6 novembre 2013 3 06 /11 /novembre /2013 20:24

 

 

 

 

HORACIO VERBITSKY / PAGINA12 – Le Commandement Sud des USA recommande à la Junte Interaméricaine de Défense (JID sigle en espagnol), que les Forces Armées du Continent participent à un plan de sécurité du milieu ambiant et de sécurité énergétique et l’Argentine s’y oppose. Le contrepoint, qui se produit, mardi passé, pendant une réunion informelle de la JID qui se tint à Washington, constitue un pas de plus dans l’escalade US pour brouiller les frontières entre les fonctions de défense et de sécurité, et continuera le mercredi pendant les session ordinaire de la Commission  de Sécurité Hémisphérique de l’OEA (Organisation des Etats Américains). En Argentine plusieurs candidats des partis d’opposition, comme Ricardo Alfonsin, Sergio Massas et Gabriela Michetti, préconisent la sanction d’une loi de peine de mort sans jugement préliminaire pour les présumés narcotrafiquants, de l’application de laquelle, se chargeraient les Forces Armées. 

A l’intérieur de leur territoire, les USA maintiennent la séparation dans les termes en vigueur depuis 1878 de la loi Posse Comitatus, mais ces derniers temps ils ont un penchant à doter les forces de police d’équipements de guerre lourds qui jusque-là était considérés comme du domaine strictement militaire. Par contre, en Amérique Latine, ils proposent que les Forces Armées se dédient à des tâches relevant de la police, en raison de la doctrine des nouvelles menaces, déjà en vigueur depuis une décennie.

L’article 2 des statuts de la JID dit que l’objet de l’organisme est de prêter à l’OEA et ses pays membres « des conseils techniques, consultatifs et éducatifs sur des thèmes en relation avec les domaines militaires et de défense de l’hémisphère », mais ne mentionne pas les questions de sécurité. C’est la même chose pour le Plan Stratégique de la JID. C’est pour cela, que lors de la réunion du mercredi 16, les USA ont tenté de redéfinir la portée des termes « questions militaires et de défense » et les concepts de Défense et de Sécurité. Il est probable que la question revienne sur le tapis entre le 21 et le 25 octobre, pendant la Conférence Interaméricaine de Logistique, qui est financée par des entreprises privées et se tiendra également à Washington.

Un programme de gouvernement 

Le programme de travail de 2013-2014 de la JID, signé par son directeur, le vice-amiral Bento Costa Lima Leite de Albuquerque Junior, constitue un chapitre d’un programme de gouvernement. Loin de thèmes militaires et de défense, il adjoint que la JID s’occupera également de « disciplines connexes en relation avec l’hémisphère ». Il se propose de promouvoir la présence dans différentes activités de la JID, de la Commission de Sécurité Hémisphérique et du Sous-secrétariat de Sécurité Multidimensionnel, deux chemins pour éluder la séparation des fonctions.

Un autre objectif du plan de travail est de constituer la JID en tant « qu’organisme de conseil technique permanent de la Conférence des Ministres de la Défense et d’établir des relations de coopération avec les organisations hémisphériques régionales et sous régionales de défense et de sécurité ». Il se propose également de participer à la coordination entre Forces Armées et de Sécurité « dans le combat contre le narcotrafic » en Amérique Centrale et d’assister à la 4ème Conférence des Ministres de la Sécurité des Amériques.

La JID va jusqu’à se proposer pour ’instruire le Comité Interaméricain contre le Terrorisme dans le domaine de la “protection des droits humains et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme”, d’harmoniser son plan de travail avec celui de la Commission de Sécurité Hémisphérique et de convertir le Collège Interaméricain de Défense en une institution éducative d’excellence qui offre des cours de post graduat non seulement en matière de défense mais aussi de sécurité. A ce plan de travail de la JID, la délégation des USA ajoute une recommandation personnelle : que la JID accepte la proposition présentée par le Commandement Sud et travaille conjointement avec ses autorités dans « le développement d’un Plan de Coopération Régionale sur le Milieu Ambiant et la Sécurité Energétique ». La délégation argentine à présenté une série d’objections à ce plan :

- en ce qui concerne l’objectif d’aide humanitaire et d’auxiliaire en cas de désastres naturels, la Déclaration de San Salvador sur la Sécurité Citoyenne à été invoquée,  il est proposé un suivi des phénomènes qui ne concordent pas avec l’énoncé général, comme les migrations, le trafic de personnes et la délinquance transnationale. Mais la Déclaration de San Salvador se réfère à des questions de sécurité publique et ne concerne pas les thèmes à caractère militaire ou de défense, les seuls pour lesquels une intervention de la JID a été habilitée. Cette thématique est exclusive des compétences de la JID, dont les statuts ne la prévoient pas. 

- Les nouvelles menaces considérées dans les approches multidimensionnelles n’obligent pas à une neutralisation par des instruments militaires. En Argentine, la réponse concerne les Ministère de la Sécurité et de la Justice.

- la coordination proposée de la JID avec le Secrétariat de Sécurité Multidimensionnel doit exclure l’usage des Forces Armées dans la sécurité publique des états, la lutte contre les drogues, les migrations, la traite des personne et le terrorisme, dont la compétence relève d’autres organismes de l’OEA, comme la Commission Interaméricaine contre l’Abus des drogues (CICAD) et le Comité Interaméricain contre le Terrorisme (CICTE). Il est tout aussi inadmissible que la JID participe à des forums, conférences et organismes qui traitent ces thème, qui ne font pas partie des attributions de la Junte Interaméricaine de Défense.  

- la JID a pour mission d’appuyer le Secrétariat Pro Tempore de la Conférence des Ministre de la Défense (qui est toujours à charge du pays amphitryon) et de conserver sa mémoire historique, mais elle n’est pas habilitée à se convertir en son Secrétariat Technique Permanent, vu que la Conférence est un forum de dialogue politique entre les ministres et la JID un organe d’assistance technico-militaire de l’OEA.

- Il faut également clarifier le fait que ces fonctions de soutien ne doivent s’exercer qu’à l’appel du Secrétariat Pro Tempore

- l’Argentine n’accepte pas non plus la proposition “d’alignement des stratégies de défense et de sécurité que devrait soutenir la JID

- en se référant aux instruments qui composent le Système Interaméricain de Défense, le plan de la JID lui assigne des fonction de coopération avec d’autres organismes interaméricains, alors qu’elle a seulement été autorisée à le faire dans le processus de révision du Système, qu’impulsa l’Argentine et dont la JID devrait prendre note.

La JID s’arroge comme « tâches implicites » des tâches qui excèdent ses fonctions et missions. Elle mentionne parmi celles-ci la demande aux états d’informations déterminées qui ne sont pas de la compétence de la JID, comme par exemple des données sur la technologie et l’industrie.

Les conclusions de la JID ne mentionnent pas le complément de mandat de la Conférence des Ministre de la Défense et de l’Assemblée Générale de l’OEA, qui’ contraindrait à la révision de tous les instruments et composants du Système Interaméricain de Défense. Cela incluant de manière centrale la JID elle-même.

 

Le conflit se définit en termes clairs. Pendant que l’Argentine réclame que le système politique représenté par les Ministres de la Défense et l’Assemblée Générale conduise la révision de la Junte Interaméricaine, la JID, qui a son siège à Washington et dont le financement est étasunien, résiste à la révision de son rôle et prétend avancer avec de nouveaux diktats pour les organes représentatifs de la volonté populaire.

Pendant la réunion informelle de mercredi passé, ce n’est pas seulement l’Argentine qui contesta la prétention étasunienne qui voudrait que le Commandement Sud recommande à la JID la manière dont elle devra participer à la sécurité énergétique et du milieu ambiant, créant un nouveau topique des relations entre les Forces Armées de la région, fondé sur les modèles qu’appliquent les Nations Unies et l’OTAN . Le Canada soutint que la création d’un commandement opérationnel nécessite de plus grandes discussions, et il mit en doute le fait que la JID soit compétente en cette matière. Les Etats-Unis nièrent avoir proposé un rôle opératif pour la JID.

En plus de coïncider sur ces points avec le Canada, le Mexique rappela que chaque pays a des organismes spécialisés dans la sécurité énergétique et du milieu ambiant, matières pour lesquelles, les militaires, dans le meilleur des cas, n’ont qu’une compétence subsidiaire, et suggère que les pays qui sont d’accord avec la proposition puissent la réaliser de manière bilatérale avec le Commandement SUD.

Cela, c’est la logique qui depuis des années préside les avancées étasuniennes dans la région : une proposition générale que l’OEA n’accepte pas et qui s’impose ensuite à travers la relation bilatérale avec différents pays, en commençant par les plus faibles, que ce soit  face aux menaces décrites , ou face au Pentagone et son Commandement Sud, véritable artisan et réalisateur des politiques de son pays en Amérique du Sud. L’Argentine réitère quelques propositions quelle avait formulées lors de la réunion ordinaire de la JID du mois passé. En cette occasion, elle affirme que comme les autres pays sud-américains, elle donne priorité à la coopération dans ces matières au cadre sous régional de l’UNASUR et qu’il est inconvenant de mêler la JID à des thèmes éloignés de la défense.

La dérive des frontières 

La séparation nette entre Défense Nationale et Sécurité Intérieure, est un des accords fondamentaux de la démocratie argentine et se cristallise dans 3 lois et un décret sanctionné sous quatre gouvernements différents. La loi de Défense Nationale fut promulguée en 1988 par le président Raul Alfonsin, celle de Sécurité Intérieure en 1992 par le président Carlos Menem, celle de Renseignement National en 1991 parle président Fernando de la Rua, et le décret réglementant la Loi de Défense, le fut par le président Kirchner en 2006.

Dans l’article ‘4 de la loi de Défense établit que “il faudra prendre en compte en permanence la différence fondamentale qui sépare défense nationale de la sécurité intérieure”. Mais 18 ans s’écouleront avant sa réglementation. Horacio Jaunarena, qui fut ministre des ex présidents Raul Alfonsin, Fernando de la Rua et de l’ex sénateur en charge du pouvoir exécutif Eduardo Duhalde, confie dans un séminaire organisé par Eduardo Menem et Roberto Dromi que jamais il ne l’a réglementée parce que il n’était pas d’accord avec le texte et l’esprit de la loi.

Les considérants du décret réglementaire, que la ministre Nilda Garré signa conjointement avec Kirchner, écarte de manière expresse l’utilisation de l’instrument militaire pour des fonctions éloignées de la défense, “usuellement connues sous la dénomination de nouvelles menaces”.  Dans le cas contraire, il se produirait « une sévère et inexorable crise de la doctrine, de l’organisation et du fonctionnement d’un outil fonctionnellement conçu pour accomplir des responsabilités distinctes de celles typiquement policières”. Depuis, sous la présidence de CFK (Cristina Fernandez de Kirchner), trois projets furent présentés au Congrès qui rebroussent le chemin parcouru. Le premier en 2010, porte la signature de Francisco de Narvez et d’autres députés du Péronisme d’Opposition (Dossier de la Chambre des Députés 6657-D-2010. Procédure parlementaire 130, O9/O9/2010, Défense Nationale contre les menaces aériennes)

Le second date de 2011, il fut présenté par la député du PRO, Gabriela Michetti, accompagnée du même de Narvaez et plusieurs députés des deux partis, (Dossier de la Chambre des Députés, 1791-D-2011. Procédure Parlementaire OO28, 13/04/2011. Création du Plan National de Protection Aérienne de la Frontière Nord). Le troisième, date de cette année, et émane du député radical Ricardo Alfonsin et d’autres législateurs de son parti (Dossier 4817-D-2013. Processus Parlementaire O73, 18/06/2013) Loi de lutte intégrale contre le narcotrafic)

Ils coïncident tous à commander aux Forces Armées la destruction d’aéronefs qui ne répondent pas aux sommations transmises par radio, signaux visuels ou tirs d’urgence avec des munitions traçantes (De Narvaez) ; la destruction devra être autorisé par le président de la Nation ou par les autorités déléguées par le Chef d’Etat Major des Forces Aériennes ou par l’autorité déléguée par le chef d’Etat Major de la Force Aérienne (Alfonsin) et « en aucun cas, il ne sera permis aux aéronefs irréguliers, suspects ou hostiles de s’échapper en territoire étranger » (Michetti). Le projet de Michetti est le plus explicite, les hypothèses de conflit « dans le sous-continent » (sic) ont disparu et à présent les ennemis de l’état « sont le terrorisme, la narco guérilla, les mouvements séparatistes, la piraterie, etc. ».

Ces menaces “sont d’une telle ampleur qu’elles doivent être considérées comme des matières propres à la défense nationale ». A ce groupe, c’est ajouté cette semaine le candidat député pour le Front Rénovateur, Sergio Massa, qui vendredi affirma, qu’il était urgent de promulguer une loi qui permettra « de détourner les avions des narcos qui entrent dans le pays ». L’officialisme s’oppose de façon explicite à une telle réforme.  De fait, dans l’Opération Fortin Norte, l’Armée ne reçu pas, de la part du Ministère de la Défense, de règles d’engagement, seulement des schémas de comportements qui excluent l’engagement du combat, et la semaine passée à Rio Gallegos, le Ministre de la Défense Augustin Rossi ordonna de se limiter à occuper la partie du terrain qui est propriété de l’Armée pour qu’il n’y ait pas d’intrusion, sans même porter d’armes à feu. Les projets de Massa, Michetti, Alfonsin et De Narvaez habiliteraient les Forces Armées a appliquer la peine de mort sans jugement préalable, en se basant sur la seule suspicion, y compris à qui se serait éloigné du territoire national. Par chance, il est douteux que ces propositions progressent au Congrès étant donné la confortable majorité de l’officialisme.

Traduction Anne Wolff

Source en espagnol Argentina: EEUU propicia intervención militar y la oposición lo acompaña | CONTRAINJERENCIA

 

En juin dernier, les pays de l'Alba ont annoncé leur sortie du Conseil Interaméricain de défense :

 

Les pays membres de l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique (ALBA) ont annoncé jeudi leur retrait du Conseil Interaméricain de Défense (JID en espagnol) de l’OEA, considérant que continuer à en faire partie n’avait aucun sens..

 

Cette annonce a été faite par les représentants du Nicaragua, du Venezuela, de la Bolivie et de l’Equateur lors d’une conférence de presse dans le cadre de la 43ème assemblée générale de l’Organisation des Etats Américains (OEA) qui s’est tenue dans la ville guatémaltèque d’Antigua.

Le Ministre des Affaires Etrangères de Bolivie, David Choquehuanca a annoncé que le retrait des pays de l’ALBA de la JID était examiné depuis plusieurs mois et qu’il sera officialisé après l’Assemblée Extraordinaire des chefs d’états de cette alliance qui se tiendra le 13 juilet prochain à Guayaquil (Equateur.)

 

Aguila rapaz devora américa del sur

 

en savoir plus :

L’ALBA annonce sa sortie du Conseil Interaméricain de Défense de l’OEA

 

 

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