Hop là !... Me revoilà au chomedu ! Encore, et toujours je crois m'en débarrasser mais la poisse Misère est une salope trop fidèle, plus dévouée qu'une chienne !... je crois laisser loin derrière cette porte de la soupe-job populaire, mais non !... je l'entends toujours grincer pas loin, même quand je taffe !... Bah voui ! C'est pas évident de se poser sur un siège éjectable, contrat précaire, on peut être facilement expulsé, et, en moins de deux !... se retrouver à nouveau devant une conseillère a.n.p.e ! Adopter une face de truie désireuse d'y retourner !... Tenez, mon dernier travail, il m'a rendu chèvre. Le social. Le travail d'animation pseudo-culturelle pour les pauvres... c'est faire des bulles dans une plaie béante !... pourtant, plus dévoué que moi y avait pas ! La bonne-poire pour la gloire des autres, tout jésus-jésus, tout le coeur sur la main, tout disposé aux hyènes, tout con-con, abruti par la bonté biblico-républicaine appliquée !... que n'aurais-je pas du rester l'adolescent étincellant de feus et distributeur de coups-poings automatiques, j'en serais pas plus pauvre qu'en smicardant à tue-tête au gré de ces mélodies sorties de la flûte hantée par le management des gérants !
Elle vient gagner votre lucidité l'expérience des choses ordinaires,... Elle vient toute claire... les derniers seront les derniers, les exterminés, de la chair pour toutes les boucheries expiatoires... Mais c'est trop dur, alors on se ment encore pour retourner à la légèreté éberluée. Zoner en ville, dans la zgueguerie industrielle, à se croire plus forts que le destin... sous prétexte qu'on se la paye la conso, la cogne, le plan !... Et encore ! Faut voir la qualité de tout ça ! Peau de zobe !...
Je me souviendrai toujours de sa face, mi pieuse-mi poupée, son corps plastique, elle se déplace d'un bureau l'autre comme sur des échasses tassées par deux grosses cuisses et un bassin large donnant l'impression d'être enveloppé par une ceinture de chasteté... le genre de gonzesses chez qui on arrive jamais à deviner son type de chatte !... le cône relevé ?... en lèvres prohiminantes ?... aplatie avec une fente discrète ?... poilue beaucoup ? Poilue ciblé ? Un duvet ?... impossible de déceler, ce genre de femme n'a pas la croupe bavarde !... Ses chaussures me font penser à celles de Princesse Sarah, le dessin animé !... Aller, j'arrête là pour Saliha,... ça suffit comme ça !... Le genre de rapports professionnels qui m'ont fait passer le goût marxiste !... plus que les dominants, ce sont les travailleurs qui m'ont dégoûté du socialisme. Comment qu'elle a manoeuvré en suçant les chefs pour m'évincer, je l'ai prise en flagrant délit de manigance... Je vous jure que même la plus belle édition du Manifeste s'effrite quand on vit ça !... Marx m'a trompé ! Par séduction... Il n'y a qu'un pas entre l'esprit biblique et l'esprit communiste. Ce n'est que quand on regarde ses "camarades", franchement, sans fioritures, absolument crument, que l'on ne peut alors réagir au communisme que par un tonitruant éclat de rire !... Et pour ma part, un strident hurlement de regret d'avoir passé tant de temps, de cerveau, d'actes à y croire... Il m'a fait pédaler dans la semoule !...
Mais quelle a été la connasserie de Saliha ?... Je me souviendrai toujours de cette scène, mythique !... Mais il faut remonter plus avant...
J'arrive dans l'association... Saliha est au plus mal, elle est délaissée par ses paires, mise au placard quoi ! Avec le recul, elle avait du montrer les crocs trop près du bifteak des autres... ce genre de fronde est crucifié impeccable par ceux qu'ont le pouvoir, et vite-fait, pas une pas deux !... on te laisse pourrir tout seul, tout bleu, tout refroidi, pour punir tes appétits !... Donc, elle tourne en rond, ça rend vite balourd, avâchis, ferré, épave bouffée de chaleurs assassines ! Pieds perdus !... hystérie de cafard !... elle maudit, sans os à mordre, elle entre dans des rires interminables sans que personne ne sâche pourquoi, on dirait un petit démon-hobbit lui-même possédé par un démon la vâche-qui-jouit !... aboie beaucoup, d'un bureau l'autre, mais les paires ont mis les boule-quiesses, et ceux qui l'écoutent n'ont rien à voir avec le schmilblick... Il faut qu'elle existe pour rester dans l'ambiance, dans le moove de la structure, elle sort de son secteur et vient sur mon secteur... Je la tiens à l'écart mais son copinage personnel avec la boss m'oblige à céder du terrain si je ne veux pas m'attirer les foudres de tous, ameutés par la directrice, sa copine !... Elle prétexte trois bidules, parce qu'elle avait quand même besoin de moi... Structurer une association de locataires dans une des cités les plus délabrées, d'un côté les "gitans", et de l'autre les "magrébins"... Cet habitat ressemblait à un cadavre solidifié à l'air libre, en train de se décomposer en faisant tout un foin !... mais Saliha, toute seule, pauvrette, brunette à ganache de sainte-ni-touche, elle se serait faîte bouffer... Et dans le travail social, quand le public de banlieue est rustre, pas coopérant, nerveux, haineux, les piquants hérissés, méchant, intelligent, préoccupé par ses magouilles, alors le travailleur social doit assurer la présence de l'Etat dans un guépier... Ainsi, la hiérarchie des intervenants sociaux opère ainsi, elle fait supporter les tâches les plus ingrâtes à ceux qui sont le moins bien payés, genre : moi !... Dans cette logique, Saliha et la directrice m'ont reflilé la patate chaude, tout en se juchant aux abords, de temps en temps, apparaître dans des réunions que j'organise, elles attendent le bon moment pour choper la patate dès qu'elle sera plus tiède, enfin dégustable !... C'est à dire en langage du travail social : les SUBVENTIONS ! C'est le dieu du travail social, du monde associatif, pas un pet ne sort de leur arrière-train s'il n'y a pas un bifteck sous forme de subvention !... Ils sont prêts à lécher toutes les fesses qui puissent leur chier des subventions en quintes de diahrées dorées à encaisser !... ils se jettent sur toutes les tendances à la con pour entendre le compte en banque faire "gling, gling" avec des sous !... "Garde à vous ! Prêêts ! Parteeez ! Oueuuuuh ! Grrrrrrrrrr ! Han han !..." Et vas-y que je te foure du "vivre ensemble", que je te tartine de "prévention", que je te sauce à "l'insertion", que je t'endors avec de la "participation citoyenne", que je te gratine au "lien social" !... Ils se précipitent en rats pour exécuter ces délires sortis de salons parisiens, sous formes de projets débiles, insipides, du nivellement par le bas... Raccoler quelques clampins de cités, les plus tétanisés socialement, les moins vifs d'esprit, les plus atteints... Leur faire faire ces projets à la va-vite, à la médiocre, à la ronflant et surtout, enfin pouvoir justifier de subventions... Sur le papier, ils mettent, à l'écrit, que c'était un développement extraordinaire, formidaaable, le miséreux s'est enfin épanoui... "Mon cul oui !..." Moi, j'ai fais de l'altruisme et j'ai appris que ça coûte beaucoup plus cher que le bizness, j'ai mouillé le burnous, et ces deux malfrâtes m'ont payé en monaie de singe. Sauf que la directrice, elle tendait un peu vers moi[...] elles sont sorties du bureau en forçant un peu trop une normalité, l'allure de ces chieuses portait la sincérité en carton... C'était visible. Elles me mentaient comme des chirurgies esthétiques !...
Alors, quand je ne glande pas, par dépit, je me mets à chercher du taf... Je sais que les annonces, c'est pas du bon, trop souvent des plans foireux, les restes du grand festin de l'économie... Alors je contacte un pote, un vieux pote, lui aussi dans l'animation, je lui demande s'il sait où c'est que ça cherche en ce moment. Il me dit qu'il y a une structure qui s'occupe de personnes handicapées... Je me dis, teins !... Moi, handicapé social ! ça devrait faire bon ménage ! "File moi le contact", il me met en lien et je débarque dans la structure... Toujours ces murs fatigués des tristesses d'hommes, toujours cette fadeur, ce furtif permanent dans le travail social... cette atmosphère de lieu de transit perpétuel, cet impossible mensonge de l'attention pour les miséreux, toujours cette impression que ça roule à pneus crevés !... toujours cette ambiance flasque de tourne mou en rond. Le directeur, plutôt jeune, quarantaine, très bien dans son élément, ça change !... Mais encore ces tics que je reconnais !... Ces façons de peindre avec les ongles, de raconter plus qu'ils ne réussissent...
La palabre ! Le sport de l'animation sociale ! La jaquetence elle n'anime rien, elle anémie de conneries... A les entendre, n'y a que des zorros ! Mais faut voir quels zorros... Zorro dans le corps d'un sergent Garcia !... "Et moi j'ai lu untel, et moi je connais le "ça", le "moi", et le "surmoi" ! Et moi je connais, et moi j'ai développé, et moi j'ai fais grandir, et moi je suis avec les pauvres, et moi je fais marcher les élus à la baguette, et moi je suis franc et sans manières !... Et reuh gneu-gneu et rah gna-gna !..." De la bouse vernie que j'vous dis !... que seule la lecture de Jean Gautier peut décrasser, et encore !...
On discute, il me laisse apprécier le décor, les personnes handicapées...
A un moment donné, il me dit : "Tu vois celui-là, Thomas, il est capable de te dire, un mois après une partie de belotte, qui a remporté le troisième pli et avec quelle carte !..." Impressionné, je regarde Thomas, je le dévisage pour déceler ses atouts, il est atrocement effacé et à la fois terriblement présent, une sorte de lassitude du surdoué, résigné à l'à-quoi-bon ?!... Et puis, soudainement, il se reprend d'un intérêt ahurissant pour l'instant présent... Il se lève et mime un shampoin avec ses doigts, sur la tête d'une fille, le coquin, il se marre... La cliente malgré elle se pince la lèvre sur le côté, et tourne de gros yeux marrons vers le haut...
Le directeur m'indique la cour interieure, toute d'ombre innondée, toute nuiteuse, une sorte de trou au milieu des bâtiments... Toute sa surface est recouverte d'un énorme amas de canettes vides !... "C'est un des moyens de se financer, on récupère les cannettes usées et on revend l'alluminium, on arrive à financer certains projets comme ça..." Il me dit ça avec une sorte de détermination étonnante !...
J'acquièsce et je mime une reconnaissance ! Bien sûr que je salue la démarche, mais je me dis "Putain, on est dans une des plus grosses puissances financières de la planète et les personnes handicapées de ce pays sont en clauchardisation avancée pour se financer !..."
On baragouine quelques trucs... Il me laisse vaquer un peu dans la salle de vie... On se reparle, il me dit qu'il déjeûne tous les jours avec sa fille, elle ne va pas à la cantine, ils vont au resto. J'aime bien les gens qui sont Famille, vraiment. Mais j'ai pas d'atome crochu avec lui, sans animosité non plus. Il semble intéressé par moi... Disons qu'il n'y a pas grand monde qui se bouscule pour travailler dans cet univers... Et moi non plus !... j'allais me décider plus tard, après cette proposition qu'il me fait de participer à une soirée, une "boum" avec les personnes handicapées, afin de se déterminer si on bosse ensemble ou pas. Je dis : "ok", avec plaisir... C'est le samedi soir qui vient... Pi, avant de partir, une employée animatrice, me convie à venir avec elle pour raccompagner une personne handicapée chez elle, l'aider... Le directeur et elle avaient du se mettre d'accord pour que je vienne avec elle. A mon avis, pour tester ma motivation... J'accepte, et avant d'y aller cette animatrice lui envoie un pic à son dirlo, pour une augmentation qui tarde à venir, depuis deux ans qu'elle attend !... C'est fou ça !... Non pas ce cas particulier, mais cette répétition, tout se revit en photocopies, toujours les même mecs qui ont ce réflexe animal de regarder le cul de la secrétaire ou le corsage de la chargée de com, toujours ces employés éternellement affamés et feinteurs, toujours ces imprimantes qui mentent bruyamment quant aux vraies aspirations, toujours ces chefs bolchévicks sadiques sur tous les détails, toujours ces travailleurs sociaux tellement écartelés entre la vérité des poubelles sociales et les hypocrisies conservatrices des financeurs qu'ils ne pensent qu'à une chose en sortant du boulot : s'enfiler trois demis !... Toujours ce silence assourdissant des chaînes invisibles, toujours cet ennui, cette apathie, cette machine...
On accompagne lourdement un vieil homme, polynésien, ex-chercheur scientifique, accidenté, il n'arrivait plus à se mouvoir, il dépérissait dignement dans ses habits classiques, bien repassés, nickels... Quelle droiture !... Riche et triste, riche et incapable d'en profiter... C'est là que l'on a envie de secouer tous les bien-portants qui chichitent avec leurs niaises et pathétiques difficultés nombrilistes...
C'est samedi soir... Ca me dit trop rien d'y aller, j'y vais !... Grand réfectoire, on me laisse me démerder... je me mets à la sandwicherie, pour être en contact avec le public, je vais et je viens... Les boissons, les jambons, le beurre, les friandises, la musique, les lumières... Petit à petit la fête s'installe sans commandement, elle s'impregne et s'étend simplement dans cet air compact, un brin rafraichi par tout un pan de portes vitrées... Il y a ceux sur fauteuil roulant, puis les autres, chacun avec son handicap...
L'une était coquette, un peu trapue, tête large, cheveux tirés en arrière avec barettes couleurs amour, une pipelette à la "public-relation", snobeuse et attentive, avec sa cour autour, comme si tous nous étions là pour elle !... Pi, un autre, rapide, affolé, hyper-communicatif, dérangeant, un sens de la répartie verbale sans que quelqu'un ne lui adresse la parole !... Un autre est en méditation super-profonde, dans une douce et intrigante introspection, malgré les décibelles de Je rêvais d'un autre monde !... Ils se lachaient tous ! à leur façons... quelques uns semblaient sortir d'un long sommeil, d'autres d'un roman de Stephen King, quelques uns n'étaient présents que physiquement. Je les servais, sympathisais... j'avais envie de me barrer ! je cherchais la sortie !... Vous savez ce que c'est que de voir la vraie vie, toute crue, qui se raconte toute seule sans prononcer un mot ?... De voir des vrais vivants ?... des personnes avec de vraies différences d'esprit, pas les notres artificielles, communistes !... Non ! Que du vraiment personnel, des particularités exhorbitantes !... Je n'avais jamais vu autant d'êtres humains, aussi brut de pomme, aussi épais, les émotions en de telles propagations !... les états-d'âme aussi expressifs... des âmes nudistes, étalées au rouleau,... les énigmes personnelles aussi découvertes... Se flanquer aussi purement, diamant, dans le moment présent !... Voir des humains au plumage si ouvert, je vous jure, il n'y a pas plus coeur à coeur ! Étirés à longue tringle... tous leurs motifs apparents, en ombres et lumières !...
On réalise d'autant plus que, nous, les bien-portants, les normaux, standardisés au bavardage et à la moulinette des propagandes politiques, religieuses, intellectuelles... ne sont plus que de l'humain en bois aglomérés tout en un, bien lourds, haineux de la légèreté !... On n'est pas habitués !... Moi non plus... Je me voyais dans toute mon appartenance à la Norme !... J'avais la nostalgie des chaînes, de la non-humanité, de la farceuse déprimante !... Vite, revoir un type ronflant dans les clous, ou une donzelle paramétrée à l'impotence pédante...
J'alterne entre je-suis-bien-présent, et je médite à comment abréger cette affaire.
Quand !... Surprise à l'entrée de la salle des fêtes... une agitation, un brouillon astrale... La lune a apporté ici même une tigresse des steppes du nord ! Cette jeune femme se presse d'entrer, vite, lassée d'être accueillie... Elle oublia ses parents, comme s'ils n'avaient été que de vulgaires transporteurs, un prétexte qui doit rentrer à la maison et la laisser... Ni une, ni deux ! Dans le tintamarre ! Direct ! Pieds volants. Elle se propulse au centre, dresse ses deux bras vers le ciel, elle salue l'Univers. Aux prises avec une rage joyeuse. C'était une celtique. Une essence scandinave l'habitait. La vandalouse. Blonde féérique. Sa beauté évidente avait quelque chose d'innacessible, d'insaisissable... Son visage retenait tout son charme vers l'intérieur, rien ne devait être distribué aux autres yeux !... angoisse !... Quelle intelligence physique !... La musique elle même n'arrive pas à la suivre !... hep ! Clack ! Elle bondit, courre vers la grande porte vitrée ! En gaieté virile !... elle discute avec son reflet ! hystérique !... on dirait deux bonnes vieilles copines qui ne se sont pas vues depuis très longtemps, euphoriques, mais sans un mot, seulement des rires, d'un autre monde, et de l'effervescence gestuelle !... J'avais envie d'aller la prendre dans mes bras !... aspirer toute sa fougue, qui, je le sentais bien, la torturait fol !...
Au fure et à mesure, tout cela me semble vain. Petit. Marécageux. Sinistre. Tangeant. Glissant. Dangereusement révélateur de l'absurde. Infatigable étalage de vérités. Sans issue. Bouclé en boucle. Une agitation dans un bocal... Je tente d'aller voir le dirlo pour lui causer, prendre la température. Il me nargue avec cette manie des patrons à toujours forcer la distance. Un peu comme pour garder cet écart nécessaire au coup de fouet !... Mais moi, là !... il m'en fallait pas plus pour trouver raison à m'esquiver...
Le contrat. Même pas encore signé, et déjà il fait le kakou ! le boss à la con !... Je connais la suite avec ce genre de personnes... Je tourne les talons, je deviens une petite ombre qui va vers la sortie, un intru qui ne laisse pas de traces sur le carrelage... Il fait froid cette nuit là, à Marseille, côté nord, là où le vent refroidi toutes les tendances, en soufflant plus qu'ailleurs dans la ville...
J'attends le bus de nuit... Je suis encore imprégné par tout ça, je suis effroyablement présent à moi même sous cet abrit-bus, un cosmos à moi tout seul... J'ai envie de redevenir rien pour moi même... pas de crainte de ce côté là, le Système est là pour ça... Le lendemain je redeviens un bon petit bipède qui sert à rien !... un énième surnuméraire que tout invite à disparaître sans regret, sauf pour ma mère, pour qui je suis la moitié de l'univers.