiles à son « projet d’État communautaire » ou alliées avec la « subversion ». Selon la chercheuse Donny Meertens, la violence sexuelle « n’était pas tolérée comme un acte individuel pervers, mais était permise comme une pratique systématique de guerre, applicable seulement à une population spécifique ». [1]

Pour revenir à l’empalement, on ne compte plus les cas de femmes qui, pour avoir été dénoncées comme amantes d’un guérillero, ont été violées, assassinées et souvent empalées. L’empalement, pour donner un exemple, fut utilisé dans le massacre d’El Salado, à Los Montes de María en 2000 : au moins une victime, Neivis Arrieta, âgée de 18 ans, fut empalée parce qu’elle était accusée d’être l’amante d’un guérillero des FARC-EP [2]. Selon Olga Amparo Sánchez, de la Casa de la Mujer (un refuge pour femmes), à Tumaco, en ce moment, l’empalement est utilisé comme pratique systématique par les paramilitaires et la même chose se passe dans plusieurs autres régions du pays [3]. Les paramilitaires ont aussi torturé en les empalant des homosexuels dans les zones qu’ils contrôlent et dans leurs campagnes « d’épuration sociale » [4].

Les médias colombiens, qui s’arrachent maintenant les cheveux, horrifiés par l’empalement de Cely, ne se sont jamais trop scandalisés quand ces pratiques étaient le fait de paramilitaires dans des « zones rouges » [5], souvent avec la bénédiction des forces publiques. Les médias, qui étaient très bien informés de tout ce qui se passait dans les zones rurales colombiennes depuis le début de l’offensive paramilitaire dans les années 1980, n’ont jamais informé avec le même luxe de détails qu’ils l’ont fait dans le cas de Cely, des atrocités commises par le binôme paramilitaires-armée [6]. Curieusement, pour saisir les dimensions réelles d’une telle barbarie, il fallait lire les rapports des groupes de défense des droits humains ou des sites spécialisés dans le conflit, comme « Verdad Abierta », ou suivre le travail de journalistes étrangers, comme le désormais célèbre Roméo Langlois. Les journalistes colombiens et colombiennes, sauf de très honorables exceptions – Hollman Moris en tête -, ont choisi de ne pas enquêter sur ces sujets, que ce soit par médiocrité, par paresse, par peur, par autocensure, par servilité ou par complicité. Je parle de complicité car les groupes économiques qui contrôlent les médias colombiens sont directement liés aux secteurs économiques qui ont financé, armé et encouragés les paramilitaires (intérêts miniers, patrons mafieux, grands éleveurs de bétail, grands propriétaires terriens, multinationales, etc.). Ils sont en fin de compte tous de la même engeance. Tout au plus les mass médias ont –ils déploré les « excès » du paramilitarisme, l’excusant toujours en disant qu’il s’agissait d’une réponse exagérée à la « menace de la guérilla » - , inversant ainsi l’histoire colombienne et déformant les événements [7]. Dans des cas exceptionnels de franchise, ils ont applaudi ouvertement les paramilitaires [10]. Les crimes des paramilitaires ont été passés sous silence, banalisés, mystifiés, cachés, ignorés et excusés quand n’étaient pas applaudis dans les médias, de cette façon, ils ont aidé à rendre plus épaisse cette « nuit et brouillard » dans laquelle opère le paramilitarisme [8].

De Javier Velasco, la seule personne arrêtée jusqu’à maintenant pour le meurtre, on s’est contenté de dire qu’il était un « délinquant de droit commun » [9]. Mais la pratique de l’empalement n’est pas une forme quelconque de sadisme, mais une pratique qui est strictement associée au spectre du paramilitarisme en Colombie. C’est une forme de torture normée, réglée, ritualisée et apprise. Je n’ai aucun doute sur le fait que l’assassin de Rosa Elvira Cely soit lié au paramilitarisme, aux gangs « d’épuration sociale » et aux armées privées que la droite a à sa disposition pour détruire le tissu social, imposer son contrôle total et sa vision du monde rétrograde et conservatrice [10] et pour faire le sale boulot que l’armée ne peut pas toujours faire ouvertement. Je ne me fais aucune illusion non plus : ce lien possible ne sera ni investigué ni étudié parce que les médias colombiens et les groupes d’intérêts derrière eux, n’ont jamais été intéressés à générer un réel rejet du paramilitarisme dans l’opinion publique [11]. Il leur suffit de prendre une position publique tiède, condamnant les « excès » et la mort de « personnes innocentes » (dommages collatéraux) tout en reproduisant le discours du « mal nécessaire ».

La bestialité de ce crime mérite l’indignation justifiée de toute personne ayant un peu de cœur. Nous sommes toutes et tous Rosa, nous devrions toutes et tous dénoncer énergiquement ce crime. Mais les médias et les élites qui les contrôlent poussent de hauts cris non sur le crime lui-même, mais sur le fait que l’empalement ait eu lieu hors de l’ espace où il est « naturel » : le cadre du conflit armé. Ils poussent des cris d’horreur parce que la victime n’était pas un « pédé » ou une « salope » couchant avec un guérillero. Ils crient à l’horreur car l’empalement a eu lieu dans le Parc National et non dans une « zone rouge », dans un hameau au milieu de nulle part ou dans un quartier pauvrissime. Ils sont terrifiés parce que cette barbarie a eu lieu, selon les mots de Meerten, en dehors de la « population spécifique » au sein de laquelle sont choisies les victimes de tels actes, avec la complicité silencieuse des médias et sous les yeux indifférents ou même approbateurs des élites qui continuent à s’enrichir de la guerre et de la logique de l’appropriation de richesse par la spoliation et le contrôle de communautés et de territoires C’est pourquoi ils ont été tellement horrifiés, mais ce sont ces mêmes élites qui continuent de produire des « Javier Velasco » qui empalent, violent et démembrent, ce sont elles qui continuent de soutenir et de former des armées de mercenaires, et qui continuent de faire de l’industrie de la mort l’une des plus prospères dans la terre lacérée de Colombie. Nous ne devrions pas oublier cela une seule minute.

José Antonio Gutiérrez D

http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=7545

Photos de la Journée de Deuil et de Dignité pour l’assassinat de Rosa Elvira Cely et toutes les femmes victimes d’abus et de violence dans notre Amérique, dans le Parc national de Bogotá, convoquée spontanément par un groupe de femmes et d’hommes volontaires. Source : http://feminicidio.net

Notes :

[1] “Victims and Survivors of War in Colombia –Three Views of Gender Relations” dans “Violence in Colombia 1990-2000”, Ed. Charles Bergquist, Ricardo Peñaranda, Gonzalo Sánchez, SR Books, 2001, p.154. Les auteurs font référence au contexte de « Violence » des années 40 et 50, mais nous pouvons considérer la conclusion également valide pour la campagne paramilitaire des années 1980 jusqu’à présentement.

[2] http://www.eltiempo.com/archivo/documento/CMS-6083807

[3] http://www.bbc.co.uk/mundo/noticias/2012/06/120603_colombia_...

[4] http://www.semana.com/especiales/oficio-matar/108229-3.aspx

[5] Zones de conflit.

[6] Le binôme paramilitaires-armée est, selon les rapports de Medicina Legal, responsable de 78% des crimes sexuels commis dans le contexte du conflit armé – desquels, l’armée est directement responsable de 63%. Ce chiffre élevé nous indique que c’est une pratique systématique et récurrente. Voir les mémoires du forum « Pourquoi avons-nous besoin d’une politique criminelle sur la violence sexuelle en Colombie ? » (Novembre 2011), p.6. http://www.sismamujer.org/ Même là, il est important de tenir compte du fait que ces statistiques officielles sont, en toute certitude, une sous-estimation des statistiques réelles, en raison d’une tendance à minimiser les abus des forces publiques et à exagérer ceux des rebelles (ce qui est commun à la plupart des statistiques officielles), en raison des bas taux de dépôts de plaintes : selon un rapport du Défenseur du Peuple en 2008, 81,7% des personnes déplacées ayant subi des abus sexuels ne dénoncent jamais ces crimes. Ces statistiques sont en cohérence avec une étude indépendante, menée en 2012 par Oxfam et la Maison des Femmes, sur un échantillon représentatif de femmes, selon laquelle 82% de celles qui ont reconnu avoir été victimes de violence sexuelle n’ont déposé aucune plainte officielle (Ibid). Un autre rapport, sur la violence sexuelle dans le département du Magdalena et dans les Montes de María, en arrive à la conclusion que « Les soldats sont de loin les principaux auteurs de ces crimes, commis dans le « contexte stratégique » de conquête territoriale et aussi de manière « opportuniste », afin d’obtenir « satisfaction sexuelle », vu que le « mépris envers les femmes » inculqué dans leurs rangs (…) sous-tend cette conduite. » http://www.elespectador.com/noticias/judicial/articulo-31178...

[9] En réalité, ces groupes de guérilla ont été formés vers la fin des années 40 en réponse (comme groupes d’auto-défense) aux abus et crimes des escadrons conservateurs (prédécesseurs des paramilitaires modernes) en milieu rural.

[10] Voir l’éditorial d’ El Tiempo du 30 juillet 1987.

[11] Preuve en est le massacre, cette semaine, par des paramilitaires de 5 personnes dans la municipalité de Remedios (Antioquia), qui a à peine eu droit à une « couverture » de 120 misérables mots (3 juin). Ce n’était pas un massacre, mais une « attaque », perpétrée non pas par des terroristes, mais par des « inconnus ». La source médiatique rapporte que des paramilitaires et des guérilléros opèrent dans la zone, laissant planer un doute sur l’identité des auteurs du massacre, alors que tout le monde sait qu’il s’agissait d’une attaque des paramilitaires : le massacre, en fait, a eu lieu dans un centre communautaire local, les centres sociaux sont souvent les cibles des paramilitaires qui se spécialisent dans l’attaque de toute forme d’organisation populaire. El Espectador n’ose pas dénoncer le paramilitarisme : les actions des paramilitaires sont toujours perpétrées par des « gens non-identifiés » - ce n’est rien d’autre qu’un moyen d’épaissir la chape de « nuit et brouillard » sous laquelle ces armées de mercenaires de la droite opèrent. Cela contraste nettement avec la couverture d’actions des rebelles par ces mêmes médias. http://www.elespectador.com/noticias/judicial/articulo-35065...

[12] http://www.semana.com/nacion/muerte-rosa-elvira-cely-crimen-...

[13] Les tueurs à gages et les dépeceurs portent souvent des chapelets et ont une prière au bout de leur langue.

[14] Preuve en sont la distance et l’ambigüité adoptées pour relayer les appels à des journées nationales de protestation contre les paramilitaires (comme celle du 6 mars 2008), qui contrastent avec l’enthousiasme montré chaque fois qu’il y a une quelconque déclaration contre les rebelles.

URL de cet article 17053
http://www.legrandsoir.info/colombie-empalee-feminicide-et-terrorisme-d-etat.html
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21 juin 2012 4 21 /06 /juin /2012 21:22

 

 

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Je relaye ce texte, sans trop d’illusion, j’ai pu le rendre compte à quel point notre Occident, égoïste, prétentieux, nombriliste, détourne les yeux dès que se mènent des luttes qui pourraient restreindre le cul dans le beurre obtenu grâce au pillage et au meurtre des peuples qui détiennent les ressources. Pourtant au Sud des femmes, des hommes luttent pour notre avenir commun, pour un changement de paradigme, avec moins de gadgets jetables ou d’automobiles individuelles, certes, mais d’autres valeurs qui sont certainement constitutives de la joie de vivre, de la bonne santé. Croissance est synonyme de meurtres, de spoliation, de déplacement forcé, d’enfermement, de misère féroce, et de manière d’autant plus accrue que les ressources se font plus rares. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle phase d’accumulation du capitalisme monopolistique concentrationnaire, ce qui se profile à l’horizon en Europe c’est la généralisation de la situation grecque qui n’a pas encore atteint son pire. Demain, après-demain peu importe. Aujourd’hui je crois que l’Amérique Latine en Résistance a quelque chance de succès, j’ai de sérieux doutes en ce qui concerne l’Europe qui n’a plus la créativité, ni l’esprit de solidarité ni non plus la culture qui lui permettrait de mener une Résistance cohérente et efficace. Un texte lu chez coco Magnanville

Mexique - Villes rurales durables: "Droits violés, paysans urbanisés"

 

 

CIUDADES RURALES SUSTENTABLES - “DERECHOS VIOLADOS, CAMPESINOS URBANIZADOS”

 

 

logo espoir



En mai 2012, les organisations membres du Réseau pour la Paix au Chiapas ainsi que le Collectif pour la Recherche et l'Analyse Collectives (CAIK) ont publié un rapport fruit d'une Mission civile d'observation au Programme « Villes Rurales Durables» (CRS selon ses sigles en espagnol) organisée en octobre 2011. Le présent article résume plusieurs parties de ce rapport.

Selon la perspective du gouvernement, le programme CRS a pour principal objectif de« regrouper dans un centre urbanisé la population vivant dispersée dans des petites communautés marginalisées, sans rompre avec leur environnement, en respectant leur identité et en renforçant leur citoyenneté»(1). Toutefois, la Mission Civile d'Observation a pu constater que l'on est loin de respecter cet objectif et qu'au contraire, ce programme « a violé et continue de violer le droit à l'autodétermination des peuples et des communautés qui ont été déplacés ou que l'on prétend déplacer de leurs territoires ». Elle souligne également qu'il existe d'autres intérêts qui constituent autant de raisons pour déplacer ces personnes, en utilisant comme prétexte des arguments qui affirment que c'est la seule façon d'améliorer leur accès aux services de base ou que ces populations vivent dans des zones à risque.

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Photo : CRS Santiago El Pinar © SIPAZ

Les Villes rurales comme « réponse à la pauvreté »


Le gouvernement du Chiapas considère que la principale cause de la pauvreté est la dispersion de la population dans un état qui se trouve au second rang en matière de marginalisation au niveau national, précédé de Guerrero et suivi par Oaxaca (Institut National des Statistiques et de Géographie, INEGI 2010). Selon ses arguments, le fait que les communautés rurales soient loin de centres de population plus importants complique leur accès aux services de base comme l'électricité, l'eau, l'éducation ou la santé. Suivant cette logique, depuis le début du mandat de l'​​actuel gouvernement du Chiapas, le Programme « Villes Rurales Durables » a été mis en place.
Au lieu de fournir les services de base aux personnes dans leurs propres villages, la population est concentrée dans les villes rurales où on les leur fournit. Dans la plupart des cas observés par la Mission, les bénéficiaires n'ont pas été consultés ni informés correctement, complètement et de manière anticipée de ce qui constitue pourtant un changement radical dans leur mode de vie.
Objectifs du Millénaire de Développement élevés au rang constitutionnel au Chiapas
Le Programme CRS s'inscrit dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) promus par l'Organisation des Nations Unies (ONU) en 2000. Les OMD se fixent comme priorité la lutte contre l'extrême pauvreté. Bien qu'il existe des critiques concernant les OMD - la plus importante tenant au fait qu'il est impossible d'homogénéiser les besoins des différents peuples dans le monde, en juillet 2009, le Congrès de l'état du Chiapas a élevé les OMD au rang constitutionnel. Dans le cas du Chiapas, on a pu observer que chercher à améliorer certains indicateurs spécifiques (par exemple la mortalité maternelle, comme l'a illustré la chercheuse Graciela Freyermuth) peut générer des distorsions et ne permet pas d'aborder la nature structurelle de la pauvreté.

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Photo : Poulailler, Santiago El Pinar, © SIPAZ

Villes Rurales Durables au Chiapas dans l'actualité

Il existe actuellement sept CRS au Chiapas, certaines d'entre elles déjà construites et d'autres, encore au stade de leur planification ou construction. Les deux villes rurales d'ores et déjà habitées sont Santiago El Pinar et Nuevo Juan de Grijalva. En septembre 2009, le président Felipe Calderón a inauguré la « première Ville Rurale Durable dans le monde entier »: Nuevo Juan de Grijalva(2). La deuxième ville rurale, Santiago El Pinar, dans les Hauts Plateaux du Chiapas, a également été inaugurée par Calderón en avril 2011. Deux autres villes rurales sont en cours de construction (Ixhuatan et Jaltenango) au même titre que deux villages ruraux, Jitotol et Emiliano Zapata. Une autre ville en est au stade de la planification, la CRS-Soconusco, qui serait située sur la Côte. Il y existe finalement des informations contradictoires quant à la possibilité de construire une CRS à Copainala, dont la première pierre a pourtant été officiellement posée.

Programme CRS et violations des droits humains


Le rapport de la Mission d'Observation affirme que plusieurs droits humains sont violés par le programme CRS, ce qui conduit à une violation générale du droit à l'autodétermination. Selon les témoignages de plusieurs personnes, lorsque des fonctionnaires sont venus leur proposer de partir vivre dans une CRS, ils ont utilisé autant des promesses que des menaces (en déclarant par exemple que le gouvernement retirerait tout soutien aux communautés si elles n'acceptaient pas le projet). Cette pression qui leur présentait ce choix comme leur seule option a fait que beaucoup ont finalement décidé d'émigrer vers les villes rurales.
Cette décision a entraîné un changement radical de leur mode de vie qui, dans les conséquences négatives, mine la souveraineté alimentaire que tant bien que mal ces personnes parvenaient à maintenir dans leurs communautés d'origine: « En ville, il faut tout acheter », résume une personne interviewée par la Mission d'observation. De son côté, après sa visite à Santiago El Pinar et Nuevo  Juan de Grijalva en juin 2011, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l'alimentation, a affirmé que le programme CRS n'a pas amélioré la situation alimentaire des personnes y vivant, et il a recommandé de mener «une évaluation indépendante et complète des expériences de Nuevo Juan de Grijalva et de Santiago El Pinar avant de construire de nouvelles villes suivant ce même modèle »(3).

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Photo : Maison vide: Enquête pour mesurer l'Indice de Développement Humain (IDH)
par municipalité dans l'état du Chiapas, Santiago El Pinar © SIPAZ


Les personnes directement touchées n'ont pas été consultées sur la façon dont ils aimeraient vivre au cours des différents stades de l'élaboration du programme. Par exemple, à propos du type de maisons,  des habitants de Nuevo Juan de Grijalva ont déclaré: « Personne ne nous a demandé notre opinion. Des experts sont venus de Mexico et ont dressé leurs plans ». En fin de compte, ils ont reçu des lots relativement petits. Les maisons mesurent sept mètres de long pour six mètres de large alors que des familles souvent nombreuses devront y habiter. Pour couronner le tout, elles sont construites avec un matériau préfabriqué qui résiste peu à la pluie. Des habitants de la communauté de Sayula qui ont été déplacés à Nuevo Juan de Grijalva, soulignent : «Le gouvernement nous a dit qu'il nous donnerait une meilleure maison, plus grande, plus confortable, mais c'est un nid de rat ». Dans leurs communautés par ailleurs, ils avaient l'habitude de cuisiner au feu de bois, mais les maisons dans les CRS ​​ne prévoient pas un espace à part, et cuisiner de cette façon à l'intérieur de leur nouveau logement constituerait un danger.

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Photo : CRS Santiago El Pinar © SIPAZ


En ce qui concerne le droit à la terre, les villes rurales se trouvent généralement à de nombreuses heures de distance des communautés d'origine. Face à l'absence d'alternatives de travail dans leurs nouveaux lieux de vie, les hommes vont travailler leurs terres d'origine, et peuvent y rester une semaine ou deux pour éviter des frais de transport trop élevés. Cette situation contribue aussi à une fragmentation de la famille. Dans certains cas, le transfert pour une ville rurale a entraîné la perte des titres des parcelles. On a par exemple promis aux habitants de Nuevo Juan de Grijalva une compensation suite à la perte de leurs terres après un éboulement de terrains qui détruisit leur communauté en 2007. Cependant, ils n'ont jamais reçu cet argent et quelques personnes ont même été emprisonnées pour avoir protesté face à cette situation. Une partie de leurs terres a d'ores et déjà été expropriée par la Commission Fédérale d'Électricité (CFE), qui a commencé à les utiliser possiblement pour construire un nouveau barrage(4).

La violation du droit au travail est intimement liée aux droits à la terre vu que les paysan(ne)s sont habitué(e)s à vivre de celle-ci. Dans les CRS, ils n'ont pas assez d'espace pour continuer à vivre de cette manière. Une partie du programme des CRS, selon ses propres objectifs, est de fournir des emplois à ses habitants. Cependant, les options existantes sont limitées et, pour ceux qui obtiennent un emploi, elles génèrent des revenus qui restent insuffisants pour maintenir leurs familles. Tant le poulailler ou la serre pour semer des fleurs à Santiago El Pinar, que l'usine laitière de Nuevo Juan de Grijalva offrent des salaires si bas que beaucoup sont obligés de retourner cultiver leurs terres près de leurs communautés d'origine, ou bien ils doivent chercher d'autres options en dehors de la CRS. Un habitant de Nuevo Juan de Grijalva a déclaré: « Le gouvernement nous a promis beaucoup de travail, d'emplois et tout ça. Mais ce qui se passe, c'est qu'aujourd'hui encore, nous n'avons pas d'emplois. »

Diverses critiques concernent même ce qui devrait être le principal apport du Programme : l'accès aux services. Plusieurs personnes ont souligné par exemple le fait que la proximité d'un hôpital ne garantit en rien la qualité des services que celui-ci propose. Un article paru dans le journal Mirada Sur en mars 2012 dresse un tableau encore plus pitoyable de Santiago El Pinar que ce que la Mission avait pu observer fin 2011. Sur les plus de deux mille habitants qui étaient censés habiter la CRS, en mars, il ne restait plus que 10 familles. Le fonctionnaire municipal de Santiago El Pinar, Domingo Gómez Gómez, a déclaré dans une interview avecMirada Sur que l'usine de production d'eau potable ne fonctionnait pas et qu'il n'y avait donc pas d'eau. Du fait des dettes contractées avec la Commission Fédérale d'Électricité (CFE) à ce moment-là (soit plus d'un million 600 mille pesos), il n'y avait plus de lumière. Entre absence d'eau et d'électricité, l'hôpital avait cessé de fonctionner 24 heures sur 24.

Intérêts économiques et politiques non révélés à l'origine du Programme de CRS

Les organisations qui ont participé à la Mission d'Observation ont aussi conclu que derrière les objectifs officiels de développement économique et social de la population marginalisée, on trouve également des intérêts politiques et économiques d'entreprises tant nationales qu'internationales pour que les populations « bénéficiaires » soient expulsées de leurs terres.

Mines et électricité


Le nombre croissant de concessions accordées à des entreprises minières principalement canadiennes, américaines et anglaises au Mexique est un élément qu'il faut souligner lorsque l'on aborde le Programme CRS. Durant les deux dernières administrations présidentielles, environ 28 000 concessions avec un contrat de cent ans ont été attribuées au Mexique. Un bulletin du Centre de Recherches Économiques et Politiques en faveur de l'Action Communautaire (CIEPAC), de décembre 2008, a fait remarquer: «d’après le point de vue du gouvernement et des entreprises, les Villes  Rurales Durables peuvent 'offrir une solution' quant à ce qu'on pourrait faire avec les milliers de familles qui devraient être déplacées de force de leurs terres pour céder la place aux mines ou aux barrages qui devraient également être construits pour répondre aux besoins de l'exploitation minière »(5).

Par exemple, dans le cas de Ixhuatan, les personnes qui pourraient être déplacées habitent dans une zone d'intérêt pour l'exploitation minière. Les habitants de la communauté Nueva Esperanza , qui en font partie, ont commenté en détail à la Mission d'Observation le travail effectué par l'entreprise minière et comment celle-ci cherche à les impliquer pour lui permettre de travailler librement: «Ils sont arrivés, ils ont commencé à percer, et ils ont donné 200000 pesos à l'ejido. [...] Ce sont des étrangers, du Canada ». Le déplacement de la population pourrait aider la compagnie minière canadienne Cangold Limited non seulement à avoir un accès aux terres mais aussi à une main d'œuvre bon marché.
D'un autre côté, la Commission Fédérale d'Électricité (CFE) a annoncé en juillet 2010 ses plans de construction d’un nouveau barrage hydroélectrique sur le fleuve Grijalva, appelé barrage Copainala ou Chicoasen II. L'installation de cliniques et d'écoles est prévue pour « dédommager » les communautés qui seraient expulsées. Dans le cas de Nuevo Juan de Grijalva, comme nous l'avons déjà mentionné, ses habitants ont été relogés dans la Ville Rurale après un éboulement de terrains qui détruisit leur village en 2007. Cependant, certains soupçonnent(6) que cet éboulement ne fut pas causé par les pluies abondantes, mais par des bâtons de dynamite. Peu de temps après la catastrophe, la CFE a construit deux tunnels d'évacuation des eaux qui lui permet de produire de l'électricité, selon les témoignages reçus par la Mission d'Observation.

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Villes Rurales et ressources naturelles prioritaires © CIEPAC, A.C.



Reconversion de la production et biocarburants


Le programme CRS est également lié au projet de Réduction des Émissions liées à la Déforestation et à la Dégradation des forêts (REDD +) dans la mesure où leurs habitants sont encouragés à se reconvertir et à ne plus donner la priorité à la production en vue de l'autoconsommation. Par exemple dans le cas de la CRS en projet à Copainala, le gouverneur Juan Sabines a demandé aux agriculteurs de miser sur les cultures de substitution tels que le pignon qui est utilisé pour produire du biodiesel. Dans la municipalité de Acapetahua, où sera construite la ville rurale de la région du Soconusco, se trouve la plus grande superficie de l'état destinée à la production de palme africaine, qui sert elle aussi pour les agrocarburants.En septembre 2010, la Société Civile Las Abejas mentionnait déjà: « le gouvernement ne veut plus que nous fassions pousser du maïs ou d'autres aliments que nous cultivons de manière ancestrale ; il veut désormais que nous fassions pousser des palmiers et des pins. Avec le maïs et les haricots noirs, nous pouvons nous alimenter; les palmiers et les pignons qui permettent de produire du biocarburant ne servent qu'à alimenter les voitures »(7).

Les plans de développement «verts» des gouvernements fédéral et du Chiapas impliquent par ailleurs que les communautés qui vivent dans des réserves naturelles soient déplacées et qu'elles cessent d'utiliser leurs terres à des fins agricoles. Les communautés qui se trouvent dans la biosphère de El Triunfo, par exemple, devraient se voir obligées à aller vivre dans la CRS de Jaltenango vu que le gouvernement du Chiapas est entré sur le marché des crédits de carbone avec cette réserve écologique.

Stratégie de contrôle de la population et stratégie contre-insurectionnelle


Dans un de ces articles, le journaliste Hermann Bellinghausen affime que « la création de ces 'pôles urbains' est pronée par des entreprises de grande envergure dans le monde de la surconsommation: TV Azteca, et son entreprise de vente au détail et d'activités bancaires Elektra, Telcel, Coppel, une chaîne de magasins 24/24, les plus grosses boites de peintures et de ciment »(8). Il affirme en outre que le programme CRS « joue un rôle dans la stratégie contre-insurrectionnelle systématiquement mise en place dans les communautés autochtones du sud-est du Mexique afin de les démanteler et de les expulser de leurs territoires. » Lors du Forum "Exclusion ... Inclusion néolibérale", organisé par diverses universités et centres de recherche en mai, Marcos Arana, membre de l'Institut National des Sciences Médicales et de la Nutrition Salvador Zubirán, a établi un parallélisme entre le projet CRS et  les hameaux stratégiques du Vietnam dans les années 60. Celles-ci cherchaient à démanteler les villages rebelles, ainsi que leurs liens à leurs terres et à leur communauté. Dans le cas de Santiago El Pinar, le choix de l'emplacement pour la CRS pourrait répondre également à des intérêts politiques. En 1999, le gouvernement a créé cette municipalité pour contrer la présence croissante de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) dans la région. La CRS se trouve dans cette municipalité, à proximité des municipalités zapatistes autonomes de San Andrés Sakamch'en de Los Pobres et de San Juan de la Libertad, ainsi que du centre politique zapatiste du Caracol d'Oventic.

Manifestations contre les « projets de mort » et de déprédation

Comme mentionné précédemment, depuis sa création, le programme CRS a fait l'objet de nombreuses critiques de la part d'organisations de la société civile. Le 19 novembre 2010, par exemple, plus d'un millier de catholiques provenant de 11 municipalités dans les Hauts Plateaux du Chiapas ont organisé un pèlerinage à San Cristóbal de las Casas pour exprimer leur opposition à l'exploitation minière ainsi qu'à la construction de barrages et de villes rurales, qu'ils considèrent tous comme «des projets de mort ».

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Photo : Conférence de presse du Réseau pour la Paix suite à la Mission Civile
d'Observation au Programme des Villes Rurales Durables, mai 2012 © SIPAZ

Lors du Forum régional pour la défense des droits humains, tenu à San Cristóbal de Las Casas en décembre 2011, les participants se sont eux aussi prononcé contre « la continuité de la politique de construction de Villes Rurales, car elles affectent les formes traditionnelles de production et les modes de vie des populations locales, sans pour autant contribuer à l'amélioration de l'accès aux services, comme cela a été prétexté ». Ils ont également affirmé que cette politique de transfert de population vers des villes rurales est « une forme voilée de déplacement forcé qui sert des intérêts économiques contraires à ceux des communautés ».

Il y a d éjà deux ans, en août 2010, les membres de la paroisse de San Pedro Chenalhó ont exprimé dans un communiqué leur opposition  à la possibilité de construction d'une Ville Rurale dans leur municipalité. La déclaration précisait : «Nous craignons que l´on nous impose le projet des Villes Rurales et que l'on ne demande  pas si les gens sont d'accord ou pas d'accord. [...] Nous avons décidé de nous opposer définitivement à la construction de villes rurales. Car il est clair que ce plan a été élaboré pour que nous abandonnions nos terres, pour que des sociétés transnationales les occupent et une fois que nous serons regroupés à un seul endroit, pour nous contrôler et nous forcer à cultiver d'autres semences qui ne seront plus ni le maïs, ni les haricots noirs, etc ».
  1.  
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      1.  Villes Durables Rurales 2012, Gouvernement de l'état du Chiapas - Institut de Population et Villes Rurales (Retour ...)
      2.  Article: Inauguró el Presidente de la República la Ciudad Rural Sustentable Nuevo Juan del Grijalva (Retour ...)
      3. Déclaration finale de la Mission des Nations Unies pour le Haut Commissaire des Droits Humains (Retour ...)
      4. “De la tierra al asfalto” (“De la terre au goudron”) : Rapport de la Mission Civile d'Observation du Réseau pour la Paix au Chiapas et de CAIK sur le Programme des Villes Durables Rurales, 2012 (Retour ...)
      5. CIEPAC, Villes Rurales au Chiapas: Déprédation du gouvernement contre les paysans, Seconde partie, 31 décembre 2008 (Retour ...)
      6.  Ses soupçcons partent de témoignages d'habitants de la zone obtenus durant la Mission Civile d'Observation ainsi que sur une étude réalisée par la Ligue Mexicaine des Droits de l'Homme (LIMEDDH). (Retour ...)
      7. Chiapas: ouverture d’une nouvelle Cité Rurale Durable dans Los Altos (2007)(Retour ...)
      8.  Adieu à la terre, Suuplément du journal La Jornada Ojarasca (2010) (Retour ...
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18 juin 2012 1 18 /06 /juin /2012 12:39

 

Malgré que ce texte fasse l'impasse sur ce qui se passe au Honduras, il est aussi éclairant pour l'histoire de l'Amérique Latine que pour la nôtre. A la lumière de l'évolution des statégies étasuniennes en Amérique Latine en général, en Colombie en particulier et au Honduras aujourd'hui nous pouvons tirer de préciaux enseignements pour comprendre notre histoire, la genèse de la situation actuelle et ce qui pourrait bien se produire à l'avenir. Ce texte est un véritable trousseau de clé.

Impérialisme et violence en Colombie

Par James Petras

Source du texte en espagnol : Rebelión 

Imperialismo y violencia en Colombia

L’intervention militaire des USA en Colombie constitue la guerre de contre-insurrection la plus longue dans l’histoire mondiale récente. Elle a commencé quand le Président Kennedy a créé en 1962 les « Bérets verts » et c’est intensifiée dans ce nouveau siècle avec le programme militaire de sept millions de dollars du Président Clinton (Plan Colombie) initié en 2001, qui aujourd’hui se poursuit avec Obama,  et avec l’établissement de 7 nouvelles bases militaires. La guerre que les USA mènent en Colombie dure depuis 50 ans déjà. Dix présidents étasuniens, 5 démocrates et 5 républicains, libéraux et conservateurs, ce sont succédés pour conduire de l’avant une des plus brutales guerres de contrinsurrection jamais enregistrée en Amérique Latine. En termes d’assassinats de civils, de syndicalistes et d’activistes, de droits humains, de déplacement de paysans, l’oligarchie appuyée par les USA détient le douteux privilège de figurer en tête de liste des gouvernements tyrans.

Pour comprendre la sanglante histoire de l’intervention impériale des USA en Colombie il est nécessaire d’examiner différents aspects clés du récit dans un contexte historique comparatif qui considère les spécificités de la classe dominante de Colombie et l’importance géopolitique stratégique du pays pour l’hégémonie des USA dans l’hémisphère Sud.

 

Colombie : une classe dominante transoligarchie

 

La violence est endémique dans une société régie par une classe dominante, fermée sur elle-même, depuis les partis politiques oligarchiques du 19ème siècle (et leurs factions rivales) -  sévissant durant la majeure partie du 20ème siècle et jusqu’au 21ème siècle. La Colombie diffère de la majeure partie des pays américains dans lesquels, au début du 20ème siècle, se développa la représentation de divers partis d’une classe moyenne. Dans la période postérieure à la Première Guerre Mondiale particulièrement durant la dépression des années 30, surgissent en Amérique Latine des partis socialistes, communistes et national-populistes pareils au régime du type front populaire. Cependant la Colombie resta figée dans le passé d’un système politique fermé dominé par deux partis de l’oligarchie, en compétition avec des balles et des votes.

 

Dans la période immédiatement postérieure à la seconde guerre mondiale émergea la figure nationaliste et populaire de Jorge Eliécer Gaitan, qui fut assassiné et le pays entra dans une période de bain de sang appelée « la Violence » qui toucha toute la société. Des factions de l’oligarchie conservatrice et libérale financèrent des bandes armées pour assassiner les uns et les autres, le résultat fut 300 000    (trois cent mille) morts. Les oligarques terminèrent la guerre en signant un accord d’alternance au gouvernement, le dit « front National » qui consolida plus que jamais le pouvoir empêchant qu’aucun nouveau mouvement politique n’obtienne la moindre représentation significative.

 

Y compris quand émergea une pseudo alternative, sous la direction du populiste de droite Rojas Pinilla, les masses urbaines et les pauvres des campagnes furent soumis par les armées privées des propriétaires terriens pendant que le mouvement ouvrier urbain était brutalement réprimé par les militaires et la police. Les dissidents démocrates intégraient en général une faction du parti libéral, pendant que les activistes ouvriers se regroupaient autours des syndicats militants et des partis communistes ou de petits partis socialistes clandestins ou semis légaux.

 

La guerre froide et la pénétration impérialiste des Etats-Unis

 

Avec le commencement de la guerre froide, Washington trouva dans l’alliance oligarchique bipartite un complice fort bien disposé, spécialement depuis l’élimination de Gaitan et la sauvage répression des militants syndicalistes qui travaillaient dans les complexes agricoles contrôlés par les Etats-Unis.  Commençant par les accords militaires bilatéraux et multilatéraux de principes des années 50, la politique colombienne resta figée dans un schéma de subordination et de collaboration avec Washington, pendant que les USA étendaient leur pouvoir impérial depuis l’Amérique Centrale et les Caraïbes vers le reste de l’Amérique Latine.

 

Les similitudes entre les systèmes politiques bipartis de Colombie et des Etats-Unis et l’exclusion de quelque opposition effective que ce soit dans les deux pays, facilita la continuité et la collaboration. Le résultat fut que l’oligarchie colombienne n’eut pas à affronter les défis qui surgirent ici et là en Argentine, Brésil, Chili et Uruguay.

 

La révolution cubaine et l’alliance entre les Etats-Unis et la Colombie

 

La Révolution Cubaine, en particulier la transition vers le socialisme et la multiplication de mouvements guérilléros en Amérique Latine, marqueront un point d’inflexion dans les relations entre les USA et la Colombie, la Colombie se transforma en un pays central pour la stratégie contre-révolutionnaire de Washington. Ce fut comme un laboratoire des USA dans la lutte contre l’essor révolutionnaire dans les années 60.

 

La Colombie fut une espèce de trampoline duquel Washington lança une contre-offensive consolidant des régimes militaires pour établir un empire de pays dépendants – clients ouverts aux intérêts économiques des USA et obéissants aux dictats de la politique extérieure de Washington.

 

 

Impérialisme étasuniens et nationalisme latino-américain : Introduction et adaptations ;

 

L’empire étasunien ne surgit pas complètement formé de la fin de la seconde guerre mondiale ? Il dut se confronter et vaincre de nombreux obstacles et défis internes et externes. A l’intérieur, à la fin de la seconde guerre mondiale, après cinq années de guerre, la majorité des citoyens des Etats-Unis exigèrent une démobilisation militaire (1945 – 1947) ce qui affaiblit la capacité d’intervention contre les nouveaux gouvernements progressistes au Guatemala, au Chili et dans d’autres pays. Cependant avec la guerre froide et la « guerre chaude » en Corée, les USA se réarmèrent et se lancèrent en quête de l’hégémonie mondiale. Les gouvernements progressistes et leurs leaders furent expulsés du pouvoir et emprisonnés au Venezuela, au Guatemala, au Chili. Tout au long des années 50 Washington soutint la première (mais non la seule) « Ere de dictatures et de  Marché Libre ». Parmi elles, étaient inclus les régimes d’Odria au Pérou, de Perez Jimenez au Venezuela, de Ospina y Gomez en Colombie, de Trujillo en République Dominicaine, de Duvalier en Haïti, de Armas au Guatemala et de Batista à Cuba.

 

Entre 1948 et 1960 l’empire étasunien dépendit complètement de la force brutale des dictatures et de la complicité des oligarchies agro-minières locales pour établir sa domination.

L’empire fondé dans les dictatures de droites, ne dura qu’une décennie. Initiée avec la victoire du Mouvement du 26 juillet à Cuba, commença une décade (1960-1970) d’insurrections révolutionnaires qui, surtout le continent, défièrent le pouvoir impérial  et les collaborateurs-clients de l’Empire.

L’impérialisme US face à la disparition de ses clients dictatoriaux, se vit forcé de s’adapter à la nouvelle configuration de forces composées de partis électoraux réformistes de classe moyenne, à une nouvelles génération de radicaux et à un mouvement révolutionnaire composé d’intellectuels, de paysans et d’ouvriers inspirés par l’exemple de Cuba.

 

En 1962 Washington lança une nouvelle initiative stratégique appelée « Alliance pour le Progrès » (AP) pour créer la division entre les réformistes et les révolutionnaires : la AP promettait aux régimes réformistes de classe moyenne tant une aide économique que des conseillers militaires, des armes et des forces spéciales pour détruire l’insurrection révolutionnaire. C’est dire, la violence impériale se fit plus sélective : elle était dirigée vers les mouvements révolutionnaires indépendants et englobait une meilleure participation militaire directe dans les programmes de contrinsurrections des régimes sortis des urnes.

 

Colombie, l’exception : Répression avec réforme

 

A côté du reste de l’Amérique latine où les réformes agraires, démocratiques et nationalistes se poursuivaient de pair avec les programmes de contrinsurrection (Chili, Equateur, Pérou, Brésil et Venezuela) en Colombie l’oligarchie restait au pouvoir, bloquant le surgissement d’une alternative réformiste-démocratique et dépendait complètement d’une stratégie de militarisation totale et de polarisation politique entre révolution et réaction.

 

En Colombie,  l’impérialisme étasunien n’eut pas à choisir entre un régime réformiste de classe moyenne et un mouvement révolutionnaire parce que le système oligarchique biparti dominait l’arène électorale. Les Usa ne devait pas y combiner la « carotte et le bâton » mais pouvait concentrer tous leurs efforts à consolider le pouvoir militaire de l’oligarchie dominante.

 

La classe dominante colombienne écarta toute forme de réforme agraire à la différence du Chili, du Pérou et de l’Equateur pour la simple raison qu’elle était l’élite des propriétaires terriens. L’oligarchie colombienne se subit aucune pression du nationalisme militaire pour nationaliser les industries stratégiques, comme en Bolivie (étain et gaz)  ou au Pérou (pétrole et cuivre) parce que les militaires étaient sous le commandement des USA et étroitement liés à la narco-bourgeoisie émergente.

 

Jusqu’à la fin des années 60, la Colombie se convertit en la pièce clé (le « modèle » ») de la politique des USA pour l’Amérique Latine. La région passa du réformisme au nationalisme radical et au socialisme démocratique au début des années 70, principalement dans les pays andins et les Caraïbes.

 

La Colombie était l’anomalie dans la région andine gouvernée par des nationalistes comme Guillaume Rodriguez en Equateur, Juan Velasco au Pérou, J J Torres en Bolivie et des socialistes démocratiques comme Salvador Allende au Chili. La classe gouvernante colombienne fonctionnait comme le « contrepoint » des USA dans le lancement de sa seconde et plus brutale contrerévolution qui commença avec le coup d’état au Brésil en 1964.

 

Par la suite les USA envahirent et occupèrent la république dominicaine en 1965/66 et appuya le renversement d’Allende, de Rodriguez, de Torres et de Velasco Alvararado dans les pays andins. Après cela, les USA appuieront les coups d’état militaires en Argentine (1976) et en Uruguay (1972)

 

Le Pentagone organisa des escadrons de la mort mercenaires aux Salvador et au Guatemala tuant près de 300 000 mille paysans, ouvriers, indigènes, professeurs et autres personnes. Les USA organisèrent depuis le  Honduras une armée mercenaire (les « Contras ») pour détruire la révolution sandiniste au Nicaragua.

 

La classe gouvernante de Colombie avec l’appui des experts en contrinsurrection des USA et d’Israël, essaya de suivre la direction contrerévolutionnaire des USA en s’engageant dans une politique de « terre  brûlée » pour vaincre l’insurrection populaire. Mais les narco-présidents Turbay, Betancur, Barco, Gaviria et Samper n’obtinrent que des succès limités – ils détruirent l’Union Patriotique, une organisation légale et populaire,  mais cela eu pour conséquence d’augmenter la taille, la portée et le nombre de membres de l’insurrection armée.

 

La seconde vague de « Dictateurs et Libre Marché » (1970-1980) – incluant Pinochet (Chili), Videla (Argentine), et Alvarez (Uruguay) – réussirent à contenir la pression populaire et à affronter les crises insolubles causées par la dette externe aux débuts des années 80. Une fois de plus l’impérialisme US affrontait un défi et une alternative : ou continuer avec les dictateurs et la crise financière aigüe ou instrumentaliser une « transition démocratique » qui permette de préserver l’état et une économie néolibérale.

 

L’ère dorée de l’impérialisme…. Néolibéralisme et élections 1990-2000 (sauf en Colombie)

 

La décade des 90 fut témoin des plus grands pillages des économies latino-américaine depuis l’époque de Pizarro et Cortès. Les présidents Menem en Argentine, Salinas y Zedillo au Mexique, Cardoso au Brésil, Sanchez de Losada  en Bolivie et Fujimori au Pérou privatisèrent et dénationalisèrent – en général via décret présidentiels – plus de cinq mille entreprises, mines, ressources énergétiques, banques et réseaux de télécommunications appartenant à l’état et évalués à plus de mille milliards de dollars. Dans la décade de 1990 plus de 900 mille millions de dollars sortirent d’Amérique Latine en formes de bénéfices, royalties et paiement d’intérêts à des corporations multinationales, des banques et des spéculateurs. En Colombie, le narcotrafic se convertit en la principale source de revenu pendant que l’oligarchie traditionnelle s’unit à la narco bourgeoisie dans le blanchiment  de mille million de dollars via des comptes « correspondant » dans les principales banques des USA à Miami, Wall Street, et Los Angeles.

 

La transition des dictatures militaires aux systèmes néolibéraux autoritaires élus par votes, en Colombie fut la transition d’un état oligarchique à un narco-état. Les escadrons de la mort paramilitaires et les militaires pillèrent des millions de paysans et affrontèrent l’insurrection armée. Il n’y eut aucune « transition démocratique », l’opposition démocratique fut assassinée. Entre 1984 et 1990 plus de 5000 membres de l’Union Patriotiques furent assassinés.

 

Les impérialistes des USA considérèrent le néolibéralisme latino-américain des  90 comme le « modèle » de l’expansion à l’échelle mondiale. La formule consistait à combiner le pillage avec la privatisation en Amérique latine et l’appropriation militaire en Colombie.

 

La crise du modèle militariste-libéral de l’Empire 2000 - 2012

 

Les bases de la suprématie impériale des USA en Amérique Latine furent construites en leur totalité sur un ciment fragile : pillage et corruption, conduisant à une profonde polarisation de classe et une crise économique qui culmina avec les insurrections populaires qui renversèrent les régimes soutenus par les USA en Argentine, en Bolivie et en Equateur. Au Brésil, en Uruguay, et au Venezuela les présidents néo-libéraux et les gouvernements furent vaincus par des partis de centre-gauche et des partis national-populistes.

 

En Colombie, le rejet massif du gouvernement néo-libéral et narco-bourgeois s’exprima à travers l’abstention électorale massive (autour des 75 %), la croissance exponentielle de l’influence et de la présence de l’insurrection armée dans plus d’un tiers des municipalités et le retrait tactique du président Pastrana qui accepta une zone démilitarisée pour la paix directe dans des négociations avec la FARC-EP

 

Les  bases du domaine impérial des USA construites sur le collaborationnisme des régimes néolibéraux- clients s’effondrèrent. Entre 2000 et 2005 les mouvements populaires sociaux mirent en échec le coup d’état contrerévolutionnaire contre Chavez et le chômage patronal (lock-out) au Venezuela (2002- 2003). Un président Chavez victorieux accéléra et radicalisa le processus de changement socio-économique et approfondit la politique extérieure anti-impérialiste du Venezuela. L’Argentine, le Brésil et l’Uruguay rejetèrent les accords de libre-échange des USA

 

Une fois de plus la Colombie alla à l’encontre de la vague progressiste de la région. La narco-bourgeoisie et l’oligarchie optèrent pour la militarisation totale pour bloquer le surgissement des mouvements populaires démocratiques présents dans le reste de l’Amérique Latine. La réponse de la Colombie-USA à la révolution démocratique dans la région fut le « plan Colombie » financé par les gouvernements des USA, de Colombie et l’Union Européenne.

 

Plan Colombie ; La réponse impérialiste au mouvement démocratique en Amérique Latine

 

Le Plan Colombie fut la réponse des USA à la propagation de la révolution démocratique au travers de l’Amérique Latine. Il représente le plus grand programme d’assistance militaire des USA dans toute la région et fut conçu pour accomplir divers objectifs stratégiques.

 

1. Ecarter la Colombie de la contagion de la révolution anti-néolibérale qui affaiblit l’accord de Libre Echange des Amérique proposé par les USA

2. Développer la capacité de la Colombie de faire pression et de menacer le gouvernement anti-impérialiste du Venezuela et fournir aux USA de multiples bases militaires à partir desquelles lancer une intervention directe au Venezuela si se produisait un coup d’état « interne »

3. Il a d’importantes fonctions politiques et économiques de caractère interne. Il fut conçu pour militariser la société et vider les campagnes : 300 000 soldats auxquelles se joignent 30 000 paramilitaires des escadrons de la mort ont forcé des millions de personnes à abandonner les territoires contrôlés par la guérilla. Les guérilléros perdirent les ressources de renseignement et d’appui logistique mais gagnèrent de nouvelles recrues. Comme résultat de la politique de la « terre brûlée » de Uribe/Santos et de la violence massive, de nouveaux secteurs économiques, essentiellement miniers, pétroliers et de agroindustriels firent l’objet d’investissements étrangers, établissant les bases en 2012 pour l’accord de libre-échange signé par Obama et par Santos.

4. Il y a une connexion directe entre le Plan Colombie (2001), la militarisation de l’état, la répression indiscriminée et la dépossession (2002 – 2011), l’approfondissement de la libération néo-libérale et l’accord de libre-échange de 2012

5. La Colombie a un rôle géostratégique dans la militarisation de l’empire US

 

Au Moyen Orient, dans le Sud Asiatique et en Afrique du Nord, les USA ont usé du prétexte de la « guerre contre le terrorisme » pour envahir et établir un empire de bases militaires en alliance avec Israël et l’OTAN. En Amérique Latine, les USA font alliance avec la Colombie et le Mexique sous le prétexte de la guerre contre la drogue, ils ont construit des bases impériales en Amérique Centrale et dans les Caraïbes et de manière croissante dans le reste de l’Amérique Latine. Actuellement les USA disposent de base militaires en Colombie (8),, Aruba, Costa-Rica, Guantanamo (Cuba), Curaçao, El Salvador, au Honduras (3), Haïti, Panama, Paraguay,  Pérou, en  République Dominicaine et Porto-Rico (plusieurs).

 

USA : un empire militarisé.

 

A cause du déclin relatif du pouvoir économique des USA et de l’augmentation du militarisme, aujourd’hui l’impérialisme US est en grande partie un empire militaire en guerre perpétuelle. Les liens étroits de Washington avec la Colombie reflètent la similitude de caractéristiques structurelles de l’état fortement dirigées vers les institutions militaires et de l’économie orientée vers des politiques néolibérales et de libre marché.

 

Une fois de plus la Colombie représente une anomalie en Amérique latine. Cela fait presque 10 ans que l’Amérique Latine a rejeté le néolibéralisme et 8 années depuis que les gouvernements de centre-gauche ont rejeté un accord de libre-échange avec les USA. La Colombie sous la direction de Uribe-Santos  a accepté le néo-libéralisme et un accord de libre-échange avec Washington.

 

Pour faire front à deux initiatives principales du Venezuela, le plan Caraïbe et la ALBA, qui défient l’hégémonie US dans les Caraïbes et la région Andine, Washington a resserré ses liens avec la Colombie au moyen du traité de libre-échange.

 

Conclusion

 

L’empire US dépend de régimes collaborationnistes dans le monde entier pour défendre sa domination militaire. En Amérique Latine, la Colombie est son alliée principale et la plus active spécialement dans la région des Caraïbe et d’Amérique Centrale.

 

De même que les USA, l’état colombien militarisé ne s’emboite pas avec la situation en Amérique latine. Les USA manque de nouvelles initiatives économiques pour les offrir à l’Amérique Latine, ils ont perdu une influence significative alors que se produit une diminution des échanges commerciaux, des investissements et de leur participation dans le marché. Parce que la Colombie, en tant qu’état néolibéral militarisé complémente le projet global des USA elle s’est convertie en un réceptacle spécial de l’aide militaire massive des USA précisément pour éviter que s’unisse à nouveau le bloc d’états indépendants progressistes et que cela ne génère un plus grand isolement de Washington.

 

La dépendance colombienne croissante d’avec l’économie des USA à travers l’accord de libre-échange signifie le sacrifice d’un grand secteur de production agricole et des manufactures pour augmenter les opportunités pour l’oligarchie et pour les investisseurs étrangers en minerais, pétrole et finances. L’accord de libre-échange augmenta les opportunités de la bourgeoisie narcotrafiquantes qui blanchit plus de 20 mille millions de dollars annuels en bénéfice de la drogue à travers les principales banques des USA et de l’Union Européenne.

La Colombie est « l’état modèle » de l’Empire US en Amérique Latine. C’est un pays gouverné par une triple alliance de la narco-oligarchie, la bourgeoisie néolibérale et les militaires. Le régime de Santos dépend toujours d’avantage de l’afflux de capitaux étrangers, orientés vers la production destinée aux marchés extérieurs. Les dépenses militaires, la terreur sans discrimination du régime de Uribe, l’isolement politique des pouvoirs économiques régionaux (Venezuela, Brésil, Argentine) et les limitations d’une économie US stagnante furent de sérieux obstacles pour le modèle néolibéral. Le président Santos essaye de réconcilier ces contradictions internes. Santos a remplacé la terreur indiscriminée par les assassinats sélectifs d’activistes clés des syndicats et des mouvements sociaux et de droits humains. Il s’est concentré vers un choix  de politique électoraliste et une direction des activités des paramilitaires d’’élimination des opposants populaires dans les nouvelles régions minières et d’investissements. Il a combiné la signature d’accords économiques importants avec le Venezuela avec l’approfondissement des liens militaires avec les USA

 

Les accords de Santos avec la Maison Blanche et la stratégie de diversification de la dépendance et de libre marché s’appuient sur un ciment d’économie locale et global très fragile. La répression de la dissidence, les impôts régressifs, la dépréciation des standards de vie, les millions de dépossédés ruraux ont conduit à une grande augmentation des inégalités, à réprimer la demande massive et a une pression populaire croissante. Les compromis militaires avec les USA portent préjudice aux efforts commerciaux de la Colombie pour prendre place dans les marchés régionaux. L’économie des USA est stagnante les USA sont en récession et les pronostics pour 2012 ne sont pas encourageants spécialement pour une économie ouverte comme l’économie Colombienne.

Avec le début du 21ème siècle les pays d’Amérique Latine affrontent une situation similaire : crise des régimes néolibéraux, décadence de l’économie des USA et une classe gouvernante incapable de croître vers l’extérieur et de développer un marché interne. Ce qui a pour résultat que se produisent des révolutions démocratiques qui conduisent à la rupture partielle avec l’hégémonie US et le néolibéralisme. Une décennie plus tard, la Colombie continue à affronter une situation identique à celle du début du siècle. La question est de savoir si la Colombie va se ranger au côté des autres pays d’Amérique latine, en finir avec le militarisme impérial et emprunter un nouveau chemin de développement. Le moment est venu pour la Colombie de cesser d’être une « anomalie  politique, » de cesser d’’être une cliente de l’impérialisme militaire. Les mouvements populaires colombiens, comme le démontre la « Marche Patriotique » sont prêts à faire leur propre révolution populaire, démocratique et anti-impérialiste et à emprunter son propre chemin vers le socialisme du 21ème siècle.

 

 

Traduction de l'espagnol Anne Wolff

 

 

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15 juin 2012 5 15 /06 /juin /2012 12:14

 

Le blog de Rita  parmi les zapatistes au début de l'année 2008, nous permet de nous plonger un peu dans l'univers zapatiste au quotidien, ici j'ai repris une traduction d'un texte de Naomi Klein, riche en informations. Et comme le lien du blog  ne passe pas, je vous  conseille de passer par celui de l'article pour rejoindre le blog du voyage de Rita.

 

Alerte rouge zapatiste

Un texte traduit de l'espagnol qui donne un aperçu de la situation actuelle au Chiapas. Il date du 27 décembre 2007.


Par Naomi Klein

San Cristobal de Las Casas. Les crèches de Noël abondent dans cette ville coloniale des hautes terres de l'État du Chiapas. Mais celle qui accueille les visiteurs à l 'entrée du centre culturel TierrAdentro a sa propre touche locale : les figurines à dos d'âne portent des passe-montagnes et des armes en bois.
C'est la haute saison du "zapatourisme", l'industrie des voyageurs internationaux qui s'est développée autour du soulèvement zapatiste [depuis 1994] et TierrAdentro est le point de rencontre. Les affiches, la bijouterie et les textiles réalisés par les zapatistes se vendent rapidement. Dans le restaurant, dans la cour, où, à 10 heures du soir, l'atmosphère est à la fête, les étudiants universitaires boivent de la bière Sol. Un jeune montre une photographie du sous-commandant Marcos, avec un passe-montagne et une pipe comme toujours, et lui donne un baiser. Ses amis prennent une photo de plus de ce mouvement sur lequel fourmillent les documents.
On m'emmène au milieu de ceux qui font la fête, vers une pièce fermée au public, à l'arrière du centre. Ici, la sombre atmosphère semble nous faire plonger dans un monde à part. Ernesto Ledesma Arronte, un chercheur de quarante ans, avec une queue de cheval, est penché sur des cartes.
"Tu as comprisce qu'a dit Marcos ?" me demande-t-il. "C'était très fort.Il n'a rien dit de semblable depuis de nombreuses années."
Arronte fait référence à un discours qu'a prononcé Marcos la nuit passée (le 16 décembre) au cours du "PremierColloque international Planète Terre : mouvements antisystémiques". Le discours s'intitulait : "Sentir le rouge. Le calendrier et la géographie de la guerre" ("Sentir el rojo. Elcalendario y la geografía de la guerra"). Comme il s'agitdeMarcos, c'était poétique et légèrement elliptique.Mais pourl es oreilles d'Arronte, c'était une alerte rouge. "Ceux qui ont fait la guerre savent reconnaître les chemins par lesquels elle se prépare et se rapproche", a dit Marcos."Les signaux de guerre à l'horizon sont clairs. La guerre, comme la peur, a aussi une odeur. Et maintenant on commence déjà à respirer son odeur fétide sur nos terres."
L'évaluation de Marcos appuie ce qu'Arronte et ses collègues du Centre d'analyse politique et de recherches sociales etéconomiques (Centro de Análisis Político eInvestigaciones Sociales y Económicas, CAPISE) ont suivi à la trace avec leurs cartes et leurs graphiques. Il y a eu une augmentation significative de l'activité dans les 56 bases militaires permanentes que l'État mexicain a en territoire indigène auChiapas. Ils sont en train de moderniser les armes et l'équipement, de nouveaux bataillons entrent, dont des forces spéciales. Tous ces éléments sont des signes de l'escalade militaire.
Les zapatistes étant devenus un symbole mondial pour un nouveau modèle de résistance, il était possible d'oublier que la guerre au Chiapas n'a jamais pris fin. Marcos, malgré son identité clandestine, provocante, a joué ouvertement un rôle dans la politique mexicaine, surtout aux cours de l'élection présidentielle très serrée de 2006. Plutôt que de soutenir le candidat de centre gauche, Andrés Manuel Lopez Obrador, il a été le fer de lance d'une campagne parallèle, l'"Autre campagne". Il a organisé des concentrations où l'attention s'est portée sur des affaires ignorées par les candidats principaux.
Au cours de cette période, le rôle de Marcos comme dirigean tmilitaire de l'Armée zapatiste de libération nationale (Ejército Zapatista de Liberación Nacional, EZLN) a semblé se dissiper. Il était le "délégué Zéro", l'anti-candidat. La nuit passée, il a annoncé lors d'une conférence que ce serait sa dernière apparition dans des activités de ce type(rencontres, tables rondes, interviews). L'EZLN "est une armée, bien autre chose aussi bien sûr, mais c'est une armée", a-t-il rappelé au public, et lui, c'est le "chefmilitaire".
Cette armée affronte une nouvelle et grave menace, qui atteint le cœur de la lutte zapatiste. Durant lesoulèvement de 1994, l'EZLN a pris de grandes extensions de terre et les a collectivisées, sa victoire la plus tangible. Dans les accords de San Andrés, le droit des peuples indigènes au territoire a été reconnu mais le gouvernement mexicain a refusé de respecter ces accords. Après l'échec à consacrer ces droits, les zapatistes ont décidé de les appliquer de fait. Ils ont formé leurs propres structures gouvernementales, connues sous le nom de "conseils de bon gouvernement" ("juntas de buen gobierno") et de redoubler d'efforts pour construire des écoles et des cliniques autonomes. Avec les zapatistes étendant leur rôle de gouvernement de facto sur de grandes extensions du Chiapas, la détermination des gouvernements des États fédéral et fédérés pour les saper s'est intensifiée.

"Maintenant, dit Arronte, ils ont leur méthode." Celle qui consiste à utiliser le profond désir des paysans du Chiapas à avoir des terres contre celui des zapatistes.L'organisation d'Arronte a informé que, dans une seule région, le gouvernement a dépensé près de 16 millions de dollars pour exproprier des terres et les donner aux nombreuses familles liées au notoirement corrompu Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). Souvent, la terre était déjà occupée par des familles zapatistes. Plus grave encore, nombreux sont les nouveaux "propriétaires" qui sont liés aux groupes paramilitaires qui essaient d'expulserles zapatistes des terres sur lesquelles ils ont de nouveaux titres de propriété. On assiste depuis septembre à une escalade significative de la violence : tirs en l'air, coups, familles zapatistes faisant état de menaces de mort,viols et dépeçages. Les soldats, dans leurs casernes, auront bientôt l'excuse dont ils ont besoin pour sortir :restaurer la "paix" entre les groupes indigènes qui se disputent entre eux. Durant des mois, les zapatistes ont résisté à cette violence et ont essayé de faire connaître ces provocations.Mais parce qu'ils n'ont pas choisi de soutenir Lopez Obradorlors des élections de 2006, le mouvement s'est fait de puissants ennemis. Et maintenant, dit Marcos, leurs appels à l'aide se heurtent à un silence assourdissant.
Il y une décennie, le 22 décembre 1997, eut lieu le massacre d'Acteal. Dans le cadre de la campagne antizapatiste, un groupe de paramilitaires ouvrait le feu à l'intérieurd'une petite église du hameau d'Acteal, tuant 45 indigènes, dont 16 enfants et adolescents. Certains furent tués à la machette. La police de l'État entendit les tirs mais ne fit rien. Durant les presque trois derniers mois, le quotidien"La Jornada" a mis en relief, par une large couverture, le dixième anniversaire tragique du massacre.
Au Chiapas, toutefois, beaucoup de gens signalent que les conditions actuelles sont terriblement familières : les paramilitaires, les tensions croissantes, les activités mystérieuses des soldats, le nouvel isolement du reste du pays. Ils ont déjà une requête pour ceux qui les ont appuyés dans le passé : ne regardez pas seulement en arrière, regardez vers l'avant et évitez un autre massacred'Acteal.
Publié le vendredi 4 janvier 2008


[1] http://www.tierradentro.org.mx/.
Source : "The Nation" (http://www.thenation.com/), 20décembre 2007 ; "La Jornada" (http://www.jornada.unam.mx/),24 décembre 2007.
Traduction : Frédéric Lévêque, pour le RISAL(http://risal.collectifs.net/).
http://risal.collectifs.net/spip.php?article2375
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5 juin 2012 2 05 /06 /juin /2012 18:03

 

 

Encore la Colombie avec encore un texte qui n'est pas un scoop... difficile de faire des scoops avec la Colombie, puisque c'est encore et toujours la même violence souvent totalement arbitraire, terrorisme d'état et déviances mortelles, répétitive..Et d'autant pire à mes yeux... qu'elle se perpétue dans le silence.

Ici l'horreur de ceux qu'on a appelé les "faux positifs"  : quand l'armée tue "pour faire du chiffre". Tout simplement "pour faire du chiffre", pour se conformer aux incitants du système... Toutes les monstruosités qui conduisent des humains à en tuer d'autres sans état d'âme, soit en donnant à d'autres l'ordre de le faire, soit en les encourageant à la faire d'autres manières, que pour les exécuteurs des sinistres besognes...m'interpellent et me pose la question de l'humanité. Quelles que soient les justifications que l'histoire donne aux uns plutôt qu'aux autres... il n'y a pas de hiérarchie possible dans l'horreur, je m'interroge chaque jour sur ce qui conduit des humains dans les actes de guerre, mais "tuer pour faire du chiffre" me place face à une dimension inconcevable du mépris de la vie, du mépris de l'autre. Si je considère que ceux qui déclarent que d'autres humains ne le sont pas pleinement, pas au même titre qu'eux se placent eux-mêmes hors humanité, que penser de ceux qui ne s'embarrassent même pas de telles considération et tuent dans l'indifférence absolue.

 

 

 

Quand l’Armée colombienne assassine des jeunes pour faire du chiffre…

Par Sara G. Mendeza (20 janvier 2009)

Novembre 2008, le commandant en chef de l’Armée colombienne Mario Montoya démissionne. Quelques jours auparavant, vingt-sept autres militaires dont trois généraux étaient destitués. Des témoignages établissent la responsabilité de l’Armée colombienne dans l’enlèvement et l’assassinat de civils. Pour gonfler leurs statistiques dans la lutte contre les guérillas, des militaires gradés recourent aux “faux positifs” : des jeunes, pour la plupart, que l’on enlève et assassine pour les enregistrer ensuite morts au combat sous les couleurs de la guérilla… À ce jour, on compte au moins 1200 cas suspects de “faux positifs”.

Photo : Damien Fellous / Collectif Libre Arbitre

 

 

 

Le soldat Luis Esteban Montes n’en revient pas quand, le 30 avril 2007, il découvre que ces compagnons du 31ème Bataillon d’Infanterie anti-guérilla ont choisi par hasard son frère Leonardo. Ils l’ont prévenu quelques heures plutôt ; un jour férié approche, il va falloir « légaliser » quelqu’un. Un corps de guérillero aiderait à obtenir une permission… Quand son frère arrive au campement, bien loin de savoir ce qui se trame, Luis tente de convaincre ses supérieurs du malentendu. Mais rien n’y fait, la décision est prise. Il réussit cependant à le faire évader et demande sa mutation. Mais trois jours plus tard, il apprend la mort de Leonardo. Il avait sur lui, dit-on, une arme et une grenade [1].

Cette histoire peut paraître incroyable. Elle n’est pourtant qu’un cas parmi de nombreux autres. Il a cependant fallu attendre fin septembre 2008, pour que quelques unes de ces morts suspectes attirent l’attention des médias et de la Justice. C’est le caractère organisé de l’affaire qui choque. Tout commence quand on déterre à Ocaña, dans le nord du pays, les corps de dix-sept jeunes des banlieues populaires de Bogotá. Ils avaient entre 17 et 32 ans et étaient portés disparus au cours de l’année 2008. Comme le raconte l’hebdomadaire colombien Semana, neuf d’entre eux ont en commun d’être reportés comme mort contre la 15ème Brigade Mobile. Les enquêteurs du ministère de la Défense supposent un possible recrutement forcé des groupes armés irréguliers. Mais d’emblée un fait questionne cette hypothèse. Fin janvier, un sergent de cette brigade, par la suite exclu de l’armée, dénonçait aux instances judiciaires de quelles manières des militaires de sa brigade tuaient des civils pour les présenter comme guérilleros morts au combat. Il faut dire que cinq jours de repos étaient offerts aux soldats ayant tués…

Une étrange concordance des parcours suivis avant de mourir

La récente activation d’un système de recherche croisant le fichier des disparus avec celui des Médecines légales du pays est à l’origine des doutes sur les conditions réelles de la mort de ces dix-sept jeunes. De plus, les témoignages douloureux des familles incitent à penser que le chemin emprunté est similaire. Dans leur grande majorité, ils sont notifiés morts à peine un ou deux jours après leur disparition. C’est le cas pour Elkin Verano et Joaquim Castro, deux amis disparus ensemble le 13 janvier 2008 et enregistrés le 15 du même mois à la morgue d’Ocaña, c’est-à-dire à plus de sept cents kilomètres et dix-huit heures de Bogotá. En s’en tenant à la version des militaires, ils auraient participé à un combat à peine descendus du bus…

Julián Oviedo disparait le 2 mars. Cet ouvrier en bâtiment devait ce même jour rencontrer un homme pour un emploi dans une ferme. Sa mère, qui l’attendait pour dîner, ne l’a jamais vu revenir. Le 3 mars, il était enregistré mort au combat. Autres jeunes, même histoire. Victor Gómez, Diego Tamayo et Jader Palacio disparaissent le 23 août. Leurs cadavres entrent à la morgue d’Ocaña le 25. Chez lui, Victor avait expliqué qu’il partait « avec quelques gars pour la Côte », et qu’il reviendrait avec l’équivalent de 1300 euros [2]d’ici quelques jours. Diego, lui, avait laissé une lettre à sa mère : « Prends soin de toi et ne t’inquiète pas, je reviens lundi. »

L’appât d’une offre de travail serait à l’origine du départ. D’ailleurs, des “recruteurs” ont été aperçus avec des victimes quelques heures avant leur disparition. Six de ces recruteurs étaient détenus en novembre 2008 et reconnaissaient leur implication dans l’affaire des disparus des quartiers populaires de Bogotá. Deux d’entre eux sont des militaires à la retraite. À l’aide de leurs anciennes relations, ils avouent avoir mis en place une sorte d’organisation. Pour chaque individu livré, ils recevaient entre 200 et 330 euros, à la condition que ces “recrutés” viennent d’une région située à douze heures, au moins, de voyage par route. L’enquête révèle aussi que trois groupes de narcotrafiquants auraient passé un accord avec des militaires. En échange des recrutements, ils obtenaient toute liberté pour mener à bien leurs opérations. Un autre homme, démobilisé d’un groupe paramilitaire d’extrême droite, opérait sur la Côte.

Un millier de militaires compromis

Les hommes enlevés venaient de quartiers pauvres ; certains avaient aussi un passé judiciaire ou étaient connus pour leur consommation de drogue. Ce qui laisse penser qu’en plus de servir les intérêts de certaines brigades, une entreprise de nettoyage social s’organisait impunément depuis l’Armée, pilier de l’État colombien. Aujourd’hui, l’enquête sur les faux positifs à travers le pays s’intéresse à la mort d’environ 800 personnes sur une période de six ans. À ce jour, 46 militaires ont été condamnés et 952 autres sont liés à l’instruction, tout comme 21 policiers et 24 autres personnes. Mais les chiffres donnés par les ONG sont bien plus inquiétants. La Coordination Colombie Europe États-Unis (CCEEU), qui regroupent 199 organisations travaillant sur les violations des droits de l’Homme, parle de 955 exécutions extrajudiciaires imputables à la Force Publique entre 2002 et 2007. La CCEEU évoque aussi les 235 disparitions forcées pour lesquelles on reste sans nouvelles.

Mais peut-on réellement connaître le chiffre de cette macabre statistique ? Un ensemble de documents déclassés de l’administration étasunienne et révélé par l’organisation National Security Archive laisse penser que le recours aux faux positifs est une pratique ancienne. Dans un rapport émis en 1990, l’ambassadeur de l’époque, Thomas McNamara, soulève de sérieux doute sur les conditions qui ont amené l’Armée colombienne à tuer neuf personnes. En effet, un juge militaire avait alors pu constater que les trous observés sur les uniformes ne correspondaient pas aux blessures par balle des supposés guérilleros… Un autre ambassadeur, Myles Frechette, rapporte en 1994 que cette mentalité de faire du chiffre persistent chez les officiers de l’Armée colombienne. « Les officiers qui ne peuvent pas montrer des antécédents d’une activité anti-guérilla agressive (laquelle étant cause de la majorité des violations des droits de l’Homme de la part de l’Armée) se désavantagent au moment des promotions » [3]. Et, en avril 2008, l’ONU commente dans son rapport sur la violation des droits de l’Homme en Colombie que les faux positifs seraient motivés « par l’intérêt de membres de la Force Publique d’obtenir des bénéfices et reconnaissances ».

Avant l’éclatement du scandale des disparus de septembre 2008, les possibles cas de faux positifs étaient le plus souvent écartés par le gouvernement. On lui préférait la version du recrutement forcé par les guérillas, agitant une nouvelle fois l’épouvantail terroriste. Juan Manuel Santos, ministre de la Défense miraculeusement épargné, explique aujourd’hui préférer « une démobilisation à une capture et une capture à un mort ». Mais commentant les récents documents déclassifiés, il n’y voit que l’action de certains très intéressés à “gonfler” les problèmes de droits de l’Homme que connaîtrait le pays… Reste qu’aujourd’hui l’Armée colombienne, dont on ne connaît en France que les “exploits” accomplis pendant la libération d’Ingrid Bétancourt, est prise dans un vaste processus judiciaire qui permettra peut-être de remonter aux véritables responsables de ce terrorisme d’État.

Sara G. Mendeza

Notes

[1] Témoignage recueilli par Semana, 25 octobre 2008.

[2] Le salaire minimum mensuel est d’environ 150 euros en Colombie.

[3] Voir aussi les commentaires d’un commandant de l’Armée colombienne qui reconnaît en 1997 l’existence d’un « syndrome du comptage de corps » dans l’Armée qui « tend à alimenter les atteintes aux droits de l’Homme par des soldats bien intentionnés qui essayent d’atteindre leur quota pour impressionner leur supérieurs ».

 

Source : Quand l’Armée colombienne assassine des jeunes pour faire du chiffre… - COLOMBIE - Basta !

 

 

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5 juin 2012 2 05 /06 /juin /2012 17:43

 

 

 

Je continue ma tournée Colombienne, alors que les travailleurs colombiens ont menés une grève générale la semainde dernière, voici un article sur une autre grève qui a au lieu lannée passée et qui pauvent nous donner une meilleure idée des conditions d'exploitation qui sévissent dans ce pays et des dangers que courent ceux qui osent protester. Un article qui illustre de multiples aspects de la main mise des multinationales sur ce pays.

 

Les damnés du pétrole

Par Sara G. Mendeza (4 novembre 2011)

Exploités, sous-payés, licenciés lorsqu’ils osent se révolter, les ouvriers du pétrole de Campo Rubiales et Campo Quifa, en Colombie, travaillent sur un site entouré de grillages barbelés et de tranchées. Depuis plusieurs mois, 12 000 travailleurs s’opposent à la multinationale canadienne Pacific Rubiales Energy. Dans un pays où les leaders syndicaux sont régulièrement assassinés et les militants réprimés, ces ouvriers se battent pour leurs droits, par une grève permanente et générale. Voyage en terre d’exploitation.

 

 

« C’est dans cette pièce qu’ils m’ont retenu, avant de m’expulser du site ! » Nous sommes à l’entrée de Campo Rubiales, dans le département du Meta, au centre de la Colombie. Edwin Sánchez, ancien salarié, nous désigne une petite salle du poste de contrôle. Edwin fait partie des premiers qui se sont mobilisés lors de la première grève en juin dernier. Puis, il a été « contrôlé » avec du matériel syndical : son contrat mensuel n’a pas été renouvelé. Il travaillait depuis plus de huit mois à un poste de préparateur de surface, pour un sous-traitant de la multinationale canadienne Pacific Rubiales Energy.

Comme d’autres des travailleurs qui se sont retrouvés sans emploi après les premières grèves, il accompagne la caravane organisée à l’initiative de l’Union syndicale ouvrière de l’industrie du pétrole (USO) pour venir à la rencontre des ouvriers de ce site. Partis de Bogotá le 10 octobre, les représentants d’une cinquantaine d’organisations sociales et syndicales participent à l’événement. À la sortie de Puerto Gaitán – la municipalité dont dépendent les exploitations – la caravane rassemble sept bus et dix voitures. Cette « action humanitaire et syndicale » doit pénétrer dans les installations pour témoigner des conditions de vie des ouvriers et des habitants des villages voisins. La caravane accompagne les dirigeants de l’USO et de la Confédération unitaire des travailleurs (CUT), à qui a été refusé de nombreuses fois l’accès à ces territoires de non-droit syndical.

Les entreprises contrôlent l’accès au territoire

Ce coin de Colombie est particulièrement isolé. Terres de savane traditionnellement dédiées à l’élevage bovin, le département du Meta s’ouvre à de nouvelles monocultures (palme africaine, caoutchouc) et depuis une dizaine d’années à l’exploitation pétrolière. L’entreprise Pacific Rubiales se targue d’extraire 250 000 barils par jour [1]. Soit un quart de la production nationale. 1 500 camions-citernes s’engouffrent quotidiennement sur une piste de terre rouge, dans un nuage perpétuel de poussière. C’est la route nationale qui dessert les exploitations de Campo Rubiales et Campo Quifa, et qu’emprunte la caravane.

Au kilomètre 135, un premier barrage. Le contrôle de cette route, pourtant publique, a été laissé à la discrétion de Pacific Rubiales. Des employés réalisent des vérifications. Ceux qui ne vivent pas ou ne travaillent pas dans la zone ne peuvent la traverser. Plusieurs villages se trouvent pourtant dispersés sur les 1 900 km2 de l’exploitation, une superficie comparable à celle d’un département français. Leurs habitants doivent chaque fois justifier leur passage. Ils vivent dans des conditions très précaires – accès défaillant à l’eau et l’électricité, maisons faites de toiles de plastique, dénutrition. Ils ne bénéficient d’aucun des investissements prévus avec le prélèvement public de la rente pétrolière.

12 000 travailleurs en grève

À quelques kilomètres du premier barrage, des grillages barbelés ont récemment été montés et des tranchées creusées. « Propriété privée », indique abusivement un panneau. Un peu plus loin, à l’entrée des installations de Campo Rubiales, la prise d’empreintes et de photos est de rigueur, y compris pour les habitants. Au passage de la caravane, les employés du poste de contrôle sont absents. Ils ont emporté avec eux leur matériel biométrique, laissant les locaux vides. La multinationale semble peu fière de cette procédure.

Le conflit a débuté le 20 juin, quand les 1 100 travailleurs d’un sous-traitant de la compagnie espagnole Cepcolsa, gérante du système d’oléoducs, cessent le travail. Réponse de l’entreprise : elle rompt son contrat avec le sous-traitant et refuse tout dialogue avec le syndicat USO, puisque les employés ne sont pas les siens… Mais la contestation s’étend, et le 18 juillet, 12 000 travailleurs des sites d’exploitation stoppent l’activité et se déclarent en assemblée permanente. Le 3 août, des négociations sont ouvertes entre l’USO et les gouvernements national et départemental, mais en l’absence des multinationales Pacific Rubiales et de Cepcolsa, qui nient toute légitimité à l’USO.

La multinationale « renouvelle » son personnel pour étouffer la contestation

Depuis juin, l’USO a renforcé ses rangs de près de 6 000 adhérents. « Le 18 juillet, l’USO a réalisé 4 000 adhésions. Il n’y en a pas eu davantage parce qu’il n’y avait plus de cartes ! », explique Moisés Barón, dirigeant national du syndicat. Tout au long des 170 km séparant Puerto Gaitán de Campo Rubiales, la caravane est de nombreuses fois saluée par des groupes de travailleurs et joyeusement klaxonnée par les chauffeurs sortant de la zone.

En septembre, les accords négociés tardent à être appliqués. Une nouvelle grève est déclarée. La réintégration des travailleurs licenciés depuis le début du mouvement est réclamée. Pacific Rubiales a commencé à renouveler le personnel présent sur les sites, espérant étouffer la contestation. 8 000 personnes depuis juin, estime Timoteo Romero, président de la CUT-Meta. La multinationale a passé un accord avec un syndicat fantoche, l’UTEN, pour valider une augmentation du salaire minimum d’à peine 60 euros.

Des centaines de lits dans des baraquements en aluminium

Au cœur des revendications : des salaires plus justes, harmonisés avec ceux des autres régions [2]. La précarité de ces ouvriers recrutés aux quatre coins du pays est très grande. Plus de 90 % d’entre eux travaillent en contrats mensuels renouvelables indéfiniment. Chaque salarié enchaîne trois semaines consécutives sur le site, sept jours sur sept, avec une moyenne quotidienne de plus de 12 heures, pour une semaine de repos passée dans sa famille. Il ne dispose d’aucune garantie sur la reconduite de son contrat le mois suivant. Le système s’appuie sur des entreprises sous-traitantes qui délèguent elles-mêmes une partie du travail. Un modèle couramment utilisé en Colombie, qui permet aux grandes entreprises de se dédouaner de toute responsabilité. Et garantit une pression interdisant toute contestation de la part des salariés.

Nombreux sont les travailleurs, notamment les chauffeurs, qui refusent de témoigner à visage découvert devant les caméras, par crainte de perdre leur emploi. Sur les sites, une présence policière et militaire permanente – justifiée selon l’entreprise par la sécurité des installations – sert au contrôle social des ouvriers en limitant notamment leur mobilité. Une atteinte de plus à la dignité des travailleurs. « Nous sommes des travailleurs jetables ! », s’exclame un des salariés. « On nous sépare comme des animaux ! », explique un autre. Les conditions de vie dans ces exploitations sont des plus précaires, malgré quelques améliorations depuis les grèves. Au campement Morichal de Campo Rubiales, les plus grandes tentes abritant 240 lits ont été démontées, et les dortoirs réorganisés dans des baraquements. Mais dans ces nouveaux emplacements, une promiscuité permanente persiste : des pièces sans fenêtre d’à peine 15 m2, où sont installés quatre matelas sur des lits superposés. Avec leurs parois d’aluminium et leur surface étriquée, ces pièces ressemblent à des cellules de prison.

La Colombie, championne des assassinats de syndicalistes

Le réfectoire, lui aussi, est nouveau. « Avant, on mangeait dans trois vieux containers. L’entrée dans la cantine principale, celle où vont les cadres, nous est interdite. Certains disent qu’on sent la sueur ! Ils ne veulent pas se mélanger avec les travailleurs… », explique Edwin. Dans ces campements, la ségrégation sociale est spatialement organisée. Les maisons des cadres et l’hébergement des ouvriers montrent que tout le monde ici n’a pas la même valeur. Les ouvriers considèrent les quelques améliorations comme de la poudre aux yeux, « un maquillage ».

Ce type de situation, l’USO en a eu connaissance bien avant la mobilisation. Mais impossible de s’implanter dans les Llanos orientaux. « Il y a eu des tentatives d’accompagnement des travailleurs de BP dans le Casanare », explique Moisés Barón. « Elles ont été sérieusement menacées et réprimées, ce qui, par responsabilité, nous a conduits à faire sortir l’organisation. » La violence contre le syndicalisme colombien atteint des records mondiaux. En 2010, sur 90 assassinats de syndicalistes dans le monde, 49 ont eu lieu en Colombie [3]. La caravane a reçu des menaces : ses organisateurs ont du solliciter un accompagnement policier auprès de l’État. Et comme chaque jour, les responsables syndicaux se sont déplacés dans des 4X4 blindés, accompagnés de gardes du corps armés.

Les compagnies ordonnent l’évacuation forcée des sites

Depuis le début de la mobilisation, l’USO est fortement stigmatisée. Plusieurs notables régionaux n’hésitent pas à qualifier son action de « syndicalisme armé », et à la désigner explicitement comme une auxiliaire de la guérilla. La tactique n’est pas nouvelle en Colombie. Elle permet de délégitimer toute intervention syndicale et de rendre caduques les tentatives de concertation. Elle permet aussi d’indiquer ceux qui dérangent aux paramilitaires, ces milices d’extrême droite au lourd passé dans le Méta.

Le 21 octobre, s’achèvent les dernières négociations sans qu’aucun accord ne soit trouvé. Le 24 octobre, la grève est de nouveau déclarée. La multinationale refuse toujours toute rencontre avec l’USO, agitant l’accord passé début octobre avec l’UTEN. Elle a répondu par la violence au mouvement de grève en envoyant des forces policières spéciales. Le 26 octobre, Pacific Rubiales ordonne l’évacuation des sites d’exploitation et la sortie forcée de tous les travailleurs. Pour l’USO et la CUT, le combat n’est pas terminé. Les deux organisations veulent, en novembre, appeler à une grève nationale des travailleurs des sous-traitantes du charbon et du pétrole.

À son entrée en fonction en août 2010, le président Juan Manuel Santos a annoncé faire du secteur de l’extraction l’une des principales « locomotives du développement ». Mais une réforme des rentes pétrolière et minière adoptée en 2010 désavantage les gouvernements départementaux. Les populations locales bénéficient peu des apports de la rente, déjà limitée par la corruption et le clientélisme. Les sous-sols colombiens, très riches, continuent d’attirer de nombreuses multinationales. En 2009, 80 % de l’investissement direct étranger était destiné à l’extraction minière – charbon, or, nickel – ou pétrolière. Dans les années à venir, la pauvreté des populations locales risque de continuer à côtoyer des installations ultramodernes où le droit du travail est bafoué au quotidien.

Sara G. Mendeza

Photos : © Sara G. Mendeza

Notes

[1] L’exploitation du site est menée par Pacific Rubiales mais l’entreprise publique colombienne Ecopetrol conserve respectivement 60 % des parts de Campo Rubiales et 40 % de celles de Campo Quifa.

[2] Dans le département de l’Arauca, le salaire minimum des ouvriers travaillant sur les installations d’Oxy est d’environ 1060 euros tandis qu’à Campo Rubiales, il a été fixé à 444 euros.

[3] D’après le Rapport 2011 de la Confédération Syndicale Internationale sur les violations des droits syndicaux. Nelson Camacho González, adhérent de l’USO à Barrancabermeja, fait partie de ces victimes. D’autres adhérents ont aussi été l’objet d’attentats ou de tentatives de meurtre.

En savoir plus

 

Reportage photo réalisé par l’auteure, sur le blog Colombia Tierra Herida

Site de l’USO (en espagnol)

Site de la CUT (en espagnol)

 

Source : Les damnés du pétrole - Colombie - Basta !

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5 juin 2012 2 05 /06 /juin /2012 16:18

 

 

 Petite illustration en complément du texte publié plus tôt et de ceux relatif à ce nouveau grand regroupement de mouvement de lutte : la marche patriotique de Colombie... on y voit très clairement que les paramilitaires sont au service du gouvernement.

Et je reprends mon petit laïus.... quiconcque prétend aujourd'hui qu'il en appelle à une intervention de l'OTAN en Syrie pour """protéger""" les habitants du pays des exactions de leur dictateur, devrait logiquement se mobiliser pour qu'un terme soit mis à celle dont les Colombiens sont victimes depuis des décennies de la part de l'état. Condamner l'un sans condamner les autres seraient faire preuve d'incohérence ! Mais je répète aussi que je ne souhaiterais pas une intervention de l'OTAN à mon pire ennemi, ni une des ces invasions de mise à sac et de mort qui s'autoqualifient d'interventions humanitaires....et le mieux qu'on puisse souhaiter aux Colombiens c'est de bouter dehors les forces US qui contribuent à maintenir ce pays en état de guerre permanent.

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EFE -. La lettre du groupe néoparamilitaire « Aigles noirs » est signée par le « Bloc DC Capital ». Ses auteurs intimident les activistes en les accusant d’inciter « les communautés à se soulever et réclamer leurs soi-disant droits » et menacent de mort divers mouvements sociaux pour leur prétendu abus envers le président colombien Juan Manuel Santos.

Plusieurs organisations de la Marche Patriotique, un nouveau mouvement politique de gauche colombien, ont été menacées par les paramilitaires autodénominé « Aigles noirs » à travers une lettre adressée au président du syndicat agraire Fensuagro Alirio Garcia.

Le message, chargé d’insultes et daté du mois de mai à Cudinamarca (département central de la Colombie), a déclaré « cible militaire » les directions de douze organisations accusées d’être « financées par la guérilla pour travailler avec la population et la construction d’un nouveau mouvement ».

La missive accuse ces organisations d’être membres de l’Union patriotique (UP), un parti de gauche né dans les années quatre-vingt qui a disparu à cause de l’assassinat systématique de milliers de ses membres par les forces de sécurité de l’État et les paramilitaires.

Les organisations menacées sont le syndicat Fensuagro, l’Association paysanne des personnes déplacées (Asocamde), la Coordination nationale des personnes déplacées (CND), l’Association nationale des personnes déplacées de Colombie (Andescol), la Coordination Nationale des Organisations agraires et populaires (Conap) ou Reiniciar, dédié à la défense des droits humains.

Il faut ajouter le Bureau nationale des étudiants (Mane), Funhascol, l’Association nationale pour l’aide au développement (Andas), le Bureau national des victimes, la Maison de l’amitié avec le Venezuela et la Fédération nationale syndicale nouveau leadership paysan.

Les « Aigles noirs », un des groupes neoparamilitaires qui ont émergé après les démobilisations entre 2003 et 2006 des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC), avertissent les personnes menacées qu’il « leur reste peu de jours pour quitter la ville » et les taxent d’être « l’avant-garde de la guérilla dans les villes ».

La lettre, dont a eu accès l’agence de nouvelles EFE, est signée par le « Bloc DC Capital ». Ses auteurs intimident les activistes en les accusant d’inciter « les communautés à se soulever et réclamer leurs soi-disant droits, leurs terres et d’autres supposés avantages en raison d’être des personnes déplacées ou des victimes de l’Etat ».

Elle dit aussi « qu’ils abusent de l’énorme bonne volonté » du président Juan Manuel Santos.

La Marche Patriotique s’est faite connaître à Bogota en avril avec une grande manifestation pacifique dans les rues de la capitale et a rassemblé des milliers de personnes venant de tout le pays.

C’est un mouvement qui vise à occuper l’espace politique laissé par l’Union patriotique et qui, ensemble avec le Pôle démocratique alternatif (PDA), constitue la seule opposition au gouvernement d’unité nationale du président Santos.

Les « Aigles noirs » finalisent la lettre avec leur volonté de « finir rapidement avec ce fléau que représente l’UP pour la Colombie ».

A ces menaces s’ajoutent deux cas de disparition forcée et l’assassinat de deux autres membres de la Marche Patriotique, selon les rapports de l’organisation ces faits se seraient produits depuis leur lancement officiel en avril passé.

Publié le 15 mai 2012 sur http://www.pcv-venezuela.org/

Traduction EM pour ww.hastasiempre.info

Source : Hasta siempre comandante » Les paramilitaires « Aigles noirs » menacent de tuer les membres de la Marche Patriotique de Colombie

 

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5 juin 2012 2 05 /06 /juin /2012 14:16

 

Il n'est pas inutile de rappeler que "couvrir la guerre en Colombie" signifie aussi, couvrir le quotidien d'une majorité de Colombiens. Ce pays est en guerre, depuis des décennies et de cette guerre-là on parle très peu, voir pas du tout.  Ou avec une hyprocrisie absolue qui ignore par exemple que la guerre que les USA mènent contre les narcotrafiquants locaux n'est pas une guerre pour éradiquer ce trafic, mais pour le contrôler.  Rappelons encore une fois qu'OBama a annoncé en janvier au Pentagone, que les guerres secrètes prendraient (encore plus) d'ampleur... les guerres secrètes se font aussi avec des fonds secrets, pour des objectifs non soumis à la ratification des élus et qu'une partie de ces fonds ont pour origine l'argent de la drogue est un secret de polichinel.

La Colombie est un état terroriste dans lequel la peur est une compagne permanente pour  une grande partie de la population. Et contrairement aux idées reçues, les choses ne vont pas mieux depuis que Santos à remplacé Uribe. Si on compare le régime assassin et tortionnaire de la Colombie avec celui d'Assad en Syrie, si l'on considère qu'il faut intervenir en Syrie pour des raisons humanitaires, alors il serait de toute urgence aussi d'intervenir en Colombie. Mais il existe une différence et elle est de taille : le régime Colombien agit sous l'aile protectrice et malveillante de l'aigle étasunien.

Ceci dit, jamais je ne soutiendrai l'intervention de l'OTAN en Syrie... même si tout ce que je peux faire et le coeur gros c'est de ne pas rentrer dans les rangs des complices d'une telle intervention... un pire pour un déjàt rès mal, artificiellement fabriqué à cet usage...Comme je ne me rangerai parmi ceux qui soutiennent du coup le régime, voir l'encense... mais je dis à ceux qui pensent qu'il faut intervenir en Syrie, qu'alors la logique voudrait aussi qu'il faille intervenir en Colombie. Mais il est plus facile et moins risqué de pousser dans le dos les armées de l'Otan, comme on lâche les fauves sur des peuples lointains qui nous ont surtout demandé de n'en rien faire, que de se dresser face à cette armée, de lui faire barrage, avec toutes les conséquences en termes de mauvaise réputation qui en résulte immédiatement et celles plus graves à terme de se voir ranger parmi les ennemis de l'Empire par ceux qui veillent à sa pérrenité et conduisent son expansion.

Et rappelons aussi que les soldats de l'armée US,dans la bonne tradition des armées d'occupation,  ne peuvent être soumis à la justice colombienne pour les crimes qu'ils commettent sur des habitants de ce pays

 

 

 

 

 

Le journaliste doit rendre visible ce que la guerre veut maintenir dans l’ombre.
L’urgente nécessité de couvrir la guerre en Colombie


Laurence MAZURE
 

Témoignage de Laurence Mazure, notre correspondante

"Il faut espérer qu’il y ait des journalistes qui aillent aussi avec la guérilla pour montrer un peu ce que les combattants ont à dire, parce que ce conflit-là n’est pas couvert" : ces paroles de Roméo Langlois, prononcées le 30 mai au moment de sa libération après 32 jours passés aux mains des FARC, nous rappellent ce qui devrait être la base normale de notre travail. Or ce n’est pas le cas, comme j’ai pu le constater au cours des dernières années, en tant que correspondante de La Libre en Colombie.

Déjà, il faut rappeler que ce conflit armé qui ravage depuis plusieurs décennies la Colombie et déstabilise sa région, ne se réduit pas aux seules forces de sécurité gouvernementales d’un côté, et aux FARC de l’autre. Les armées paramilitaires et aujourd’hui néo-paramilitaires, les groupes mafieux dédiés au contrôle de la chaîne de production et de vente de la drogue (cocaïne, mais aussi héroïne, avec l’explosion des cultures de pavots), les alliances ad hoc des uns avec les autres, y compris dans le cas des forces de sécurité, les stratégies de survie de populations rurales abandonnées de l’Etat et utilisées par tous les acteurs du conflit, multiplient les visages d’une guerre dont il est impossible de parler en termes simplistes, comme le voudrait le traitement rapide et "people" qui tend à prédominer dans l’information.

La couverture des actions de guerre qui se déroulent journellement dans le pays requiert de pouvoir passer d’un groupe à l’autre. Mais le degré de stigmatisation des très rares journalistes comme Jorge Enrique Botero, qui ont couvert le conflit à partir des rangs de la guérilla, est difficilement imaginable : menaces de mort, insultes et absence totale de solidarité de la part des journalistes des grands médias locaux proches de l’establishment qui, le plus souvent, ne traitent le conflit qu’à partir du discours officiel du gouvernement et de l’armée. Ceux qui remettent en question ce point de vue unilatéral sont assimilés à la guérilla : la suspicion est jetée sur eux au travers de la sempiternelle question "qu’est-ce que vous faisiez là ?", alors que le terrain est là où notre métier exige que nous nous trouvions. Le lynchage médiatique de Langlois par les tweets de l’ex-président Uribe, les insultes et propos haineux à son égard par les lecteurs des plus grands quotidiens colombiens, encore en ligne aujourd’hui, témoignent d’une hostilité bien organisée qui n’a pas alarmé les modérateurs des publications concernées.

L’autre approche du conflit porte sur les violations des droits humains et des conventions de Genève. Là aussi, le travail se fait en se rendant sur l’incontournable terrain pour parler avec les familles des victimes de disparitions forcées, exécutions sommaires, tortures, ainsi que les personnes sujettes au déplacement forcé. Hollman Morris est un journaliste colombien qui a assumé cette approche, et ce, au prix de menaces de mort et persécutions contre lui et sa famille, émanant, entre autres, des services secrets colombiens (1). Cette situation vient d’une scission profonde : d’un côté, les grands groupes médiatiques et des journalistes, locaux et parfois étrangers, qui reprennent le discours officiel et passent sous silence tout ce qui ne s’inscrit pas dans cette vision. De l’autre, les nombreux médias communautaires et alternatifs qui, dans les villes comme dans les zones rurales, sont ceux qui connaissent le mieux le conflit économique, social et armé, et aident les journalistes indépendants, locaux ou étrangers, à accéder à ce fameux terrain.

En Colombie, que ce soit auprès des victimes, avec les troupes régulières, ou celles de la guérilla, l’exigence de notre travail de journaliste reste la même : rendre visible ce que la guerre cherche à maintenir dans l’ombre.

Laurence MAZURE

(1) La Libre a suivi les différentes tentatives de censure et judiciarisation exercées contre ce journaliste au cours des années 2009/2010 durant le mandat de l’ex-président Uribe.


SAVOIR PLUS

La Libre en Colombie

L’enlèvement et la libération du journaliste Roméo Langlois ont été l’occasion pour "La Libre" de s’interroger sur la façon dont elle-même traite le conflit armé en Colombie. En écho à l’appel du journaliste français invitant à "couvrir le conflit des deux côtés", Laurence Mazure, notre correspondante sur place pendant des années, livre sa vision de ce qu’un journaliste peut/doit tenter de réaliser. Elle rappelle les exigences du métier et énumère les difficultés propres à la couverture des conflits armés.

source : http://www.lalibre.be/actu/international/article/741615/l-ur...

URL de cet article 16880
http://www.legrandsoir.info/l-urgente-necessite-de-couvrir-la-guerre-en-colombie.html
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