« La journée me laisse une sensation étrange, l'impression de passer comme un fantôme : je suis ici, dans cette région, dans ces rues que je connais bien puisque j'y ai vécu des années, chez ces amis où je suis venue si souvent, et pourtant ma vie n'est plus là. Je suis seule ici avec une "mission", ou une "tâche à accomplir", et qui me plait, me donne envie d'être demain, mais toute ma vie est ailleurs... »
Aujourd’hui je vais vous présenter un blog, celui d’une enseignante, Valérie. Ce blog vous décrit avec une grande sobriété le sort de personnes dont le destin est décidé par des ordinateurs. Enseignante mutée, elle doit abandonner sa petite famille. Sur ce blog d’autres enseignantes témoignent… Sur le blog des photos accompagnent le texte qui nous permettent de ressentir très concrètement l’inhumanité de cette situation.
Le premier extrait décrit le moment où Valérie se retrouve pour la première fois seule dans sa nouvelle classe. Les suivants sont les passages que j’ai choisis pour vous donner le fil de dette déchirure, mais rien ne vaut une visite directement sur le site. Vous ferez connaissance avec une jeune femme courageuse, intelligente et sensible, avec ses enfants que la situation perturbe, avec son homme qui fait tout ce qu’il peut pour que les petits loulous ne soient pas trop perturbés… J’ai choisi les moments, les remarques qui me semblaient les plus significatifs… il faut découvrir Valérie, dans son ambiance pour mesurer toute l’horreur de ce que l’état lui impose… à elle et à sa famille.
Vous découvrirez toute la difficulté, la souffrance et la frustration de devenir cyber maman cyber enfants, cyber mari… vous découvrirez ce que ce monde nous réserve, ce qu’il promet à nos enfants. Les ordinateurs n’ont pas d’état d’âme, ceux qui les programment pas plus…. A vous de juger, je laisse la parole à Valérie.
Derniers moments au pays
[…] Nous y voilà, on le savait mais là, il faut le vivre... Les derniers moments ensemble au quotidien pour quelques semaines puis quelques mois... Le moral n'y est pas, d'où ce blog, comme pour prendre du recul, poser les choses. Pour qui? Pour moi pour le moment... Je partage mon temps entre le travail à Cambo, les travaux et des petites sorties en famille profitant ainsi du temps et du cadre, les courriers désespérés envoyés à tous vents et puis aussi soyons honnête les fuites et les pleurs. Et les préparatifs pour le départ? Ben non, j'ai le temps, il reste ..... Hum... UN JOUR! Bon Ben faut s'y mettre....[…]
Les préparatifs, le voyage, l'installation... les enfants sont chez leur Mamie, son homme l'accompagne […]
[…]Départ de Michaël aujourd'hui. Donc ce soir, c'est une spéciale dédicace pour mon homme. J'ai pas l'habitude de faire trop de louanges, mais je dois bien admettre que là, il gère. Merci d'être venu, de m'avoir accompagnée pour faire ce voyage, de me soutenir autant, de te montrer fort pour t'occuper des enfants. Merci aussi d'avoir pris un service de nuit afin que l'on puisse s'organiser au mieux pour ne pas trop perturber nos chouchous. Cette fois-ci c'est toi qui mets ton travail de côté pour la famille. Voici une nouvelle épreuve pour notre couple... Mais je sais que tu es un bon papa et ça m'aide déjà beaucoup. […]
La bouteille à la mer de Valérie
Je suis professeur des écoles rattachée au département du Rhône depuis septembre 2000. Durant huit années consécutives, j’ai participé au mouvement interacadémique (informatique et inéat/exéat) afin d’entrer dans le département des Pyrénées atlantiques, sans jamais obtenir satisfaction.
Mon conjoint, fonctionnaire de police, affecté pour son travail à Lyon, avec qui je suis pacsée depuis août 2002, et pour qui je me suis exilée dans le Rhône, a obtenu sa mutation à Hendaye au 1er septembre 2008. Afin de pouvoir le suivre et continuer à vivre en famille avec nos deux enfants Iban, 5ans et Lisa 2 ans, je me suis mise en congé parental, dans l’attente de ma mutation. Nous avons acheté un appartement à Anglet (en revendant celui de Lyon et en conservant notre crédit), et nous nous y sommes installés, heureux d’être à nouveau dans notre région d’origine auprès de nos familles respectives.
Mais les barèmes des mouvements de l’Education Nationale, et le nombre très important de demandes pour entrer dans le département, font que je ne pourrai jamais obtenir ma mutation même en attendant ainsi 10 ans. En effet, un jeune enseignant, travaillant dans un autre département que celui de son conjoint a bien plus de points que moi, même avec juste deux ans d’ancienneté et sans enfant. Une année de séparation vaut 4 enfants ! Ce n’est peut-être pas le cas général, mais en considérant la facilité avec laquelle on peut se pacser, on imagine assez bien les dérives… Je me suis donc vue contrainte, afin d’obtenir des « points de séparation » et pouvoir reprendre mon activité un jour dans l’enseignement public auquel je crois, de reprendre un mi-temps annualisé dans la région Lyonnaise. Le 28 janvier je serai donc à Collonge au mont d’or, à 900 km de mes deux enfants et de mon conjoint, ne pouvant les rejoindre que durant les vacances scolaires, et dans l’impossibilité financière de prendre un logement. Avec un salaire à mi-temps, je ne peux pas payer mon crédit, un loyer supplémentaire, tous les frais pour la garde de mes deux enfants, les trajets Anglet-Lyon…Et tout cela, sans aucune échéance définie, car bien sûr, rien ne m’assure non plus d’obtenir satisfaction au bout d’une seule année. Mais comme une responsable du personnel de l’Education m’a conseillée, « y’a la web-cam ! ».
J’ai bien évidemment, cette année encore, participé aux permutations informatisées pour la rentrée 2010. Mais mon barème semble encore bien maigre. Cette situation me paraît complètement aberrante, elle sera très certainement traumatisante pour mes enfants et même pour toute la famille. Elle est pourtant la seule solution pour que je puisse retrouver ma fonction, la seule issue que permet d’envisager le « système de mutation actuel ». Combien de temps l’administration me laissera dans cette situation ? A quel extrême faut-il arriver pour être prise en considération ?
Mme Valérie Motti
Premier jour de classe
[…]A midi les collègues fort sympathiques prennent le temps de s'informer sur ma situation, ils compatissent... "mais quand vas-tu voir tes enfants?" , "c'est pas une vie"....
Un cas comme moi, c'est une vraie plaie en fait dans une équipe, même avec le sourire. Bon Ben là, faut tenir le dialogue en serrant les dents...[…]
[…]Coup de fils pour souhaiter une bonne nuit aux chouchous: la chanson du soir au téléphone, c'est quand même pas le pied. Michael me dit d'ailleurs qu'on ne le refera plus : au téléphone Iban a piqué une crise car il n'avait pas son doudou, son visage s'est couvert de plaques en 2s et Lili s'est montrée infecte. Tout ce qui me faut pour ne pas culpabiliser quoi...[…]
Bilan d'une première semaine
[…]Heu là ça commence vraiment à tourner mal !
En ce moment je lis « la vie est une blague » de Stephen Dixon, histoire de me remonter le moral, et des fois j’ai l’impression que mon histoire sera la suivante… Bref.
Du coup j’ai décidé de me lancer dans un grand projet : faire changer le système ! Ben oui, ou bien je suis la seule dans cette situation improbable et dans ce cas il faut faire quelque chose pour moi, prendre mon cas en considération, ou bien y’en a d’autres et dans ce cas c’est le système de mutation qui n’est plus adapté. En tout état de cause, il est complètement anormal de séparer une mère de ses jeunes enfants pendant des mois pour qu’elle puisse peut être un jour retourner exercer son métier chez elle. […]
y'a un problème là quand même...
[…] Comment une enseignante peut –elle décemment mettre les enfants des autres au cœur des apprentissages, de ses préoccupations, alors qu’elle abandonne les siens des semaines entières pour aller au travail!
Comment peut-elle accepter d’entendre « cet enfant ne va pas très bien parce que sa maman est souvent absente », alors qu’elle ne verra les siens que 4 semaines dans les 5 prochains mois !
Comment peut-elle être un modèle pour ses élèves alors qu’elle squatte chez des amis pour ne pas être obligée de dormir dans son van ou à l’école. Voilà les enfants à quoi sert d’étudier, d’aller jusqu’au bout de ses ambitions, et d’être intègre !
Quel modèle montre l’Education Nationale quand la seule façon de se sortir de cette situation est de se mettre en arrêt maladie !!
Je refuse pour l’instant tout ça et espère encore qu’il n’y a pas de fatalité! Enfin, là quand même j’y suis bien jusqu’au cou.[…]
[…] c’est un ordinateur qui calcule selon la loi de la maximisation des déplacements, donc on est bien trop con pour le comprendre et c’est forcément justifiable car la solution obtenue est forcément la meilleure pour le plus grand nombre, si si !!!![…]
"heureusement y'a la web cam!"
[…] Ça fait plaisir de les voir, de savoir qu'ils me voient eux aussi. On a l'impression de partager un moment, mais au final ça met pas vraiment le moral... Je ne crois pas avoir envie de renouveler ça tous les jours. Ils sont encore trop petits pour ces échanges virtuels, et moi bien trop frustrée. .
Donc message à une des responsables du personnel d'un département que je ne nommerais pas: "la webcam, c'est pas ma cam!".
Bon ben ça c'est fait, faut me trouver une VRAIE solution maintenant. […]
Ça fait du bien de penser "je vais faire changer les choses juste parce que JE l'ai décidé " "ma cause est juste, ma situation injuste, et donc le monde entier va m'aider". Vive les optimistes!!!
3ème semaine!!!
cyber maman
Il faut que je raconte quand même un peu ma relation à distance avec ma fille Lisa, 2 ans! Car j'évite d'en parler pour ne pas me répéter ou parce que c'est pas forcément très drôle, mais finalement c'est l'essentiel.
C'est ce qui fait que cette situation n'est pas viable. C'est ce qui explique que la présence d'une maman ne peut pas être remplacée par quelques communications téléphoniques, quelques photos ou vidéos et une web cam!
Lors des premiers jours de séparation, Michael a amené les enfants dans un parc de jeux couvert à Anglet, le "parc à Toto".
Iban a de suite été fan, et lors des premiers échanges téléphoniques, il n'a cessé de m'en parler. Du coup Lisa qui ne me parlait pas jusque-là au téléphone, où juste me dire "bisou" quand on le lui demandait, s'est mis aussi à dire "parc à Toto!"
Depuis, dès que je l'ai au téléphone, elle me répète "parc à Toto".
Michael m'a dit hier que maintenant dès qu'elle entendait "parc à Toto" elle se mettait à pleurer... Elle ne sait pas que le parc de jeu où elle est allée s'appelle "parc à Toto", par contre comme elle a entendu plusieurs fois son frère m'en parler avec joie et entrain au téléphone, elle a associé ces mots à nos communications téléphoniques.
Elle est bien trop petite pour pouvoir faire abstraction de sa maman et accepter d'échanger au téléphone, et cette situation est très perturbante pour elle. Et il faut être honnête, nos pseudos échanges au téléphone me minent le moral. Ils sont de plus en plus éloignés. Je préfère recevoir quelques photos de leur quotidien pour les voir évoluer, et savoir qu'ils ne pensent pas trop à moi... Même si ça aussi ça me mine le moral...
Plus : Enseignantes en précarité
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