19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 12:26

 

J’ai eu la chance de pouvoir voyager, vivre dans d’autres lieux, d’autres pays celui où je suis née. J’ai la chance aussi de ne pas fréquenter le web au quotidien. Parfois je me tiens à l’abri de l’actualité pendant des périodes plus ou moins longues. D’ailleurs j’ai bien rigolé,  ce week-end : il est clair que du coup il m’arrive de passer à côté d’informations de première importance, ainsi c’est samedi que j’ai appris que Laurent, fils de notre roi était marié depuis…une dizaine d’années parait-il…première nouvelle

Non je ne regarde pas la télévision, sinon parce que je suis en compagnie de gens qui la regardent et non je ne lis pas la presse officielle, si ce n’est au hasard de recherches ou parce que dans un transport en commun un journal abandonné me permet de passer le temps.

Certainement je dois passer à côté d’informations essentielles mais en contrepartie cela m’évite de tomber dans des routines, de jouer la grenouille échaudée, de m’habituer petit à petit à l’horreur imposée. Une petite anecdote que j’ai déjà raconté bien des fois mais qui est significative, je vivais alors une de mes période hors actualité dans un petit village de montagne. A deux reprises, à six semaine d’intervalle, je me suis rendue magasin-bar du village afin d’y faire quelques emplettes… comme toujours la télévision était allumée, et quelques voisins à boire une bière.

En attendant d’être servie, j’ai jeté un coup d’œil à la télé. Les deux fois coïncidences, j’ai pu voir des images de personnes torturées en Irak. Cela m’a fait froid dans le dos, j’étais choquée… il m’a fallu un moment pour me remettre. Mes voisins, eux n’étaient troublés en rien, ils buvaient leur bière tranquillement sans paraître affectés. Ils étaient habitués, pour eux c’était devenu normal à force… il y a une banalisation de la violence qui se fait surtout par l’image et par la création d’inconscients collectifs d’acceptation de l’horreur au quotidien.

Alors peut-être que m’échappent des informations « essentielles » comme le mariage de Laurent, c’est le prix à payer pour continuer d’être sensible et  affectée par l’horreur, la reconnaître pour ce qu’elle est, inacceptable.  

De même, les campagnes changent moins vite que les villes. Encore que… mais c’est une autre histoire. Ainsi à chaque retour en ville, je reçois les changements qui s’y sont produits comme un choc. Durant des décennies, cela me faisait rire de retrouver comme des piliers immuables les mêmes habitués au coin des mêmes bars à raconter les mêmes histoires, ils étaient mes garants de la permanence d’un certain monde. Cela non plus n’est plus vrai. La misère fait des ravages, mais là aussi chacun à force s’habitue. Que ce soit à vivre dans une cave sans lumière avec un loyer plus cher que celui d’un bel appartement pas si longtemps auparavant. Que ce soit à se retrouver devant le choix… bistrot et convivialité ou nourriture et solitude, car comment recevoir des amis dans un espace où seul on peut à peine bouger. A payer toujours plus chers les produits de base. A voir l’environnement se dégrader. Et les relations s’en ressentent, l’agressivité monte, la tristesse aussi de ne plus pouvoir dépanner le copain dans la mouise parce qu’on y est tout autant que lui.

Et puis il y a les lois qui défont les solidarités, alors que l’habitat groupé seraient pour beaucoup une solution, non seulement en matière de budget mais aussi de bonne convivialité et le moyen pour certains non pas de chercher un emploi mais de se créer un travail au sein d’un collectif où jouent les complémentarités. Un travail qui réponde à de vrais besoins et non une occupation rémunérée interchangeable… tout est fait, du moins en Belgique pour décourager de telles entreprises. Sinon sur le papier du moins en pratique. Je le sais, j’en ai fait l’expérience, et d’autres comme moi l’on faite.

Forte de mes connaissances, en matière de lois, de recommandations aux politiques, d’appels à projet faits par les pouvoirs publics, forte de mes capacités en gestion, intendance, organisation et celle de quelques amis doués de savoir-faire pratiques et créatifs, j’ai tenté le coup. J’ai rencontré une fin de non-recevoir. Il faut être intégré dans les réseaux politiques pour qu’on vous prête attention. J’ai reçu un grand soutien de la part des travailleurs sociaux de première ligne qui trouvait que mon projet répondait à des besoins et pouvaient y apporter une solution concrète.

L’idée était de conjuguer habitat groupé, production à partir de matériaux de récupération et animation de la vie de quartier. Toutes les énergies étaient là, de même qu’une grande sympathie du public local (et autre), mais pour que nous puissions démarrer et il fallait que soit appliquée la loi de 1993 qui dit que les pouvoirs publics ont à mettre à disposition des plus démunis leur bâtiments vide et nous avions besoin d’un petit prêt de maximum 2000 euros remboursable au plus tard en un an pour faire face aux premières dépenses. J’ai vu autour de moi des gens plein d’espoir à l’idée qu’un tel projet puisse prendre forme, je me suis sentie cruelle d’avoir réveillé cet espoir quand j’ai échoué et qu’ils sont retombés plus bas qu’ils ne l’étaient auparavant. Pas seulement de l’échec du projet, aussi parce que entre-temps les conditions de vie c’étaient encore durcies et que ceux qui vivent dans la précarité sont directement affectés par la dégradation de la qualité de vie dans l’essentiel, le logement, les frais d’énergie, la nourriture, les possibilités de convivialité, la dégradation de l’espace public…

Je n’ai pas renoncé, ce projet existe toujours sous d’autres formes pour d’autres lieux mais aussi la tristesse, il aurait fallu si peu. L’image que j’ai est celle d’une personne au bord du gouffre et de la différence que peuvent faire une main tendue pour reprendre l’équilibre ou la petite poussée qui vous précipite au fond… j’ai vu des gens pour qui j’ai de l’affection et qui sont de bonnes personnes sombrer faute de petit coup de pouce au bon moment. Mais s’il me restait des doutes, j’ai définitivement compris qu’il ne faut rien attendre des "Pouvoirs vraiment pas très publics » malgré leurs belles paroles, malgré tous ces textes qui prêchent exactement ce que je proposais mais ne rencontrent aucune application pratique. Que ce que nous voulons nous devons le conquérir de haute lutte, point par point, par nos activités. Ne jamais renoncer. Continuer non seulement à chercher à comprendre le ùonde pour nous inscrire dans le paysage en connaissance de cause, mais aussi à produire les moyens d’une autre vie par nos actions, par notre travail même si parfois cela semble dérisoire.

Le monde ne nous est pas donné, c’est à nous de le construire. Nous sommes les 1 pour mille, les 1pour 1O OOO, et alors ?  Nous existons avec nos doutes, nos blessures pas toujours cicatrisées mais aussi avec notre volonté de ne pas en démordre et chaque fois que possible de poser une pierre de plus à l’édifice d’un monde plus doux.

Anne

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"Le vieux fascisme si actuel et puissant qu’il soit dans beaucoup de pays, n’est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d’autres fascismes. Tout un néo-fascisme s’installe par rapport auquel l’ancien fascisme fait figure de folklore […].

Au lieu d’être une politique et une économie de guerre, le néo-fascisme est une entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d’une « paix » non moins terrible, avec organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes les petites angoisses qui font de nous autant de microfascistes, chargés d’étouffer chaque chose, chaque visage, chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle de cinéma."

 

Gilles Deleuze, février 1977.

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