A force de ne pouvoir, y échapper… j’avais réussi à survoler le mariage pour tous, mais là, il s’agissait de légiférer pour élargir les libertés de chacun d’agir selon ses aspirations et sa conscience. Je vais donc me fendre d’un billet sur «faut-il restreindre la liberté d’expression » et si oui, dans quel cas, en mettant quelle limite à cette restriction ?
Parce que la question est bien là… que le jeté de nains soit interdit, ne relève pas d’une question de liberté d’expression, mais bien d’une maltraitance physique concrète, d’une pratique sadique et non de mots.
Quand la libre expression de sentiments antisémites s’est vu interdire, j’ai eu très peur. Quand la nécessité d’un tel interdit se profile, c’est que le mal est déjà fort avancé, et qu’il n’existe plus de mots, de raisonnements, d’arguments discursifs susceptibles de lui apporter la contradiction. Légiférer en cette matière est non seulement l’aveu d’une faiblesse de la raison mais aussi celui que l’échec de la démocratie à assurer la concorde public, c’est le passage de la démocratie à la dictature.
La citoyenneté crée déjà une différence, une catégorisation entre habitants d’un même pays qui crée un sous-statut aux droits restreints pour ceux qui ne sont pas admis à la citoyenneté. L’impact que cela peut avoir sur de jeunes esprits qui grandissent dans cette discrimination permanente entre ceux qui sont citoyens et ceux qui ne le sont pas, surtout chez ceux qui ne bénéficient pas ou dont les parents ne bénéficient pas du statut de citoyens, mais qui ont la même obligation que chacun à un comportement civique, a des conséquences sur la formation du rapport au monde qui sont passées sous silence.
La seconde guerre mondiale fut un génocide en tant que plus de 60 millions de personnes du monde entier y ont été assassinées. Au sein de ce génocide, se sont produit des ethnocides qui ciblaient des populations précises pour leurs origines ethniques alors que d’autres mourraient pour leurs idées.
J’ai été élevée par une grand-mère dont le père était juif allemand et avait été tué par les nazis. Notre entourage était formé de beaucoup de personnes d’ethnie juive, ou partiellement juive. Si ma grand-mère avait porté l’étoile jaune comme elle était obligée de le faire, de même que ma mère, une petite fille à l’époque, je ne serais probablement pas là pour écrire ces lignes. Si sa sœur avait fait de même, il est tout aussi probable qu’elle n’eut pas fait long feu dans la Résistance.
Je n’étais pas encore à l’école primaire, quand au cours d’un repas, la manche d’une amie proche de la famille c’est relevée. « Tante G, pourquoi tu as un numéro sur ton bras ? » Silence, et ce regard d’adulte qui vous intime de vous taire. Ce n’est que le repas terminé que ma grand-mère m’a prise à part pour m’expliquer, tout d’abord que ce numéro était porteur de souvenirs tellement douloureux qu’il ne fallait pas les évoquer devant Tante G. pour ne pas réveiller le cauchemar, et que ce n’était pas sans raison que même en été elle portait des manches longues.
Après j’y ai été des mes questions d’enfant, que lui est-il arrivé, qui lui a fait cela, pourquoi ? Ce fut le début d’une terrible découverte. Je ne m’en rappelle plus précisément les étapes. Ce dont je me souviens par contre, c’est que j’ai appris qu’il y avait eu une grande guerre, que des millions de gens y était morts, que cela avait été atroce, et que « Plus jamais cela » était un devoir que chacun se devait d’accomplir. Plus jamais personne, nulle part ne devait vivre cela. Ce qui était en cause, c’était la guerre, les discriminations qu’elles soient fondées sur des origines ethniques, sociales ou d’opinion.
Israël était à l’époque une sorte de leurre pour beaucoup de juifs et d’autres. Il est important de rétablir la vérité à ce sujet. L’idée « Israël » était alors « vendue » comme un concept de paix, de concorde, un pays qui se devait d’être missionnaire de paix, l’image commençait seulement à se brouiller et il faudra attendre mon adolescence pour que des juifs – et oui – commencent au nom du « Plus jamais cela » à dénoncer les exactions israéliennes en Palestine.
J’ai fait il y a quelques semaines un voyage du souvenir. Livre de témoins des années 30 en Allemagne, de ce « devenir juif » d’une partie de la population qui jusque-là se vivait allemande. Ce fut le cas de mon arrière-grand-père qui à l’issue de la Première Guerre Mondiale fut jugé trop patriote Allemand par sa belle famille Belge et après un divorce regagna Berlin, sa ville natale. Les témoignages d’enfants sont les plus bouleversants. En quelques mois, quelques semaines, quelques jours parfois, des gamins qui sont parmi d’autres dans une classe de petits allemands se voient exclus par les autres, parfois encouragés par des professeurs, il y a alors pour beaucoup de petits allemands, de petits français ou belges plus tard mais pas beaucoup plus tard, un « devenir juif » qui est la cause d’une stigmatisation, d’un rejet, d’une exclusion et comme on le sait pour beaucoup d’entre eux, ce fut une condamnation à mort.
Au cours de ma ballade du souvenir, j’ai parcouru un site qui m’a parlé Mémoire Juive et Education . A un moment la question est posée à une personne d’ethnie juive, à savoir si le racisme d’état anti romms actuels peut être comparé à celui de la France de l’occupation envers les juifs. La réponse fait mal, la réponse fait peur : « Le comportement de la police est le même, la différence c’est qu’il n’y a pas les occupants ».
Si les juifs de l’après-guerre ont absolument besoin de refuge, c’est que beaucoup de ceux qui ont survécu ont subit les mauvais traitements de la police de leur pays d’origine, se sont retrouvés dans des camps après des dénonciations – revanchardes ou intéressées – de leur voisins. Et qu’après le traumatisme des camps, après voir du se cacher au fond de réduits, parfois pendant des années pour échapper aux raflés, après s’être vu enlevé enfant à sa famille partant vers la mort par des gens bienveillants, obligés de s’adapter à une identité d’emprunt pour échapper à la mort, en ne sachant pas où avaient été emmenés leurs parents, s’ils les reverraient et quand ? Sachant que le délire meurtrier des nazis n’avait été possible que grâce à la complicité tacite ou active d’une majeure partie des habitants de leur pays d’origine, pour beaucoup, il n’était plus possible de s’y refaire une vie. Et le besoin était urgent d’un endroit « où se sentir à l’abri ». Je vous décris ce qui apparaissait à mes yeux d’enfants : Israël était ce refuge placé sous le signe de la concorde. Je sais que ce mythe était encore vivace pour beaucoup, juifs ou non autour de moi. Un refuge où des personnes ayant vécu un cauchemar pourraient s’en libérer – peut-être, on ne revient pas d’Auschwitz.
J’ai aussi vécu cette déchirure de devoir me situer en permanence vis-à-vis de ma famille paternelle, un grand-père d’origine franco-bavaroise (dont je porte officiellement le nom), et une grand-mère bruxelloise habitée par un antisémitisme populaire qui ne résistait pas à l’épreuve de la rencontre. Pour illustrer, toute sa vie les homosexuels lui semblaient inacceptables et elle les condamnait de manière virulente. A la mort de son second mari, une ancienne ouvrière de son magasin de chapeaux est venue la chercher pour lui proposer de venir faire des chapeaux pour les séries télévisées de notre chaîne de télévision flamande. Résultat (accent bruxellois inclu) : « Les homosexuels ! Dire que j’ai dis tan-an-ant de mal de ces gens, et ils sont si gentils ». Du coup elle avait vu 30 fois la cage aux folles et promettait que malgré ses mauvaises jambes elle retournerait le voir s’il repassait en ville…. Pourtant, ma mère à ses yeux restait « Cette juive… ». Tout en parlant 5 minutes après, du petit garçon si mignon du quincaillier juif d’avant-guerre vitupérant parce que de son temps quand elle avait besoin d’un clou, elle pouvait acheter UN clou chez lui et non dix ou vingt comme les grandes surfaces nous obligent à le faire.
Mes parents étaient séparés avant ma naissance et divorcés peu après, et j’ai fort peu fréquenté ma famille paternelle, D’avantage mes grands-parents, mon père reste anecdotique dans mon histoire. Ce qui n’a pas empêché ma mère de me bassiner régulièrement sur l’affront que je lui faisais en ressemblant à mon père. J’ai donc dès l’enfance pris refuge auprès de ma grand-mère maternelle - qui m’a élevée - dans mon identité Wolff, auprès de ceux qui ne me soumettaient pas au stress d’une division d’appartenance et s’intéressaient à la petite fille que j’étais, sans chercher ce qui pourrait être discrédité en moi au nom d’origines douteuses. Auprès de ceux pour qui « Plus jamais ça » s’adressait à chaque personne en tant que personne humaine qui se devait de chercher les moyens de la paix mondiales dans le respect de chacun et de tous. Est-ce un hasard si beaucoup d’entre eux étaient juifs ?
J’avais 17 ans quand ma grand-mère a commencé a souffrir d’un cancer qui pendant les dix mois qui suivirent la conduisent vers la mort en la plongeant en enfer. Après pour des raisons qui n’amèneraient rien ici, j’ai pris le large. Mais pas sans savoir que mes tantes et oncles, de sang ou d’adoption commençaient à ouvrir les yeux sur le sionisme, il faudra encore quelques années pour que soient fondée l’association belgo-palestinienne dont un des fondateurs, Marcel Liebman était juif, un autre Naïm Kadher Palestinien fut bientôt assassiné et le troisième Pierre Galand est un Belge. C’est dans ce courant de pensée que j’ai grandi, celui qui fonde notre humanité commune sur une sensibilité partagée et une considération du degré l’humanité de chacun évalué en fonction de son respect de l’humanité de tous les autres. Telles sont mes origines, constitutives de ma conception du monde.
Un long parcours pour en arriver au cas « Valls », au sionisme et en particulier au sionisme israélien, et à la judéophophie, l’arabophobie et la phobie des rroms composantes d’une même forme de déshumanisation pour chacun de ceux qui les pratiquent, pour tous ceux dont un quelconque forme de phobie est constitutive de la conception de l’Autre.
Pourquoi le cas « Valls » parce que ce que fait Valls aujourd’hui crée un précédent (qui UE oblige pourrait nous atteindre bientôt) qui porte atteinte à la liberté d’expression de tout un peuple qui pourra si ce précédent passe se voir condamner pour délit d’opinion et selon les dominantes du moment, le principe restera, les cibles changeront. Ce délit d’opinion pourra concerner tant des formes de xénophobie que des ’idéologies à géométrie variable, divergentes d’avec celle du Pouvoir en place, alors que nous assistons à une dérive généralisée tant en UE qu’aux EU, celles de la criminalisation des opinions divergentes condamnées comme menaçantes pour la « sécurité et les intérêts de Etats-Unis » qui est une doctrine militaire imposée dans le monde entier, et dans lequel Etats-Unis ne désigne plus ce pays, mais bien des Corporations Transnationales. Et donc Il serait aussi contre-productif et égarant de remplacé EU par USRAËl ou quelques formules du même genre qui ne désignent pas une cible mais un leurre. Les vraies cibles sont ailleurs, les déterminer demande à la fois une réouverture de l’histoire et une analyse du quotidien.
Le cas « Valls », parce que après avoir stigmatisé les victimes du dit Holocauste que sont les Rroms, après avoir envoyé ses forces de polices, user envers eux de comportements qui sont ceux utilisée par la police française quand elle obéissait aux ordres de l’occupants quand il s’agissait de rafler Rroms et juifs pendant la seconde Guerre Mondiale, après avoir suscité les troubles de l’ordre public par de légitimes réactions de protestation d’une – bien trop faible – partie de la population , après avoir jeté le trouble dans la conscience d’enfants qui voyaient leur petits camarades de classe « devenir rroms » et être déportés pour cette raison et cela dans l’accomplissement de ces fonctions officielles de Ministre de la République, le voici qui sans vergogne, sans aucun soucis de cohérence, fait monter la tension au sujet d’un comédien qui lui n’a aucun pouvoir d’envoyer qui que ce soit en déportation.
Je ne vais pas entrer ici dans la polémique Dieudonné, à mes yeux et à ceux de beaucoup après avoir pratiqué longtemps avec talent un humour de Concorde le voici devenu artisan de haine, cela est rejetable, doit être mis en lumière et des centaines de milliers de personnes en débattent aujourd’hui, que ce soit sur Internet ou ailleurs que ce soit en France, dans d’autres pays ou sur d’autres continents. Mais le débat est faussé par ceux qui depuis des années l’ont mis en position de jouer un rôle dans un scénario écrit par d’autres, mais dans lequel il se complait, celui de victime, de martyr, de persécuté pour délit d’opinion. Et désolée, je trouve que sa réponse fait le jeu non seulement de ceux qui lui imposent ce rôle, mais aussi de ceux qu’ils prétendent combattre en le lui imposant. On l’aurait préféré plus intelligent et faisant la nique à tous les fabricants de haine de tous bords, et moins ami des producteurs de concepts (sic) « caca-culotte » (re-sic), qui sèment la division partout où ils passent. Il est triste de le voir instrumentalisé par ceux dont il faisait rire aux débuts de sa carrière par la qualité de son humour qui a fait place à une ironie au rire méchant à relent d’ego blessé., il n’y a plus d’autodérision mais le culte d’un ego qui dénigre avec hargne, tout et n’importe qui.
Il est encore plus triste que cette ironie fondée sur le rejet aujourd’hui fasse salle comble et déchaîne les passions et dans lequel le seul rapprochement populaire est celui de judéophobes, d’arabophobes et autres phobes. Et je mets en garde ceux qui continuent de le suivre au nom de ces débuts… Il y a un devenir « Dieudonné » qui marque une rupture entre ce qu’il était avant le sketch du colon (que des juifs auraient aussi bien pu écrire) et après ce sketch, ce n’est plus la même idéologie qui l’habite., ni les mêmes effets qu’il produit
J’ai commencé en établissant une différence entre habitant et citoyen et je terminerai par cette autre différence, qui n’est pas nouvelle, qui a établi une rupture de la démocratie moderne entre des citoyens qui au nom de leur opinion ne jouissent pas des mêmes droits, celui d’exprimer librement leur pensée et d’en débattre que les autres. Nous sommes face au danger de franchir un seuil dans cette discrimination qui nous éloigne dangereusement de la démocratie moderne, en créant des différences entre citoyens et leurs droits, entre habitants en fonction de leur idéologie.
Il serait urgent de faire une analyse profonde des conséquences de la loi Gayssot, et autres interdits similaires, elle a été le catalyseur d’une prolifération d’une parole qui devenait attrayante parce qu’elle transgressait un interdit, diffusée dans le « secret », en privé, elle a pu proliférer sans avoir à affronter le contradiction du débat public. J’ai en écrivant cela, une souvenir qui s’impose, alors que les étudiants de toute l’université venaient se mesurer à Marcel Liebman en lui apportant la contradiction pendant ses cours, et les étudiants d’extrême-droite n’étaient pas les moins assidus, parce que lui rabattre le caquet en réduisant son argumentation à néant était un défi à relever, je ne crois pas qu’aucun d’entre eux y soient jamais parvenu.
Cela se passait à chaque cours, devant des centaines d’étudiants, les théories des étudiants de l’extrême étaient démontées et réduites à néant par une argumentation informée, rationnelle et cohérente. Et cela faisait barrage à la remontée de l’extrême-droite. Quand on en arrive à croire qu’il faut interdire, il est déjà trop tard, surtout quand la police vient enlevé des enfants devant leurs copains montrant que ce qui est interdit au peuple est permis à ceux qui confisquent le pouvoir lié à leur mandat.
Quand à Valls, il fut le premier a transgresser les interdits qu’il veut imposer à d’autres, cela devrait être la question centrale du débat actuel, celle de la dérive du pouvoir et de la destruction de la démocratie par ceux la-même qui ont été élu pour l’incarner et la défendre !
Anne Woff