15 septembre 2011 4 15 /09 /septembre /2011 19:35

 

 

 Ils sont plusieurs centaines, fascistes contre antifascistes, à se livrer une guerre sans merci dans la capitale russe- Des bagarres en pleine rue, mais aussi, des meurtres. Nous avons rencontré un couple chasseurs de skinheads d’extrême droite.

Moscou, non loin du métro Proletarskaya, une salle de concert dans la banlieue sud-est. Un endroit tenu secret. « Si les fascistes le découvrent, ils risqueraient de débarquer », explique Igor, jeune antifasciste, qui dit aussi ne pas aimer les journalistes.

Seul problème : l’endroit est infesté d’agents du département de lutte contre l’extrémisme du Ministère de l’Intérieur de Russie. Avec la loi anti-extrémisme de 2002 (révisée en 2008), ce département se fait une joie d’interdire tout rassemblement jugé dangereux.

Des groupes très divers

Denis, veste bleue, baskets et pantalon militaire, devait se produire ce soir. A 27 ans, il travaille à l’usine mais est également batteur dans un groupe punk-rock.

Mais pendant son temps libre, il chasse les skinheads d’extrême droite. A ses côtés, Katya, sa femme depuis trois ans. Contrairement à son mari, elle porte des chaussures rouges JB Martin, typiques des Redskins, les skinheads anarchistes ou communistes. À Moscou, les groupes antifascistes sont très divers – violents, pacifiques…- et pas vraiment organisés. Parfois, ils se viennent en aide par l’entremise d’Internet. En réalité, en Russie, les Redskins sont rares. Les néo-nazis Boneheads, ceux d’extrême droite dominent.

« Il y a une véritable guerre à Moscou. »

À l’intérieur, les organisateurs négocient la tenue du concert. Sans succès. Il est interdit par la police. Impossible de continuer la discussion ici. Le couple propose de les suivre dans leur appartement. « Il y a une véritable guerre à Moscou. J’ai déjà perdu deux de mes amis. Poignardé, le premier a perdu son sang en quarante minutes. Le second, est mort d’une balle dans la tête. Ce sont des meurtres planifiés », raconte Denis, qui roule à tombeau ouvert sur le périphérique. À la radio, Nasha, une station qui passe de la pop russe. De sa poche, Katya sort une arme à feu. Un « pistolet à plombs », qui ressemble étrangement…à une arme à feu. « Je l’ai toujours sur moi. Pour notre sécurité », précise Katya, en sortant du véhicule. Ambiance.

Denis et Katya sont un couple d'antifascistes moscovites. Ils posent le visage masqué, par peur de représailles. Le mari conduit régulièrement, des missions punitives contre des fascistes. (photo Nicolas Burnens)

« Je lui ai tiré dessus »

Dans le salon du jeune couple, un coup de poing américain, un couteau à cran d’arrêt, une batte et un sabre. Lors des expéditions punitives, Denis conduit la voiture. Ce qui ne l’empêche pas « d’avoir tous les doigts cassés ». Sur sa main, un tatouage : « STR 8 EDGE ». Comprendre « straight edge », une mouvance du mouvement punk dans laquelle les adeptes s’engagent à suivre un style de vie sain. En résumé : pas de drogues, pas d’alcool. Et l’utilisation de la violence ? « On a bien essayé de discuter avec les fascistes. Il faut les frapper, c’est le seul moyen. »

« Il faut les frapper, c’est le seul moyen. »

Qui sont-ils ces fascistes ? Des membres de Russkiy Obraz, ou Slavic Union, groupes d’extrême droite violents ? Denis a de la peine à l’expliquer. Ce qui ne l’a pas empêché de mettre le feu à « un magasin fasciste » il y a quelques semaines. L’hiver dernier, il a même tiré sur un groupe de musique néo-nazi. Un peu au hasard. « Il s’est enfui, je lui ai tiré dans le dos. » La balle a atteint la moelle épinière. Aujourd’hui, il est invalide.

En général, les skinheads sont repérés directement sur Internet. Certains blogs antifascistes regroupent les photos de leurs cibles. Denis et ses amis planifient ensuite leur attaque. « On ne veut pas les tuer, juste leur faire peur. »



« J’ai peur pour mon mari. Mais nous sommes nés juste avant la fin de l’époque soviétique. Nous sommes une génération perdue », explique Katya. Sa situation n’est pourtant pas mauvaise. Elle travaille dans une clinique privée comme laborantine.

Fascisme, néo-nazisme, extrême droite, nationalisme. Katya les met tous dans le même panier. S’ils doivent agir, c’est que la police ne fait rien. Pour autant, le discours de Katya contraste avec celui de son mari. Elle ne participe pas aux actions violentes et est plutôt dans le combat d’idées. « Il faut rester discret, pour ne pas décrédibiliser le mouvement antifascistes. »


Bientôt, Denis et Katya veulent avoir des enfants. « À ce moment là, j’arrêterai les actions violentes. Je me consacrerais uniquement à la musique pour faire passer mes idées antifascistes », assure Denis, avant de nous raccompagner en voiture. Dehors, il ne devra pas faire trop de bruit. C’est soir de match. Les supporters du Spartak Moscou, réputés proches de l’extrême droite, sont dans les rues.

A Moscou, Nicolas Burnens et Polina Myakinchenko

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"Le vieux fascisme si actuel et puissant qu’il soit dans beaucoup de pays, n’est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d’autres fascismes. Tout un néo-fascisme s’installe par rapport auquel l’ancien fascisme fait figure de folklore […].

Au lieu d’être une politique et une économie de guerre, le néo-fascisme est une entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d’une « paix » non moins terrible, avec organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes les petites angoisses qui font de nous autant de microfascistes, chargés d’étouffer chaque chose, chaque visage, chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle de cinéma."

 

Gilles Deleuze, février 1977.

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