1 avril 2018 7 01 /04 /avril /2018 16:23
Fosses communes pour les prisonniers morts dans l'incendie

Fosses communes pour les prisonniers morts dans l'incendie

 

5 Policiers ont été arrêtés, rendus responsables de l’incendie du commissariat prison de Policarabobo, Valencia, Venezuela, et de ses regrettables conséquences. Officiellement 68 morts dont 66 détenus et deux visiteuses, ainsi que d’une centaine de blessés dans des états plus ou moins graves. Justice vite faite. Justice bien faite ?

Survit la douleur des familiers des victimes, dont les questions restent sans réponses. Incompréhension.
 

5 policiers rendus responsables de l’incendie de Policarabobo au Venezuela

La plupart des corps des victimes ont à présent été rendus à leurs familles, une dizaine de corps n’ont toujours pas été réclamés.  39 des victimes ont été « enterrées » dans le cimetière municipal dans des caveaux maçonnés, à la hâte, dans un recoin du cimetière, où les défunts seront empilés, 3 par caveau, dans des cercueils que les familles n’ont pas eu le droit d’ouvrir. Pour chaque mort, une petite croix blanche sur laquelle son nom est écrit à la main, anonyme.

Seule présence officielle, une douzaine de policiers motorisés, circulent dans le cimetière, veillant « au bon déroulement » des multiples ensevelissements, sans cérémonie, pas le temps, tout est planifié, les suivants attendent leur tour. Aucun accompagnement, aucune présence officielle, ni assistance religieuse. Pas un représentant du pouvoir politique, qui depuis les sommets de l’état est resté silencieux. Les seuls communiqués, la liste des survivants lue le lendemain de l’incendie par une femme policière, sans détail de leur état et les quelques tweets par lesquels le procureur général annonce qu’une enquête aura lieu, puis l’arrestation des 5 policiers considérés comme responsables. Une déclaration conventionnelle aussi d’un adjoint du gouverneur de l’état… aucune déclaration officielle, la Ministre responsable du système pénitentiaire, contrairement à ses habitudes, brille par sa totale absence.

 Aucune présence de terrain, aucune aide psychologique aux survivants où aux familles des victimes, aucune présence officielle pour accompagner les familles et les informer, pour présenter des excuses. Quant aux catholiques, leurs évêques vitupèrent, en chair, contre le gouvernement dans les églises des quartiers chics, le maudissant pour sa responsabilité dans cet incendie, mais l’église ne s’est pas dérangée pour soutenir les familles… Il y a là, abandonnés de tous, « Rien que » des gens simples qui portent les cercueils des aimés, peinant dans la poussière du cimetière, avant de les laisser glisser dans les fosses communes. Des gens en larmes, des enfants aux regards si tristes, d’autres se redressent, l’œil sec et le cœur en bouillie. Et beaucoup d’incompréhension, d’incrédulité se lit sur les visages.

5 policiers rendus responsables de l’incendie de Policarabobo au Venezuela

Le seul élément d’« enquête » qui ait transpiré, c’est que les « autopsie » ont-elles aussi été réalisées à la hâte, à l’air libre, dans le patio de la prison transformé en morgue improvisée. On a également appris que finalement, il n’y a aucun policier décédé dans l’incendie. Trop de versions et de rumeurs circulent sur ce qui se serait « vraiment » passé, et ce serait l’intérêt du régime lui-même que de rendre public les éléments de l’enquête. Mais y en a-t-il eu une digne de ce nom ? En deux jours ? Difficile à croire.

. La Ministre Iris Varela, responsable du système pénitentiaire, « le meilleur du monde » selon ses dires, n’a pas même pris la peine de se manifester. Pas un mot, une apparition publique, pas de déplacement sur les lieux, rien… Alors que ce qui est mis en cause ici, n’est pas seulement l’incendie, mais toutes les conditions qui l’ont rendu possible, des conditions que vivent toujours les quelques 30 000 détenus qui se retrouvent dans des conditions similaires depuis qu’elle a décrété que les prisons étant surpeuplées, certains commissariats feraient office de lieu de détention. Des détentions dans des conditions inhumaines.

Sa seule manifestation, hier, a été pour protester contre le gel de ses avoirs au Panama.

Alors, il y a les on-dit, certains plus crédibles que d’autres. Peut-être un jour les doutes seront levés, mais ce ne sera certainement pas grâce au gouvernement

Pas besoin d’entrer dans un débat spéculatif sur les causes de l’incendie et la totale absence de dispositifs d’évacuation des prisonniers, pour être interpellée, choquée, Les conditions d’existence des prisonniers comme l’inhumanité des traitements qui ont été réservés aux proches des victimes parlent d’elles-mêmes.

Comme parle aussi cette « enquête » bouclée à la hâte, qui conduit à l’arrestation « des cinq responsables » sans qu’aucun de ses éléments ne soient rendus publics, sans que les responsabilités partagées à différents niveaux des pouvoirs publiques soient seulement évoquées. On reste avec un sentiment de frustration, un malaise… ils portent le chapeau.

Aujourd’hui, ce sont plus de 33 000 prisonniers qui occupent pour des mois, voir des années les quelques 8OOO places en cellules prévues dans les commissariats pour des détentions qui ne devraient pas excéder 48 heures.  Les conditions d’hygiène sont déplorables, les prisonniers entassés, sans possibilité de se mouvoir. A Policarabobo, jamais non plus ils n’avaient le droit de sortir dans le patio. Ce sont les familles qui apportent la nourriture, les vêtements propres, les autres objets et produits de première nécessité. L’eau fait partie des priorités !

Alors que selon plusieurs témoignages de proches, pour une heure de visite aux prisonniers en détention préventive, les proches devaient payer aux policiers 10 000 bolivars l’heure. (0,00016 €, si, si ; le salaire minimum est entre 300 et 400 mille bolivars)

Mal nourris, entassés, sans hygiène, sans possibilité de faire de l’exercice, autant dire que la plupart des détenus se retrouvent en mauvaise santé. Tuberculose et VIH sont les maladies les plus répandues.

Ajoutons que les policiers en charge ne reçoivent aucune formation pour leur nouveau rôle de gardiens de prison. Ce n’est pas la même chose de garder quelques individus temporairement, en garde à vue en cellule ou d’avoir à gérer l’intendance et les comportements de centaines de prisonniers, dans les conditions décrites ci-dessus, pour des emprisonnements prolongés.

 

Dans le patio les prisonniers survivants attendent leur transfert

Dans le patio les prisonniers survivants attendent leur transfert

Alors bien sûr, il est possible que 5 d’entre eux aient fait preuve, dans le cas de l’incendie du commissariat prison de Valencia d’un comportement répréhensible ou criminel. Ce ne sont pas les seuls membres des Forces de l’ordre ou militaires qui au Venezuela sont mis en prison pour de tels comportements. Il y avait trois ailes à cette prison improvisée, une pour les détenus en préventive, celle qui a pris feu, une autre pour ceux déjà condamné et une troisième, pour les (135 ? non vérifié) membres des forces de l’ordre qui  « ont failli » à leur devoir. Chaque jour des policiers des militaires sont mis en prison pour diverses raisons, des vols, des agressions, des enlèvements, des assassinats, des actes de corruption, de trahison à la patrie, etc…

Un des premiers doutes qui m’a taraudée, lors des prémisses du gouvernement de Maduro, au printemps 2013, c’est cette tendance qui se dessinait déjà : emprisonner toujours plus massivement semblait être la réponse du pouvoir à la dissidence comme à la délinquance. Cela me fait toujours penser aux « Chimères » du Moyen-âge, les « malformés » de toutes espèces devaient disparaître car ils étaient une insulte vivante à la perfection de l’œuvre divine. Quand un pouvoir quel qu’il soit tend à faire disparaître le problème plutôt que d’y apporter des solutions, je me pose des questions. Depuis j’ai entendu les maduristes, Nicolas en premier clamer de manière réitérée qu’eux, les leaders de la révolution, détenaient La Vérité, celle que devait partager tout vénézuélien qui se respecte.  Associé à la religiosité du régime, le glissement vers une proclamée vérité d’Ordre Divin n’est jamais loin.

De telles prémisses vont conduire vers une société punitive.  Quand celui qui contrevient aux règles de l’ordre social incarne LE MAL. Faut écouter leurs discours, aux dirigeants de l’état et de la « révolution », ils le disent et l’affirment avec toujours plus de force et de conviction. Comme il semble toujours d’avantage que le peuple dont ils auraient à tenir compte se limite aux membres du parti et ceux qui les soutiennent. Les autres, tous les autres étant de l’ordre de la chimère. Alors qu’importe la mort de quelques délinquants sociaux ? Comme le déplorait la maman d’un des détenus décédés : « Dans de telles conditions, nos enfants n’ont aucune possibilité d’insertion, au contraire, la prison empire les choses ».

5 policiers rendus responsables de l’incendie de Policarabobo au Venezuela

Les pandillas, maras bandes de jeunes criminels qui ont trouvé leur origine dans les prisons de Californie sont aujourd’hui légion en Amérique Latine. Quand je dis légion, il y a quelques années leur membres étaient évalués à 8OO OOO rien que pour l’Amérique Centrale. Elles ne sont pas un destin naturel pour les jeunes qui s’y retrouvent embrigadés et ne peuvent en sortir que par la mort, et beaucoup meurent très jeunes. Il existe dans la région d’autres types de bandes criminelles, paramilitaires, une culture de violence qui est la voie sans issue pour une jeunesse sans avenir.

Au Venezuela, voler, dépouiller les autres de leurs terres (j’y reviendrai), de leurs, - souvent maigres - biens, de la nourriture ou des médicaments qui leur sont destinés, des produits de première nécessité, des éléments d’infrastructures, du bétail, c’est un sport national …. La liste est sans fin.  Tous n’y participent pas, tous sont touchés.

D’autres vols sont liés à la corruption financière, détournements de fonds, pots de vin, « taxes » et autres rackets, autres malversations depuis les sommets du pouvoir, jusqu’au plus bas de l’horizontalité, la aussi la liste est sans fin, et s’allonge et s’allonge… Les uns détournent des millions de dollars, les autres quelques dizaines de milliers de bolivars, cela reste du VOL. C’est ici un mal social que seules de profondes réformes de la société pourraient endiguer.

L’explosion du nombre de personnes incarcérées au Venezuela dans ces dernières années montre la dérive « punitive » qui résulte de choix politiques, de la misère et du manque d’éthique qui souvent l’accompagne. Ce n’est pas l’ensemble de la population qui se comporte comme cela, loin de là, je m’apprêtais justement quelques beaux exemple de constructions pour et par le peuple, quand l’incendie a éclaté et que de fil en aiguille j’ai suivi et recoupé les sources et j’ai été touchée par la douleur des famille, par leur colère impuissante à cause de l’incendie, à cause du silence des autorités, du traitement réservé aux morts, aux blessés qui ne peuvent recevoir de visite, ne donnent aux téléphones que de brèves infos sur leur état de santé, leurs besoins urgents, mais ne parlent pas de ce qui s’est passé, ou à cause des survivants en attente de transfert qui regroupés dans le patios voisinent avec les corps calcinés de leur codétenus qu’aucun proche n’a réclamé…

Alors oui, il est évident que faire la lumière sur toute cette affaire ne se borne pas à désigner cinq coupables parmi tous ceux qui ont une responsabilité dans ce drame. Mais si la lumière un jour est faite, cela ne viendra certainement pas du régime, ni des falsificateurs de l’opposition oligarchique, ce sera parce que des familles se seront mobilisées, auront mené leur propre enquête, auront refusé de se laisser impressionner ou acheter pour se taire.  Parce qu’elles auront été soutenues dans leur combat par d’autres forces populaires organisées ou non, dans et hors du pays. Et la totale victoire serait que ces forces populaires, organisées depuis la base, les assemblées des familiers, des voisins, prennent en main la mise en place de dispositifs qui donneraient à ces détenus, très jeunes pour la plupart, la possibilité d’un avenir. C’est possible.

5 policiers rendus responsables de l’incendie de Policarabobo au Venezuela

Cela se fera ou pas, l’avenir nous le dira. Et je garderai un œil sur les suites de ce drame. Jusqu’à ce que les échos se taisent. Ou non. Parce que peut-être les familles ne laisseront pas faire ou parce que l’opposition de droite portera l’affaire sur la scène internationale des Droits de l’Homme C’est fait à l’ONU, qui somme le régime de rendre justice et d’assumer ces responsabilités. La droite non plus ne se contentera pas de cinq responsables désignés à la base et de quelques Tweet du Procureur Général, sans aucun détail de l’enquête en guise d’unique réponse des sommets de l’état. Au contraire ce manque de réactions est autant d’eau - eau qui s’ajoute aux larmes versées par tous les proches des victimes-  au moulin des détracteurs au service des intérêts de Washington, Des détracteurs locaux qui joue la carte de l’ingérence étrangère, pour qui cet incendie est avant tout une bonne aubaine dans leurs stratégies de déstabilisation du pays.

 Je peux me tromper, mais je ne crois pas qu’ils vont laisser tomber, ce que je crois au contraire, c’est qu’à quelques semaines des élections ils vont enfoncer le clou pour qu’elles se déroulent dans un climat d’émeutes qui les rendraient impossible ou les discréditeraient complètement. En plus un tel thème susceptible est de soulever tous les jeunes des quartiers pauvres ! Trop beau !

Sur CNN et d’autres sources aussi versées dans la propagande de masse de mauvaise foi, le thème du « nettoyage social » a été abordé, le gouvernement aurait volontairement fait « disparaître » des détenus surnuméraires. Alors que dans l’autre camp des voix évoquent un complot de l’extrême-droite pour impliquer le gouvernement. Mensonges contre autres mensonges ? Comme le répète Maduro lui-même, un mensonge répété cent fois devient une vérité. Sauf que, quand cette stratégie est utilisée de toutes parts, on se retrouve dans une schizophrénie sociale à grande échelle.  Seules les actions d’union populaire, locales, entre personnes qui se connaissent et se respectent, agissant sur bases de faits connus, éprouvés, peu vaincre le vertige schizophrène social.

De telles puissances existent dans le monde. Au Venezuela des forces populaires qui ont été déboussolées par les trahisons et les mensonges du pouvoir se reconstituent, forces productives autoorganisées, assemblées de voisins qui s’unissent pour faire face aux problèmes qui affectent leur territoire, soutien horizontal entre différents mouvements… c’est de cela dont j’ai envie de parler, c’est plein de puissance, d’espoir, de joie aussi. C’est un vaste sujet. Et j’espère que les familles des victimes auront l’impulsion, le courage et la force de s’unir dans la recherche d’une vérité qui seule leur permettrait de faire leur deuil. Sachant que dévoiler cette vérité feraient d’elles, sans doute, des ennemis de l’état.

 

 

Un moment de recueillement pour les victimes et leur souffrance. Un moment d’humanité.

 

 

A suivre donc…

Anne

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