23 août 2011 2 23 /08 /août /2011 11:20

 

Un orage se prépare, les ténèbres sont tombées sur le petit coin de campagne d’où je vous écris ces lignes. Quelques gouttes cliquètent sur le toit de la caravane et d’autres rebondissent sur l’auvent. Au loin le tonnerre gronde et la pluie accélère et tambourine. Il y a de la tension dans l’air, l’attente de l’éclatement de la tempête est celle d’un soulagement de toutes ces tensions. Ce que je vous décris là, ce sont les conditions météorologiques concrètes, là présentement, c’est aussi l’ambiance pour certains à Bruxelles dont j’arrive.

Une grande confusion règne là-bas entre les personnes qui veulent agir pour construire le monde au quotidien et les imposteurs qui se glissent parmi elles. Beaucoup de masques sont tombés au cours des dernières semaines. S’il est détestable de savoir qu’il y a des gens qui travestissent leurs pensées et dissimulent leur but réel, il est indéniable que de tels gens existent qu’ils soient au service du système, d’intérêts politiques ou simplement en quête de pouvoir personnel.

La désillusion, comme sortie de l’illusion, dévoilement est donc une avancée dans la pose de fondations saines. J’ai souvent évoqué la question des alliances. Avec qui faire alliance, sur quelles bases, dans quels buts ? Comment ne pas se tromper, ne pas se faire manipuler et se retrouver à défendre une cause opposée à celle qu’on croit servir. Je l’ai vécu, cela dans mon adolescence et cela m’a rendu prudente. Depuis cela fait partie de mes apprentissages, apprendre à décoder, à replacer une pensée dans une conception du monde qui implique un devenir précis, une concrétisation spécifique. Recherche de l’adéquation – ou non – entre réalité concrète vécue et les mots qui l’expriment ou la travestissent à des fins perverses. Ecouter ce que dit la personne mais aussi observer ce qu’elle fait. La parole et l’action, la cohérence entre les deux.

Souvent nous nous laissons bercer de mots. C’est même assez récurrent dans mes ultimes expériences. Là où nous devrions avoir retroussé les manches depuis un moment pour nous mettre à le construire cet autre monde possible, nous voilà a blablatter avec un sentiment d’impuissance quant au passage à l’action immédiate. Ce n’est pas totalement inutile puisque les temps qui courent sont placés pour certains sous le signe de la multiplicité des rencontres et c’est mon cas. Il faut aussi que nous apprenions à nous connaître et surtout à connaître les langages dont nous usons chacun. Les concepts ont une histoire et une géographie et à chaque moment de cette histoire, en chaque lieu leur composantes varient et font qu’un même concept n’exprime pas toujours la même réalité, ce qui induit des malentendus. Avec les extrêmes : soit deux personnes qui expriment la même vision de la réalité avec des mots tellement différents que parfois elles restent sourdes l’une envers l’autre et, l’autre extrême, des mots similaires qui font croire qu’on est d’accord alors que ce que l’on exprime est antithétique et encore plus incompossible.

Démocratie et liberté, je suis souvent revenue sur ces concepts à l’origine de « malentendus » géopolitiques majeurs, mais pas seulement ils sont aussi à la source de manipulations et de détournements de « bonnes volontés » et une des tâches qui s’impose à nous est de déniaiser les personnes ainsi mises au service de causes qu’elles condamnent. Démocratie et liberté… l’illusion du »monde libre ». C’est Laborit dans « La nouvelle grille » qui me donne une clé pour comprendre l’usage de ces notions comme facteurs de manipulation de masse. Il les décrit comme des « concepts émotionnels » sorte de fourre-tout, d’auberge espagnole des aspirations de chacun. Et cette vision des choses, je l’ai trouvée particulièrement fécondante quand j’ai vu les foules en délire scander « yes we can » lors de la campagne présidentielle d’Obama qui vue sous cet angle prenait un air presqu’obscène… tout un peuple qui voit son désir de renouveau noyé dans la confusion par un slogan qui détourne cette énergie de masse de son but… en finir avec la guerre, avec toutes les guerres menées en leur nom y compris contre eux-mêmes et se mettre à la reconstruction intérieure d’un pays de plus en plus dévasté par la faillite. Quelques personnes s’y arrogent les ressources des citoyens pour mener à grands frais des guerres qui ne servent que leurs propres intérêts.

Il y a une vidéo (si quelqu’un voit de laquelle je parle ?) dans laquelle Brezinski à une remarque ignoble sur ceux qui sont assez bêtes pour servir de chair à canon. De temps en temps dans son arrogance l’un au l’autre des agents du système oublie de dissimuler… et les masques tombent. Manipuler en permanence des doubles langages ne peut de faire sans que se produisent des erreurs, émergences de l’occulte dans le discours public… mélange des genres qui permet de mettre en évidence la claire volonté d’induire en confusion des populations déboussolées pas des décennies de manipulation massives des inconscients collectifs. J’observe régulièrement ce phénomène dans les nombreux échanges des derniers mois. Un accord se dessine entre nombre d’entre nous. Pour créer un autre monde, il nous faut inventer un autre langage. Un langage qui se fonde dans un avenir commun, débarrassé des vieux poncifs du système, ce qui inclut divers jargons gauchistes éculés. Un exemple entre des mille : dans la constitution belge, il y a une phrase qui vise à garantir le droit à l’emploi. Or ce mot emploi est un de mes chevaux de bataille. Il faut en finir avec cette société du « «tous salariés », tous employés… tous esclaves du systèmes dans des conditions toujours pires.

Nombreux sont ceux qui tombent dans le piège. Construire le monde autrement implique d’inventer de nouveaux métiers grâce auxquels nous pouvons nous servir au mieux de nos polyvalences, de nos complémentarités en fonctions des besoins du moment. Et cela doit se faire sans recréer un nouveau salariat. L’autogestion, la co-gestion sont à l’ordre du jour. L’erreur de beaucoup est de croire que tous soient d’emblée capables de fonctionner selon ce mode. Il y a dans les mécanismes du système des mécanismes d’infantilisation qui amènent certaines personnes en âge d’être adultes à se comporter comme des enfants trop « normés », quand « on leur donne » (et cette expression est déjà malsaine) la liberté, ils commencent par tout casser. Cela s’est vérifié dans certaines expériences d’Indignés Bruxellois. Et cela pose la question de structure, d’organisation, de Chartes qui définissent qui est ou non recevable à un moment donné, c’est aussi fonction de nos forces, de notre dynamique à ce moment. Une mise de limites, une restriction… des actes délicats pour des personnes qui ont pour plus grand souhait de vivre au sein d’une population au chacun serait responsable de soi et d’autrui, conscient des conséquences de ses actes en matière de devenir (avec les restrictions dues à l’imprévibilisité intrinsèque à ce devenir).

Je rappelle que je ne suis porte-parole de personnes mais que parfois, et c’est le cas en ce moment, je me fais écho de paroles partagées, et ce selon le principe : même si nous ne sommes quelques-uns à penser comme cela, notre pensée doit être prise en compte en tant que réalité composant concrètement le monde. Un monde dont la richesse réside aussi dans les multiplicités et les diversités de ces composantes. En finir une fois pour toute avec les citoyens lambda et autres moules de la normalité, de la conformité. Je peux vous assurer que je n’ai jamais été une citoyenne lambda, que je ne suis pas en danger de le devenir et que de cela au moins je peux me réjouir.

Je rêve d’un monde où chacun puisse épanouir au mieux, dans la plus grande harmonie et pour le bien de tous, ces potentiels créateurs dont chacun d’entre nous est doté à la naissance et que le système s’obstine à limer, briser, étouffer pour faire de nous les robots de sa production de malheurs. Et c’est là où je voulais en venir : il faut tenir compte des rapports de force en présence en ce moment précis de l’histoire et dans des échelles géographiques différentes selon les actions que nous nous proposons de mener.

En ce qui concerne Bruxelles, je ne vois se dessiner en ce moment aucun mouvement de conscience collective susceptible de faire sens et d’influer de manière significative et provoquer un changement radical du courant de conscience local. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas un fort potentiel mais plutôt que nous n’avons pas encore trouvé les manières dont ce potentiel pourrait créer les synergies qui permettraient son expression. Je suis persuadée que c’est par un agir ensemble dans la convivialité que nous pourrons créer ces synergies. La convivialité au sens le plus littéral du terme, des choses aussi simples que aménager un lieu, peler ensemble les patates pour un repas commun,  compagnons partageant le pain et que les musiciens sortent leurs instruments, partager non seulement des pensées mais aussi faire exister collectivement des lieux de vie, de rencontres, d’échanges, des lieux où faire la fête mais pas seulement, petit à petit nous devons développer une production susceptible de pouvoir à l’ensemble de nos besoins et de ceux qui se joingnant à nous apporteront chacun leurs complémentarités singulières ouvrant de nouveaux possibles. Que cette production soient fondé sur la récupération et le recyclage, une gigantesque lutte contre les gaspillages – je reviendrai sur ce thème important – tous les gaspillages et contre le plus monstrueux d’entre eux, le gaspillage de ressources humaines de sympathie, d’invention et de créativité des moyens d’une bonne vie à travers le formatage social, cela va de soi. Croissance qualitative. Et c’est cela, l’étape concrète que je vis en ce moment. Je rappelle que chacun de mes propos est affirmation de ma conception du monde, mais devient proposition à l’échelle collective. Que si je sens le besoin de reformuler cette conception, c’est à titre de proposition très affirmative : c’est avec des personnes qui se sentent en résonnance avec ce que je propose là que j’ai envie de vivre et de développer cette confiance reposante entre amis qui permet d’utiliser son énergie à construire plutôt qu’à disputailler. Anne

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Nouvelles formes du fascisme

"Le vieux fascisme si actuel et puissant qu’il soit dans beaucoup de pays, n’est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d’autres fascismes. Tout un néo-fascisme s’installe par rapport auquel l’ancien fascisme fait figure de folklore […].

Au lieu d’être une politique et une économie de guerre, le néo-fascisme est une entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d’une « paix » non moins terrible, avec organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes les petites angoisses qui font de nous autant de microfascistes, chargés d’étouffer chaque chose, chaque visage, chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle de cinéma."

 

Gilles Deleuze, février 1977.

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