Je continue à enfoncer le clou du Venezuela, mais justement parce que c’est une question qui polarise aussi la « gauche » européenne. Identifier l’ennemi historique est au cœur de cette polarisation. Une vieille technique mao/Stal que Maduro remet au goût du jour.
Je ne pouvais pas laisser passer cela, alors que la définition de la gauche dont nous ne voulons pas est essentielle pour la recherche de la Gauche Perdue, si ce que nous voulons c’est en finir avec les exploiteurs des peuples, il est plus important que jamais de ne pas se laisser impressionner par le risque de se voir classer parmi les ennemis historiques par quelques cryptostaliniens. Je parle des « héritiers objectifs » des gauches staliniennes et/ou maoïstes qui ont sévis au siècle dernier, entraînant dans leur sillage des masses qui, le plus souvent, séduites et guidées par des mythes, ignoraient de bonne foi ce qui se cachait derrière les visions idéalisées de l’URSS de Staline ou la Chine de Mao. J’en ai fait partie. J’ai évolué depuis.
Pendant mes « pauses » j’ai trouvé un texte tout à fait complémentaire, il aborde l’ennemi historique sous son angle « allié objectif » (de l’impérialisme) et rapatrie en Europe ce concept. Il montre comment il est utilisé par les francophones adeptes inconditionnels de Maduro pour disqualifier tous ceux, qui comme moi, se permettent de le critiquer, d’alliés objectifs de l’impérialisme. C’est un argument d’autorité. Ce texte montre qu’il s’agit bien d’un enjeu commun. Il s’agit de Anatomie d’un discours : « l’allié objectif » par Frédéric Thomas que je vais relayer à la suite, car vraiment complémentaire, son introduction :
« Les discussions qu’ont suscitées les crises nicaraguayennes et vénézuéliennes polarisent les courants de gauche, tant sur le continent latino-américain qu’en Europe. Cette polarisation tend à se cristalliser dans l’accusation d’« alliés objectifs ». Retour sur cette étrange figure. »
Personne n’a jamais pu m’empêcher de rêver, et je continuerai à le faire. Un rêve plus beau que ce que nous ont jamais promis tant le cauchemar étasunien que les mythes éculés de la dictature du prolétariat. Mais cela est un autre chapitre, de la même histoire.
Cette fois il n’est plus temps de nous tromper. Or dans la « fabrication de l’ennemi historique » qui se met en place au Venezuela, je reconnais toutes les horreurs du totalitarisme stalinien, y compris dans sa version de « Révolution culturelle chinoise ». Je reconnais aussi le néofascisme anticipé par Deleuze, voir colonne de droite, quand chacun devient le contrôleur « civico »-politique de tous les autres. Quand la délation est élevée au rang de vertu. Cela montre aussii cette dangereuse fusion du Parti et de l’État sous la direction d’une seule personne, en l’occurrence Maduro, le président entre grenouille et bœuf, drogué par l’euphorie que lui procure le culte de sa personnalité. Naturellement bouffi, il est aussi littéralement bouffi d’orgueil. Voir annexe)
Dans une première partie, je montrerai ce que le parti au pouvoir au Venezuela entend par « identifier l’ennemi historique », un processus très calqué sur le modèle chinois dans sa forme comme dans son fond. L’étape suivante pourrait consister à appliquer le programme « éradiquer le virus idéologique » celui que la Chine met en œuvre contre une dissidence dont elle prétend soigner, comme une maladie mentale, les divergences idéologiques.
Dans la seconde partie, je résume un texte du PSUV qui explique ce que sont les UBCH ou Unités de Bataille Bolivar-Chavez, chargées ici du dépistage de l’ennemi historique. Un programme expliqué dans une courte vidéo (1mn21s) de propagande du parti que vous pouvez voir ici. Et comme Aporrea est de plus en plus souvent hors circuit ici aussi. Voici son contenu :
Les RAAS (unités d’action du Parti Socialiste Unifié du Venezuela)
Les Réseaux d’Articulation et d’Action Sociopolitique sont un modèle d’unité et d’organisation supérieure pour la défense intégrale de la nation.
Ils sont créés pour affronter avec une meilleure efficacité la constante menace impérialiste – de la part des Usa – de nous recoloniser.
ui exécutera le RAAS ? Ce seront les 13682 Ubch (voir annexe),
leur objectif est l’organisation pour la défense intégrale de la nation,
la défense du peuple dans les domaines idéologique, culturel, politique, social, économique, électoral et militaire.
Définir avec clarté qu’elles sont les communautés qui sont dans l’aire d’influence territoriale de chaque UCBH.
Définir quelles rues constituent chaque communauté.
Se déployer rue après rue, maison par maison pour opérer la caractérisation socio-politique des habitants et acquérir une pleine connaissance du territoire.
Pour cela il est nécessaire que le PSUV créé une stratégie de communication politique avec le peuple.
Identifier avec clarté qui est son ennemi historique,
renforcer l’unité pour affronter l’ennemi,
élever au maximum la volonté de lutte contre l’ennemi, organiser
acquérir les connaissances nécessaire pour vaincre l’ennemi.
Il s’agit très clairement ici d’une opération de fichage idéologique de l’ensemble de la population, qui vise à identifier l’ennemi intérieur et à le ficher. Dans de précédentes opérations du genre, porte à porte, il s’agissait d’établir le profil sociologique des familles pour déterminer les ayants droits de l’aide social. C’était avant les élections, et cela a permis de mettre en pratique une vaste opération clientéliste de Maduro, réalisée avec les fonds de l’état. Mais ici ont passe à une autre étape. Intéressant graphisme, une habile reterritorialisation de l’ennemi extérieur US, comme ennemi intérieur qui peut être présent dans chaque rue, dans chaque foyer et qu’il s’agit de débusquer.
Ici, la raison d’être des Raas est l’établissement de cartes de profil politique de chaque habitant par une organisation du parti travaillant pour le compte de l’état. Mais bien sur c’est pour lutter contre l’impérialisme américain et une dissidence requalifiée d’agent de cet impérialisme. Et tout les jours des gens sont arrêté au Venezuela, pour des raisons de dissidences politiques. La permanente mise en avant de « La Guerre » servant de justificatif pour une extension de la notion de traître à la patrie…. c’est un élément dans un faisceaux d »éléments convergents qui tous constituent un pas de plus dans le verrouillage d’un régime totalitaire et répressif.
Que sont les UBCH du Venezuela, les Unités de Bataille Bolivar-Chavez ?
(Résumé de la source en espagnol : Las UCBH par Elias Jaua (membre de la coupole chaviste, puis maduriste, encore que tout dernièrement, il semble qu’il soit en risque de tomber en disgrâce. Ce texte a été publié sur le site officiel du PSUV)
Ce sont les structures de base Du Parti Socialiste Uni du Venezuela, le PSUV. A leur « avant-garde » sont placé 40 militants parmi les plus disciplinés et conscientisés du parti.
Un de leur rôle est de transformer le parti en leader des luttes du Peuple. Ce qui implique originellement une série de missions à accomplir en tant qu’avant-garde du peuple. (autoproclamée). Les membres des UCBH doivent répandre la propagande du Parti. Ce qui consiste entre autre à vanter les acquis de la révolution.
Les bataillons bolivariens doivent également combattre l’ennemi de la révolution, l’ennemi intérieur. Et dénoncer quand les travaux projetés ne sont pas exécutés. Il doivent également effectuer des visites, foyer par foyer, pour conformer un réseau de foyers chavistes, qui devront eux aussi exercer un contrôle de voisinage.
« 5. Défendre les acquis de la révolution et combattre sur chaque terrain les ennemis de la patrie.[...]
6. Exercer des tâches de contrôle dans la communauté.[...]
7.Former le réseau des foyers de la patrie »
Ici nous arrivons à un point particulièrement intéressant, puisqu’il montre sans le moindre doute ; la confusion entre Parti et État. Source de toutes les dérives totalitaires. Puisque le point 8 nous dit que les UBCH doivent être le lien entre la communauté et le parti pour la solution des problèmes. […]. Et donc cela confirme (si besoin en était, voir le cas El Maizal) que le parti joue un rôle directeur et de censure-répression de fait sur les leaders communautaires issus des assemblées de voisins et autres bases. Et qu'il le fait aussi au nom de l'état.
« 9. Construire les Cercles Populaires du Buen Vivir. Se préparer pour une organisation supérieure des UCBH, en prenant en compte que 4 (bataillons) forment un cercle, 4 cercles constituent un Réseau, 4 Réseaux font une Aire, 4 aires forment une Zones, et 4 zones sont une Région. »
Et donc :
Une organisation centralisée et hyper hiérarchisée qui est l’inverse de la Commune, puisque il est clair que les ordres viennent d’en haut et doivent être répercutés vers la base en passant par les différents niveaux. Il faut ajouter pour dresser le tableau que Nicolas Maduro Moros, dernièrement non seulement s’est autoproclamé président du Parti, mais il s’est en plus arrogé le droit de choisir les principaux dirigeants du parti. Chose faite : un cénacle qui reprend une majorité de membres de l’exécutif de l’état. Alors qu'il était déjà un Président de la République doté des Pleins Pouvoirs (décret 3610 du 8 septembre dernier)
Le dernier point, le point 10 consiste à « Organiser et accomplir toutes les tâches nécessaires pour gagner les élections. »
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Ce texte date de 2013, et une grande partie de ces ambitions ont été mises en échec, soit. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est la reformulation de ce rôle, que nous voyons exposer dans la courte vidéo ci-desus… qui me fait peur. Sachant toutes les « dérives » - gentil euphémisme – qui sont d’ores et déjà à l’actif du gouvernement de Maduro en matière de répression et élimination des ennemis politiques. Alors que Maduro, comme l’éternel second, Diosdado Cabello, actuellement à la tête de l’Assemblée Nationale Constituante, nous promettent déjà que la notion de traître à la patrie se verra étendue et plus sévèrement réprimée dans la Nouvelle Constitution. La question de la légitimité et du rôle de la Constituante est une question qui doit être élucidée pour qui veut comprendre le mode de fonctionnement du régime. Mais ici, nous avons vu comment se construit à présent l’ « ennemi historique »… avec un formalisme aux réminiscences maoïstes.
Anne W