Première partie ici : Parole de SDF 1
Et donc telle que je suis avec mes grosses bottes un peu crottées et mais vêtements de paysanne mais pas assez chauds pour ce jour-là, me voici à Bruxelles, prenant un café avec mon voisin dans la Salle d’attente de ceux qui n’attendent plus rien, avant d’aller faire mon tour aux Puces pur remonter mon petit ménage avant de repartir pur des régions plus boisées – je suis en manque de profonde forêt dans lesquelles me perdre, parfois j’en étouffe.
Assez vite, j’ai rempli mes sacs aux Puces, même qu’ils en débordent, une couette avec sa hausse impeccable, une bonne couverture en pure laine, un sac de couchage en coton et duvet, léger et qui ne prend pas beaucoup de place, trois bouquins, quelques vêtements surtout pour mon boulot de nettoyage chez les chiens et autres biquettes qui vous en consomment beaucoup. Comme je ne peux rien prendre de plus je décide de retourner au bistrot voir ce que fait mon voisin et voir si je peux poser mes acquisitions dans la voiture pour profiter de mon passage en ville pour faire quelques autres achats de choses introuvables dans ma campagne perdue pour qui est à pied.
Manque de bol, il n’est pas là et comme je n’ai pas de téléphone je ne peux le contacter. J’attends donc un moment en espérant le voir arriver… puis signale à la barmaid que je vais faire quelques course à côté et que j‘arrive. « Pas de problème » qu’elle me dit. Pour ne pas que cela dure trop longtemps je me rabats sur le magasin voisin, plus cher et pas meilleur que ceux dans lesquels je vais d’habitude, je fais donc plusieurs fois le tour pour faire les meilleurs achats possible au meilleur prix.
Quand je ressors je trouve mes affaires dans la rue.
Et là tout bascule. Je rentre dans le bistrot pour demander quoi. Une habituée que je n’aime vraiment pas – ce qui est rare de ma part – mais que je ne fréquente pas non plus, me dit que c’est elle qui a mis mes affaires dehors, je n’ai jamais fait cela de ma vie, mais là c’est parti tout seul je lui flanque une gifle, avant d’aller au bar où la gonzesse me dit avec une mielleuse hypocrisie « Oui m’enfin, c’est pas moi la patronne »… OK les mecs, j’ai vu le topo, je sors pour ne pas laisser mes affaires abandonnées. Et la malfaisante me suit en m’insultant. « Mes affaires puent la mort » qu’elle dit. Pure invention de sa part. Plus tard je vais les renifler sous toutes les coutures, rien, une petite odeur d’encens sur deux pulls mais rien de repérable dans ce bistrot dans lequel la moitié de la clientèle au moins se lave rarement. Même aux Puces il y a des gens qui vendent des choses lavées et j’ai déjà été dérangée par l’odeur de lessive bon marché dont usent certains marchands, mais ce n’est pas le cas cette fois. Je veux bien reconnaître qu’elle faisait désordre, mais sans plus, c’est pourquoi j’ai signalé que je partais faire quelques courses.
Je ne vais pas vous retracer toute la scène dans laquelle la malfaisante puis une autre personne – bien bourrée comme d’habitude mais pour qui j’avais plutôt de la sympathie et n’ai jamais eu que des rapports sereins ou gentils u neutres - m’agressent à tour de rôle. Chacune vient une fois face à moi et approche de mon visage leurs grosses joues et leurs yeux aux pupilles contractées pour me hurler les deux « DROGUEE » et l’une me traite de clocharde et l’autre pur se réjouir de ce que j’ai été jetée dehors de la caravane par la propriétaire qui est une amie commune, ce dont il n’a jamais été question. Je veux repartir parce que j’ai besoin de retrouver ma caravane et la forêt, mais en qui la concerne je reste aussi longtemps que je veux m’a-t-elle dit.
Je reconnais que quand la Malfaisante est venue se plonger dans mon regard, j’ai eu envie de la tuer, j’expliquerai après ce qui m’est passé dans la tête à ce moment précis, mais bon, je suis une personne raisonnable qui contrôle ses pulsions de violence et à la microseconde de pulsion meurtrière en a succédé une autre de calcul de conséquence, sans domicile et sans papiers en plus, dans ce coin-là, chez les flics cela aurait été le massacre, même si sans aller jusqu’à la tuer, j’avais tout simplement accepter le rapport de violence. Ma gifle n’avait rien de violent, juste la correction justifiée pour une action mauvaise de méchanceté gratuite. C’est la suite qui a fait monter ma colère, parce que je suis toujours plus violente quand on s’en prend à ceux que ‘aime que quand c’est à moi qu’on s’en prend de cette manière.
Droguée, venant d’alcooliques chroniques et bouffeuses de médocs, cela me semble tout de même un peu surfait en ce qui me concerne. Que la Mauvaise me hurle qu’elle est chez elle dans ce bistrot, qu’elle y vient tous les jours et qu’on m’y voit moi une fois tous les 36 du mois, me semble tout à mon honneur étant donné que c’est le seul bistrot où je mets les pieds, cela dit que j’ai mieux à faire de ma vie (et de mes sous) que de la passer au bistrot . Clocharde… on me l’a déjà fait celle-là, et il est clair que de mener une vie de nomade et de vagabonde pauvre, en restant honnête (j’y tiens, c’est un de mes luxes) sans sombrer dans la misère est de plus en plus un exercice de funambulisme – surtout quand des crétins prétendent vous aider contre votre volonté comme cela m’est arrivé plusieurs fois au cours des dernières années. Je m’en sors mieux que bien grâce à un long apprentissage et dans les moments les plus difficiles, j’ai toujours pu bénéficier de retour de solidarité.
C’est infiniment plus difficile et déstructurant pour ceux toujours plus nombreux qui se retrouvent dans ce genre de situation sans y être préparés, sans avoir consciemment et volontairement accepté les contraintes du nomadisme et de la pauvreté, s’en même être capables de concevoir les joies – parfois je savoure mon bonheur – que l’on peut retirer de se donner les moyens du bien-vivre dans les conditions de la plus grande précarité. C’est un beau défi et j’aime cela.
La Malfaisante m’a aussi traitée de clocharde et de « petite vieille »,je n’ai pas envie de coller mes photos sur le web, mais bon, je vous aurais donné un aperçu de petite vieille qui se porte pas trop mal. Il est temps que je reprenne un soin accru de ma santé un peu malmenée au cours des dernières années, mais il me reste quelques acquis de l’athlétisme quotidien de la vie en montagne qui l’aurait mise en danger si elle ne m’avait provoquée ailleurs que du seuil du bistrot avec dix personnes pour lui prêter main forte si j’avais céder à la provocation.
Pourquoi alors ai-je envie de la tuer ? Au nom de toutes les petites vieilles, éventuellement droguées et alcooliques, qui se voit jetées dehors de leur précaire refuge, qui cherchent un peu de chaleur dans un bistrot, même glauque, même craignoss, même brassant de la sinistrose autant que de bière et qui lorsqu’elles partent un moment s’acheter à manger, en prenant soin de ne pas acheter n’importe quoi, à n’importe quel prix, retrouvent leurs affaires dans la rue, et les clients lumpens du bar pourri, patrons et personnel à l’avenant qui se joignent au geste de pure méchanceté, mais aussi à la stigmatisation.
A cause de celui qui les fréquente tous les jours ces gens de la rue dont de nombreux gamins aux histoires tragiques et qui en sont encore à dire que s’ils se retrouvent dans la rue, c’est qu’ils le veulent bien.
J’ai passé quatre heures dans le froid à attendre mon chauffeur, j’ai bien failli me chopper la crève et j’ai eu un gros coup de cafard, qui m’a fait bien pleurer en lisant le lendemain « La loi du plus faible » de Grisham, ramené des Puces, et qui décrit la situation des SDF à Washington et en voyant comme nous prenons toujours plus ces chemins de terrible misère ici. J’ai pleuré, mon ami gravement malade, j’ai pleuré pour le gamin qui s’est fait sus mes yeux traiter de drogué avec haine par le barman dans le même bistrot, et lui c’est vrai et pas qu’un peu, et je connais un peu son histoire, et pour n’en point dire plus, enfant de drogués, enfant de la prostitution, de la délinquance des parents, et ils sont aussi de plus en plus nombreux à échouer sur la plage abandonnée des rebuts de société, SDF sans famille à 14, 15, 16 ans.
J’en croise de plus en plus de ces lumpens haineux, de ces petits bourgeois revanchards qui peu à peu se convertissent à l’idée que tous ces rebuts, ces charges sociales devraient sinon être éradiqués du moins être mis dans des camps où par la force ils seraient rendus productifs. Quand on a en tête les schémas de la globalisation homogénéisation, eugéniste, esclavagiste, on se dit que ces imbéciles scient avec frénésie la branche sur laquelle ils sont assis, mais quand on compatit, et entre en empathie parfois, avec le poids de souffrance qui sont la conséquence aussi de cette attitude stigmatisante, mesquine et malveillante devenue générale qui fait que ceux qui sont au bas de l’échelle sociale s’en prennent avec virulence à ceux qui arpente l’horizontalité de gré ou de force, parfois c’est la colère qui s’impose car sans cette complaisance de certains faibles à faire le jeu des puissants, aucune des dérives dont nous pâtissons actuellement ne serait possible.