Par Ana Esther Ceceña
Le chaînon hondurien
Le coup d’état au Honduras en 2009 a non seulement permit de freiner l’avance d’intégration comme celle de l’Alternative Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique (ALBA) mais aussi, comme dans les années 80, elle a permis de retransformer le Honduras en épicentre des activités étasuniennes dans la région centraméricaine.
Le Honduras héberge sur son territoire un des sièges étrangers du Commandement Sud à Palmerola, dans l’emblématique base de Soto Cano qui, à en juger par les ressources mobilisées dans ce pays, semble s’être étendue pour se convertir en un méga centre régional, comme nous l’avons déjà mentionné. Les mouvements sociaux honduriens ont signalé - dans leur dénonciation de la présence d’effectifs étasuniens - non seulement leur présence à Soto Cano mais également dans d’autres régions où sont très probablement localisées de nouvelles bases. Nous en avons enregistré deux autres sur la Côte de la Caraïbe et dans le rapport Time to listen qui contient les données publiques plus récentes, concernant les budgets et activités des politiques de contrôle du narcotrafic, il est question de quatre de plus (Guanaja, Mocarón, El Aguacate et Puerto Castillo) qui auraient été financées par les Etats-Unis, il est également question d’un transfert de 1 388 million de dollars en équipement électronique d’usage exclusivement militaire, une partie duquel est destiné expressément à l’usage exclusif du personnel étasunien au Honduras. Se trouverait là, probablement, un des plus grands centres d’information et télécommunication du Continent.
Il ne faut pas manquer de faire remarquer l’importance géostratégique du Honduras, situé au centre de l’Amérique Centrale et disposant d’issues vers le Pacifique et vers la mer Caraïbe. Le Honduras, après le coup d’état, s’est converti en chaînon centroaméricain du corridor militarisé qui va depuis la Colombie jusqu’au Mexique, touchant la frontière avec les États-Unis et couvrant le Canal de Panama. Le point de chute que représente le Honduras dans cette perspective a justifié les ressources et politiques spéciales appliquées au pays.
Le bras sud du plan Colombie
L’extension du corridor militarisé vers le sud trace une ligne directe avec le Pérou, depuis le début membre mineur du plan Colombie et jusqu’au Paraguay, centre d’opérations des forces étasuniennes pendant une bonne partie du 20éme siècle.
Il faut mettre en évidence que le tracé géographique de ce corridor a éprouvé des difficultés à trouver une sortie vers l’Atlantique, région remarquable par les gisements de pétrole du Brésil. La recherche du passage vers l’Atlantique a été mené avec la mobilisation de la 4ème flotte, avec quelques échecs de tentatives de projets de bases militaires (Alcántara au Brésil, par exemple) et avec la position privilégiée de l’île d’Ascension, où a été installé un centre d’information du plus haut niveau, et qui est une des positions en relation directe avec le concept stratégique qui sous-tend la convention de 2009 pour l’installation de 7 nouvelles bases en Colombie, et qui en réalité n’a pas encore pu être appliqué (Carte 3)
Le rapprochement avec le Pérou s’est substantiellement intensifié à partir de 2008 et avec le Paraguay les engagements de capacitation offerts par les Colombiens ne se sont pas interrompus y compris avec le gouvernement de Fernando Lugo, et maintenant, il y a eu le coup d’état parlementaire et de gouvernement de rechnange a pour objectif de les intensifier. Déjà pendant le gouvernement de Lugo il avait été convenu avec les États-Unis de l’installation d’une base d’opération et d’entraînement dans la zone nord qui est tout à fait fonctionnelle, et où les instructeurs, en accord avec le pacte, seraient étasuniens, mais nous savons qu’ils sont également colombiens.
Les pions joués de cette manière, chacun de son côté mais clairement articulés dans le concept stratégique continental, conforment une route sûre qui parcourt l’Amérique du Nord au Sud (carte 4) et qui permet les conditions d’une réponse rapide à n’importe quelle situation de risque. Les troupes étasuniennes et leurs alliés - qui se sont entraînées ensemble, et entretiennent des protocoles similaires quand ils ne sont pas identiques, qui se sont exercées à des simulacres de réponse à des contingences variées parmi lesquelles se retrouvent les soulèvements, les troubles urbains et d’autre du même style, disposant d’une plateforme territoriale aussi étendue et adéquatement équipée - sont dans de bonnes conditions pour intervenir avec efficacité le cas échéant.
Le virage technologique
Un des importants avantages asymétrique que comptent les États-Unis, c’est la technologie, tant dans le champ de la production civile comme, de manière superlative dans le domaine militaire. Les communications militaires, les techniques d’encryptage, les protocoles, armes, avions, télédirection, télédétection, armes chimiques et biologiques, technologie nucléaires et toutes leurs dérivées et innovations. C’est sur cette base que sont menés la prévention et les travaux de renseignements qui éviteraient les guerres - parce qu’ils neutraliseraient ou détruiraient les potentiels ennemis avant qu’ils puissent se convertir en une menace réelle. Dans ce but est également mise en jeu l’application de forces surdimensionnées dans des opérations de choc et terreur qui confèrent un avantage matériel et logistique à tous les types d’incursion.
L’élément le plus innovant, quoique pas forcément le plus décisif, ce sont les mini avions sans pilote, communément appelés drones. Les drones sont utilisés par les États-Unis depuis déjà un bon moment dans des opérations spéciales, tant de monitoring et de détection que d’attaque. Leurs légèreté, imperceptibilité et coût relativement bas les convertissent en un outil qui a tendance a se développer massivement et c’est aussi en un commerce juteux. Israël est actuellement le producteur et exportateur de cette technologie. Le Brésil est en train de lui acheter le know how pour initier sa production localement et on pourrait penser que les drones, cessent, du fait de leur multiplication, d’être un avantage. Cependant, ce qui compte ce sont les importantes fonctions que peuvent accomplir les petits avions et cela dépend de leur contenu. Les équipements de détection ont des potentialités multiples. Les équipes d’attaque miniaturisée sont l’exclusivité du Pentagone pour le moment et la miniaturisation semble leur conférer un avantage décisif sur le restant des peu nombreux producteurs.
Les drones diminuent les coûts de la guerre et contribuent à alléger l’empreinte militaire sur les territoires. Les bases de lancement requises sont de taille micro et cela permet de rendre invisible la situation de guerre généralisée vers laquelle inexorablement nous mène le capitalisme.
L’équilibre latino-américain et Caraïbe et ses dérives.
Bien que les scénarios de guerre du Moyen-Orient, si complexes et explosifs soient ceux qui occupent l’attention des medias, la bataille interne qui se livre en Amérique est extrêmement intense et indubitablement décisive. Elle a pour qualité d’avoir ouvert des routes de pensée et de construction de modes d’organisation sociale pas seulement conflictuels mais distincts, et du coup aussi d’avoir proposés des alternatives, à celles qu’offre le capitalisme. Le passage vers le non-capitalisme, quelle que soit la dénomination qu’on lui donne, rencontre un tas d’obstacles et fera l’objet de toutes les pressions, menaces et attaques. Des opérations de déstabilisation en tous genres, des interventions directes, des tentatives de coups d’état, des massacres de populations dissidentes ou insurgées, l’imposition de politiques et normes, blocus, conflits frontaliers et beaucoup d’autres dispositifs de contre-insurrection, entendue au sens large de ce terme.
Tout cela nous conduit dans un chemin ardu et de longue haleine mais pas impossible
C’est ici que Mariátegui revient résonner avec force. Ni calque, ni copie. Nous ne pouvons dérouter la guerre par la guerre mais bien par la construction d’un monde de paix, de dignité et de respect. Et c’est cela qui ouvre son chemin, avec des modalités variées, en Amérique Latine et Caraïbe. Et c’est pour cela que l’offensive ne cessera pas de s’intensifier.
Bibliographie des citations
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Notes
Article publié dans Patria n°1 décembre 2013 (Équateur : Ministère de la Défense Nationale)
Ana Esther Ceceña est Directrice de l’Observatoire Latino-Américain de Géopolitique, Institut d’Investigations Économiques et Professeure de Postgraduat des Études Latino-Américaines de l’Université Nationale Autonome du Mexique. Enquête réalisée dans le cadre du projet Territorialité, mode de vie et bifurcation systèmique (IN301012) anae@unam.mx
Traduction Anne Wolff
Source espagnole : Rebelion. La dominación de espectro completo sobre América
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